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samedi, 19 septembre 2009

Promenades de Monsieur Josse


Journées du patrimoine : Monsieur Josse, ami de Solko & promeneur infatigable par les ponts, les places, les boulevards et les rues en pente, aurait aimé vous livrer  quelques clichés d'une ville en réaménagement perpétuel. Mais il semble que les compétences techniques de monsieur Josse, comme celles d'ailleurs de Solko, ne soient pas à la hauteur du projet : aussi, si vous ne pouvez pas visionner la video ci-dessus, la maison vous prie de lui pardonner son incompétence technologique. Elle fera mieux l'an prochain.

Et pour faire bonne mesure, Nizier du Puitspelu, autre ami de Solko & monument du patrimoine local, vous offre ces quelques lignes de sa main, tirées des Vieilleries Lyonnaises  :

 

« On ne se laisse pas, souventefois, de rencontrer des gens ayant peine à comprendre que l’on puisse aimer le vieuximg1454.jpg Lyon, même le regretter. Hé quoi ! disent-ils, renouvelant des plaisanteries un peu fripées, vous préférez donc le pavé pointu au caillou plat, la cadette au trottoir, le cul-de-sac Saint-Charles à la rue Impériale ?

Les bonnes âmes ignorent-elles que plus d’une fois, il arrive d’aimer les choses et les gens indépendamment de ce qu’ils sont : parce qu’on les aura vus jeunes, parce que leur présence fait revivre un passé mort ; parce qu’ils vous tiennent enfin par le meilleur de vous-même.  Les choses, à part elles, ont peut-être leurs poids, mesures et conditions, mais au-dedans de nous, l’âme les taille comme elle l’entend. Parfois, leurs défauts même nous attirent : Veluti Balbinum polypus Agnae.

On a pour le vieux Lyon quelque chose de ce qu’on a pour sa mère. Peu vous chaut que celle-ci fût une bonne femme. On l’aime mieux ainsi que si elle eût été princesse. Et ceux qui s’en émerveillent, ce qu’ils ont à de mieux à faire, c’est de ne pas s’en vanter. »

Nizier du Puitspelu, « Pourquoi l’on aime le vieux Lyon », Les Vieilleries lyonnaises (1879)

 

 

 

 

 

Entre nous, elles sont d'ailleurs bien étranges, ces journées du patrimoine, par lesquelles se réalise une vieille prédiction des situationnistes : "La France est condamnée à plus ou moins long terme à devenir un parc culturel européen."

Cette prédiction en reprenait une, plus ancienne encore (1934), puisqu'au moment de la61114_Big.jpg faillite de la fabrique de la soie, Marcel Grancher écrivait, dans un roman nommé Au mal assis (roman assez sympathique d'ailleurs) : "D'ici cinquante ans, Lyon sera une ville dans le genre de Bruges"

Le cul du XXIème siècle, que d'aucuns avaient prédit devoir être celui d'explorateurs dignes de Jules Verne, se retrouve donc dans la réalité à ne péter guère plus haut que le cul de Bouvard et Pécuchet.

C'est déjà pas si mal, dirait ce cher Gustave, ironique et bien élevé, s'il avait eu l'heur de le contempler et de le juger, à l'aune de ces journées-là ...

 

 

 

 

17:19 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : nizier du puitspelu, monsieur josse, auguste bleton | | |

dimanche, 29 juin 2008

Monsieur Josse

Pierre Auguste BLETON naquit à Lyon, le 23 juin 1834,  et mourut sur le sol de cette même ville en 1911. Il appartient à ce clan de bourgeois érudits qui, pour un public de lecteurs restreint mais passionné, ont forgé autour de Clair Tisseur et de quelques autres "l'âme lyonnaise". L'âme lyonnaise, dite aussi « lyonnaiserie » par ses détracteurs, c’est un mouvement littéraire local teinté d’un romantisme fort décalé, d’un décadentisme certain et d’un goût pour l’érudition archéologique qui assure encore sa spécificité et demeure garant de son relatif sérieux. Car il faut aussi reconnaître à la plume de chacun de ces écrivains-notables à la double vie une bonne part de ludisme et une certaine dose d'ironie et d'auto-dérision. D’abord joailler, Auguste Bleton a débuté dans la presse en 1884 au Courrier de Lyon. Quatre années plus tard, il est devenu rédacteur au Lyon Républicain. Il se fait remarquer dans toute la France comme l’un des principaux initiateurs du mutualisme (il fut le fondateur de la Société du secours mutuel des ouvriers sur or et argent et demeura membre du Conseil supérieur de la Mutualité) Il a par ailleurs enseigné l’économie politique à La Martinière. Monsieur Josse (tel est son pseudo littéraire) fut, on le voit, très impliqué dans le tissu social et intellectuel de sa ville, qu’il connaissait, si j’ose dire, sur le bout des talons pour l’avoir en long, large et travers, d'un bout à l'autre arpenté. Auguste Bleton publia donc de nombreux travaux, soit sous son propre patronyme, soit sous ce pseudonyme de Monsieur Josse ; plusieurs livres dont une petite histoire populaire de Lyon (1885), le fameux Lyon pittoresque  illustré par Joannés Drevet et devenu depuis pièce de musée (1896), un recueil de huit nouvelles, fantaisies à la gloire du chemin de fer (Entre deux trains – 1892), un ouvrage de référence sur la fabrique, Lyon, l’Ancienne fabrique de soierie (1897). Voici comment, dans deux préfaces de sa main, il présente la nécessité et la tonalité de deux de ses ouvrages. Le livre d’histoire populaire, tout d’abord :

