jeudi, 03 juillet 2008
Libérez Billancourt
Est-il permis de dire à l'heure actuelle, dans ce pays, qu'on ne ressent aucune liesse spéciale, aucune joie indicible, aucune émotion particulière à savoir qu' Ingrid est libérée. Une nausée, plutôt, devant le lexique religieux partout répandu, une certaine inquiétude, aussi, pour la santé politique et intellectuelle de ce pays. « C'est Jeanne d'Arc », déclare un commentateur sur TF1... La société du spectacle aurait-elle trouvé en Ingrid Bétancourt et ses enfants la sainte famille qui lui manquait pour abrutir définitivement ses ouailles ?
Ce que je trouve consternant, pour ma part, au-delà du fait politique lui-même dont on ne maîtrise pas tous les tenants ni les aboutissants, vu la qualité de l'info réelle - c'est la façon dont l'affaire Betancourt est personnalisée. Star-martyr aux côtés d'autres stars (footballeur, acteur, politique, people en tout genre) J'ai l'impression qu'il y a deux mondes, désormais : celui des gens dont on parle jusqu'à extinction des voix, celui de ceux dont on ne parlera plus jamais. Fracture médiatique après la fracture sociale.
Comme Toréador le dit en commentaire : il ne faut pas désespérer Billancourt...
13:29 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : politique, sarkozy, bétancourt, actualité, ingrid bétancourt |
mercredi, 02 juillet 2008
La fête de l'huma en jaguar
En ce moment-même, à la TV, j'entends Elsa Wolinski raconter à Mireille Dumas que son père l'emmenait à la fête de l'Huma en jaguar. Intéressant non ? C'était à peu près à l'époque où Fabius se rendait à Matignon en 2CV. La demoiselle, trentenaire, raconte tout ça dans un livre people qui sort pour l'été, et dont papa a fait la couverture. Un peu plus tôt dans la soirée, Karl Lagerfeld, un qui a de l'humour, présentait son défilé de mode en parlant du narcissisime des femmes riches actuelles; le "grand couturier" vantait la légereté des cadres ovales ou rectangulaires que portaient ses modèles avec un ton et un sourire délicieusement people...
00:58 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : politique, actualité, wolinski, défilé de mode |
samedi, 21 juin 2008
La gauche épidermique de Carla
Réponse à Carla Bruni sur 4 points ( interview paru dans les colonnes de Libération, 21 juin 2009)
1« Mes réflexes épidermiques sont de gauche. Ce n’est pas une idéologie, ni un système ». Ah bon ! Je comprendrais la signification de tels propos dans la bouche d’une fille du peuple attachée de façon affective à un combat pour améliorer des conditions de vie difficiles; l’épiderme, c’est-à-dire l’’impulsif, l'affectif, le non réfléchi, cela fonctionne en effet comme cela . Mais chez une fille, comme le dit fort bien Laurent Joffrin, « née bien coiffée », cela sonne faux. C’est étrange et indécent. Pour ne pas dire ridicule. Non qu’une fille de la bourgeoisie n’ait pas « le droit » d’être de gauche. Mais dans ce cas, c'est avec sa tête qu'elle le devient, pas sa « peau ». « Mes réflexes épidermiques ! » Cela signifie quoi ? Car si quelque chose doit être le fuit d’une réflexion, c’est bien précisément cela : être de gauche. Toute la tradition française en témoigne et le souligne. Ceux qui sont de gauche de façon "épidermiques" appartiennent justement à cette frange de la gauche hystérique qui a diabolisé votre mari, de la même façon que la droite hystérique, en son temps, diabolisa Mitterrand. Pour être de gauche, il faut une réflexion, pas des réflexes. Une réflexion précise. Nourrie. Toute l’histoire de la gauche est celle de la pensée mise en commun, en collectif, c’est-à-dire en idéologie. Un mot sur lequel, comme votre mari, vous crachez. Parce que vous ne savez que trop que la gauche ( comme la droite, d’ailleurs) repose sur un terreau idéologique. Ceux qui crachent sur l’idéologie sont des opportunistes, rien d’autre. De tristes et scandaleux opportunistes. Et la manière dont vous balayez cette évidence au nom de l’épiderme est non seulement choquante. Elle est stupide. Et fort inquiétante.
