vendredi, 12 décembre 2008
A la voix de Madeleine Renaud
Madeleine Renaud dans Oh les beaux Jours, ce soliloque qui se déploie en arabesques, vie qui se prolonge pour rien, pour dire, comme disaient les anciens, c'est juste pour dire... Le raffinement de Madeleine Renaud - le vieux style - et son articulation exquise, sa joie désolée, sa désolation joyeuse, le souffle de Beckett, ponctuant chaque silence du grincement de ses éclats de rire. Oh les beaux Jours, j'aime cette pièce comme j'aime par exemple Phèdre. Et voilà, il ne me semble pas impie de comparer au chant de Kathleen Ferrier, la diction impeccable de Madeleine Renaud, à la déploration de Gluck celle de Beckett, d'ailleurs regardez bien, dans l'expression de l'une comme dans l'expression de l'autre, ( bouche, yeux, mains, épaules) la même dignité profonde, et la même humilité aussi, la même passion de la partition, celles de l'interprète.
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jeudi, 11 décembre 2008
Chronique de la grammaire, de la vieille dame indigne et du général de Gaulle
« Il faut toujours garder un vice pour ses vieux jours. » : L’idée de garder un vice pour ses vieux jours, tout d’abord : je la trouve excellemment formulée. L’idée qu’un vice puisse se garder au frais, comme une bouteille pour la Noël, ou des boites de sucre sous le lit, ou le livret A sous une pile de drap. Un vice. Pour ses vieux jours : Je pense à La vieille dame indigne, le film de Robert Allio, avec Sylvie. A la chanson de Jean Ferrat (Faut-il pleurer, faut-il en rire … ?) Eh oui, il y en a eu, des jeunes, des moins jeunes, il y en aura une poignée, de jours, qu’on appellera les vieux. Les vieux jours. Cela me rappelle la Winnie de Beckett, qui articule (splendide, irremplacée Madeleine Renaud : « Quel beau jour ça a été! ») Encore une vieille dame indigne. Se garder un vice pour eux, en prévision, donc. On ne dira jamais les vertus de la prévoyance. Se le garder comme la fourmi qui thésaurise. Bon. Connaissez-vous la suite ? « la grammaire est l’un des meilleurs ». Et dans le même texte, un peu plus loin : « Je serais d’avis que l’orthographe est toujours trop simple, il y aurait intérêt à compliquer ses règles. Les amoureux de billard, de cheval ou de régates trouvent toujours à compliquer le jeu. Je crois que Jean Paulhan était du même avis. Probablement aussi Perret. Quand on est amoureux de la langue, on l’aime dans ses difficultés. On l’aime telle quelle, comme une grand-mère. Avec ses rides et ses verrues. »
Le 3 mai 1971, Alexandre Vialatte est mort.
A l’époque, personne n’a dérangé la classe pour venir nous le dire au lycée. Il est mort à l’hôpital Necker, des suites d’une opération de l’aorte. Il avait 70 ans. Le 9 novembre de la même année (scolaire, je parle en année scolaire) le lundi 9 novembre 1970, donc, le proviseur était entré en classe, exactement comme dans Madame Bovary. Nous n’étions pas à l’étude mais, je m’en souviens très bien, en cours de mathématiques, quand il entra. Il nous annonça que le Général de Gaulle était mort, et qu’il y aurait un jour de deuil national. Je trouve qu’on nous fait vivre depuis quelque temps dans une sorte de nostalgie, une nostalgie très débile, très commerciale, très factice, de ces années soixante et soixante-dix parfaitement ridicule, dont je garde pour ma part un très mauvais souvenir. Ce que les ados de l’époque pouvaient être idiots avec leurs boums dans les garages, leur salut les copains, leur idoles des jeunes ! A peu près autant que ceux d’aujourd’hui, ce qui n'est pas peu dire. Je soupçonne d’ailleurs les ados débiles des années soixante, devenus des presque retraités, d’entretenir cette nostalgie chez les ados d'à présent par une sorte de narcissisme complaisant et maladif, ainsi que par peur des vieux jours qui les rattrapent ; les vieux jours : nous y revoilà. Moi, si j’ai la nostalgie de ces années soixante-dix, ce n'est certes pas des années yéyés de tous ces jeunes cons devenus des vieux cons (Johny Ah que je t’aime, sa greluche Sylvie et autres Dutronc, Mitchell, Mick Jagger et Sheila), mais c’est la nostalgie des vieux d’alors, de ces septuagénaires