« L’enfant de Lyon quitte le plus souvent les bancs de l’école sans avoir une idée, même générale de l’histoire de sa ville natale. L’histoire de France est à peu près muette sur ce sujet, et les compendieux travaux des écrivains lyonnais ne s’adressent point aux écoliers. Nous avons-nous-même souffert, dans notre jeunesse, de cette absence d’un petit livre relatant en quelques pages les principaux faits qui intéressent la cité lyonnaise et répondent à ces mille questions qui se pressent sur les lèvres de l’enfant ». 

Le livre de promenades, (A travers Lyon, signé monsieur Josse en 1887) dont le Voyage autour du Cheval de Bronze de Béraud formera quelques années plus tard un brillant pastiche, ensuite :

«Je fais partie de ces promeneurs errants que parfois l’on rencontre – surtout dans nos anciens quartiers – et qui s’en vont, laissant vaguer leurs pas et trotter leur imagination, admirant la vieille cité jusque dans ses verrues et vivant, pour une heure, dans un passé qu’ils évoquent à plaisir. A ceux qui auraient le goût de ces excursions, mais qui hésitent à les accomplir seuls ; à ceux qui, les ayant faites, ne seraient pas fâchés de savoir ce que pense un autre et de relever dans ses dires quelque erreur ou quelque énormité, j’offre de cheminer ensemble à travers Lyon. » 

Si ce joli petit livre est plus documenté, mieux écrit que celui, à peu près contemporain, du baron Raverat, c’est que Bleton s’adresse à la bourgeoisie lyonnaise bien plus qu’au voyageur de passage, à l’autochtone complice bien plus qu’au touriste ; par exemple, dans le chapitre consacré à la rive gauche du Rhône, on y discute de l’incongruité du doublement du t et du pluriel de Brotteaux en rappelant la chanson (allons au broteau), on y passe le Pont de Bois (Pont Morand) en retraçant l’historique de son droit de péage en liard (division perdue du sou)… Enfin, Auguste Bleton, qui fut l’un des rares membres de la première Académie du Gourguillon (le sixième ou le septième, je crois) fondée par Puitspelu, rédigea non sans rire et sous le pseudo de Mami Duplateau, guimpier, la véridique histoire de la dite Académie, en 1898 :

Vous n'êtes pas sans avoir entendu parler de l'illustre, alme et inclyte compagnie. Pour peu qu'il vous plaise d'en connaître les statues, je puis vous donner satisfaction, pour les parties principales du moins, bien qu'il n'existe que sept exemplaires des lettres patentes de fondation, et que ce soit braconner en chasse gardée que de mettre le nez dans ce très précieux document. Donc l'Académie se propose la préservation des traditions lyonnaises, et les statuts déclarent  "idoine à faire partie d'icelle quiconque a contribué à la dicte préservation, par la plume, le pinceau, le ciseau, le burin, le composteur ou la navette."  Stipulé que les dicts travaux auront expressément le caractère populaire et seront propres à chatouiller la rate, "pour autant que le rire est ce qui faict le plus de plaisir et ce qui couste le moins". Dont suit que les travaux exclusivement graves ne constituent pas titre. Illustrant cette règle par un exemple, une nouvelle dissertation sur l'emplacement du temple d'Auguste serait insuffisante.

Monsieur Josse est mort en 1911. Il incarne jusqu'à la perfection, jusqu'à la caricature, le citoyen de ce que Stefan Zweig appela en 1945 "Le Monde d'hier". Humaniste confiant dans la modernité, travaillant avec d'autres au progressisme, d'une part; suffisamment fin, lettré et intelligent pour ne pas remettre en cause la nécessité des traditions et les vertus de l'autorité d'autre part. Un homme du dix-neuvième siècle, autrement dit. Trois années après la disparition de monsieur Josse et de ses doctes plaisanteries, l'univers dans lequel il aimait à se promener volait en éclat. Et il n'a pas fini, semble-t-il, de voler. Pour le meilleur. Comme pour le pire.