2. A propos de la visite présidentielle à Buckingham, vous dites : « Je suis une femme moderne. Mais les traditions ne sont pas modernes. J’ai juste pris ce chapeau et ce vêtement-là ». Belle lapalissade, entre nous, beau lieu commun qui nous déplace à mille lieux de la pensée, de la culture, de la réflexion d’une autre femme, fort intelligente, sur la tradition : Je songe à Hannah Arendt et la Crise de la culture dont je vous conseille la lecture, puisque vous souhaitez peut-être « faire quelque chose » ( tels sont vos propos) sur ce terrain-là. Pour l’instant, excusez-moi de vous dire que vous êtes plus proche de France Gall que de cette grande et belle dame, même à l’instant des courbettes devant la reine d’Angleterre.
3 « Les Français sont un peuple assez nostalgique, très littéraire, et aussi assez peu musical ». Beau jugement à l’emporte-pièce. Vous les connaissez donc bien ? Depuis l’Après-Guerre, les Français vivants aujourd’hui et issus des classes moyennes, voire populaires, ont subi une série de mutations et de bouleversements sans précédent. Parce qu’un certain nombre d’entre eux ont voulu et encouragé ces changements, je ne crois pas qu’on puisse affirmer de façon aussi péremptoire que tous soient si « nostalgiques » que cela. Les Français ne sont pas « une entité », comme vous le dites maladroitement : ils sont multiples et variés. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont frappés dans l’ensemble par un phénomène constant d’appauvrissement économique, qui va de pair avec un dépérissement inévitable de la vie culturelle à laquelle ils peuvent prétendre. Et comme les Irlandais, ils se sont montrés lors d’un référendum récent en majorité peu favorables à cette Europe libérale dont votre mari et vous-même vous revendiquez si ardemment. Leur nostalgie est plus une forme de mécontentement refoulé au quotidien devant cette Europe des riches dont vous faites partie, qui révulse de plus en plus de monde, en France comme ailleurs. Littéraire ? La France, comme le rappelle Bernanos dans son essai La France contre les robots a été un pays littéraire. En effet. Un pays même lettré, ce qui était rare. Parlez aux étrangers que ce passé illusionne et qui viennent aujourd’hui parmi nous : beaucoup vous diront que la France a perdu le prestige dont ce passé l'auréolait. Les Français parlent mal leur langue, l’écrivent encore moins bien, et on ne peut pas dire qu’hormis une frange qui s’est professionnalisée dans "le littéraire", le peuple français soit un peuple de lecteurs. Abruti de CD et de DVD plus que de livres, comme l’Angleterre, comme l’Espagne, l’Italie, la Russie, le pays subit l’influence plutôt négative sur ce terrain-là des médias. Existe-t-il encore une vie intellectuelle en France ? Une réelle littérature qui ne soit pas seulement, comme l'est la chanson de variété, dédiée au divertissement ou bien à la consommation ? Beaucoup se posent la question, vous le savez bien! Ce qui est vrai de la littérature l’est aussi de la musique. Et de la peinture… On peut rajouter hélas! Ne mentez pas aux gens, s'il vous plait.
4. Que reprochez-vous à Ségolène Royal ? « Sa voix ». Pourquoi sa voix ? « Elle ne me dit rien ». Diable... Ségolène devrait-elle enregistrer un disque pour gagner votre suffrage ? l’Elysée en chansons… Un jour de "Fête de la musique", c’est donc cela, un « réflexe épidermique » de gauche ? Ni-cola, ni-Carla, j'espère que les lecteurs de Libé vont boycotter le CD de la dame... Car il est bien possible qu'au fond cet interview ne soit qu'une entreprise de promotion.