des années soixante qui avaient su mettre de côté un peu de grammaire pour leurs vieux jours. Ah ! Les vieux de ces années-là ! Pas un seul ne demeure pour tirer l'oreille de leurs coquins d'enfants. Ce sont ces vieux-là, pourtant, qui avaient été les vrais artisans du bonheur de vivre des sixties, dont on nous rebat les oreilles à présent. Bref, je ne saurais vous dire à quel point j’ai non pas la nostalgie du temps de la jeunesse de Johny et de Sylvie, mais celle du temps de la vieillesse de Charles de Gaulle et d'Alexandre Vialatte. Alors, pour finir ce billet qui n’a ni queue ni tête - mais à qui cela importe -t-il d'avoir une queue et une tête ?-, voici un extrait de la chronique de Vialatte du 15 novembre 1970, alors que toute la France ne parlait encore que de « ça » et qui, peut-être, éclairera mon propos ; un chef-d’œuvre d’humour, de légèreté, de reconnaissance également :
«L’humanité n’est composée que de survivants. C’est une vérité d’évidence, mais à laquelle on pense rarement parce que, vus sous un autre jour, ces survivants sont aussi des ancêtres (ou tout au moins de futurs ancêtres). L’humanité ne se compose que d’ancêtres. Et qui disparaissent à leur tour. Cette année, Marc Orlan, Mauriac, Giono, Jeanson (2) et j’en oublie »
Et c'est ainsi qu'Alexandre est grand.
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(2) Et dernière heure, le général de Gaulle qui était aussi un écrivain.
08:30 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (31) | Tags : alexandre vialatte, littérature, histoire, général de gaulle, rené allio, société |
vendredi, 28 novembre 2008
Claude a cent ans
Claude a cent ans. Non pas Sarraute. Levi-Strauss. Non pas les jeans. L'anthropologue. Très distingué, l'anthropologue. Je ne sais pas pourquoi, je m'en suis toujours méfié, de Claude Lévi-Strauss, oui. Comme de tous les structuralistes de sa génération, d'ailleurs. Des séducteurs, certes. De grands séducteurs, qui plantèrent un jour leur bivouac sur le Quartier Latin et, longtemps, cette terre universitaire et toutes ses colonies en province leur furent conquises. David Pujadas qui tient le carnet mondain de France2 a-t-il lu jusqu'au bout Tristes Tropiques ? Croyez-vous ? Et le président Sarkozy qui s'est rendu à son domicile pour lui dire l'hommage de toute la nation ? A-t-il lu jusqu'au bout Tristes Tropiques ? Et Valérie Pécresse, a-t-elle une tête à avoir lu jusqu'au bout Tristes Tropiques ? Et vous-mêmes, avez-vous lu jusqu'au bout Tristes Tropiques ? Claude Levi-Strauss a cent ans, le structuralisme sans lequel il n'y avait point de salut il y a encore quelques années sera bientôt, comme le positivisme, une vieille lune. Les théories vieillissent mal, presque aussi mal que les hommes, parfois plus mal encore. Allez, pas de mensonges : moi, franchement, je me souviens avoir essayé, il y a longtemps, et puis avoir laissé à leurs tristesses ces tropiques levi-straussiennes. Et c'est pas parce que Claude a cent ans que je vais m'y mettre...
21:23 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : claude levi-strauss, littérature, anthropologie |
mardi, 25 novembre 2008
Alceste
J'ai le bon sens qu'habite pas loin de chez moi. La nuit, quand tout repose dans l'arrondissement, je vas lui demander quelques conseils. Il répugne jamais à m'en livrer quelques uns : le bon sens est un bon bougre que ne trouble pas sa popularité grandissante dans le pays. Les parchemins qu'il déroule ne sont-ils pas emplis de lieux communs qui ont aidé un sacré paquet de dépressifs à vivre en bonne sociabilité avec leur prochaine et son prochain ? Que si ! Il en délivre dans toutes les langues, pour tous les goûts et selon toutes les opinions. Il faudrait le décorer, bon sens, de la médaille du mérite citoyen. Je préfère aller l'entendre la nuit parce que, depuis qu'il a fait un mailing d'enfer en glissant des petits papiers roses avec son numéro de téléphone dans toutes les boites aux lettres, y'a une queue pas possible devant chez lui, du soir au matin. Avec ce qu'ils lisent dans la presse et ce qu'ils voyent à la télé, les gens du quartier, qu'est-ce qu'ils feraient sans ses conseils avisés ?
