lundi, 16 septembre 2013
Les escargots
Manger un escargot, quand on connaît l’animal, lent, silencieux, translucide, a quelque chose de peu glorieux.
Pour en avoir trop ramassés durant mon enfance, j’ai toujours du mal à commander des escargots au restaurant. Des escargots au beurre persillé, c’est pour moi tout sauf un plat de luxe. C’était jadis, comme les poissons ou les grenouilles de la rivière, la boustifaille des fins de mois.
Ils jeûnaient des semaines dans des filochons aux mailles d’acier. Puis dégorgeaient dans des bassines, les uns sur les autres, tassés dans l’eau salée. Nous les lavions alors à grande eau, leur dernier bain, une fête, dansant doigts frêles dans leur bave, avant de rejoindre leur tombeau, le grand faitout sur la cuisinière de fonte. Saisi, en les contemplant dans l’eau où se formaient des bulles, de l’expérience de leur mort. Saisi. Comme de voir dans l’arrière-boutique du voisin boucher le cochon égorgé, son cri, le sang qui goutte en filets.
Armés de couteaux, nous séparions fastidieusement le bon grain de l’ivraie, la merde entortillée du comestible. La vieille chantait du Léo Marjane et l’enfant souriait. Les petits corps gris, démoulés de leur coquille, gisaient à présent, rigides et immobiles dans un torchon en point Vichy. Pour quelques secondes encore, le souvenir d’avoir été un animal flottait comme un ange sur leurs formes rétractées. On commençait la persillade. Ils se métamorphosaient peu à peu dans le monde des hommes, jusqu’à devenir leur nourriture.
22:01 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : escargots, littérature, cuisine, souvenir |
Commentaires
Joli texte (...qui me conforte dans mon exécration des escargots morts et cuits, hahaha !)
Écrit par : Sophie K. | mardi, 17 septembre 2013
En effet,joli texte plein d'émotions subtiles où se disent les faims au ventre et les remords de devoir tuer pour vivre. Un texte où il n'y a rien à reprendre même pas une coquille ! Allez , vous méritez votre vingt (de bourgogne),élève Solko!
Écrit par : patrick verroust | mardi, 17 septembre 2013
Notre voisin, quand j'étais adolescente allait aux escargots. Il les lavait dans l'évier commun, sous la pompe, seule source d'eau pour trois logements. J'étais dégoutée au plus haut point de voir cette bave, et la pensée que nos voisins se régalaient de ces bestioles me semblait tout à fait révoltante.
Écrit par : Julie des Hauts | mercredi, 18 septembre 2013
Ce n'est pas par esprit de contradiction (!), mais j'adore les escargots. Des bons escargots avec du bon beurre persillé c'est divin. Absolument pas plus dégoûtant que des crevettes ou des moules ou des huîtres.Tiens, j'en meurs d'envie à la seconde où j'écris.
Écrit par : Sophie | jeudi, 19 septembre 2013
Je notais simplement que ce plat de la cuisine populaire, comme l'andouillette ou les grenouilles, est devenu un plat presque de luxe dans les restaurants, à connotation festive. Il reste très bon (la persillade, surtout...)
Écrit par : solko | vendredi, 20 septembre 2013
Sophie,
Ne mourrez pas d'envie devant des escargots, bavez si vous voulez, personne ne vous fera rendre gorge...
Écrit par : patrick verroust | jeudi, 19 septembre 2013
Vingt sur vingt (pas vin sur vin, ça tache) à vous aussi !
Écrit par : solko | vendredi, 20 septembre 2013
Pour en avoir goûté quelquefois, j'ai toujours trouvé que les escargots n'avaient guère d'autre goût que celui de la persillade justement! Du coup je n'en vois guère l'intérêt... J'adore la persillade, du reste.
Il paraît que leurs œufs, en revanche constituent un mets d'une grande finesse, une sorte de "caviar" terrestre.
Et la dernière nouveauté: les cosmétiques soi-disant "miraculeux" à base de bave d'escargots!
De l'assiette du pauvre au "luxe", l'escargot n'est pas le seul à avoir eu ce curieux destin.
Écrit par : Sarah S. | vendredi, 20 septembre 2013
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