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mercredi, 12 mai 2010

L'imprimatur des bêtes sauvages

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L’errant au poil fauve s’approche, se détourne, reparaît. Son menton interroge, ses flancs hésitent. Il associe sauvagerie et mendicité. Je songe à ces demi-poètes devenus hommes de lettres en quête de succès.

Il cache ce qu’on lui jette et revient, il refait surface à l’improviste, au détour d’un talus. Il chasse le cadeau… Il me prendra jusque dans la main un os assez gros. Tel propriétaire voisin le photographie puis se fait photographier avec lui.

Malgré sa discrétion, une implicite puis soudaine légèreté d’ombre qui lui permet d’apparaître puis de disparaître rapidement (sans du tout courir) nous manifestant sa lourde et superbe queue d’hiver, je ne vois plus sa beauté.

Elle me saisit tellement quand je surprends les bêtes sauvages – biches, cerfs, chamois ici même, qui traversent avec un tel incognito les pentes, s’effacent toujours. Elles ont un abîme dans les yeux dès qu’elles nous aperçoivent et se sauvent.

Se sauvent, oui. Qu’est-ce qu’elles emportent ?  Un autre monde et la beauté introuvable dont elles nous ont laissé l’impression par cette allure où s’est profilée la peur… et une si inviolable différence.

Dès qu’elles s’apprivoisent, c’est fini. Il leur manque le grand frisson du paradis antérieur. Où on ne mourait pas car on ne savait pas qu’on mourrait... Nous, c’est cette connaissance que nous leur apportons. On a perdu le miracle de vivre, d’être toujours dans l’éternel. Et ainsi la beauté, comme l’amour, est liée à la mort. Et tout est lié à la mort nous masquant quelque chose qui a eu lieu avant elle.

Ecrire, c’est retrouver l’imprimatur des bêtes sauvages

 

Maurice Chappaz, « 22 août » (extrait) La Pipe qui prie et fume, 2008

06:18 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : poésie, littérature, maurice chappaz | | |

Commentaires

Merci pour ce texte fascinant re-bouclé sur son titre tout comme à l'infini, je crois qu'il n'est pas vain de lire plusieurs fois. Tout est là, et tout nous dépasse.
"Une si inviolable différence". C'est magnifique !

Écrit par : Frasby | mercredi, 12 mai 2010

Il était marié avec Corinna Bille très intéressante aussi.
Merci pour ce billet.

Écrit par : voyageuse | mercredi, 12 mai 2010

@ Voyageuse : Tout ce dernier recueil, la pipe qui prie & fume, est un hommage à Corinna, puisqu'ils s'étaient installés ensemble dans cette maison dont il est sans cesse question.

Écrit par : solko | jeudi, 13 mai 2010

Les commentaires sont fermés.