VOUS SAVEZ PLUS QUOI PENSER ?
VOUS SAVEZ QUOI DIRE ?
ALLEZ DANS LE BON SENS …
En allant chez lui, longtemps, je longe le grand boulevard qui ferme par le Nord le petit lot d'immeubles gris où je loge. A un endroit, y'a un misanthrope qui loge dans les grands arbres presque centenaires qu'on parle de couper à cause de leurs puces qui tombent sur les enfants quand ils jouent dessous. Il est le seul à jamais tendre l'oreille au bon sens. Une vieille avec une poussette m'a dit que la première fois où il l'a vue diriger ses pas par chez lui, il lui a jeté des cailloux dessus pour l'en détourner. Vous vous rendez compte ? "On aurait dit un forcené". Une autre fois, il s'en est pris à un couple d'amoureux. Alceste a sa réputation qui tourne de plus en plus mauvaise. Le bon sens raconte à tout le monde qu'il faut plus l'écouter. D'ailleurs, quand novembre commence à répandre sur nous tous son air de banquise, et que les beaux platanes un à un ont perdu tout leur plumage, est-ce bien censé de continuer à crêcher là-haut, dans les arbres ? Le bon sens dit : hein, voyez ? Est-ce bien censé ? A ce train là, plus personne ne lui adressera bientôt plus la parole. Bon sens dit que c'est ce qu'il cherche. La doctrine de bon sens, c'est qu'il faut pas faire de vagues, que tout se vaut dans ce bas monde, et qu'il faut laisser les originaux décoiffer les altitudes des plus hautes branches et passer son chemin : ils finiront par se lasser, rentreront tout penauds chez eux quand plus personne fera attention à eux. Avec bon sens, on se demande où va le monde, qui des deux roses emportera le parterre dans quelques heures et si on ferait pas mieux de tous s'aimer. Alceste, lui, il rêve devant les feuilles mortes et jette des cailloux sur la tête des passants. On sait plus trop ce qu'il faut en penser ...
08:11 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : littérature, politique, misanthrope, lyon, feuilles mortes, novembre |
lundi, 17 novembre 2008
Tisser la révolte (novembre 1831)
Que reste-t-il des événements de 1831 qui, après avoir enthousiasmé le peuple de Lyon durant ses Trois Glorieuses (21, 22, 23 novembre 1831) laissèrent la ville dans une angoissante désolation, et posèrent à toute la bourgeoisie d'Europe une question essentielle : celle de la légitimité de son pouvoir. Pour la première fois dans l'Histoire, en effet, on voyait une frange de la population, celle qui ne disposait "que de la force de son travail" (et qu'on appellerait bientôt le prolétariat) se révolter de façon cohérente et déterminée contre cette autre frange du peuple qu'on appelait la bourgeoisie, depuis peu culturellement, politiquement et historiquement dominante.
L'an dernier, sur ce blogue, nous avions revisité jour par jour les péripéties de ce que j'avais appelé "le feuilleton de novembre" : Tous ceux qu'intéresse la compréhension de ce mouvement très complexe, fondateur à la fois du mutuellisme et de la conscience de classes au dix-neuvième siècle, peuvent retrouver ou découvrir ces billets regroupés en quatre épisode dans « le novembre des canuts », ci-contre, à gauche. Ils peuvent trouver dans la rubrique "sites à visiter"" celui de l'ENS qui publie en ligne la très précieuse collection des numéros de "L'Echo de la fabrique" (le journal des tisseurs) ou revisiter l'extraordinaire exposition "C'est nous les canuts" que l'historien Fernand Rude consacra à la mémoire des tisseurs lyonnais.
