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lundi, 26 septembre 2011

La monomane de l'envie

La brève existence de Géricault, dont quelques amateurs enchantés fêtent aujourd’hui l’anniversaire de naissance, est si éloignée de nos références et de nos soucis quotidiens qu’on a l’impression en parcourant des yeux les étapes de sa vie d’un personnage aux contours aussi intransigeants qu’irréels, comme l’Empire et ses prodigieuses batailles en produisirent dans quelques grands romans avant que le pays ne perdît à jamais tout sens et tout goût de sa grandeur. Songer qu’il est mort à 32 ans après avoir laissé je n’ose dire des tableaux mais bien plutôt des images, comme Le chasseur de la Garde ou encore Le Radeau de la méduse-  des images au sens propre monumentales au même titre que l’Arc de Triomphe ou la Madeleine,  mort à 32 ans après avoir été mousquetaire de Louis XVIII  (il y a là quelque chose de déjà comiquement anachronique) - des conséquences d’une chute de cheval doublée d’une ruine financière, comme si la Terre brusquement n’avait plus voulu de lui, songer à Géricault, à ces trois syllabes aux accents inévitablement bibliques telle cette  route sinueuse qui, de Jérusalem à Jéricho dévale les monts de Judée et sur laquelle le Christ rencontra le bon samaritain, ces trois voyelles si claironnantes et si fermées, si passionnées, si colorées aussi.

Le musée de Lyon possède l’un des cinq portraits de folles peints par le jeune Théodore pour  le médecin chef de la Salpêtrière, le docteur Georget, qui était aussi son ami.  Même si ce sont probablement  des œuvres de commande, se découvre quelque chose de très moderne dans l’intérêt de Géricault pour ces folles anonymes, qui contraste avec ses tableaux historiques à la Vigny. Une sorte de face à face troublant avec les coulisses de la gloire. La monomane de l’envie, (dite aussi La Hyène de la Salpêtrière) m’a toujours fait penser au personnage de la cousine Bette, l’ouvrière en passementerie « énergique à la manière des montagnards », l’héroïne d’un des romans de Balzac les plus à mon goût. Balzac et Géricault ne reposent pas très loin l'un de l'autre, au Père-Lachaise. C’est ce rapport étroit entre folie et pauvreté, cette peinture du manque comme de la peur de manquer et finalement son dépassement dans la folie de l'envie qui, je crois, fascine en cette peau terne, ces sourcils froncés, cet œil vif, ces lèvres effilées, tout comme dans le portrait de Lisbeth Fischer, l'héroine balzacienne : 

« Cet esprit rétif, capricieux, indépendant, l’inexplicable sauvagerie de cette fille, à qui le baron avait par quatre fois trouvé des partis (un employé de son administration, un major, un entrepreneur des vivres, un capitaine en retraite), et qui s’était refusée à un passementier, devenu riche depuis, lui méritait le surnom de Chèvre que le baron lui donnait en riant. Mais ce surnom ne répondait qu’aux bizarreries de la surface, à ces variations que nous nous offrons tous les uns aux autres en état de société. Cette fille, qui, bien observée, eût présenté le côté féroce de la classe paysanne, était toujours l’enfant qui voulait arracher le nez de sa cousine, et qui peut-être, si elle n’était devenue raisonnable, l’aurait tuée en un paroxysme de jalousie ». 

(Balzac, La cousine Bettte, ch. 4)

 

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La Monomane de l’envie, Musée des Beaux-Arts, Lyon

 

Géricault comme Balzac sont deux mythes français tels que le pays n'en produira jamais plus, car nous avons définitivement changé d'échelle, de monde et de culture. Mourir comme Balzac, aujourd'hui, mourir à 51 ans, c'est mourir jeune. Que dire  de mourir à 32 ans, comme Théodore Géricault ? Pourtant, aucun de ceux qui meurent aujourd'hui à 32 ou 51 ans d'un accident ou d'une maladie n'ont produit Le Radeau de la Méduse ou la Comédie Humaine. Cela ne se peut plus, l'époque s'y refuse, n'en fournit plus la nécessité ni les moyens et l'on ressent comme un vertige à se sentir à la fois si proches et si éloignés de ces artistes, dont seulement pourtant quelques générations nous séparent. 

 

 

dimanche, 21 août 2011

Autoportrait à l'Illustrator

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Vanité, vanité, dit l'Ecclesiaste, tout est vanité et poursuite du vent...

01:07 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : solko, vanité, autoportrait | | |

samedi, 26 février 2011

Eugène Brouillard, croix-roussien

C’est un beau nom que Brouillard pour un lyonnais. Je veux dire pour un lyonnais né en 1870, un de ceux qui connurent les heures tout emplies de légendes des lancinants jours de brouillard. Une plaque déjà ancienne célèbre la mémoire d’Eugène Brouillard, au 21/23  rue d’Austerlitz, non loin du Gros Caillou à Lyon, où s'écoula la plus grande partie de son temps, tandis qu'il peignit quelque deux milles tableaux. Non loin de là, dans les années 80, quelque fou a volé le buste de pierre qui le représentait.

