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lundi, 24 décembre 2007

Ginger, Fred, et la nuit de Noël

C'est une émission enregistrée pour être diffusée une nuit de Noël dont l'enregistrement sert de fil conducteur à l'intrigue de l'avant-dernier film de Fédérico Fellini, Ginger et Fred. Tourné en 1985, c'est à dire en pleine montée du berlusconisme, le film est bien sûr une satire aussi méticuleuse que délirante de la télévision privée : Une télévision qui ne se contente déjà plus d'être vulgaire et abrutissante. Déjà, déjà, elle se révèle cynique et dictatoriale. « Géant au pied d'ar86912a54ceb337cab0c717edca6ebc55.jpggile », certes, à laquelle le vieux Fellini, qu'on sent poindre derrière Marcello Mastroianni, tire un malicieux mais direct bras d'honneur comme à travers les années, en profitant de la panne d'électricité qui interrompt le numéro de claquettes de ses deux personnages. Au fil des séquences de Ginger et Fred, Fellini ne se lasse pas de filmer des écrans de postes en fonction, dans le petit car qui conduit les « artistes », à la réception de l'hôtel, dans la chambre et le restaurant. Au beau milieu des foules, au cœur des conversations, la télévision s'installe et déverse des programmes immondes : matchs de foot où l'on ne voit que des pieds, sitcoms jeux et concours idiots, recettes de cuisine à vomir, variété toc et publicités obscènes.

Il y a, dans cet envahissement, quelque chose qui tient de Big Brother : la télé surveille et enferme chacun des personnages à qui elle n'adresse donc pas indûment la parole. En clair, on ne lui échappe pas. En témoigne ce plan étrange dans la chambre d'hôtel (cf photo ci-dessus) où Amélia regarde par la fenêtre en laissant le vide devant la télé allumée.  Elle est seule, de dos. Toujours coiffée de son chapeau, comme figée dans une présence étourdie au monde. Le film pourrait devenir un bref instant une fable poignante sur la solitude, particulièrement celle des soirs de Noël. Car n'est-ce pas en ces soirs-là, soirs de réveillon, que la télévision se fait particulièrement ignoble ? Particulièrement obscène, avec ses talk-shows préenregistrés et servis à peine retiédis ? Or, à l'extérieur aussi, Amélia se trouvera cernée, balayée par une lueur orange et le faisceau d'un projecteur inquiétant qui tourne dans la rue et ne cessera plus de tournoyer à l'intérieur de sa chambre, sur le relief de son fauteuil, dans les draps de son lit. 

GIN001AC-3245.jpgAvec Ginger et Fred, Fellini capte tout le processus de la représentation du Réel qui, de Hollywood à Cinecittà, a fini par se déglinguer complètement et priver petit à petit le monde de l’homme. Avec ce film, il nous plonge tous dans le vide d'un non-sens menaçant, érodant peu à peu le vingtième siècle finissant. Ce qui est frappant, dans la réalité qu'il montre, c'est qu'elle n'est plus qu'un amas de détritus ( gros plans sur les poubelles) où l'on s'appauvrit (interventions des nouveaux-pauvres), où l'on vieillit, tandis qu'en se montrant à la télé, on s'enrichit, on rajeunit. D'où la course à la notoriété, même illusoire, même éphémère, à laquelle même un amiral drapé dans sa dignité ne peut résister. Plateau de télé dans lequel on se doit donc de pénétrer en silence et en file indienne, "comme à l'église" déclare ironiquement un personnage, où un parterre de fidèles massés sur des bancs en toc attend sous les projos sa nourriture d'immanence. Pauvre, pauvre humanité, n'a-t-elle pas eu ce qu'elle méritait, à force d'avoir créé ce tourbillon d'oubli d'elle même ?  

Avec Ginger et Fred, fable sur ce qu'on peut attendre un soir de Noël de la société libérale - je vous laisse deviner quoi - Fellini filme la défaite de la pensée chère à Finkielkraut, celle qui nivelle en plaçant sur le même plan (celui du divertissement pour infirmes)  Marcel Proust et Clark Gable, un amiral et un terroriste, un moine et une danseuse de cabaret. Mais il y a pire : lorsque le couple de danseurs comprend que pour faire le spectacle, la télévision n'a plus besoin d'eux, mais n'a besoin que d'elle-même, on comprend que pour faire le monde, le monde, pareillement, n'a pas besoin de nous, mais seulement de lui-même. La mégastructure a bouffé toute la place. Premier des trois films testaments que filma Fellini avant de nous quitter (il meurt huit ans plus tard, le 31 octobre 1993), Ginger et Fred est une terrible leçon sur la Fabrique de l'Illusion et aussi un constat attristé de la disparition du Réel. Ce soir, c'est Noël. Si vous êtes seul, faites ce que vous voulez : lisez un livre; écrivez une lettre; promenez vous dans les rues; allez à la messe. Mais de grâce, éteignez la télévision!

