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mardi, 16 décembre 2008

Espèce de pensée du soir

Signe des temps ? Dans la rame de métro, ce soir, j'ai vu plus de gens dont les oreilles sont obstruées par des fils électriques que de gens à l'oreille, si j'ose dire, découverte. Comme les baladeurs sont portés dans une poche ou sous l'écharpe, ces fils disgrâcieux et qui pendouillent donnent aux visages de qui les portent un air, il faut bien le reconnaître,  particulièrement stupide. Ils ont l'air de s'en foutre. Curieux, cet effort pour exhiber une tenue vestimentaire au moins originale, faute d'être élegante, et ce laisser-aller, cet abandon soumis à la laideur technologique. Voici donc venu le temps des prothèses, qui leur échappent des oreilles, comme d'une poche qui débourre. Bon.  Si le plus grand nombre de bipèdes reliés par ces cordons ombilicaux à la matrice musicale universelle se trouve encore, proportionnellement, chez ce qu'on appelle aujourd'hui des "jeunes" (terme ô combien niais, inventé par des vieux), pas mal de jeunes adultes (???) voire d'adultes plus consommés, et même frippés,  se laissent contaminer. Etonnez-vous donc que le monde devienne de plus en plus ce que des sociologues qui n'ont jamais su écrire appellent en tirant sur leurs pipes "un non-lieu". Alors moi, sans jouer au Cassandre, mes deux yeux et mes deux oreilles pour tout fardeau, je regarde le sol du métro, puis leurs visages aussi inertes qu'absents et pour tout dire assez inhumains : je ne peux m'empêcher de songer que cela ne peut qu'être le prélude de très mauvaises choses.

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20:17 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (34) | Tags : société, baladeur, musique, métro | | |

mardi, 06 mai 2008

Chose vue

Chose vue... Hugo en fut l'inspirateur et je ne peux pas m'empêcher de penser à ce propos à Jacques Seebacher qui en citait bon nombre de mémoire : A l'époque, cela m'impressionnait furieusement, cette façon d'être dans le présent, avec nous, et puis dans - non, pas le passé, - d'être aussi dans l'univers mental de quelqu'un d'autre, Hugo en l'occurrence. Tout à l'heure dans le métro, moi, un peu absent, balloté, pas vraiment éveillé, n'est-ce pas : le métro est-il un lieu conçu pour l'éveil ? Et puis j'entends soudain une voix proférant : « il faudrait pouvoir mourir ! » D'un ton très pragmatique, comme : « il faudrait pouvoir sortir de là, car on respire mal, vous ne trouvez pas ? »

Je tourne la tête. Assis là, derrière, « Quatre-vingt deux ans, dit-il... J'ai quatre vingt deux ans. » Un vieillard, ce qu'on appelait autrefois un digne vieillard, casquette vert sombre, regard humide et comme figé, joues qui ballottent un peu, grand front encore de lumière. A ses côtes, une femme, la trentaine, black et teinte en blond, rondouillarde dans une sorte d'imper bon marché. En face de lui, une autre femme, européenne du sud, la cinquantaine, des cheveux raides, le masque d'une qui a beaucoup bossé. Ni l'une ni l'autre ne réagit à cette amorce de discours. Je ne me souviens même plus du quatrième acolyte sur le siège, vous dire à quel point ils existent ... Lui, donc, casquette vert bronze sur le crane, peau emplie de gros grains bruns (je me rappelle de ces vieux exercices d'articulation – « Gros grand grain gris creux d'orge, quand te dégros grand grain gris creux d'orgeriseras-tu... ? ») Et lui, 82 ans : Il faudrait pouvoir mourir...

« Femme, dit-il, partie depuis longtemps. Vis seul. » Quatre vingt deux ans, en toutes lettres, cela nous ramène (je compte) à 1926 ! Epaisseur soudaine de ce regard, mais translucide, comme déjà expirée entre les papilles du temps. « Je vis seul et, précise-t-il, (c'est propre chez moi) « - Je mets des parenthèses pour reproduire le ton ; son ton.; le ton de ce vieillard. On sent que pour lui (1926), c'est important que ce soit propre chez lui. Chez lui !

Pas une simple parenthèse, mais un détail essentiel qu'il énonce pourtant avec une pudeur incomparable : « une femme vient de temps en temps passer la serpillère et moi, je fais le reste »

. Tout le monde, c'est sûr, s'en fout, moi aussi, d'une certaine façon, que ce soit encore propre chez lui... Que lui dire ? J'écoute : « Mais elle ne comprend pas le français... » (Détail qui ne manque pas d'importance, il ne dit pas, « elle ne parle pas le français », mais « elle ne comprend pas le français ») Nous, comprenons-nous ? Métro : des trentenaires partout, avec dans les oreilles leur ombilical et technologique cordon, abrutis - non pas, mais pire : absents. Et la grosse black qui commence à rigoler, genre : « il est pas timbré ce vioque ? » Avec ses fausses mèches qui puent l'artifice, comme lui pue la solitude... Aïe Aïe Aïe... 82 ans continue : « Et on m'a pris tout mon argent... » La black se met carrément à rigoler et moi, je la trouve soudainement atroce à vomir. Une tristesse me serre le cœur. 82 ans continue : « Il faudrait pouvoir mourir. » La femme en face de lui regarde ses pieds, la grosse black rigole comme une idiote et le métro poursuit sa course infernale, oui, on peut le croire. Infernale... J'ai encore à l'oreille, comme une chose plus entendue que vue cette plainte, car malgré tout c'en était une... Pas de morale à tirer de tout ça : cette solitude, qui contraint le monde, tout le monde, moi compris, et qui, à 82 ans est devenue dans sa nudité irrespirable, une sorte de vérité générale dont rigole une idiote et que je livre telle quelle à la sagacité de vos réflexions. Sagesse d'un conditionnel (il faudrait pouvoir) - et sagesse d'un aveu véritable : mourir. Et cette tragique infirmité qui, finalement, emporte une rame d'idiots jusqu'à la station d'après : Aurait-il fallu ? Je descends.

 

22:00 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : chose vue, solko, métro | | |