mercredi, 29 octobre 2008
De la bonté égarée des Grands de ce monde
"La prévention du peuple en faveur des grands est si aveugle, et l'entêtement pour leurs gestes, leur visage, leur ton de voix et leurs manières si général que, s'ils s'avisaient d'être bons, cela irait à l'idôlatrie"
La Bruyère - DES GRANDS (Les CARACTERES - 1688 / 2008)
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samedi, 25 octobre 2008
Le mur d'Alceste
Rue Descartes, à Pampelune, un graff en noir recouvert de rouge, sur fond gris, fort sympa :
14:39 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, molière, alceste, graff, descartes |
dimanche, 28 septembre 2008
Joseph Kosma (1905-1969)
Certains trouveront saugrenu le fait de parler de Joseph Kosma (1905-1969) comme d'un illustre inconnu. Inconnu, le compositeur des Feuilles mortes, de Barbara, de Si tu t'imagines... ? Inconnu, celui qui écrivit pour Renoir la musique de La Bête Humaine, de La Grande Illusion, pour Marcel Carné, celle des Enfants du paradis ? Inconnu, celui qui fut l'un des papes du Saint-Germain d'après guerre, composant pour des Mouloudji, Juliette Gréco, Yves Montand, Cora Vaucaire ... ?
Certes, non.
Inconnu à Lyon, pourtant - et c'est là que le bât blesse- en tant que compositeur du seul oratorio écrit sur les Canuts et leur révolte légendaire de 1831. Bon, pour le récit circonstancié des événements, je ne vais pas refaire le coup de l'an passé : je renvoie mes lecteurs à la rubrique « le feuilleton de novembre », où ils pourront vibrer au jour le jour avec les héros de la fulgurante aventure de ces héros magnifiques et justes : simplement je rajoute cette histoire, en guise d'épilogue courroucé.
Dans l'après-guerre ont fleuri plusieurs chorales de jeunes républicains qui étaient passés par la Résistance ou par le maquis. A Paris, par exemple, la chorale Guy Moquet; à Lyon, la chorale Henri Martin. Au début des années cinquante, plusieurs membres de cette dernière contactèrent Joseph Kosma, alors au sommet de sa gloire, pour lui soumettre l'idée de composer une œuvre à la mémoire des révoltes de 1831. Immédiatement séduit, ce dernier confia à Jacques Gaucheron le soin d'écrire le livret. Les deux hommes, qui n'étaient pas lyonnais, arpentèrent les pentes, les traboules, et les ateliers, encore vibrants du bistenclaquepan, de la Croix-Rousse. Fin 1958, l'oratorio est achevé. Le 9 avril 1959, il est créé à Budapest, puis mis en scène à Berlin. Le 10 avril 1964, Les Canuts sont joués à l'Opéra de Lyon, dans une mise en scène de Louis Erlo. C'est un triomphe. Depuis, l'oubli progressif.
Or les chorales de l'Association Musicale Populaire, et leur président Daniel Defillon, se sont mis en tête de monter à nouveau cette oeuvre difficile et oubliée en 2009, à l'occasion du cinquantenaire de sa création. Hier soir, dans la salle bondée du centre Charlie Chaplin de Vaulx en Velin était donc présenté un avant-projet. Sous la direction musicale de Pierre Vallin, quatre solistes, deux récitants et une centaine de chanteurs issus de six chorales en ont donc ressuscité les accents les plus poignants : « Lyon moderne est comme une vieille, toute accroupie sur son radeau de pierre... Dormez en paix, victimes de Novembre, d'autres viendront sur le métier du temps, cueillir la flamme dans les cendres... »
A Lyon, les canuts sont bien oubliés, j'en sais quelque chose; en tant que vice-président de l'Association l'Esprit Canut, tout d'abord, qui milite depuis plusieurs années pour la création d'un véritable musée dédié à leur histoire, et ce dans la chaleureuse indifférence du maire Gérard Collomb qui se penchera peut-être sur la question lors de son soixante-dix neuvième mandat; je crains qu'alors nous soyons tous et toutes réduits en poussière... . En tant, surtout, qu'auteur et metteur en scène de La Colline aux Canuts, spectacle qui a toujours rencontré un large public à chaque fois qu'il a été représenté, mais qu'un Philippe Faure, pour ne citer que lui, directeur je le rappelle du théâtre de la Croix-Rousse et auteur de l'immortel "Moi tout seul", n'a jamais daigné aller voir, ni aider d'une quelconque manière.
