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mercredi, 12 novembre 2008

De l'art de commémorer

Le premier à avoir ouvert le débat sur la valeur toute relative des témoignages de la Grande Guerre fut Jean Norton Cru (1929) Les éditions Allia ont réédité en 1997 un abrégé de son essai fondamental, dans lequel un ancien poilu s'interrogeait sur la notion du témoignage, sa pertinence, son intérêt, son autorité. En tant qu'ancien soldat, il dénonçait déjà l'élaboration des fictions romanesques en vogue (Barbusse, Dorgeles...), la fabrication par les Etats Majors de diverses légendes, le culte de l'héroïsme, les lieux communs de l'Arrière, la persistance de la tradition belliqueuse à travers la diffusion de clichés ... Norton Cru est, à sa façon, à l'origine de bien des études historiques menées sur Quatorze Dix-Huit. 

D'autres poilus, Jean Galtier-Boissière en tête, le fondateur du Crapouillot, ont dénoncé avec véhémence les bourrages de crânes - on appellerait ça aujourd'hui récupération, manipulation, désinformation... Qu'ils s'en prissent aux récits fictifs ou aux documents journalistiques, tous parlaient de leur attachement à la mise à jour critique de la vérité.  A propos des témoignages romanesques et des récits qui fleurirent à foison, Norton Cru écrivit :

« Ceux qui souhaitent que la vérité de la guerre se fasse jour regretteront qu'on ait écrit des romans de guerre, genre faux, littérature à prétention de témoignage, où la liberté d'invention, légitime et nécessaire dans le roman strictement littéraire, joue un rôle néfaste dans ce qui prétend apporter une déposition (...) En fait les romans ont semé plus d'erreurs, confirmé plus de légendes traditionnelles sur la guerre, qu'ils n'ont proclamé de vérités, ce qui était à prévoir. »

Au fur et à mesure que le temps passe, on mesure à quel point cette guerre (dont le centenaire approche à grands pas) ne fut pas un événement isolé, qui aurait trouvé son dénouement en 1918. Beaucoup d'historiens parlent aujourd'hui de Guerre de Trente Ans (14/45). Que commémorons-nous donc, le 11 novembre ? Une date, celle de l'armistice, certes. Le souvenir de nombreuses blessures familiales et privées dont les conséquences sont encore vives. Mais comment éviter deux écueils : le premier, que cette nécessaire transmission de "la vérité historique" (si cette formule a un sens) ne se dilue dans un genre devenu académique et, en l'absence de tout survivant, purement protocolaire; une sorte de leçon d'histoire en images forcément vidée de tout contenu, de la vulgarisation schématique. Le second, surtout, que cette commémoration ne devienne l'occasion facile d'une récupération politicienne, par ceux et celles qui en sont, ça et là, les principaux concepteurs, organisateurs, éxécutants. Dans les deux cas, l'art de la commémoration deviendrait celui de la caricature.

Le pire camouflet que des vivants puissent infliger à des morts, en vérité.

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Commentaires

Merci beaucoup. Vous nous direz à l'occasion quel est ce tableau?

Écrit par : Sophie L.L | mercredi, 12 novembre 2008

Une commémoration sans intention idéologique derrière, sans récupération de l'événement commémoré à sa propre cause, cela n'existe pas. C'est même impensable, contre nature : La preuve : il y a mille façons de commémorer.

Écrit par : M.Rivière | mercredi, 12 novembre 2008

@ Sophie : Je ne suis pas fan de David. Mais bon, j'ai trouvé que c'était de circonstance : Hector est mort, Astyanax tend les bras vers sa mère qui le pleure et interrogeant le ciel. Tout le barda militaire gît au sol, abandonné. Et ça s'appelle "La douleur d'Andromaque."

Écrit par : solko | mercredi, 12 novembre 2008

A propos de la guerre de 30 ans, je citerai Clémenceau en 1919 : "Ce n'est pas l'armistice, c'est la guerre dans 20 ans !" en parlant de Versailles.
Sur un autre registre, je dénonce pour ma part le détournement de sens auquel s'est livré Sarkozy.

Écrit par : Toréador | mercredi, 12 novembre 2008

"les romans de guerre, genre faux, littérature à prétention de témoignage, où la liberté d'invention, légitime et nécessaire dans le roman strictement littéraire, joue un rôle néfaste dans ce qui prétend apporter une déposition (...)"

N'est-ce pas le cas de tous les romans historiques ?
Et pourtant certains n'ont-ils pas une valeur pédagogique.

Pour moi c'est l'abus de commémorations, de toutes les commémorations, qui pose problème.
Je ne suis pas sûre que ces éclairages ponctuels qui banalisent plus qu'ils ne font découvrir soient les meilleurs moyens d'intéresser à l'Histoire.

Écrit par : Rosa | mercredi, 12 novembre 2008

@ Rosa. La démarche de Norton Cru est celle d'un historien à la recherche d'une vérité critique sur la guerre qu'il a vécue comme soldat; pas d'un littéraire. Son essai reste une réflexion très intéressante.

Écrit par : solko | mercredi, 12 novembre 2008

A voir le film de Bertrand Tavernier "La vie et rien d'autre" sur ce sujet et qui démythifie complètement les commémorations et autres cérémonies à la gloire du soldat inconnu...

Écrit par : Porky | mercredi, 12 novembre 2008

@ Porky : un film qui a affaire avec "la représentation" et le fait de faire voir, non ?

Écrit par : solko | mercredi, 12 novembre 2008

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