15:17 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : carla bruni, carla, sarkozy, politique, actualité, culture |
lundi, 26 mai 2008
Fatras
Le milliardaire américain J.R. Simplot, pionnier de la frite surgelée et prince de la pomme de terre déshydratée aux Etats-Unis, vient de s'éteindre dimanche 25 mai à l'âge de cent-moins-un-an, annoncent les autorités de l'Idaho. Né en 1909 dans l'Iowa, John Richard Simplot était surnommé Mr SPUD (Monsieur Patate). Il avait quitté l'école à l'âge de 14 ans pour commencer une vie professionnelle riche en rebondissements dans des entrepôts agricoles et des entreprises de distribution de la Belle Amérique. A la fin des années 40, il fut le premier à commercialiser des frites surgelées à Boise, dans l'Idaho (là- bas, les pommes de terre sont cultivées en masse, comme les hommes le sont, un peu partout dans le monde). Notre presque centenaire self-made-man allait alors peu à peu devenir un héros de nos majestueux temps modernes en emportant le marché des chaînes de restauration rapide, où la jeunesse innocente va puiser force et intelligence. Fournisseur exclusif de McDonald's, Burger King et autres Wendy's, monsieur Patate était ainsi parvenu au bout de son enthousiasmante destinée. Il y a deux ans, son entreprise, dont il était devenu président honoraire, a réalisé un chiffre d'affaires de 3,3 milliards de dollars. Pas mal pour quelqu'un qui avait quitté l'école à 14 ans : un tel destin inspirera-t-il l'un de ces évidemment fort talentueux collégiens qui viennent d'être sacrés à Cannes ? Cela s'appelle Entre les murs, c'est adapté d'un roman de prof (François Bégaudeau) et c'est signé Laurent Cantet. J'entendais à la radio ce matin la mère d'un de ces collégiens dire qu'elle n'aurait pu recevoir de plus beau cadeau pour la Fête des Mères. On l'imagine volontiers. Pour ma part, je crois que l'histoire d'une classe de 4ème dans un collège du 20ème arrondissement de Paris - une classe difficile, bien sûr (difficile, mais sublime, forcément sublime dirait marguerite Duras- si elle était encore parmi nous) - ne me tente franchement guère. - Elle ressemble à la France, souligne le metteur en scène, elle est "multiple, foisonnante, complexe, avec quelques frictions"... Raison de plus ! Sarkozy, qui n'en rate pas une en cette période de contestation scolaire, s'est empressé de se féliciter de cette première palme d'or française depuis le déjà lointain massacreur de Bernanos, Maurice Pialat. J'imagine tous ces profs accablés par un quotidien en grande partie sordide, aller faire la queue, payer leur place pour finalement retrouver les gueules de leurs petits protégés... Quelle misère ! Narcissisme, quand tu nous tiens : Après la télé-réalité, le ciné-réalité aurait-il un avenir ? Et pendant ce temps, Joakim Noah, basketteur des Chicago Bulls, a été repéré, un verre d'alcool à la main et de la marijuana en poches dans une rue de Gainesville, durant la nuit de samedi à dimanche. Croyez que les policiers américains n'ont pas hésité un instant à coffrer pour quelques heures le fils de la (parait-il) personnalité la plus aimée des Français... Non mais, dites-donc ! Quel culot, ces mangeurs de frites !
08:47 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : cannes, palme d'or, mr spud |
vendredi, 09 mai 2008
La vérité sort toujours du cul des corneilles
« Paris. Mon premier voyage en métro. Travail gigantesque, j’y consens, et même non dénué d’une certaine beauté souterraine ; mais bruit infernal, danger certain, mort probable – et quelle mort ! – toutes les fois qu’on descend dans ces catacombes. Impression de la fin des sources, de la fin des bois frissonnants, des aubes et des crépuscules. Dans les prairies du Paradis. De la fin de l’âme humaine »
Paroles de Léon Bloy (Quatre ans de captivité, 15 mars 1904). Pour faire le lien avec la note qui précède. Autre chose vue dans ce lieu de vérité, ma foi, il y a déjà un bon moment : Tous les occupants d’une rame plongés dans la lecture du même Métro. Métro Pravda : même combat. Il y a cependant des choses vues plus jolies, plus réjouissantes. Le cul dactylographique d’une corneille fort lève-tôt, en train de déterrer des vers, sur la pelouse. Et malgré les lambeaux de l’intense pollution matinale sur la ville, je ne sais quelle ardeur à s’emparer de chaque journée, qui monte de la terre, dont l’oiseau se saisit, à chaque trémoussement.