Si l'on peut se réjouir du fait que la municipalité de Vaulx ait encouragé ce projet courageux, on ne s'étonnera donc pas dans ces colonnes du dédain bienveillant manifesté par celle de Lyon, qui continue de vénérer ses canuts sous forme de cervelle bien coulante pour les touristes, ou d'appartements en pierres et poutres apparentes (ah! l'apparence ! ...) fort coûteux pour ses nouveaux arrivants.
12:53 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : kosma, gaucheron, canuts, lyon, actualité, musique, chorale populaire |
samedi, 02 août 2008
Le pont du Rhône
Du Moyen-âge au dix-huitième siècle, le Rhône n’était franchissable, à Lyon, que par un unique pont. Pour parler de lui, il ne reste dorénavant que de vieilles chroniques. Et lorsqu’il fait un temps à se laisser raconter des histoires par les pierres des ponts, on n’entend plus le fracas du Rhône se brisant contre ses piles en pierre. Sa huitième pile, telle une borne, servit longtemps de frontière entre le Lyonnais et le Dauphiné.
C’était un géant de 20 arches et de 510 mètres de long, qui enjambait le Rhône et ses rives mouvantes, ses lônes couvertes de ruisselets. La rue de la Barre (ex Bourgchanin) lui doit son nom, car une barrière fermait son péage, jusqu’à ce que fût aboli, en 1776, « le droit de barrage ». A l’autre extrémité du Rhône, la place du Pont (dite à présent Gabriel-Péri) lui doit le sien, puisqu’avant l’aménagement de la rive gauche au début du dix-neuvième siècle, le vieux pont débouchait sur ses auberges. De vieilles gravures, (la plus connue étant celle de Jean Jacques de Boissieu, ci-contre, nous montrent des fortifications défendant l’entrée du pont, une haute tour carrée presque en son milieu, munie d’un pont levis. Car les portes étaient fermées la nuit.
Au tout début, il y eut longtemps un pont de bois à cet emplacement, parce que la violence du fleuve rendait problématique la construction d’un véritable pont, qui s’étala sur plusieurs siècles et fut un véritable exploit. « Depuis qu’on était parvenu à lui fermer le passage de la plaine dauphinoise et qu’on l’avait contraint, au moyen de digues, de refluer vers la ville, le Rhône se précipitant sous les arches, sapait les enrochements et entraînait les pilotis ; une partie du pont était à peine achevée qu’une autre s’écroulait sous les affouillements. Chaque grande crue emportait deux ou trois piles. Alors, pendant que les constructeurs allaient chercher aux Augustins ou à Fourvière de ces gros blocs couverts d’inscriptions latines, il fallait se servir de bateaux pour traverser le fleuve ou, comme on l’avait fait pendant le séjour de Louis XII et de sa cour, établir une traille au port de la rue Neuve. », explique Vingtrinier, dans La Vie Lyonnaise.
Jean Pelletier (Ponts et quais de Lyon, ELAH, 2002) date de 1559 la décision, par les échevins de Lyon, de bâtir un pont de pierre. Sous Henri II, c'est-à-dire assez rapidement, le pont fut réduit de vingt arches à dix-sept. « Nos grands pères, écrit Petrus Sambardier dans La Vie lyonnaise (12.3.1932) ont vu encore les cinq arches du pont, que les travaux de Combalot, le siècle dernier, ont enfouies pour nous donner le cours Gambetta. » Il a fini par être remplacé, en raison de la circulation automobile, par l’actuelle ouvrage en acier, après sa démolition en 1952. Tous les ponts du Rhône sont pourtant, comme le souligne Albert Giuliani ( Vous êtes mon Lyon, 1928) « fils, petits-fils, arrière petit-fils de ce vénérable et si vénéré pont de la Guillotière », qui « courbe sous la vieillesse de Mathusalem ».
