vendredi, 04 mars 2011
Pont Lafayette
Tu coupes le Rhône par un pont assez veuf
Aux parapets verts et bas et neufs :
N’est-ce point là qu’il y a de nombreuses années
Tu as voulu sauter ?
Le site est aussi large qu’en ce temps-là ;
Le fleuve un peu plus sale,
Le ciel tout juste plus pollué,
Qu’importe que beaucoup de passants aient changé de têtes et de tenues :
Ceux-ci passeront à leur tour.
Te dis-tu : tout passe, c’est leur cortège.
Quel privilège, encore, devant toi,
Que cette façade et ces trois dômes,
Et la colère que tu ressens,
Plus mûre, plus saine qu’à l’époque,
Est plus construite mais plus vaine,
C’est le mot qui te vient, ainsi qu’insupportable :
Pourquoi te demeure aussi insupportable
Cette idée qu’en hôtel cinq étoiles
On vienne à changer ce vieil hôpital ?
A l’ombre de quelle croix aller mourir désormais ?
On n’arpente cette presqu'île que pour acheter,
Traîner en bandes, zoner,
Quand la banlieue ne vient pas y casser des vitrines,
Elle les lèche, et puis rien d’autre.
Le luxe t’est une offense et tu voudrais d’un coup de tête
Comme celle de Zidane sur Materazzi
Défoncer les vitrines du magasin Z… ,
Te voilà non loin des chapelles aux saints bas, assoupis.
Le quai se disait Bon Rencontre
On dit l’église encore Bonaventure
A quelle bonté rêves-tu donc, tu as tant rêvé là,
Tant sont morts, et quid de meilleur ?
Tu prends l’entrée d’un autre pont
Où piaille contre toi le vent des mouettes.
Sur une carte postale de la Belle Epoque, tu te souviens
Qu’une marchande de journaux se tenait là
Son tablier est bordé de dentelle piquée de cabochons
C’est sur ce pont qu’en 68
Un camion écrasa un commissaire.
Toute la presse de mai en parla.
Par là le Rhône est moins large que là-bas.
00:39 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : pont lafayette, lyon, littérature, poésie |