 

 

 

 

 

 

 

 

 

10:00 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fellini, noël, cinéma, ginger et fred, télévision, littérature, société | | |

dimanche, 16 décembre 2007

Des porcelets à l'épreuve des hommes

Premiers porcelets transgéniques obtenus par clonage : un article pour fond de tiroir

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Dans un communiqué de presse daté du 11 avril 2001, la société britannique PPL Therapeutics (à l'origine de la brebis clonée Dolly) annonce le clonage des premiers porcelets transgéniques. Objectif de cette première mondiale : ouvrir la voie à la création d'organes destinés à être greffés sur l'homme. Une création à la chaîne qui supprimerait les mois d'attente de cœurs, foies, reins... couramment observés aujourd'hui.
Si des cochons ont déjà été clonés l'année dernière, la nouveauté réside ici dans le fait que les cinq porcelets reproduits sont tous porteurs d'un marqueur génétique étranger qui a été introduit artificiellement dans leur ADN. PPL Therapeutics espère ainsi créer des animaux doté d'un patrimoine génétique "humanisé" dont les organes ne provoqueraient plus chez l'homme les réactions de rejets interdisant aujourd'hui leur utilisation
Si on n'en est pas encore là, PPL Therapeutics estime que cette première « démontre  la faisabilité d'un tel projet aux potentialités considérables" (...) Les cochons sont l'espèce préférée pour les xénotransplantations »*.

Espèces préférées, peut-être, mais ceci n'est pas sans soulever de nouvelles inquiétudes : et si ces greffons humanisés étaient porteurs de virus, inoffensifs chez les porcins mais pas chez l'homme?**. Décidément, les Anglais sont toujours à la pointe... 
En tous cas, et selon PPL Therapeutics, les essais cliniques de greffe d'organes de porc transgénique sur l'homme pourraient démarrer d'ici 4 à 5 ans. Un marché juteux qui pourrait se chiffrer à quelque 5 milliards de dollars, uniquement pour les organes entiers. Ceci expliquant certainement cela...


Xénogreffes de porcs, une panacée ? Signalons que d'autres méthodes sont aussi aujourd'hui envisagées. L'espoir de maîtriser la culture de cellules souches humaines en laboratoire offre par exemple une solution de choix, pouvant mener à terme à la production d'organes exempts de tout problème...

* Greffe d'organes d'une espèce à une autre. Soulignons que des valves de cœur de porc sont déjà utilisées chez l'homme depuis près de 30 ans et que près de 24 tissus conjonctifs (peau, os) d'origine porcine ou bovine sont couramment employés en médecine humaine.

** Une équipe américaine a récemment démontré qu'il était possible d'infecter des cellules humaines cultivées en laboratoire avec des rétrovirus naturellement présents chez les porcs.

 

13:30 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : science, technique, société, cochons, didier | | |

mardi, 04 décembre 2007

Ségolène et son histoire d'amour....

Non4c2d5e97068f3141e1f8407a29470f60.jpg... Après s'être prise pour la Madone en personne, l'ex-candidate du Parti socialiste, qui ne sait parler que d'elle-même et de son avenir, ose à présent se prendre pour Barbara ! Jusqu'où ira-t-elle dans la sale récup' ? Je ne peux même pas dire que cela m'étonne, tant l'ego surdimensionné de cette femme ridicule laisse songeur. Quelle époque vulgaire! L'ère des coucous et des vautours, l'ère des faux-monnayeurs et des imposteurs de tout poil... Qu'en penserait Barbara, la longue et belle dame brune, la véritable Barbara, Monique Serf de son état, et auteur originale de Ma plus belle histoire d'amour ? que j'ai tant écoutée, qui m'a tant fait rêver, de ville en ville et de scène en scène, celle à qui je dois tant ? Celle qui, lorsqu'elle vous regardait dans les yeux, et malgré sa tristesse, déjà, d'être empêtrée dans le show-business, et dans une sale époque, et dans une humanité qu'elle invitait à aimer tout en sachant qu'elle ne valait pas grand chose, celle qui savait pourtant vous communiquer force, tendresse et dignité... Oserais-je dire Foi ?  Ce n'est pas le cas, hélas, de la pilleuse et de la piteuse qui reprend aujourd'hui un titre qui ne lui appartient pas en espérant usurper une légitimité médiatique pour la prochaine présidentielle. Cette femme, qui ment comme elle respire, prétend dans Le Monde daté d'aujourd'hui ne pas s'être rendu compte qu'elle donnait à son livre le titre d'une chanson de Barbara. Son service de marketting ira-t-il jusqu'à prétendre aussi que c'est un hasard, s'il sort aujourd'hui, jour de la sainte Barbara ? Jusqu'à quel point prendra-t-elle les gens pour des idiots ?