L’énumération à la Prévert que Nizier du Puitspelu consacre aux embouteillages du pont du Rhône dans ses souvenirs témoigne également de son immense popularité, qu’il devait au point stratégique qui fut durant des siècles le sien sur le Rhône :
« A gauche, le pont de la Guillotière, auquel le petit gone vit s’ajouter les trottoirs, supportés par des arcs en fonte que l’on superposa aux arches de pierre. Jugez un peu voire ce que c’était que ce pont avant les trottoirs, encombré de tout ce qui arrive aujourd’hui par le chemin de fer, de tous les rouliers de Provence, de toutes les voitures publiques du Dauphiné et du Midi, de toutes les jardinières des coquetiers, de tous les tombereaux des âniers, de tous les chars, de toutes les charrettes, de toutes les carrioles, de toutes les pataches, de tous les tape-culs, de tous les camions, de tous les crapauds, de toutes les maringottes, et de tout le reste ! Qu’on pût arriver au bout sans être chapelé, haché, pilé, broyé, escaché, escharbouillé, écramaillé, c’est un miracle au prix duquel les apparitions de notre temps sont choses absolument naturelles.» (Puitspelu, Les Oisivetés du sieur Puitspelu, Lyon, 1896, Pierre Masson, 1928).
Il a existé un véritable mythe du pont du Rhône, à Lyon, chaque jour combattant contre le flux : « Contre les arches lourdement taillées en éperon le courant bouillonne, se précipite, excité par l’obstacle. La nappe s’étale d’une rive à l’autre, miroitante, embuée par endroits comme une glace sur laquelle on aurait soufflé. Presque aussitôt, elle se resserre, bloquée par un long banc de sable, à droite. Le fleuve se rue dans le chenal étroit et profond.»
(Emile Baumann, Lyon et le lyonnais, De Gigord, Paris, 1934).
Plongeons et baignades dans le fleuve étaient fréquents, jouissifs, parfois fatals. L’une des scènes les plus émouvantes de La Gerbe d’or d’Henri Béraud se déroule justement sous ce pont, lorsque le narrateur enfant voit un ouvrier de la Guillotière qui se baignait en train de se noyer devant ses deux très jeunes fils, impuissants :
« L’homme luttait, les dents serrées. A chaque instant, il perdait un peu d’espace. Déjà l’ombre de l’étrave le couvrait. Il nageait furieusement. A force de désespoir, il parvenait à demeurer sur place. Visiblement il cherchait à s’échapper vers l’escalier de la berge : il y avait là un anneau de fer et une vieille amarre… Il la regardait. Il ne voyait qu’elle. Nous criions tous à la fois, sans le quitter des yeux. Je revois les choses dans leur plus petit détail. Cela dura moins d’une minute. J’entends encore ce chien hurler à la mort. Maintenant, l’homme avait perdu la cadence de sa nage. L’eau arrivait à pleins bords, lourde, égale, aveugle, impitoyable. Il se battait contre elle avec désespoir. Brusquement, ses forces le trahirent. On vit sa tête pâle reculer, reculer encore. Elle alla se placer dans l’angle formé par le courant et l’avant du bateau, qu’elle semblait caler. Il luttait toujours. Enfin, l’eau enfonça cette tête d’un coup, comme un pavé. C’était fini. On ne vit plus rien, que la course du fleuve et le reflet noir de la péniche. Un lent marlou vint. Il se campa au sommet de la rampe. « Vite, monsieur, mon papa vient de se noyer ». Les petits sanglotaient. L’individu haussa les épaules, alluma une cigarette, puis s’éloigna sur le quai désert. Transis de peur, nous demeurions toujours plantés là. Les deux enfants criaient toujours : « Papa ! Papa ! ». Leurs voix se dispersaient dans le bruit monotone du fleuve. A la fin, ils se turent. L’ainé ramassa par terre les vêtements. Il prit le petit par la main, et ils s’en allèrent tout seuls, je ne sais où, vers le faubourg, en pleurant à gros sanglots. »
De l'accident du carrosse de Madame Servient au passage de Napoléon dessus, avant les Cent jours, il y aurait encore beaucoup à raconter sur cet illustre disparu. Sans compter le nombre extraordinaire de peintres, petits ou grands, qui ont esquissé tour à tour son auguste silhouette, sur un bout de toile ou un morceau de papier... Occasion, peut-être, d'un futur billet.
