samedi, 21 juin 2008
La gauche épidermique de Carla
Réponse à Carla Bruni sur 4 points ( interview paru dans les colonnes de Libération, 21 juin 2009)
1« Mes réflexes épidermiques sont de gauche. Ce n’est pas une idéologie, ni un système ». Ah bon ! Je comprendrais la signification de tels propos dans la bouche d’une fille du peuple attachée de façon affective à un combat pour améliorer des conditions de vie difficiles; l’épiderme, c’est-à-dire l’’impulsif, l'affectif, le non réfléchi, cela fonctionne en effet comme cela . Mais chez une fille, comme le dit fort bien Laurent Joffrin, « née bien coiffée », cela sonne faux. C’est étrange et indécent. Pour ne pas dire ridicule. Non qu’une fille de la bourgeoisie n’ait pas « le droit » d’être de gauche. Mais dans ce cas, c'est avec sa tête qu'elle le devient, pas sa « peau ». « Mes réflexes épidermiques ! » Cela signifie quoi ? Car si quelque chose doit être le fuit d’une réflexion, c’est bien précisément cela : être de gauche. Toute la tradition française en témoigne et le souligne. Ceux qui sont de gauche de façon "épidermiques" appartiennent justement à cette frange de la gauche hystérique qui a diabolisé votre mari, de la même façon que la droite hystérique, en son temps, diabolisa Mitterrand. Pour être de gauche, il faut une réflexion, pas des réflexes. Une réflexion précise. Nourrie. Toute l’histoire de la gauche est celle de la pensée mise en commun, en collectif, c’est-à-dire en idéologie. Un mot sur lequel, comme votre mari, vous crachez. Parce que vous ne savez que trop que la gauche ( comme la droite, d’ailleurs) repose sur un terreau idéologique. Ceux qui crachent sur l’idéologie sont des opportunistes, rien d’autre. De tristes et scandaleux opportunistes. Et la manière dont vous balayez cette évidence au nom de l’épiderme est non seulement choquante. Elle est stupide. Et fort inquiétante.
2. A propos de la visite présidentielle à Buckingham, vous dites : « Je suis une femme moderne. Mais les traditions ne sont pas modernes. J’ai juste pris ce chapeau et ce vêtement-là ». Belle lapalissade, entre nous, beau lieu commun qui nous déplace à mille lieux de la pensée, de la culture, de la réflexion d’une autre femme, fort intelligente, sur la tradition : Je songe à Hannah Arendt et la Crise de la culture dont je vous conseille la lecture, puisque vous souhaitez peut-être « faire quelque chose » ( tels sont vos propos) sur ce terrain-là. Pour l’instant, excusez-moi de vous dire que vous êtes plus proche de France Gall que de cette grande et belle dame, même à l’instant des courbettes devant la reine d’Angleterre.
3 « Les Français sont un peuple assez nostalgique, très littéraire, et aussi assez peu musical ». Beau jugement à l’emporte-pièce. Vous les connaissez donc bien ? Depuis l’Après-Guerre, les Français vivants aujourd’hui et issus des classes moyennes, voire populaires, ont subi une série de mutations et de bouleversements sans précédent. Parce qu’un certain nombre d’entre eux ont voulu et encouragé ces changements, je ne crois pas qu’on puisse affirmer de façon aussi péremptoire que tous soient si « nostalgiques » que cela. Les Français ne sont pas « une entité », comme vous le dites maladroitement : ils sont multiples et variés. Ce qui est sûr, c’est qu’ils sont frappés dans l’ensemble par un phénomène constant d’appauvrissement économique, qui va de pair avec un dépérissement inévitable de la vie culturelle à laquelle ils peuvent prétendre. Et comme les Irlandais, ils se sont montrés lors d’un référendum récent en majorité peu favorables à cette Europe libérale dont votre mari et vous-même vous revendiquez si ardemment. Leur nostalgie est plus une forme de mécontentement refoulé au quotidien devant cette Europe des riches dont vous faites partie, qui révulse de plus en plus de monde, en France comme ailleurs. Littéraire ? La France, comme le rappelle Bernanos dans son essai La France contre les robots a été un pays littéraire. En effet. Un pays même lettré, ce qui était rare. Parlez aux étrangers que ce passé illusionne et qui viennent aujourd’hui parmi nous : beaucoup vous diront que la France a perdu le prestige dont ce passé l'auréolait. Les Français parlent mal leur langue, l’écrivent encore moins bien, et on ne peut pas dire qu’hormis une frange qui s’est professionnalisée dans "le littéraire", le peuple français soit un peuple de lecteurs. Abruti de CD et de DVD plus que de livres, comme l’Angleterre, comme l’Espagne, l’Italie, la Russie, le pays subit l’influence plutôt négative sur ce terrain-là des médias. Existe-t-il encore une vie intellectuelle en France ? Une réelle littérature qui ne soit pas seulement, comme l'est la chanson de variété, dédiée au divertissement ou bien à la consommation ? Beaucoup se posent la question, vous le savez bien! Ce qui est vrai de la littérature l’est aussi de la musique. Et de la peinture… On peut rajouter hélas! Ne mentez pas aux gens, s'il vous plait.
4. Que reprochez-vous à Ségolène Royal ? « Sa voix ». Pourquoi sa voix ? « Elle ne me dit rien ». Diable... Ségolène devrait-elle enregistrer un disque pour gagner votre suffrage ? l’Elysée en chansons… Un jour de "Fête de la musique", c’est donc cela, un « réflexe épidermique » de gauche ? Ni-cola, ni-Carla, j'espère que les lecteurs de Libé vont boycotter le CD de la dame... Car il est bien possible qu'au fond cet interview ne soit qu'une entreprise de promotion.
15:17 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : carla bruni, carla, sarkozy, politique, actualité, culture |