Le fait de piquer ce titre est d'ailleurs un aveu : A quel nègre doit-on le reste du bouquin ?  A l'heure où les nains, pour se faire une dimension, pillent ainsi, sans vergogne, les grands, la question de Kant se pose à nouveau, et devrait, par nous tous, être posée à cette gauche dérisoire, falsificatrice et immonde : Que pouvons-nous espérer ?

07:25 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ps, ségolène royal, politique, barbara, royal, socialisme | | |

lundi, 26 novembre 2007

L'Encouillé

C'était un intérieur de dingue (de vrai). Un intérieur pour romancier. Vous savez, celui d'un type qui ne sort quasiment plus, ni de chez-soi ni de chez-lui. Plus jamais sinon pour se ravitailler en boites de conserves et en journaux. Journaux qu'il empile dans les pièces de son réduit, selon un ordre protocolaire, de lui seul compris. Boites dont il ingère le contenu à n'importe quelle heure du jour comme de la nuit. Journaux, boîtes qu'il paie avec sa pension pour invalide.  Un intérieur que personne n'a jamais contemplé, masqué derrière des couvertures tirées sur les carreaux. Trois fenêtres sur cour, quatrième étage. 

Une voix s'échappe à heure fixe, quand - on suppose - l'occupant des lieux a oublié d'avaler ses comprimés.

Enculé, dit la voix. Gueule la voix, plutôt. Fort longuement. Non pas "enculé", mais, sauvagement poussé par l'abdomen et surgissant du larynx "Kooôôûûllllllé !" (le é, guttural, tend à disparaître). Son cri de guerre. De désespoir. Ou de routine. Il répète ça, le fou du quatrième qu'on ne voit jamais. Il répète ça et jure sur ce putain de pays, sur la France. C'est sa vie de jurer comme ça. Cest devenu un élément de la vie de tout le voisinage.

Qui s'occupe au fond de ce pauvre type ? A-t-il une famille ? Des amis ? N'en savons rien. Personne n'en sait rien.  "Kooôôûûllllllé..."  Quand vient l'automne, la douleur est plus discrète. Tout à l'air de rentrer dans l'ordre. Sur des affiches municipales, on lit que c'est la fête des feuilles". Késako, çette connerie ? Encore un coup de la mairie d'arrondissement ?    On se le dit. On se dit ça, entre voisins ordinaires.

Dimanche 26 novembre, onze heures du matin, tohu-bohu général. Une fumée noire épaisse qui s'échappe des trois fenêtres de chez l'En-"Kooôôûûllllllé"... Lui, en caleçon, debout sur le rebord d'une de ses fenêtres. On dirait qu'il va sauter. Odeur de cramé dans tout le quartier. Arrivée des pompiers. Rue bloquée. Lances dans la cour, échelle et tout le bastringue, tous les badauds, sur la place, qui contemplent les camions rouges garés aux pieds de platanes que quittent définitivement et non sans négligence les dernières feuilles mortes. On le tire finalement de là, vêtu d'une guimbardine de pompier et coiffé d'un casque. Pimpon Pimpon... Jusqu'ici, rien d'anormal. C'est alors que tout bascule.

Tout, et au sens propre, quand par les fenêtres du réduit sinistré, une fois délogé son excentrique solitaire, toutes ses affaires se mettent à voltiger comme feuilles mortes. Littéralement : magazines et journaux vont tapisser bientôt la cour intérieure de la copropriété. Cela, ça peut encore se comprendre  : On se dit ( on = les gens ordinaires, aux fenêtres, qui suivent les opérations) que ça pourrait faire repartir les flammes. Des cartons entiers, qui basculent dans le vide. A l'intérieur, on s'aperçoit bientôt qu'il n'y a pas que des journaux.