Autres monuments perdus:
L'hôpital de la Charité : http://solko.hautetfort.com/archive/2008/09/03/les-fantom...
L'amphithéâtre des Trois-Gaules : http://solko.hautetfort.com/archive/2008/11/03/l-abbaye-l...
Le Pont de Saône : http://solko.hautetfort.com/archive/2008/12/07/le-pont-de...
Le Progrès, rue Bellecordière :
http://solko.hautetfort.com/archive/2009/07/23/le-progres...
18:11 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : lyon, littérature, pont de la guillotière, histoire, béraud |
dimanche, 29 juin 2008
Monsieur Josse
Pierre Auguste BLETON naquit à Lyon, le 23 juin 1834, et mourut sur le sol de cette même ville en 1911. Il appartient à ce clan de bourgeois érudits qui, pour un public de lecteurs restreint mais passionné, ont forgé autour de Clair Tisseur et de quelques autres "l'âme lyonnaise". L'âme lyonnaise, dite aussi « lyonnaiserie » par ses détracteurs, c’est un mouvement littéraire local teinté d’un romantisme fort décalé, d’un décadentisme certain et d’un goût pour l’érudition archéologique qui assure encore sa spécificité et demeure garant de son relatif sérieux. Car il faut aussi reconnaître à la plume de chacun de ces écrivains-notables à la double vie une bonne part de ludisme et une certaine dose d'ironie et d'auto-dérision. D’abord joailler, Auguste Bleton a débuté dans la presse en 1884 au Courrier de Lyon. Quatre années plus tard, il est devenu rédacteur au Lyon Républicain. Il se fait remarquer dans toute la France comme l’un des principaux initiateurs du mutualisme (il fut le fondateur de la Société du secours mutuel des ouvriers sur or et argent et demeura membre du Conseil supérieur de la Mutualité) Il a par ailleurs enseigné l’économie politique à La Martinière. Monsieur Josse (tel est son pseudo littéraire) fut, on le voit, très impliqué dans le tissu social et intellectuel de sa ville, qu’il connaissait, si j’ose dire, sur le bout des talons pour l’avoir en long, large et travers, d'un bout à l'autre arpenté. Auguste Bleton publia donc de nombreux travaux, soit sous son propre patronyme, soit sous ce pseudonyme de Monsieur Josse ; plusieurs livres dont une petite histoire populaire de Lyon (1885), le fameux Lyon pittoresque illustré par Joannés Drevet et devenu depuis pièce de musée (1896), un recueil de huit nouvelles, fantaisies à la gloire du chemin de fer (Entre deux trains – 1892), un ouvrage de référence sur la fabrique, Lyon, l’Ancienne fabrique de soierie (1897). Voici comment, dans deux préfaces de sa main, il présente la nécessité et la tonalité de deux de ses ouvrages. Le livre d’histoire populaire, tout d’abord :
« L’enfant de Lyon quitte le plus souvent les bancs de l’école sans avoir une idée, même générale de l’histoire de sa ville natale. L’histoire de France est à peu près muette sur ce sujet, et les compendieux travaux des écrivains lyonnais ne s’adressent point aux écoliers. Nous avons-nous-même souffert, dans notre jeunesse, de cette absence d’un petit livre relatant en quelques pages les principaux faits qui intéressent la cité lyonnaise et répondent à ces mille questions qui se pressent sur les lèvres de l’enfant ».
