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jeudi, 07 février 2013

Rapport sur moi

Grégoire Bouillier est un écrivain attachant. Il a publié chez Allia successivement Rapport sur moi (2002) et L’invité mystère (2004). C’est ce premier texte que Matthieu Crucciani vient de représenter auxthéâtre des Ateliers, en ouverture du festival Sang neuf, qui se prolonge jusqu’au 9 février

« J’ai vécu une enfance heureuse » Ouverture d’un récit, qui se clôt quelques 150 pages plus tard par un « c’est encore heureux », lâché par le narrateur, à qui sa mère vient d’expliquer qu’elle a raté son suicide. Le spectacle est de bout en bout tenu par un Pierre Maillet éblouissant de justesse, de drôlerie et parfois de réserve, pour donner vie à ce texte a priori difficile. Car il s’agit d’un texte autobiographique, dans lequel Grégoire Bouillier raconte sans concession ni pour lui ni pour les siens ce que furent les moments fondateurs de son enfance, et ce qu’il en fit.

Parler longtemps de soi, dans un monde comme le nôtre qui bannit le lyrisme et l’exaltation du moi, n’est possible que sur le registre nuancé de la fausse candeur ou celui de la dérision, et presque sur le ton de l’excuse. Maillet, qui jouait avec bonheur le curé dans l’Entêtement de Spregelburd il y a peu à la Croix-Rousse, manie fort bien ces tonalités, pour raconter les douleurs et les tentatives d'évasion du personnage, ses illusions, ses soumissions et ses déceptions.

Crucciani a retenu les moments nodaux du récit de Bouillier sans céder à la facilité, et on peut l’en remercier. Y compris  les plus difficiles, comme celui où l'écrivain (que fascine Joyce) évoque le personnage d’Homère. « C’était comme si j’offrais mon visage au soleil », lâche alors dans un sourire  le comédien, avant d’expliquer qu’en filigrane, comme un certain Bloom ou un certain auteur de théâtre dans le Mépris de Godard, « les aventures d’Ulysse se révélaient les miennes, non pas identiques mais reprises ». C’est le moment où se délivre à la fois la clé du récit et la clé du spectacle, le moment où « comme le Roi-Soleil entouré des quatre femmes qu’il avait aimé », le personnage se donne presque naïvement comme « un inédit d’Ulysse », faisant de la fiction en tout cas un rempart contre la réalité decevante.

Le fil de la narration est entrecoupé de séquences musicales puisque la scène est en réalité un moment de répétition entre trois musiciens des Klongs, joués par Eléonore Du Bois -Jouy et Mathieu Desbordes, remarquable batteur, qui servent un peu trop souvent de simples  oreilles bienveillantes à Pierre Maillet lorsque ce dernier ne brise pas le quatrième mur en s’adressant directement au public. Là réside la faiblesse de cette mise en scène, qui ne va pas jusque au bout du parti pris proposé en se refusant à établir des rapports significatifs entre les musiciens. Mais elle garde le mérite de restituer fidèlement l’univers singulierement générationnel de Bouillier, et pour cela, le spectacle vaut le déplacement.


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Photos © Jean-Antoine Raveyre

Les Ateliers de Gilles Chavassieux, qui traversent actuellement une passe difficile avec le récent départ de Simon Délétang, proposaient ce spectacle dans le cadre d'un festival consacré à des formes innovantes, qui s'achevera le 9 février, Sang Neuf.  A suivre ici les principaux renseignements sur les autres spectacles. 

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