mercredi, 02 octobre 2013
Petites histoires stupéfiantes
Première soirée de la nouvelle saison, aux Ateliers, en plein cœur du quartier Mercière., Le soir, il fait encore doux. A 20h 30, badauds et touristes se lantibarnent. Pendant ce temps Chavassieux en personne explique à son public la situation du théâtre. Depuis des mois qu'il a perdu son co-directeur, Simon Délétang, ,la municipalité ne se presse pas pour lui trouver un successeur. Depuis juillet, on attend sa nomination. Et en attendant, plus le moindre financement public. Chavassieux explique qu'il paye ses artistes à la recette. Et ça tombe bien : voilà que Jean-Paul Bolle-Reddat descend la travée centrale en prévenant : « J’arrive les mains vides » Puis grimpe sur le plateau. Vide, presque. Un tabouret, un caddy, un aspirateur pour le ménage. Soudain, tout ça prend du sens, entre réel et fiction.
Le comédien a choisi de raconter les Petites histoires stupéfiantes. C'est, une création de la Cie Drôle d’équipage en résidence au théâtre de Givors (voir extrait ICI). A l'origine, un texte de 18 heures jamais monté, pensez donc, plus long encore que Le Soulier de Satin ! Ma Solange, comment t'écrire mon désastre, Alex Roux, de Noëlle Renaude. L'auteure a accepté que le comédien en picore une heure et quelques dix minutes, comme un moineau, et nous avec. Bolle-Redat est, on le sait, un amateur de Pierre Michon comme de Karl Valentin, qui a frotté son talent à Jean Louis Martinelli, Didier Besace, Jerôme Deschamps et a donc rejoint à présent Charly Marty pour sa première mise en scène.
L'histoire ? Celles des vrais gens, comme on le répète depuis Robert Park et l'invention de la sociologie. Ceux, par exemple, qui travaillent dans la moquette, écoutent Iglésias, et dont les existences à jamais floues posent un problème à la société. Là où ils sont, là d'où ils postent leurs cartes postales, c'est toujours nulle part. Noëlle Renaude ne travaille pas le non-sens, mais plutôt le petit sens. C'est d'ailleurs pourquoi des extraits de son texte sont travaillés souvent dans des cours de théâtre ou des compagnies amateurs. Instants choisis où se croisent parfois les fameux passés simples fautifs, le boucher venda, prena, disa... C'est l'expérience et le talent de Bolle-Reddat qui assurent le lien. Pour nous entraîner d'un prodigieux numéro de marionnettistes, à deux mains (vides) à un duo avec Salvatore Adamo au portable. On pense à Pierre Autin Grenier et Toute une vie bien ratée, A notre époque, personne ne fait son âge, lance, par sa bouche, un personnage. Celui qui meurt après tout le monde, lance un autre, finit quand même par mourir. Impossible de ne pas tomber en empathie avec eux, puis de s'en distancier l'instant qui suit pour en sourire. Le premier invité de cette saison aux Ateliers, aussi spéciale que neuve parce qu'elle devrait être celle de sa renaissance, éblouit finement mais surement. Il est donc à ne pas rater.
Petites histoires stupéfiantes, Les Ateliers, d'après Noëlle Renaude, ms Charly Marty, avec Jean-Claude Bolle-Reddat, du 1er au 19 octobre 2013 à 20h30, samedi à 19h, 1h10
05:54 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : théâtre de givors, jean paul bolle-reddat, drôle d'équipage, noëlle renaude, théâtre, les ateliers, petites histoires stupédiantes, charly marty |
jeudi, 07 février 2013
Rapport sur moi
Grégoire Bouillier est un écrivain attachant. Il a publié chez Allia successivement Rapport sur moi (2002) et L’invité mystère (2004). C’est ce premier texte que Matthieu Crucciani vient de représenter auxthéâtre des Ateliers, en ouverture du festival Sang neuf, qui se prolonge jusqu’au 9 février
« J’ai vécu une enfance heureuse » Ouverture d’un récit, qui se clôt quelques 150 pages plus tard par un « c’est encore heureux », lâché par le narrateur, à qui sa mère vient d’expliquer qu’elle a raté son suicide. Le spectacle est de bout en bout tenu par un Pierre Maillet éblouissant de justesse, de drôlerie et parfois de réserve, pour donner vie à ce texte a priori difficile. Car il s’agit d’un texte autobiographique, dans lequel Grégoire Bouillier raconte sans concession ni pour lui ni pour les siens ce que furent les moments fondateurs de son enfance, et ce qu’il en fit.
Parler longtemps de soi, dans un monde comme le nôtre qui bannit le lyrisme et l’exaltation du moi, n’est possible que sur le registre nuancé de la fausse candeur ou celui de la dérision, et presque sur le ton de l’excuse. Maillet, qui jouait avec bonheur le curé dans l’Entêtement de Spregelburd il y a peu à la Croix-Rousse, manie fort bien ces tonalités, pour raconter les douleurs et les tentatives d'évasion du personnage, ses illusions, ses soumissions et ses déceptions.
Crucciani a retenu les moments nodaux du récit de Bouillier sans céder à la facilité, et on peut l’en remercier. Y compris les plus difficiles, comme celui où l'écrivain (que fascine Joyce) évoque le personnage d’Homère. « C’était comme si j’offrais mon visage au soleil », lâche alors dans un sourire le comédien, avant d’expliquer qu’en filigrane, comme un certain Bloom ou un certain auteur de théâtre dans le Mépris de Godard, « les aventures d’Ulysse se révélaient les miennes, non pas identiques mais reprises ». C’est le moment où se délivre à la fois la clé du récit et la clé du spectacle, le moment où « comme le Roi-Soleil entouré des quatre femmes qu’il avait aimé », le personnage se donne presque naïvement comme « un inédit d’Ulysse », faisant de la fiction en tout cas un rempart contre la réalité decevante.