Le livre de promenades, (A travers Lyon, signé monsieur Josse en 1887) dont le Voyage autour du Cheval de Bronze de Béraud formera quelques années plus tard un brillant pastiche, ensuite :
«Je fais partie de ces promeneurs errants que parfois l’on rencontre – surtout dans nos anciens quartiers – et qui s’en vont, laissant vaguer leurs pas et trotter leur imagination, admirant la vieille cité jusque dans ses verrues et vivant, pour une heure, dans un passé qu’ils évoquent à plaisir. A ceux qui auraient le goût de ces excursions, mais qui hésitent à les accomplir seuls ; à ceux qui, les ayant faites, ne seraient pas fâchés de savoir ce que pense un autre et de relever dans ses dires quelque erreur ou quelque énormité, j’offre de cheminer ensemble à travers Lyon. »
Si ce joli petit livre est plus documenté, mieux écrit que celui, à peu près contemporain, du baron Raverat, c’est que Bleton s’adresse à la bourgeoisie lyonnaise bien plus qu’au voyageur de passage, à l’autochtone complice bien plus qu’au touriste ; par exemple, dans le chapitre consacré à la rive gauche du Rhône, on y discute de l’incongruité du doublement du t et du pluriel de Brotteaux en rappelant la chanson (allons au broteau), on y passe le Pont de Bois (Pont Morand) en retraçant l’historique de son droit de péage en liard (division perdue du sou)… Enfin, Auguste Bleton, qui fut l’un des rares membres de la première Académie du Gourguillon (le sixième ou le septième, je crois) fondée par Puitspelu, rédigea non sans rire et sous le pseudo de Mami Duplateau, guimpier, la véridique histoire de la dite Académie, en 1898 :
Vous n'êtes pas sans avoir entendu parler de l'illustre, alme et inclyte compagnie. Pour peu qu'il vous plaise d'en connaître les statues, je puis vous donner satisfaction, pour les parties principales du moins, bien qu'il n'existe que sept exemplaires des lettres patentes de fondation, et que ce soit braconner en chasse gardée que de mettre le nez dans ce très précieux document. Donc l'Académie se propose la préservation des traditions lyonnaises, et les statuts déclarent "idoine à faire partie d'icelle quiconque a contribué à la dicte préservation, par la plume, le pinceau, le ciseau, le burin, le composteur ou la navette." Stipulé que les dicts travaux auront expressément le caractère populaire et seront propres à chatouiller la rate, "pour autant que le rire est ce qui faict le plus de plaisir et ce qui couste le moins". Dont suit que les travaux exclusivement graves ne constituent pas titre. Illustrant cette règle par un exemple, une nouvelle dissertation sur l'emplacement du temple d'Auguste serait insuffisante.
Monsieur Josse est mort en 1911. Il incarne jusqu'à la perfection, jusqu'à la caricature, le citoyen de ce que Stefan Zweig appela en 1945 "Le Monde d'hier". Humaniste confiant dans la modernité, travaillant avec d'autres au progressisme, d'une part; suffisamment fin, lettré et intelligent pour ne pas remettre en cause la nécessité des traditions et les vertus de l'autorité d'autre part. Un homme du dix-neuvième siècle, autrement dit. Trois années après la disparition de monsieur Josse et de ses doctes plaisanteries, l'univers dans lequel il aimait à se promener volait en éclat. Et il n'a pas fini, semble-t-il, de voler. Pour le meilleur. Comme pour le pire.
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mercredi, 25 juin 2008
Le Baron Raverat
Le baron François Achille Napoléon Raverat est né en 1812 à Crémieu (Isère), où l'ancien cours des Tilleuls a été rebaptisé à son nom. Son père avait été anobli par Napoléon 1er en raison de ses glorieux services, de ses faits d’armes et de ses blessures. Après 42 années passées à la tête d'un cabinet de dessin, Raverat fils entama une carrière "littéraire" en rédigeant une notice sur la vie militaire de ce père bonapartiste. C'était dans l'air du temps, Napoléon "le petit", comme disait alors Victor Hugo, ayant mis la main sur le pouvoir politique en France. Encouragé par ce premier succès, le baron, qui aimait se promener et qui aimait lire, se spécialisa dans un genre porteur et promis à un bel avenir, celui des «guides, promenades & excursions historiques, pittoresques et artistiques », éditant - parfois chez l’auteur, parfois dans une librairie locale - (Maisonviole à Grenoble, Maton à Lyon) une série d’ouvrages aujourd’hui quasiment introuvables. A en croire ce qu’il raconte, il aurait donc baladé ses guêtres de 1860 à 1880 dans toute la contrée rhône-alpine: Haute Savoie, Savoie, Dauphiné, Vallée du Bugey, Massif central ; la plupart de ces volumes valent, à titre de documents, le détour : et cependant furent-ils fabriqués au cours de promenades véritablement effectuées ou à l’occasion de fréquents séjours en bibliothèques ?