Des sapes, des ustensiles de cuisine, des objets divers et variés qui s'explosent la gueule contre le pavé... Risque que tout ça s'enflamme ?

On se demande...

encouillé.jpgSoudain voltige, du quatrième un frigidaire, et puis c'est un sommier pourri, et puis des fauteuils, des chaises, un banc, une cuisinière... Rien de bien cramé parmi tout ce mobilier. Une table, impeccable, même. Impeccable. J'en ai vu dernièrement des comme elle qu'un broc vendait pas moins de 600 euros... La table aussi, ses pieds et ses rallonges en noyer, s'explose contre le pavé. Puis des cartons, encore, des cartons emplis de papiers, des livres, des classeurs, des cahiers... Une guitare. Des corbeilles. Toute une vie, quoi, qui n'est pas encore crâmée, elle, et dont on sait pas grand chose à vrai dire, dont on ne sait rien, toute une existence que des pompiers zélés font basculer de l'autre côté du décor, là où il n'y a plus de vie sociale, comme s'il était mort pour de bon, définitivement délogé !

  Délogé, l'EnKooôôûûllllllé !

J'imagine que lorsque brûle l'intérieur d'un ménage bon-chic bon-genre, on ne balance pas tout, comme ça, les diam's un peu noircis de madame, les porcelaines juste enfumées, et la bibliothèque, la chaîne stéréo et tutti quanti par les fenêtres ! Mais qu'on "sauve les meubles" au moins, en passant, s'il le faut, par l'escalier. Tout, vous dis-je, même les effets personnels (papiers, vêtements...) Bon pour la décharge : Paraît qu'une entreprise privée débarrassera tout ça au plus vite. Pas de souci, m'ont déclaré les pompiers, à la fin de cette journée, avec un air à la fois grave et désinvolte de jouer Fin de Partie.

Le pire, c'est quand on voit soudain voler par les trois fenêtres de l'Encouillé  des liasses et puis d'autres liasses de bulletins non validés de Loto, Keno, Euromillions, Loto foot, comme de foutues feuilles mortes virevoltant devant les carreaux du troisième, puis du deuxième, avant de se poser sur le tas de décombres de l'intérieur en miettes du sinistré épandu dans la cour.  Les gens ordinaires se regardent. Des bulletins rouges et blancs à grilles, il en avait entassé, amassé, nom de Dieu ! Toutes ces saloperies par lesquelles l'Etat fait payer l'impôt aux non-imposables...

Il paraît que vendredi dernier, quelqu'un a gagné plus de 27 millions d'euros dans les Bouches-du-Rhône. Notre voisin du quatrième, lui, jouait-il ? où est-il, à présent ? Ses bulletins non validés par milliers tapissent à présent les débris de sa pauvre vie privée (ou de sa vie privée de pauvre...) jetée en pâture aux regards de tous. Attestant qu'il avait un espoir quand même, l'encouillé, une espérance vague de vivre autre chose, et ailleurs, derrière ses couvertures accrochées à ses trois fenêtres, que sous les yeux de tous ...   

 

 

jeudi, 18 octobre 2007

Le jour où LIBERATION a définitivement perdu son âme.

Je sarkozisme, tu sarkozismes, nous sarkozismons, ils sarkozisment...  Le 18 octobre 2007, grève des cheminots et divorce élizéen entrent en collusion dans l'événementiel du jour. En trois actes, Laurent Jaffrin et son équipe de bronzés à cols ouverts choisissent de faire la une sur le couple déchiré. A l'intérieur, Antoine Guiral s'en donne à cœur joie dans le cliché people et le lieu commun larmoyant. De l'apogée à la liberté en passant par la dégringolade. On dirait, nom de Dieu, du Yasmina Reza !

Première page atroce : Cecilia en desperate housewife. De dos, Nicolas peut jubiler. Il a définitivement gagné. Dans l'opposition, il ne rencontre plus d'opposition. Ou du moins, plus que cette opposition people et frelatée que pratique l'ex-journal de Sartre devenu  journal de Rothschild depuis des mois déjà.  Nicolas peut se réjouir : L'annonce de son divorce à venir, dont tout le monde se fout en réalité, est jugée plus essentielle qu'un traitement sérieux de la grève des cheminots. Comble de l'ironie, en attendant d'improbables bus, RER ou métro, le français moyen aura eu tout le loisir en ce triste jour de s'informer en long, large et travers sur tous les déboires de ce couple, au fond quelconque par les temps sordides que nous vivons : un opportuniste véreux et une courtisane de luxe. 