21:44 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : société, littérature, bloy |
mardi, 06 mai 2008
Chose vue
Chose vue... Hugo en fut l'inspirateur et je ne peux pas m'empêcher de penser à ce propos à Jacques Seebacher qui en citait bon nombre de mémoire : A l'époque, cela m'impressionnait furieusement, cette façon d'être dans le présent, avec nous, et puis dans - non, pas le passé, - d'être aussi dans l'univers mental de quelqu'un d'autre, Hugo en l'occurrence. Tout à l'heure dans le métro, moi, un peu absent, balloté, pas vraiment éveillé, n'est-ce pas : le métro est-il un lieu conçu pour l'éveil ? Et puis j'entends soudain une voix proférant : « il faudrait pouvoir mourir ! » D'un ton très pragmatique, comme : « il faudrait pouvoir sortir de là, car on respire mal, vous ne trouvez pas ? »
Je tourne la tête. Assis là, derrière, « Quatre-vingt deux ans, dit-il... J'ai quatre vingt deux ans. » Un vieillard, ce qu'on appelait autrefois un digne vieillard, casquette vert sombre, regard humide et comme figé, joues qui ballottent un peu, grand front encore de lumière. A ses côtes, une femme, la trentaine, black et teinte en blond, rondouillarde dans une sorte d'imper bon marché. En face de lui, une autre femme, européenne du sud, la cinquantaine, des cheveux raides, le masque d'une qui a beaucoup bossé. Ni l'une ni l'autre ne réagit à cette amorce de discours. Je ne me souviens même plus du quatrième acolyte sur le siège, vous dire à quel point ils existent ... Lui, donc, casquette vert bronze sur le crane, peau emplie de gros grains bruns (je me rappelle de ces vieux exercices d'articulation – « Gros grand grain gris creux d'orge, quand te dégros grand grain gris creux d'orgeriseras-tu... ? ») Et lui, 82 ans : Il faudrait pouvoir mourir...
« Femme, dit-il, partie depuis longtemps. Vis seul. » Quatre vingt deux ans, en toutes lettres, cela nous ramène (je compte) à 1926 ! Epaisseur soudaine de ce regard, mais translucide, comme déjà expirée entre les papilles du temps. « Je vis seul et, précise-t-il, (c'est propre chez moi) « - Je mets des parenthèses pour reproduire le ton ; son ton.; le ton de ce vieillard. On sent que pour lui (1926), c'est important que ce soit propre chez lui. Chez lui !
Pas une simple parenthèse, mais un détail essentiel qu'il énonce pourtant avec une pudeur incomparable : « une femme vient de temps en temps passer la serpillère et moi, je fais le reste »
. Tout le monde, c'est sûr, s'en fout, moi aussi, d'une certaine façon, que ce soit encore propre chez lui... Que lui dire ? J'écoute : « Mais elle ne comprend pas le français... » (Détail qui ne manque pas d'importance, il ne dit pas, « elle ne parle pas le français », mais « elle ne comprend pas le français ») Nous, comprenons-nous ? Métro : des trentenaires partout, avec dans les oreilles leur ombilical et technologique cordon, abrutis - non pas, mais pire : absents. Et la grosse black qui commence à rigoler, genre : « il est pas timbré ce vioque ? » Avec ses fausses mèches qui puent l'artifice, comme lui pue la solitude... Aïe Aïe Aïe... 82 ans continue : « Et on m'a pris tout mon argent... » La black se met carrément à rigoler et moi, je la trouve soudainement atroce à vomir. Une tristesse me serre le cœur. 82 ans continue : « Il faudrait pouvoir mourir. » La femme en face de lui regarde ses pieds, la grosse black rigole comme une idiote et le métro poursuit sa course infernale, oui, on peut le croire. Infernale... J'ai encore à l'oreille, comme une chose plus entendue que vue cette plainte, car malgré tout c'en était une... Pas de morale à tirer de tout ça : cette solitude, qui contraint le monde, tout le monde, moi compris, et qui, à 82 ans est devenue dans sa nudité irrespirable, une sorte de vérité générale dont rigole une idiote et que je livre telle quelle à la sagacité de vos réflexions. Sagesse d'un conditionnel (il faudrait pouvoir) - et sagesse d'un aveu véritable : mourir. Et cette tragique infirmité qui, finalement, emporte une rame d'idiots jusqu'à la station d'après : Aurait-il fallu ? Je descends.