Les contemporains du baron pouvaient à juste titre se poser la question, car ils n’apportent que rarement une information nouvelle par rapport aux travaux d’érudition antérieurs à leurs publications. C’était probablement des recueils et des compilations de seconde main. Mais aujourd’hui, régions, villes, monuments, ayant été si transformés, on trouve un charme désuet à parcourir ces pages jaunies, parsemées ça et là de mouillures. En feuilletant les pages du baron on comprend que ce type d’ouvrage représentait alors un marché car il satisfaisait la curiosité d’un public moderne. Depuis la Monarchie de Juillet, se développait en effet un véritable engouement – voire une fascination – pour l’exploration touristique des « provinces », la découverte géographique et historique des pays. Cet engouement pour le tourisme, dont Flaubert, avec son Bouvard et Pécuchet, dressa une satire drôle et efficace, allait de pair avec le développement parallèle des chemins de fer et celui de la photographie. D’ailleurs, à son « De Lyon à Montbrison, édité en 1876, comme à son « De Lyon à Genève » (1878) et à son « De Lyon à Grenoble » (1879) l'habile baron ne manqua pas de joindre pour chacun une carte de chemin de fer ; à son « Dauphiné » de 1877, une vue photographiée de la Grande Chartreuse, en lieu et place de la traditionnelle gravure. Nul doute que ces ajouts devaient constituer un plus, un bonus, un argument de vente aux yeux du public de l’époque. C'était le début d’une forme de vulgarisation appelée à un grand avenir. Elle déplut fortement aux vrais érudits, certes, qui reprochèrent au baron ses emprunts trop fréquents, trop faciles, voire ses plagiats, sa langue un peu trop journalistique et parfois incorrecte, ses lieux communs et ses clichés ; que diraient-ils aujourd’hui ? La vulgarisation de nos aïeux ne manque pas, avec le recul, d’un certain charme, tant elle fait preuve de naïveté. Voici, pour preuve, un passage de «Notre vieux Lyon» (chez Meton, libraire, 1881), consacré à l’exploration, par le baron, du vieux quartier Saint-Paul :
«Pour l’historien et pour l’archéologue qui aiment à étudier et les mœurs et les habitudes de nos ancêtres, pour l’artiste comme pour le simple amateur, le vieux quartier de Saint-Paul était assurément l’un des plus curieux à parcourir de tous ceux qui constituaient notre antique cité. Là, on trouvait autour de l’église un véritable réseau de petites ruelles resserrées, tortueuses, sombres, inabordables aux voitures. Les maisons dataient, pour la plupart, du moyen-âge. Elles offraient à l’œil l’aspect le plus sordide. Leurs fenêtres à croisillons, quelques-unes à guillotine et munies du légendaire papier huilé n’y laissaient pénétrer qu’un jour avare ; les allées surbaissées, l’escalier à colimaçon, les cours exiguës, les impasses ou culs-de-sac, formaient un tableau saisissant de la misère et de la malpropreté. Rarement le soleil l’éclairait de ses rayons bienfaisants, et rare aussi était cet air pur, première condition de la vie. On y sentait le froid, l’humidité, on y respirait une atmosphère fétide.»
Le baron mourut à Lyon en 1890. Il avait été membre de la très provinciale Société Littéraire de Lyon, et son président depuis 1880.
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lundi, 02 juin 2008
Jules Sylvestre
La bibliothèque municipale de la Part Dieu a mis en ligne quelques-unes de ses collections patrimoniales et régionales : soit 30 000 images « prêtes à voir », issues de plusieurs fonds anciens et régionaux d'estampes, d'affiches, de photographies, ou d'enluminures de toutes sortes...). Parmi elles se trouve le fond Jules Sylvestre, qui se compose d’environ 4500 vues concernant Lyon et Villeurbanne, durant une période qui s'étend de 1850 à 1950.
Photographe lyonnais né en octobre 1859, Jules Sylvestre avait ouvert en 1892 un atelier photographique au 23 cours de la Liberté, qui émigra six ans plus tard non loin de là, au 2 rue de Bonnel.