Séparation des Sarkozy: «Il est temps de refermer la page de l’américanisation de la vie publique»

Il serait temps de refermer aussi l'américanisation de Libération, ainsi que la peopolisation  de la presse dite de gauche en général, d'ailleurs.  Libé était devenu depuis longtemps un torchon, c’est désormais une serpillère. Car sinon, le sarkozysme aura, de fait, gagné, et pour longtemps, son droit de cité :  Je sarkozisme, tu sarkozismes, nous sarkozismons, ils sarkozisment... Quand l'opposition à Sarkozy n'a plus qu'une fonction, à la fois sociale et médiatique, celle de légitimer son sacre, elle devient la face cachée de ce dernier. Entre Libé et n'importe quel gratuit, il n'y a désormais plus qu'une différence : son prix. Qu'il ne s'étonne pas si son chiffre d'affaires continue de s'effondrer.

 

16:30 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : libé, libération | | |

lundi, 15 octobre 2007

Vous avez dit artistes ?

 « A notre époque, des millions d’homme vivent et souffrent le déchirement, au fond d’eux mêmes, entre une culture qui se meurt et une culture qu’ils détestent et désirent tout à la fois parce qu’elle offre la voix de la puissance et de l’opulence », écrit Raymond Aron en 1982, dans l’épilogue de ses Mémoires. Une ou deux pages plus loin, il se demande s’il regrette de n’avoir pas été le Kissinger d’un Prince. Mitterrand, il est vrai, vient d’être élu président.

Et voici que, vingt-cinq ans plus tard, c’est à dire un quart de siècle, cette même phrase de Raymond Aron résonne sans doute dans beaucoup d’esprits. Vingt-cinq ans ! Un quart de siècle : ce déchirement, au fond, l’Occident a-t-il fait autre chose que l’amplifier, jusqu’à faire de lui à la fois une politique, un mode de vie, un marché, un spectacle ?  Déchirés ! Le virtuel a si bien imposé la toute puissance de sa loi qu’on ne parle sans doute plus aujourd’hui d’une culture qui se meurt, mais d’une culture morte.

N’est-ce pas dans ces mêmes années 80 que Tadeusz Kantor concevait son spectacle Qu’ils crèvent, les artistes ? Ils sont crevés. C’est fait. Comble de disgrâce, le troupeau de ceux qui sont venus cracher sur leurs tombes est formidablement formaté. Artiste : le terme convient aussi bien à une actrice porno qu’à un joueur de rugby, à un lycéen inscrit dans un club-théâtre qu’à une retraitée membre d’une chorale, à un designer qu’à un couturier, un sculpteur, un photographe, un mannequin, un humoriste, un chroniqueur politique, voire même un politicien : Artistes, le serions-nous tous devenus par droit inaliénable, dans l’ère post-moderne ? Puisque d’après un tube détestable de la fin du siècle dernier, nous aurions tous voulu en être un, cette nouvelle culture qui offre l’opulence du virtuel à tous nos désirs, fait de nous, de festival en événement, ses concepteurs autoproclamés. Auto satisfaits. A une seule condition : que nous ignorions, que nous oubliions, que nous méprisions  le foutu déchirement dont parlait Aron. Que nous l’effacions, le gommions pour devenir, sinon libres, lisses. Sinon créatifs, collabos. Sinon contemporains, cons. Sale époque, du subversif érigé partout en académisme, de l'art pour tous, de l'art de tous, de l'art par tous !