Le fil de la narration est entrecoupé de séquences musicales puisque la scène est en réalité un moment de répétition entre trois musiciens des Klongs, joués par Eléonore Du Bois -Jouy et Mathieu Desbordes, remarquable batteur, qui servent un peu trop souvent de simples oreilles bienveillantes à Pierre Maillet lorsque ce dernier ne brise pas le quatrième mur en s’adressant directement au public. Là réside la faiblesse de cette mise en scène, qui ne va pas jusque au bout du parti pris proposé en se refusant à établir des rapports significatifs entre les musiciens. Mais elle garde le mérite de restituer fidèlement l’univers singulierement générationnel de Bouillier, et pour cela, le spectacle vaut le déplacement.
Photos © Jean-Antoine Raveyre
Les Ateliers de Gilles Chavassieux, qui traversent actuellement une passe difficile avec le récent départ de Simon Délétang, proposaient ce spectacle dans le cadre d'un festival consacré à des formes innovantes, qui s'achevera le 9 février, Sang Neuf. A suivre ici les principaux renseignements sur les autres spectacles.
05:47 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : théâtre, les ateliers, grégoire bouillier, rapport sur moi, littérature, lyon, matthieu cruciani, pierre maillet, récit, autobiographie, culture |
mercredi, 14 novembre 2012
Le guide du démocrate
Soudain retentit le générique des Dossiers de l’écran, et, comme si s’ouvrait un rideau, le spectacle peut commencer. Conçu à la croisée de deux textes, Le Guide du démocrate d’Eric Arlix et Jean Charles Massera et We are l’Europe de Jean Charles Massera, il prend forme au croisement de deux partis-pris scénographiques :
- une succession de croquis montrant un couple d’homo democraticus aux prises avec la réalité de leur banale survie en société démocratique post-moderne d’une part ;
- les conseils ironiques d’un tonitruant démocratiseur, à mi chemin entre le coach et l’expert d’autre part, qui tantôt les observe et tantôt se mêle à leur existence.
Dans l’entrelacs de ces deux jeux, le spectacle trouve rapidement un véritable rythme, grâce notamment à l'interprétation des trois comédiens, qui tient la route sans défaillir un instant.
Le démocratique a-t-il tué la démocratie ?
Cette question tient lieu de lancinant fil d’Ariane pour coudre entre eux l’ensemble des tableaux. : celui de la météo et celui de la cantine, celui de la télé réalité et du story-telling politique, du sexe d’autant plus triste qu’il est libéré, de la convivialité d’autant plus feinte entre membres d’une même tribu qu’elle est inexistante partout ailleurs, des déboires d’un quotidien pour la survie bricolée, également éprouvés par des mâles et des femelles pris en sandwich entre le dernier Goncourt et le pamphlet d’Hessel… Car les personnages que la création aux Ateliers de Délétang propose sont imbibés à part égale de deux éléments contradictoires : les sons, les images et les lieux communs dont la société du spectacle les abreuve (nous abreuve) ; les concepts dont la tradition critique de la société du spectacle les a emplis (nous a emplis). Comme ils semblent n’être plus en mesure d’adhérer ni à la société du spectacle ni à sa critique, mais contraints de les subir tour à tour comme le côté pile et face d’un même conditionnement démocratique, leur état de non adhésion au Réel, qui constitue à la fois leur force et leur faiblesse, devient rapidement le ressort de l’intrigue.
Cela engendre beaucoup de bruit, trop sans doute pour eux qui, entre espérance et lassitude, renoncements et questionnements ne tiennent visiblement plus en place, comme des enfants Ainsi est-ce au spectacle de leur infantilisation (notre infantilisation) que nous sommes conviés. Le théâtre de Deletang met ainsi en scène les mésaventures de la pensée critique aux prises avec « la mondialisation des échanges et des informations », la pensée critique n’étant plus dans les démocraties modernes qu’une modalité d’échange et un mode d’information de plus, une des formes conventionnelles et obsédantes du vide. La scénographie et le décor montrent avec une joyeuse efficacité l'impasse dans laquelle la mise en relation des lieux communs produits conjointement par la société du spectacle et par sa critique placent les personnages (et les spectateurs).
Que faire alors pour bousculer tout ça ? Comme le tableau final le met à jour, même le discours politique (surtout lui) est devenu un objet de marketing insipide et creux en démocratie : le guide se révèle un non guide, pas même un escroc, un individu comme un autre qui ne propose aucune solution. Dans un tel contexte et avec un sujet aussi verbeux, maintenir en vie la fonction critique inhérente à la représentation théâtrale relève du tour de force : c’est une affaire de rythme et de croisement des points de vue, une affaire d'humour aussi; Deletang y parvient malgré tout, dans le mesure où le questionnement sur la démocratie demeure réellement vivant durant l’heure et demi que dure la représentation, et jusqu' la fin, contradictoire. Le guide du démocrate mérite donc le détour. C'est aux Ateliers, rue du Petit David, c'est dense et tonique, et c'est jusqu'au 6 décembre.
©David Anemian.
Le guide du démocrate ou Les clés pour gérer une vie sans projet
Mise en scène de Simon Délétang, avec Lise Chevalier, Steven Favournoux, François Rabette. Du 13 novembre au 6 décembre 2012.
12:57 Publié dans Des pièces de théâtre, Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : le guide du démocrate, massera, eric arlix, simon deletang, lise chevalier, steven favournoux, françois rabette, les ateliers, théâtre, lyon, pensée critique |