Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 06 avril 2011

Au soir

Les femmes sont nos maisons

Qui nous quittent un soir

Et nous restons sans toi. 

 

 

martin jacques.jpg


21:55 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : littérature, poésie, soir | | |

dimanche, 03 avril 2011

Abidjan

cimg1402.jpg

 

La lagune d’Abidjan, lointaine, il est vrai,  à présent,

De la fenêtre de l’hôtel Ivoire ,

Les eaux dormantes vertes, tièdes,  troubles,

De ce palace au luxe flétri, dans l’air moisi de Cocody.

 

Ce Plateau moite m’a toujours fait penser à la France pompidolienne

Qui alignait des gratte-ciel pour faire l’américaine :

Ici, on joue d’un air matois à la Défense

Mais Treichville n’est jamais si lointaine.

 

Dans son damier roulent les jours de marché

Quand les fruits s’y répandent les bus bondés

Non loin des entrepôts, sitôt le soir tombé,

Le cinéma et le reste s’y offrent en plein air.

 

Ici la paix n’est jamais loin de la violence,

Ni la clameur de la couleur et de la peur,

Ni le temps ralenti du lendemain surgi,

L’engourdissement,  prélude à l’éclat de vie.

cimg1387.jpg


21:46 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : adidjan, littérature, côte d'ivoire | | |

mercredi, 30 mars 2011

Dans ce pays

Je n’aime pas l’euro.

S’il fallait dater la « mélancolie » que je ressens par rapport à une sorte de heimat perdu, c’est de ce maudit passage à l’euro que je le daterais. Bien que joyeux, jovial, je crois avoir toujours eu une nature mélancolique.  Le passé m’a toujours parlé, sous la forme d’épiphanies plus ou moins  fortes. Une tombe moussue dans une forêt des Cévennes, quelques lierres accrochés sur le pisé d’un mur du Beaujolais, un bouquet d’orties sur un chemin de terre, le fracas d’un torrent alpin : je voyais très nettement se lever des fantômes aux gestes brusques, des spectres aux sourires francs…

Les vivants m’ont toujours paru inachevés. Similaires et inachevés. J’aime Nerval, Béraud et Giono, pour leur poésie du pays. Ce qui est enfoui m’importe. Le reste m’indiffère. Les vivants que je croise dans l’autobus me sont plus étrangers, secs et nerveux avec leur air du moment, que les personnages de Sylvie ou ceux de Ciel de Suie.

Avec le passage à l’euro s’est jouée en moi la perte d’un signifié séculaire. Comme si on m'avait volé je ne sais quoi. Cette décision, œuvre de techniciens monétaires et de spéculateurs cyniques fut une grande erreur poétique. Avec la disparition du franc, oui, nous perdîmes un signifié séculaire. Euro : avec quoi ce terme hideux rime-t-il ? De rage, à l’époque, j’avais écrit sur un carnet : avec égos ; avec égaux. C’est le triomphe de la consommation, le triomphe d’une démocratie aussi planétaire qu’insipide, vraiment. Nous ne méritons depuis que des gens comme Sarkozy ou Strauss-Kahn, des hommes de l’euros, insipides et interchangeables.

Le pays a perdu quelque chose de son autonomie fondamentale. .

Je me souviens avoir voté Chevènement en désirant ardemment la chute du fâcheux Jospin, Jospin l’europhile. Ce fameux 21 avril, j’étais très heureux de ne pas retrouver ses lunettes et ses cheveux bouclés au second tour des présidentielles. Exit, lui et toute sa cohorte d’opportunistes. Non que Chirac et sa clique valussent mieux. Deux cohabitations avaient fait de ces hommes et de ces femmes des gens qui n’aimaient plus le pays et travaillaient pour sa dilution. D’ailleurs, quand ils en parlaient, ils disaient : « dans ce pays ».  Ils continuent. Rien que pour ça, je ne voterai plus jamais pour eux

Dans ce pays, il faudrait vraiment pouvoir passer à autre chose. 

littérature,politique,france,euro

 



00:07 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : littérature, politique, france, euro | | |

vendredi, 04 mars 2011

Pont Lafayette

 

Tu coupes le Rhône par un pont assez veuf

Aux parapets verts et bas et neufs :

N’est-ce point là qu’il y a de nombreuses années

Tu as voulu sauter ?

 

Le site est aussi large qu’en ce temps-là ;

Le fleuve un peu plus sale,

Le ciel tout juste plus pollué,

Qu’importe que beaucoup de passants aient changé de têtes et de tenues :

 

Ceux-ci passeront à leur tour.

Te dis-tu : tout passe, c’est leur cortège.

