samedi, 25 octobre 2008
Le mur d'Alceste
Rue Descartes, à Pampelune, un graff en noir recouvert de rouge, sur fond gris, fort sympa :
14:39 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : littérature, molière, alceste, graff, descartes |
jeudi, 23 octobre 2008
Clio, Descartes et les moissons
Le 15 mai 1942, la Banque de France lance l'impression d'un premier alphabet de cette très belle coupure en hommage au philosophe René Descartes (1596-1650). Le choix d'un grand homme pour figurer sur un billet, à tel ou tel moment de l'Histoire, a toujours quelque chose d'étonnant. Pourquoi Descartes, en 1942 ? A quelle raison le pays occupé, grignoté par le doute, avait-il alors besoin de se rendre ? La réponse, en tous cas, est assez belle à regarder. Le vert est la couleur dominante du billet; un vert tendre, presque printanier : on dit que c'est la couleur de l'espoir. Grave et un peu souriant, l'auteur du Discours de la Méthode siège au tout premier plan. Derrière lui la muse Clio maintient de son bras dodu et rose un volume relié, celui sur lequel doit s'écrire à l'insu de chacun d'entre nous le cours des événements. Volume sur lequel elle s'appuie. Dans un bel effet de symétrie, tous deux, le philosophe et la muse nous contemplent. Solennel et inattendu duo. La composition de Lucien Jonas joue sur une très belle harmonie entre ce vert tendre des frondaisons, du drapé de Clio & la couleur pourpre du pourpoint plissé. Sur le côté gauche, le rond crémeux du filigrane, formé en partie par le bras courbé de la muse, en partie par le feuillage qui se découpe, profile un espace vierge, une échappée pour les esprits que pressent les angoisses du moment présent. Ce qui sépare les deux personnages, c'est, posé entre eux, la silhouette toute débonnaire d'un sablier. Entre ce que les classiques appelaient nature et culture, un équilibre est ainsi suggéré, dont 1942, comme 2008, avait sans doute particulièrement besoin.
« Vous pouvez douter avec raison de toutes les choses dont la connaissance ne vous vient que par l'office des sens. Mais pouvez-vous douter de votre doute et rester incertain si vous doutez ou non ? ... Vous qui doutez, vous êtes, et cela est si vrai que vous ne pouvez en douter davantage. »... Dédié au père du Cogito ergo sum (qu'avec raison, Hannah Arendt le rappelle dans Condition de l'homme moderne, on devrait nommer Dubito ergo sum), ce billet parait donc avoir été imprimé pour que la France, alors en pleine débâcle, renoue avec l'une de ses plus fières traditions : la maîtrise du doute.
Le billet ne circula réellement que du 19 juillet 1944 au 4 juin 1945. Et pourtant, il me semble, oui, bel et bien l'avoir eu en poche, un jour. A l'heure où le doute a cessé d'être universel pour se borner à n'être que planétaire, a cessé d'être philosophique pour devenir platement existentiel -. allez donc savoir pourquoi me trouble tant cette Victoire Ailée du verso de ce Cent Francs Descartes, une Victoire aux plis de bronze, toute occupée à inscrire sur le revers de son bouclier le mot PAX, un peu comme nous le faisions sur l'ardoise que nous tendions au maître d'école de notre enfance. PAX.
Tandis qu'au loin, le long d'un sentier boueux, tiré par quatre chevaux, une charrette de foin se dirige vers la maison, la moisson faite. La présence de l'allégorie ne dérange personne, dans cette France rurale : la charrette passe, poussée par de lourds animaux, aux pas lents. Les deux univers, celui de l'épargne et celui de l'agriculture, semblent se côtoyer harmonieusement. Et donc, malgré le doute, l'ordre règne.
Le billet fut retiré de la circulation le 4 juin 1945, sur les ordres du Gouvernement. Il s'agissait de faire perdre toute leur valeur aux nombreuses coupures qu'avaient saisies les Allemands et dérobées les auteurs d'un hold-up à la Michel Audiard, non loin des portes de l'imprimerie à Clermont-Ferrand. Le Cent francs Descartes fut alors remplacé par le Cent francs Jeune Paysan & je ne saurai jamais pourquoi il me demeure encore si familier. Ainsi prirent fin, en ces années particulièrement agitées de l'Histoire de France, les tribulations monétaires d'un philosophe qui avait, certes, imaginé les pires cauchemars (de l'absence de toute réalité véritable à l'existence d'un dieu trompeur omnipotent), mais pas celui de naviguer de poche en poche au travers d'une Guerre Mondiale, le visage scotché sur un billet de cent francs. Comme quoi tout peut arriver, le pire comme le meilleur, le meilleur comme le pire, ainsi en a décidé l'Histoire : fous que nous sommes, et trop bardés de certitudes, nous devrions n'en jamais douter.
07:03 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : monnaie, billets français, descartes, clio, littérature, crise, philosophie |