Dès le tournant du siècle, il fut, contacté par la Commission municipale du Vieux-Lyon, composée d'une vingtaine de bibliophiles et d’érudits lyonnais, afin de les aider à conserver « par l’image et la description » le souvenir des maisons, monuments et quartiers artistiques appelés à disparaître en raison du remaniement industriel subi par la cité. En parcourant du regard les vues ainsi mises en ligne, on peut ainsi aisément se rendre compte du bouleversement considérable que représentèrent les grands travaux d’urbanisme effectués à partir du Second Empire et réalisés à la mode hoffmannienne, sous l’impulsion du tout-puissant et impérial préfet d'alors, Claude Marius Vaïsse : d'un côté surgissent à nouveau les anciens édifices promis à la démolition, d'un autre on voit s’élever les nouveaux, en construction.
Et d’un siècle à l’autre, Lyon tourne ses pages.
08:52 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : photographie, culture, lyon, jules sylvestre, vieux lyon |
lundi, 21 avril 2008
Le Père Coquillat
Les illustres disparus ont leur plaque commémorative pour se rappeler à la mémoire des badauds. Si vous vous promenez à Lyon, dans le premier arrondissement, vous en trouverez-une au 7 de la rue Diderot (à l’endroit où ça grimpe) qui, en substance, raconte cela :
« Ici a fonctionné le Thiatre lyonnais de la Gaieté créé par le Père COQUILLAT (1831-1915). AMICAL COQUILLAT EN SOUVENIR »
Un vieux prospectus, à présent : Théâtre de la Gaîté – 7 rue Diderot Dimanche 2 mai – Pour la première fois à Lyon, le plus grand succès de l’Ambigu : LA MOME AUX BEAUX YEUX - Drame en six tableaux… Suit le détail des tableaux du mélodrame populaire : « Une égarée – La nuit sinistre – Le rapide de Mulhouse – Folie d’Amour – Ce qu’on voit à travers une fenêtre. Les fleurs poussent... »
Une centaine de personnes se coudoient dans la salle, les jours où son propriétaire a fait le plein. Une galerie, au-dessus, en supporte cinquante autres. Une petite scène, la rampe éclairée avec des becs de gaz que le patron des lieux venait parfois régler en cours de spectacle. Neuf toiles de fond pour les décors, huit trappes pour les effets spéciaux. Le chahut est fréquent dans l’assistance où tout le monde se connaît car tous sont gens de la Colline ou du Plateau.
Maintes-fois le Père Coquillat doit suspendre la représentation.
A l’entracte, il rappelle « qu’on est prié de pas pisser dans la cour ».
Description qu’en fait Henri Béraud en 1912 (Marrons de Lyon, « Théâtres à côté ») :
« Le Père Coquillat est un vieillard sec et droit. Il s’exprime d’une voix claire et trainante, avec de pittoresques locutions, en bon canut qu’il est. Car l’art dramatique, auquel il a pourtant dédié sa vie, n’est pour lui qu’un accessoire : le père Coquillat n’a jamais cultivé les planches qu’en amateur, à temps perdu. Son métier de tisseur est là, derrière son théâtre, et le bistenclac en retentit pendant les longues laborieuses. Seulement, chaque soir venu, le canut se fait impresario. Il pose sa navette et d’un pied de jeune premier, court au-devant des enthousiasmes populaires… »
Et de fait, tous les mélodrames et tous les vaudevilles du célèbre Boulevard du Crime parisien sont passés par la modeste scène de la rue Diderot : Les Deux Orphelines, La Porteuse de Pain, La Tour de Nesle, Le Bossu, Le Chevalier de Maison Rouge, Les Pirates de la savane, Julie ou la Fille du marchand de coco, Michel Strogoff, et même Ruy Blas... Répertoire d’un peuple et d’une époque. Né un an tout juste après 1830, sa bataille d’Hernani et sa Révolution de Juillet, le Père Coquillat, en homme pas pressé et toujours un peu décalé, mourut un an après 1914, le suicide de l’Europe et du « monde d’hier », comme l’entend Stefan Zweig. Le vieux théâtre des canuts d’antan demeure, comme un reliquat auquel on n'ose toucher, car on ne sait trop qu'en faire. Alors la mairie du 1er arrondissement de Lyon en a fait une salle municipale dans laquelle elle héberge des associations et tient des conseils de quartier. Patronage.