Quel privilège, encore, devant toi,

Que cette façade et ces trois dômes,

 

Et la colère que tu ressens,

Plus mûre, plus saine qu’à l’époque,

Est plus construite mais plus vaine,

C’est le mot qui te vient, ainsi qu’insupportable :

 

Pourquoi te demeure aussi insupportable

Cette idée qu’en hôtel cinq étoiles

On vienne à changer ce vieil hôpital ?

A l’ombre de quelle croix aller mourir désormais ?

 

On n’arpente cette presqu'île que pour acheter,

Traîner en bandes, zoner,

Quand la banlieue ne vient pas y casser des vitrines,

Elle les lèche, et puis rien d’autre.

 

Le luxe t’est une offense et tu voudrais d’un coup de tête

Comme celle de Zidane sur Materazzi

Défoncer les vitrines du magasin Z… ,

Te voilà non loin des chapelles aux saints bas, assoupis.

 

Le quai se disait Bon Rencontre

On dit l’église encore Bonaventure

A quelle bonté rêves-tu donc, tu as tant rêvé là,

Tant sont morts, et quid de meilleur ?

 

Tu prends l’entrée d’un autre pont

Où piaille contre toi le vent des mouettes.

Sur une carte postale de la Belle Epoque, tu te souviens

Qu’une marchande de journaux se tenait là

 

Son tablier est bordé de dentelle piquée de cabochons

C’est sur ce pont qu’en 68

Un camion écrasa un commissaire.

Toute la presse de mai en parla.

Par là le Rhône est moins large que là-bas.

 

lafayette.jpg

 

 

 

00:39 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : pont lafayette, lyon, littérature, poésie | | |

vendredi, 25 février 2011

Les rues trépassantes

 

Dans toutes les villes d’Europe, il y a des rues trépassantes

Dont les façades pleurent tous ceux qu’elles ont vécus :

Vieux moines emplis de componction, aux mains jointes sur l’estomac, 

Marchandes de légumes, aux fesses rondes sous des jupes longues,

Vieux célibataires secs à l’épaule qui tombe, sous le frac sombre,

Ecoliers vifs, maîtres sévères,

Et mendiants quémandant, disant à chaque pièce qui tombe : « joie et bonheur sur votre famille »

Et polissons, polissonnes, gueux, gueuses, vaillants, vaillantes,

Tels,

Sur les vitraux emplis de suie des chapelles pleines de suif de l’église du quartier

Les sujets chrétiens, presque effacés par la pénombre ou le vacarme.

 

C’est triste et fade,

littérature,poésie,lyon,quartier grolée

 

Un bâtiment replâtré, une rue restaurée, ravalée

Et ces arêtes désolées, aux angles des murs qui demeurent,

D’avoir été séparées d’autres, abattues,

Je salue, de ces rues très passantes

Les  fantômes épiphaniques,

L’immense foule de ceux qui ont vécu. 

 

Gravure : Le tournant Saint-Côme à Lyon, Drevet.

 

19:43 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, poésie, lyon, quartier grolée | | |

jeudi, 03 février 2011

Prose

glissant-edouard-deces-245911-jpg_137268.jpg

Quand du songe seulement vêle un tas de rosiers,

laisse

que de cri fusé en astre et braise qui trop s’écrit

nous frappions langue, longtemps chue en sa ravine

comme un déparler qui dans la mangle boite,

 

plus raide que bois d’épini plus

insupportable que boise.

 

 

Edouard Glissant – « Bois des Hauts », in Boise, 1979.

 

20:56 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : edouard glissant, poésie, littérature | | |

mardi, 18 janvier 2011

Man with beer

Que faire de la réalité d’un désespoir ?

De la présence de Mélancolie ?

Tenter de la travestir au risque du surfait ?

Il ne le faut, non.

L’accepter plutôt comme la trace d’une conscience

Telle, sais-tu, celle du renard sur la neige :

Une conscience – ta conscience, malheureux,

Oui, l’accepter, ce désespoir,

En conscience, en effet.

 

Alors redevient plausible l’évidence de la joie

Car le récipient dans l'épreuve

Est demeuré intact

 

Man with beer. 1899.jpg

Photo : Man with Beer, 1899

 

 

00:00 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : politique, solitude, villes, poésie | | |

lundi, 17 janvier 2011

Quoi qu'il en soit

Quoi qu’il en soit, on en revient toujours à sa misère,

Celle dont les reflets dans la ville vous alpaguent,

Et dont l’époque est emplie comme une outre,

Et dont il faudra un jour ou l’autre

Mourir.

homme triste.jpg

 

00:28 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : politique, actualité, solitude | | |

dimanche, 09 janvier 2011

René Leynaud, poète

« Vivant je ne le suis sinon qu’en vos poitrines

Réside encor la voix que la mort me ravit,

Et redire mon nom me fait l’ombre divine

Du soleil de mes jours venir à mon envi

Et moi venir à moi, et ma chair transparaître

Mieux acquise aux voix que mon chant ne sut l’être »

 

images.jpgLes poésies de René Leynaud ont plusieurs été fois exhumées. Une première fois par Francis Ponge qui, triant dans les papiers que la veuve du résistant fusillé à trente quatre ans lui donna, supervisa la publication du premier recueil posthume en 1947. Une seconde fois par Paul Gravillon, journaliste au Progrès qui fut à l’origine de la réédition par les éditions Comp’act et le Goethe Institut de ce même recueil, en 1994.

