Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

jeudi, 22 septembre 2011

Sécurité musicale

C’était en  1980, les premiers walkmans en France, on allait jusqu'aux States pour les avoir moins cher -environ 1500 balles là-bas quand même- le boitier bleu et gris SONY dans lequel  se glissait lestement la cassette et hop -pas laisser la bande magnétique se prendre dans les fourches -, et puis les écouteurs en mousse noire, cette sensation soudain, ce décollage tu dirais, écouter le Messie d’Haendel dans la rue comme dans sa piaule et se déployer en stéréo au milieu des badauds comme un oiseau large de vingt mètres ou du Janis Joplin qui défonçait toute la place, toute la brume, toute la ville, les barres qui se dissipaient sous nos yeux et tout ce quartier de cons qui disparaissait en imagination, tout à coup la rue cessait d’être ici toute seule comme juste une rue et devenait du tout là-bas, où l’on voulait, le territoire feignant d’être large devant nos pas - même dans le bus de banlieue on était comme sur l’autoroute-, tout quoi qui s’élargissait et alors chacun avait le sublime ou le grandiose facile, ce qu'ils en ont produit à Taïwan t'as pas idée mon pote, à portée d’oreilles, comme si on était quand même libres, tu vois. Libres. La musique déplaçait les frontières locales et nationales et ça mon pote, ça faisait drôlement bien de trouver ça wouaahhh, l'air inspiré, en même temps chaque individu sans s’en rendre compte commençait à s’enfoncer en soi-même, tout recroquevillé à disparaître à force d’écouter Janis ou Haendel rue Victor Hugo, jamais tant coincés en soi depuis qu'on défonçait les frontières à coups de musique, comme si c’était fait pour ça la rue, à force que l’espace public devienne mon espace, ma piaule et c’est tout, là où j’écoute toute la musique que j’aime comme le braillait le Johny Ah que, trente ans avant de devenir, tu sais pas, comédien de théâtre, un vrai, mais oui. Bref, dans la rue, tu rencontrais Haendel, Janis ou Johny, le reste, c’était en gros plus que des beaufs, toi compris.

Aujourd’hui rien de plus simple, rien de plus commun que ce quotidien musicalisé à ma guise, à ta guise, la sensation est usée et dès l’aube dans le bus chacun l’a dans l’oreille sa fuite, son slam, son évasion, y’a même des gars des garces qui n’ont jamais connu le monde d’avant, le silence pesamment indécrottable dans la rue, l’enfermement entre voisins dans le quotidien de ces quelques rues et le monde vrai qu’on imaginait loin tout autour quand fallait prendre son sac à dos et poireauter des heures sur une bretelle pour le rejoindre, on se demande même parfois ce qu’ils faisaient et ce à quoi ils pensaient les néanderthaliens du siècle dernier, quand ils n’avaient rien dans les oreilles chaque jour durant les trajets qui les emmenaient métro boulot dodo, comment ils respiraient, comment ils s'animaient, ce qu’ils devaient (pour parler poliment) se faire chier avec rien que leurs pauvres pensées à eux dans les oreilles, en ces temps-là que la musique ne s'écoutait qu'au salon, non, franchement, ça devait être insupportable, non, raconte, toi qui as connu cette préhistoire, cet autre siècle-là... 

festamusica_FNAC-412x583.jpg


mardi, 16 décembre 2008

Espèce de pensée du soir

Signe des temps ? Dans la rame de métro, ce soir, j'ai vu plus de gens dont les oreilles sont obstruées par des fils électriques que de gens à l'oreille, si j'ose dire, découverte. Comme les baladeurs sont portés dans une poche ou sous l'écharpe, ces fils disgrâcieux et qui pendouillent donnent aux visages de qui les portent un air, il faut bien le reconnaître,  particulièrement stupide. Ils ont l'air de s'en foutre. Curieux, cet effort pour exhiber une tenue vestimentaire au moins originale, faute d'être élegante, et ce laisser-aller, cet abandon soumis à la laideur technologique. Voici donc venu le temps des prothèses, qui leur échappent des oreilles, comme d'une poche qui débourre. Bon.  Si le plus grand nombre de bipèdes reliés par ces cordons ombilicaux à la matrice musicale universelle se trouve encore, proportionnellement, chez ce qu'on appelle aujourd'hui des "jeunes" (terme ô combien niais, inventé par des vieux), pas mal de jeunes adultes (???) voire d'adultes plus consommés, et même frippés,  se laissent contaminer. Etonnez-vous donc que le monde devienne de plus en plus ce que des sociologues qui n'ont jamais su écrire appellent en tirant sur leurs pipes "un non-lieu". Alors moi, sans jouer au Cassandre, mes deux yeux et mes deux oreilles pour tout fardeau, je regarde le sol du métro, puis leurs visages aussi inertes qu'absents et pour tout dire assez inhumains : je ne peux m'empêcher de songer que cela ne peut qu'être le prélude de très mauvaises choses.

images.jpg

20:17 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (34) | Tags : société, baladeur, musique, métro | | |