22:00 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : chose vue, solko, métro |
mardi, 22 avril 2008
Jacques Seebacher
J'apprends avec beaucoup de tristesse la mort de Jacques SEEBACHER. Dans le tintamarre médiatique, les grandes intelligences et les beaux esprits s'en vont fort discrètement. Jacques Seebacher a été mon professeur à Paris VII pendant plusieurs années. Je lui dois, comme beaucoup d'autres de ses étudiants, des centaines d'heures d'un plaisir exquis, rare, indicible : celui de comprendre un grand texte auquel on consacre, pour rien, quelques heures de sa vie. Et cela chaque semaine. Et cela durant plusieurs années. Jacques Seebacher qui prit la succession de Pierre Albouy était un spécialiste de Victor HUGO (il dirigea l'édition du centenaire dans la collection Bouquins).
C'était un dix-neuvièmiste complet, si une telle expression a du sens, un homme réellement cultivé, attaché à la transmission comme un paysan à sa terre. Je me souviens d'explications de lui de Michelet, de Renan, de Sainte-Beuve, de Musset, de Baudelaire, de Lamartine ou de Sand, bien sûr, mais également de Ronsard, de Racine, De Pascal, de Montesquieu, d'Apollinaire, de Valéry... Des explications scrupuleuses et lumineuses, au sens propre. Des explications généreuses, qui donnaient à leur auditeur l'impression d'être intelligent... Il était un professeur à la fois plein d'humour, de rigueur et d'intégrité, capable d'être cassant lorsqu'il se trouvait devant une personne qu'il jugeait malhonnête sur le plan intellectuel, heureux lorsqu'il apprenait qu'un de ses étudiants avait réussi quelque chose. La dernière fois que j'ai parlé avec lui, c'était de Béraud, par téléphone, il y a quelques années déjà. Je n'ai eu que très peu de véritables professeurs dans toute ma scolarité, déjà ancienne. J'en dénombre trois, tous de lettres : il était l'un deux. Il était parti à la retraite au tout début des années quatre-vingt dix.
L'époque, déjà, n'était plus trop littéraire, et avec son départ, j'eus l'impression, oui, qu'un siècle, qui jusqu'alors avait été mien, avait été nôtre, commençait à s'en aller aussi. Voici quelques lignes de lui que je tire de la préface qu'il avait alors rédigée pour Victor Hugo ou le calcul des profondeurs (PUF écrivains, 1991) :
« Voilà un peu plus d'un demi-siècle, en un Noël de guerre, un enfant de neuf ans commettait sa première inconvenance littéraire en demandant qu'on lui offre Les Misérables, pour en avoir lu un fragment dans ce merveilleux livre de lecture de l'école publique qui s'intitulait Une heure avec... Ce fut un couple d'Anglais, que l'invasion nazie allait bientôt contraindre à l'exil dans leur propre pays, qui consentit à ce caprice, avec les quatre volumes de la collection Nelson. « De l'Angleterre, tout est grand », dit l'auteur de L'homme qui rit. Peu importe de combien d'exils se compose toute pairie et de combien d'escarpements se conquiert le plain-pied quand on a compris comme Romain Gary et Ajar réunis qu'avec Hugo, l'éducation européenne consiste à avoir la vie devant soi ».
16:32 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, jacques seebacher, paris7, jussieu |
samedi, 29 mars 2008
Des bêtes et des objets.
Dans les cliniques vétérinaires, on trouve la même population que dans les pharmacies, sauf que là, au lieu de se réciter leurs propres bobos, les mémères à chats new-age se récitent ceux de leurs animaux favoris. Les assistants en blouses blanches ont besoin de redoubler de patience à l'écoute de tout ce qui se raconte là. Tenir une banque de clinique vétérinaire, apparemment, c'est un peu comme tenir un comptoir, ça revient à assumer un boulot de psy. Débat animé dans l'espèce de salle d'attente de trois mètres carrés sur le confort des litières, par exemple, ou sur le rapport qualité-prix : Car les marques et leur empire ont ici aussi gravé leur empreinte. Derrière la banque, une enfilade de sachets et de boites colorées de toutes dimensions bordent de chaque côté le couloir qui conduit au cabinet du docteur. "Perlinette, donc, c'est vraiment très bien. Les grains sont gros, on n'en trouve pas partout autour (nb : des grains hors de la caisse). Et il ( c'est le chat) aime ça !" Ensuite, la conversation tourne sur les rondeurs des petits chéris : "C'est qu'il fait huit kilos, à présent... C'est vraiment un très beau chat !" Ici, la moyenne d'âge des maîtresses dépasse largement la cinquantaine, car le sexe dominant est nettement féminin. Je ne peux pas m'empêcher de penser à des petites filles mal grandies, qui jouent encore à la marchande avec leurs animaux. Tout à l'heure, elles joueront à la poupée.