 

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vendredi, 12 octobre 2007

La ville est à vous

On est frappé, en ouvrant un album de cartes postales anciennes, par l’espace qu’offraient aux seuls piétons les rues vides des villes, avant leur envahissement progressif par les automobiles. Des rues, des avenues, des boulevards pavés, sillonnées par les rails des tramways, demeurent alors presque exclusivement leur domaine. De-ci, de-là, une charrette, que tire un cheval lascif. Un passant chapeauté qui s’engage sur la chaussée peut, sans crainte d'être renversé,  songer à ses affaires. Un enjant joue. Les monuments sont dégagés, bien visibles, comme les enseignes, les façades. Pas la moindre automobile  dans la perspective !

rue,st,pierre,vaise.jpg

Le mythe de la Belle Epoque et celui de sa douceur de vivre ne sont sans doute pas étranger à ce calme d’avant le tout-bagnoles, qu’on perçoit dans ces espaces reproduits sur ces cartes anciennes, à cette lenteur diffuse qui imprègne la ville et laisse aux hommes le temps de vivre : Voici, sur la question, quelques témoignages d’écrivains :

« J’ai dû voir les derniers omnibus à chevaux cahoter sur le pavé lyonnais. Et j’ai vu les premières automobiles, machines fumantes qui semblaient bourrées de mélinite tant elles secouaient l’air d’explosions violentes, avancer par bonds et saccades sur la voie publique, où elles semaient l’effroi parmi le badauds lents et obstinés, qui ne voulaient pas démordre que le milieu de la chaussée fût un endroit convenable pour lire le journal ou se congratuler entre amis. » (1)  

 

 

 Dans son journal intime, le président de la chambre du Commerce de 1899 à 1911, Auguste Isaac, dont le chauffeur a renversé et tué un enfant de huit ans, consigne les actes du procès du dénommé Philibert : Trois mois de prison ferme, qu’un recours en appel et quelque amicale sollicitation transformeront en trois mois avec sursis. Il remarque, à cette occasion :

« On me dit que le substitut a fait un réquisitoire virulent. Il a soutenu que la voie publique appartient aux piétons et que, s’il plait à deux amis, se rencontrant sur la chaussée, de ne pas se séparer, de rester immobile devant une voiture, celle-ci n’a qu’à attendre leur bon plaisir pour continuer sa route. »  

 

Il fallut bien deux générations pour que s’opère une transformation radicale des mentalités : A Lyon, deux tunnels successifs ont transpercé le flanc des vieilles collines. Celui de la Croix Rousse, qui  a défiguré à jamais le quai Saint-Clair ; celui de Fourvière, qui a rendu l'ancienne capitale des Gaules aussi tristement célèbre que les bouchons d'autoroute, et dont la construction eut pour corollaire le  saccage de la vieille place Carnot.  

Au fil du vingtième siècle, les fleuves corsetés dans leurs quais sont devenus de simples passants, furtifs et pollués, tandis que 400.000 voitures s’entassent dans nos rues, posant des problèmes de stationnement aussi innombrables qu’irrésolus. En défigurant littéralement et quotidiennement la ville, la bagnole des particuliers aura, au final, rendu légendaire cet autrefois, où tout n’était pas rose, mais où le calme, le silence et la civilité, le rêve et la réflexion étaient encore un droit commun disponible à chacun, au coin de nos rues.

rue-de-la-republique.jpg


[1] 1. Gabriel Chevalier, Chemins de solitude, Paris, Carier, 1945

[2] 2. Auguste Isaac, Journal d’un notable lyonnais, Lyon, BGA Permezel, 2002

09:52 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : lyon, société, actualité, ville, urbanisme. | | |

mardi, 02 octobre 2007

La fête des Anges

A chaque fois que, dans la Bible, Dieu a voulu s'approcher des hommes, on trouve un ange. Ange messager, ange décrypteur, ange intercesseur, ange accompagnateur, ange délivreur, ange gardien : L'ange, qui voit Dieu, assume en même temps une intimité fraternelle avec l'homme. L'ange, qui est de toute éternité, se meut dans la grâce de l'instant éphémère comme s'il était chez lui. Alors, si la présence et l'existence de Dieu interrogent, celles de l'ange ont toujours eu l'air d'aller de soi. Comme l'habileté de cet être-ange est étrange ! Peut-être parce qu'il n'est pas, comme Dieu, une figure du père, mais plutôt du frère aîné.  On croit volontiers qu'un ange veille sur son pauvre destin, sur ses ailes de désir comme sur ses ailes de foi.

L'ange est avant tout une figure hautement littéraire. Avec SERAPHITA, Balzac consacra un roman savoureusement congelé aux amours angéliques. Qu'il soit maudit, comme chez Lautréamont (Chants de Maldoror), ou bien lumineux, comme chez Hugo (La Fin de Satan), le personnage de l'ange figure bien ce compagnon du jeu humain, à la fois proche de l'aube et familier de la nuit, et glissant dans l'espace et dans le temps dans un rapport de gémellité fort troublant. L'ange est bien le double magique et féérique auprès de qui la perception de l'existence d'une simple journée devient multidimensionnelle, celle d'une vie dotée de sens. Une des chansons qui permit aux Français de garder le moral après juin 40 n’avait-elle pas pour titre : Mon Ange ?