« Je l’ai connu par hasard dans une anthologie de Seghers. », raconte ce dernier.  « J’étais fait-diversiers de nuit au Progrès». Découvrant qu’il avait été journaliste au Progrès, Gravillon écrivit à Gallimard et reçut le recueil. Il découvrit alors une amitié entre un écrivain qu’il admirait (Albert Camus) et un jeune poète qu’il ne connaissait pas.  « Modeste et mystérieux », dit Gravillon, fort justement de Leynaud, en parlant de l’intérêt humain qu’il ressentit à lire ses textes.

Dans ses poèmes, Leynaud, le martyr de Villeneuve dans l'Ain, évoque si souvent la mort que sa femme parla à leur sujet un jour  de « textes prémonitoires ». Les trois derniers paragraphes d’un long poème en prose, Etre, sont, de ce point de vue, magnifiques :

 

«Soudain, et sans que je le voulusse, je me trouvai debout contre la vitre. Je regardai au-delà de mon visage dressé dans un reflet.

En bas le kiosque, les arbres, ce qui m’apparut de la place, les trottoirs, les quais, tout était renversé dans une lumière bouleversante de déluge. Le paysage entier, ciel livré à la terre, s’ordonnait suivant une certaine détresse, un désespoir sans cause d’exister. 

Et je compris soudain dans une soudaine lenteur, que cette détresse c’était celle-là même que je n’avais pas reconnue en moi, noyée sans visage, lorsque je marchais  en quête de ton absence. Et je fermai les yeux pour mieux te nier, toi, sans nom, sans voix, sans regard, toi, contre tous les désirs de mon être, que je retrouvais dans cette maison illuminée de bitume et d’eau, et tapie sournoisement au creux de cette chambre où j’étais seul, enfermé dans ma déchirante volonté d’exister enfin hors de tout. »

 

Magnifique est également, dans ce recul où nous sommes par rapport à l’événement de la Résistance, cette longue préface de Camus à son ami. Cet extrait, parmi d’autres, dans lequel il narre leur conversation au 6 de la rue qui porte aujourd’hui son nom, au bas des pentes, dans la chambre de bonne où il l’hébergeait lors de ses visites à Lyon : « J’aimais le voir rire. Il le faisait rarement, si j’y réfléchis, mais alors de tout son cœur et jeté sur sa chaise avec abandon. L’instant d’après, il était debout, dans une position où je le revois souvent, les pieds un peu écartés, roulant ses manches très au-dessus des biceps et relevant ses bras solides pour essayer de discipliner ses cheveux toujours en désordre. Nous parlions de boxe, de bains de mer et de camping. Il aimait la vie physique, l’effort, la terre fraternelle, et tout cela silencieusement, à la façon même dont il mangeait, avec un bel appétit taciturne. Quand minuit approchait, il vidait sa pipe, disposait de nouvelles cigarettes dont il me priait d’user pendant la nuit, et, la veste sous le bras, partait d’un pas vigoureux. Je l’entendais encore dans l’escalier et je regardais autour de moi ce qui lui appartenait. »

 

A Camus, René Leynaud écrivit : « Je me suis souvent demandé si je ne m’exerçais pas à la poésie pour me démontrer à moi-même que je n’étais pas poète, ou encore pour tuer en moi le prestige des mots, qui est grand. Déjouer, tromper les mots qui nous séparent de nous-mêmes et de Dieu.  Car il est vrai peut-être que les mots nous cachent davantage les choses invisibles qu’ils ne nous révèlent les visibles. J’ai parfois le dégoût de la poésie, ma passion profonde. C’est dans ces moments-là que je me sens le plus près d’autre chose. »

Et Camus de rajouter : « Aujourd’hui, délivré de toute passion, délivré de la poésie, Leynaud n’appartient qu’à cette autre chose. Il savait, en m’en parlant, que cette autre chose n’avait pas de sens pour moi et que le seul endroit où je pouvais le rejoindre était sa certitude. Mais il aimait ma différence comme j’aimais la sienne. Et quelle que soit la vérité de cet appel qu’il ressentait, le déchirement où il était, et qu’il me disait si simplement, suffit à lui donner tort quand il doutait d’être poète ».

21:51 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : rené leynaud, poésie, albert camus, littérature, paul gravillon, lyon | | |