Sous la haute verrière de la salle des ventes, plusieurs maisonnées défilent chaque semaine, bribe par bribe, brin par brin, au fil des successions. Autre lieu, autre moeurs : la salle des ventes est emplie d'une population presque exclusivement masculine. Les pros ne sont jamais assis : c'est presque un signe distinctif; la mobilité, dans le métier, c'est une vertu cardinale. Debout en fond de salles ou sur les côtés, ils vont, le portable à la main, ils viennent, échangent des poignées de mains, des clins d'oeil entre eux. Et quand une affaire les intéresse, ils s'approchent de la banque du commissaire-priseur d'un pas leste, tâtent ou lorgnent de plus près l'objet, font ou non un signe de la main avant de retourner à leurs conciliabules. Sur les chaises, ceux qu'on appelle les particuliers : ni brocs ni antiquaires, souvent retraités, quelques badauds, une poignée d'amateurs specialisés qui dans les faïences, qui dans l'argent, qui dans l'étain... Arrondir ses fins de mois. Auprès du pape des lieux, chacun a son petit négoce intérieur, sa conversation particulière, son rapport intime. Avec le commissaire-priseur, c'est un peu comme avec l'instit'. D'ailleurs on lui donne du Maître. La aussi, chacun a l'air de grand enfant. Du spécialiste averti au poulet qui vient se faire plumer, chacun a au fond de lui cette passion secrète pour l'objet. Une tisannière accidentée début XIXème part à cinq euros, un porte flacon en chagrin rouge du XVIIIème à 130, une tête de Saint-Denis du XVIème à 240... Cela monte et redescend selon un rythme très étudié, qui laisse à chacun le temps de souffler. De temps en temps, le patron des lieux annonce la pièce rare. Ses adjoints décrochent les téléhones. Dans un moment d'éblouissement, l'enchère grimpe, 3000, 7000, 150.000. Les Gueux du Marche aux Puces et d'ailleurs se donnent l'illusion d'être bardés de pognon. Un collectionneur étranger à emporté la mise. Tout retourne dans l'ordre. Un lot d'assiettes dépareillées...
14:33 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : société, chats, chiens, vétérinaires |
mardi, 25 mars 2008
Le dentier du pape
Un ciel bas et lourd, au-dessus de quelques arbres malingres. Un ciel très dix-neuvième. Siècle, bien sûr. Pas arrondissement ! Encore que... Cela pourrait constituer un arrondissement de Paris, ce ciel qui pèse comme un long corbillard sur nos têtes, ce cercle de ciel pascal très dix-neuvième, qui va se prolonger au-delà de Paques puisque, dit la radio, la grisaille va se poursuivre jusqu'à jeudi. Bon. Nous voilà englobés dans un seul temps, tous et toutes, les humains. Avez-vous remarqué le dentier de Benoit XVI ? C'est la pluie qui me fait penser au pape. La pluie et la façon linéaire qu'ont tout à coup secondes et minutes de passer en sa compagnie monotone. Salut en toutes les langues, devant une floraison de parapluies, place Saint-Pierre. Ce pape à une élocution, une articulation et une dentition également refaites. Je me demandai, en l'écoutant, à quoi ou à qui ressemblait son dentiste. Et si les dents un peu jaunies et parfaitement régulières qu'il porte en son sourire étaient des implants, des bridges ou bien un ratelier à la mode d'antan. Que le pape ait son propre dentiste au Vatican, voilà une question pour jours à ciel bas et lourd qui n'en finissent pas. Il y a dans A Rebours de Huysmans une scène d'épouvante qui se déroule ainsi chez un dentiste, une scène à quoi ce temps de Paques et ces voeux pontificaux me font inexorablement penser. Il est possible, après tout, que Baudelaire ait tout simplement eu un fort mal au dents, lorsqu'il demanda un peu de calme à sa douleur. Des générations de potaches à qui on répéta : Sois sage... Et qui apprirent, pour le bonheur de l'Institution, ces vers de Baudelaire par coeur. "Le vieux style", aurait dit Winnie, plus que jamais enlisée, elle aussi, et articulant tant bien que mal sa douleur...
09:47 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : benoit xvi, baudelaire, spleen, poésie, paques |