Novembre 2008 : Sommes-nous si loin de ce qui pouvait préoccuper ces humbles tisseurs de soie lyonnais à l'époque ? Oui, suis-je tenté de dire. Oui, évidemment. La société du spectacle, la société de consommation, "le village global", autant d'expressions, parfois ridicules, pour souligner notre éloignement. Pourtant l'Histoire et l'économie réelles étant ce qu'elles sont, il se peut bien que nous reviennent dans la figure un certain nombre de questions posées à l'époque de Casimir Perrier par ces gens de bon sens : répartition des richesses, pouvoir d'achat, conditions de travail, syndicalisme ... mais la crise qui touchait à l'époque la manufacture ou la fabrique touche aujourd'hui le monde. Et les médias qui gouvernent l'opinion ont tous montré leur soutien à l'ordre mondial régnant, celui des tout-puissants propriétaires des biens et des richesses. La question qui demeure pendante est donc bien celle de l'Histoire, toujours surprenante : si un bouleversement doit advenir, tout semblant en effet sous contrôle, par où et comment se produira-t-il ?
07:22 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (29) | Tags : novembre 1831, histoire, politique, lyoncanuts |
vendredi, 14 novembre 2008
La colline s'écroule
La date du 13 novembre 1930 reste gravée dramatiquement dans la mémoire de Lyon :
« Les générations se sont acharnées à reconstruire, écrit Tancrède de Visan dans Sous le Signe du Lion, en 1935 [1]. On dirait qu’elles sont lasses, qu’elles comprennent que rien ne tient plus sur ce sol où l’humus manque. Les pas résonnent sur des caveaux, s’engluent dans la glaise des morts. Périodiquement, une affreuse catastrophe se produit. Tout est miné ici ». Plus loin, un autre personnage du même roman : « Mais cette colline est définitivement minée, comme un riche organisme dont la vitalité s’est consumée trop vite en excès de générosité. Je ne voudrais pas être enseveli sous les décombres, car c’est une question de jours »
Cinq ans auparavant, le 13 novembre 1930, vers une heure du matin, un pan entier de la colline de Fourvière s’était affaissé par deux fois, entraînant les maisons et broyant tout sur son passage. Cette catastrophe a laissé une trace à la fois dans la physionomie de la colline et dans la mémoire de beaucoup de Lyonnais. Il y eut une quarantaine de victimes, dont dix-neuf pompiers. Dans son livre Carrefour des Hasards, Gabriel Chevallier, auteur de Clochemerle et de la Peur [2], raconte :
« Je fis mes débuts dans la presse lyonnaise le 13 novembre 1930, à l'occasion de la catastrophe du Chemin-Neuf, qui eut à l'époque un grand retentissement. Vers une heure du matin, affouillé par les eaux, un pan de la colline de Fourvière partit en glissade, engloutissant les maisons et broyant tout sur son passage. La seconde poussée ensevelit les premiers sauveteurs accourus, agents et pompiers, qui furent surpris dans l'hôtel du Petit-Versailles de la rue Tramassac. Il y eut une quarantaine de victimes (...)
J'habitais à vol d'oiseau à moins de cent mètres de l'endroit où le mur avait lâché. Je fus réveillé dans la nuit par des coups frappés dans ma porte, en même temps qu'on me criait : "Levez-vous vite, La colline s'écroule." L'électricité manquait, le premier glissement ayant rompu les canalisations. On entendait, venant de la rue, un bruit de piétinement, de pleurs d'enfants effrayés, et des cris de rassemblement de familles. Tout cela faisait très sinistre. Je m'habillai rapidement dans l'obscurité et je descendis. Nous ne distinguions à nos pieds qu'un gouffre d'ombre impénétrable. L'énorme masse de terre s'était refermée sur ses victimes, comme la mer se referme sur le bâtiment qu'elle vient d'engloutir. C'est à ce moment là que se produisit la seconde poussée qui ébranla le sol comme un tremblement de terre, et dont le bruit roula lugubrement dans la nuit...
... Alors on abandonna le quartier. Chargés de baluchons, les gens refluaient du sommet du Gourguillon pour descendre ensuite sur la ville. Place Saint-Jean, une foule éplorée de sans-logis occupait le parvis de la cathédrale. Devant elle, la faille invisible craquait et grondait encore sourdement par intervalles. La colline s'était fendue juste en-dessous d'un hôpital de la montée Saint-Barthélémy, qui restait planté au bord de l'abîme, où il menaçait de culbuter. On dut évacuer en hâte les malades.