De littéraire, le personnage devint très vite cinématographique. Et passa même dans la B.D. Et de la B.D à la carte postale, aux bibelots. Les anges sont partout. Pas tous, il est vrai, gardiens ou protecteurs. La société contemporaine les malmène tout autant qu'elle malmène les humains. On n'hésite plus à les instrumentaliser. Je connais des gens qui n'invoquent le leur rien que pour trouver une place où se garer. Je ne sais pas si fut jamais soufflé à l'oreille par l'un des leurs la grille de l'Euromillions à l'un des rares gagnants. Qu'importe l'idée que l'on se fait de leur mission, qu'importe l'usage que l'on fait de leur soutien : c'est aujourd'hui leur fête ; la fête de tous les anges. N'oubliez donc surtout pas de souhaiter au vôtre la sienne. Qui pense à son ange pense à soi, et qui pense à soi n'est jamais en mauvaise compagnie.

04:45 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : christianisme, actualité, littérature, écriture, balzac | | |

samedi, 22 septembre 2007

L'agenda des présidents

Hasard de la mise en page ou volonté délibérée ? L'édition du Monde du 23 septembre place en vis à vis un article sur la méthode de Sarkozy en France, un autre sur celle de Chavez au Vénézuéla.  A lire les deux articles, on voit bien que les deux présidents ont la même obsession ; remplir leur agenda, afin d'occuper à temps plein chaque jour et chaque heure. Gouverner via les médias. D'un certain côté, Nicolas parait un peu amateur puisqu'on apprend qu'Hugo Chavez, dans une émission titré Allo président, a tenu l'antenne 7 heures et 43 minutes !!!... De quoi essouffler PPDA mais, se dit-on, peut-être pas le vaillant tchatcheur ...

D'u7ff227b5595bd911c4b886b4f682e686.jpgn autre, Chavez a quand même un sacré foutu train de retard sur Sarkozy ! La même édition du Monde ne m'apprend-elle pas, dans son supplément TV (page 11), que sera diffusé mardi prochain 25 septembre un téléfilm sur l'affaire de la maternelle de Neuilly, dans lequel un acteur ( Frédéric Quiring, c'est un type connu, ça ?) tient le rôle de l'actuel président français, à l'époque (qui l'ignore encore ?) où il n'était que maire de Neuilly et rival de Jacques Martin. Nicolas Sarkozy ferait donc mieux que Chavez, puisqu'il est, lui, porté deux fois à l'écran, une fois par Sa Majesté Lui-même et une autre fois par une doublure. Si ça, c'est pas de la french touch !

 Il fait aussi mieux aussi que De Gaulle, que Mitterrand et que Jean Paul II, lesquels durent quand même attendre de mourir pour se voir enfin porter sur la scène ou bien à l'écran. Au passage, petit compte rendu, page 21, de l'inquiétante mise en scène de Robert Hossein qui raconte au Palais des sports la vie du défunt-pape en 33 tableaux dans son "N'ayez pas peur" Ironie du journaliste, qui se plaint que rien ne soit montré des "trois heures que ce pape politique et visionnaire passait chaque jour à genoux dans sa chapelle". Voilà qui me donne l'idée d'une mise en scène : le public assis trois heures dans le silence et dans l'obscurité (si! si!), trois heures devant un homme qui prie... A l'heure du bagout officiel et de la bougeotte présidentielle, cela m'ouvrirait-il la Cour des Papes l'an prochain ?

Rappelons quand même, puisque Robert Hossein l'a oublié, que celui qui allait devenir Jean Paul II fut un véritable homme de théâtre, lui. Qui inaugura jadis le théâtre de Cracovie, lieu où devait exceller, quelque temps plus tard, le magnifique et irremplacé Tadeusz Kantor... Lequel n'avait pas peur de faire perdre (ou gagner) son temps au public. Mais il serait sans doute plus judicieux de ma part de jouer le sacre de Nicolas, si Yasmina Reza, qui veille au grain, n'est pas déjà sur le coup. Ou Le sacre de Chavez au Vénézuela ?

 

18:25 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : actualité, théâtre, sarkozy, société, robert hossein, politique | | |