Quelques mots savoureux du peintre Pierre Combet-Descombes qui, durant son adolescence, fut un spectateur assidu des productions du père Coquillat : « Vrai théâtre populaire, dans lequel jouaient les gens du quartier, ouvriers ou employés de magasin, un public de vrais gens»
Vrai théâtre populaire ...
En ces temps-là ...
Sur le père Coquillat, d'autres informations ICI
10:14 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, théâtre, lyon, marmite colbert, coquillat |
lundi, 28 janvier 2008
Au juge Onofrio
On croit se douter d'après des rapports de police que Guignol naquit le 24 octobre 1808, dans un café de la rue Noire, à Lyon. C'est pourquoi la ville de Colomb et d'Aulas s'apprête à célébrer le bicentenaire de l'illustre marionnette à gaine. Cela dit, cette date de naissance est purement arbitraire (Guignol serait-il donc balance ?), car nul ne sait avec précision quand au juste l'accent canant de son créateur Laurent Mourguet (1769-1844) se fit entendre sous sa robe pour la première fois entre Rhône et Saône. De même les premières pièces de Guignol sont-elles définitivement perdues. Il fallut attendre 1860 pour voir réuni en deux volumes un premier répertoire lyonnais de Guignol, grâce à la patience d'un spectateur averti qui, au sortir du théâtre, recopiait de mémoire les répliques qui fusaient. Guignol, à priori, n'aime pas les juges; eh bien c'est à un juge du nom d'Onofrio qu'il doit pourtant la survie éditoriale de ses premiers textes. Du texte original, vraiment ? Le sel de la Gaule abondait en trop grande part, confesse le juge Onofrio (1814-1892) dans la préface de l'édition de son premier théâtre de Guignol(Scheuring, Lyon, 1865) aussi, en digne borjois, a-t-il jugé bon d'en retirer tout ce qui lui paraissait trop licencieux. A quoi ressemblait ce premier théâtre de 1808 ? Impossible à dire. Il se peut bien que ce bi-centenaire, par conséquent, soit celui d'une légende. Qu'importe.
Au contraire de Mourguet, dont le visage était rond ( voir croquis ci-contre) le visage d'Onofrio était sec. Le juge Onofrio fut à la fois une bénédiction et une malédiction pour Guignol : si d'un côté il tirait en effet de l'oubli le répertoire initial, dont le premier Déménagement, d'un autre, il en transformait vilainement l'esprit. On peut se demander légitimement ce que serait devenu par exemple Rabelais si le sel de la Gaule résidant en ses écrits était passé, lui aussi, par le tamis de la bienséance bourgeoise du dix-neuvième siècle. En migrant du cabaret du Premier Empire au salon du Second, nul doute que Guignol, qui était fort vindicatif, dut apprendre à n'être que pittoresque. Qui était fort ordurier dut se contenter de n'être qu'un peu grossier. N'empêche. Comme Boudu, sauvé des eaux, l'existence protéiforme de la marionnette pouvait prendre un nouvel essor grâce au juge Onofrio, dont le patronyme est désormais attaché à celui de Guignol et de Gnafron, pour le meilleur comme pour le pire. Extrait de la complainte des mal-logés, des mal-orientés, mais bon-buveurs et bon-vivants:
Guignol : Pourquoi paierais-tu pas à déjeuner ?
Gnafron : Pourquoi ? C'est que je suis comme toi. Nos goussets sont deux frères bessons. J'ai ben vendu hier quatre paire de grolles, qu'on m'avait donné à ressemeler, mais personne m'a jamais donné de pécuniaux. Ah vois-tu! C'est pas le Pérou que d'être cordonnier.
Guignol : T'as raison ! La savaterie et la canuserie, ça donne pas gras à boire ! Il faut qu'on trouve un autre état. Père Gnafron, nous avons manqué not-vocation : nous avons de vrais organes pour chanter des opéraux.
Gnafron : C'est vrai, Chignol. Te ferais un joli ténor. Et moi, avec ma basse-taille, je te soutiendrais par derrière. (Ils massacrent un air d'opéra)
14:45 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : guignol, théâtre, onofrio, lyon, mourguet, marionnette |