Un silence terrible planait sur les décombres, mais on ignorait le nombre de victimes qui gisaient sous les amas que le service d'ordre ne laissait pas approcher. On ne racontait qu'une chose. Il y avait à l'hôtel du Petit-Versailles, où nous dînions quelquefois, une jeune fille très gentille. Elle s'était sauvée à temps puis s'était aperçue qu'elle avait oublié son argent. Elle revint sur ses pas sans se douter qu'elle marchait à la rencontre de la seconde poussée du terrain. On devait la désenfouir serrant dans ses mains son pécule, désormais inutile. "
C'est cette catastrophe qui a conféré à la colline de Fourvière l'aspect qui est le sien aujourd'hui : beaucoup de bois pour retenir la terre. Sur cette terre, un peu de vert. Avec cette catastrophe terrible, la "colline qui prie" est devenue "la colline qui verdoie ».
1. Tancrède de Visan, Sous le signe du Lion,
2. Gabriel CHEVALLIER, Carrefour des Hasards; La Quadrige d'Appolon, 1956
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mercredi, 12 novembre 2008
De l'art de commémorer
Le premier à avoir ouvert le débat sur la valeur toute relative des témoignages de la Grande Guerre fut Jean Norton Cru (1929) Les éditions Allia ont réédité en 1997 un abrégé de son essai fondamental, dans lequel un ancien poilu s'interrogeait sur la notion du témoignage, sa pertinence, son intérêt, son autorité. En tant qu'ancien soldat, il dénonçait déjà l'élaboration des fictions romanesques en vogue (Barbusse, Dorgeles...), la fabrication par les Etats Majors de diverses légendes, le culte de l'héroïsme, les lieux communs de l'Arrière, la persistance de la tradition belliqueuse à travers la diffusion de clichés ... Norton Cru est, à sa façon, à l'origine de bien des études historiques menées sur Quatorze Dix-Huit.
D'autres poilus, Jean Galtier-Boissière en tête, le fondateur du Crapouillot, ont dénoncé avec véhémence les bourrages de crânes - on appellerait ça aujourd'hui récupération, manipulation, désinformation... Qu'ils s'en prissent aux récits fictifs ou aux documents journalistiques, tous parlaient de leur attachement à la mise à jour critique de la vérité. A propos des témoignages romanesques et des récits qui fleurirent à foison, Norton Cru écrivit :
« Ceux qui souhaitent que la vérité de la guerre se fasse jour regretteront qu'on ait écrit des romans de guerre, genre faux, littérature à prétention de témoignage, où la liberté d'invention, légitime et nécessaire dans le roman strictement littéraire, joue un rôle néfaste dans ce qui prétend apporter une déposition (...) En fait les romans ont semé plus d'erreurs, confirmé plus de légendes traditionnelles sur la guerre, qu'ils n'ont proclamé de vérités, ce qui était à prévoir. »
Au fur et à mesure que le temps passe, on mesure à quel point cette guerre (dont le centenaire approche à grands pas) ne fut pas un événement isolé, qui aurait trouvé son dénouement en 1918. Beaucoup d'historiens parlent aujourd'hui de Guerre de Trente Ans (14/45). Que commémorons-nous donc, le 11 novembre ? Une date, celle de l'armistice, certes. Le souvenir de nombreuses blessures familiales et privées dont les conséquences sont encore vives. Mais comment éviter deux écueils : le premier, que cette nécessaire transmission de "la vérité historique" (si cette formule a un sens) ne se dilue dans un genre devenu académique et, en l'absence de tout survivant, purement protocolaire; une sorte de leçon d'histoire en images forcément vidée de tout contenu, de la vulgarisation schématique. Le second, surtout, que cette commémoration ne devienne l'occasion facile d'une récupération politicienne, par ceux et celles qui en sont, ça et là, les principaux concepteurs, organisateurs, éxécutants. Dans les deux cas, l'art de la commémoration deviendrait celui de la caricature.
Le pire camouflet que des vivants puissent infliger à des morts, en vérité.
05:58 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : commémoration, jean norton cru, crapouillot, galtier-boissière |
dimanche, 02 novembre 2008
Jour des morts
19:36 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : bloy, littérature, poèmes, toussaint, mort |
vendredi, 31 octobre 2008
Un temps de Toussaint...
20:21 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : léo ferré, chansons, actualité, météo, ostende, plue |