Eugène Brouillard (1870-1950), tulliste de son état, demeura longtemps un autodidacte dans cette capitale de province qui n’aimait pas les peintres ; il effectua cependant sa première exposition à 19 ans, et fut l’un des fondateurs du salon d’automne au début du XXème siècle.

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Brouillard reprit souvent l’un de ses paysages préférés : les feux du couchant saisis dans les arbres en bordure des étangs de la Dombes. Paysages, maisons isolés,  ruines : on le sent pénétré de l’influence de Vernay, de Carrand, de Ravier. « Amant passionné des Dombes, Brouillard est le chantre ému des peupliers tremblants, des vernes et des bouleaux au bord des lones. De grands arbres décoratifs se mirant dans le Rhône, des troncs vieillis de mille colorations près des étangs solitaires, des touffes de verdure humides longeant des routes aux grasses ornières parmi un automne ardent et roux. Voilà les fidèles confidents des nappes mortes où survit peut-être la vision antérieure des canaux du Nord », écrivit Tancrède de Visan à son sujet, rappelant au passage que sa famille paternelle venait du Nord. A partir de 1920, Eugène Brouillard devint une sorte de peintre officiel avec notamment la commande de 18 panneaux que lui passa la mairie du IIIème arrondissement pour sa salle des mariages, le Poème des saisons, des arbres et des eaux dont on voit un motif ci-dessous.

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Ci-dessous, Après la pluie

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22:01 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : eugène brouillard, peinture, lyon, peintre lyonnais | | |

samedi, 18 décembre 2010

Une histoire de gros sous et de petits bouts de bois

Couleur du temps : Il y a, dans le monde qui existe lorsque je sors de chez moi, quelqu’un qui est capable de débourser 87.468 dollars pour acquérir un cercueil en bois de pin. Voilà qui laisse songeur. Nate D. Sanders, la maison d’enchères qui a réalisé cette vente, a refusé de communiquer le nom de l’acquéreur.

Le cercueil avait abrité l’assassin de JFK, Lee Harvey Oswald.

C’est en quelque sorte le cercueil d’un assassin de VIP, et donc un cercueil VIP soi-même puisque assassiner un président des USA fait instantanément de vous un VIP dans le monde actuel.

Je me demande combien Lee Harvey Oswald aurait négocié la vente de ses mémoires s’il n’avait été dézingué par Jack Ruby en novembre 63. Des mémoires qui auraient été forcément bidonnés, on l’imagine. Mais qu’importe.

Faute de mémoires en bonne et due forme, donc, le cercueil.  87.468 dollars : cela signifie que non seulement quelqu'un l'a, au final, emporté pour cette somme là, mais qu'il y a eu une lutte, un combat, que plusieurs se sont battus pour posséder de simples bouts de bois ayant abrité un jour le corps en putréfaction de l'assassin d'un président. Shakespearien au possible ! On peut imaginer à souhait, devant des bouts de planches moisies, la relativité des grandeurs de ce monde et tout le dérisoire des actions humaines, et comme on s’entre-tue dans la Cour des Grands. Mesdames, mesdemoiselles, messieurs, regardez bien la photo ci-dessous : Vous avez sous les yeux, pour méditer sur votre triste condition de consommateur, mieux encore que, pour méditer sur celle de mortel, le crâne de Yorick :  un cadavre d'assassin de président sans domicile fixe.

 

La veuve d’Oswald, une dénommée Marina, avait, après un test ADN effectué en 1981 ré-inhumé le corps de son époux dans un nouveau cercueil et celui-ci, conservé par l’entreprise de Pompes Funèbres qui avait pris en charge le second enterrement, vient donc de remporter cette espèce de record, bien qu’il soit, d’après le site internet du Dallas News, en  très mauvais état.

Moi qui possède un œil de collectionneur toujours aux aguets, je me demande si je ne vais pas commencer une collection.

Le cercueil de Claude François, celui de Diana, et, pour intellectualiser un peu la chose, celui de Michel Foucault, tiens, ce serait un joli commencement...

 

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17:56 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : lee oswald, société, actualité, dallas, vente aux enchères | | |

dimanche, 05 décembre 2010

Les nains de Disney

C’est aujourd’hui l’anniversaire de Walt Disney. S’il n’était mort en 1966, le souriant moustachu aurait l’âge hautement respectable de cent neuf ans. Walt Disney Company est devenu un tel empire étendant sur les cinq continents ses ramifications qu’on est en droit de se demander, si le patriarche n’était né, à quoi ressemblerait le monde aujourd’hui : outre un catalogue de 700 films, les studios et la chaîne ABC, onze Disney on Ice, quatre bateaux de croisières de 1000 places, un théâtre à Broadway, 140 oscars et 10,6 milliards de bénéfice annuel avec la totalité des parcs d’attraction… Et depuis peu, Raiponce, la princesse à la chevelure de vingt mètres de long.

Si Disney n’était pas né, ni Mickey ni Donald n’auraient, évidemment, vu le jour. Du moins sous cette forme. Sans cette représentation parodique de l’américain moyen, les années trente auraient-elles eu le même visage aux USA ? Et les années cinquante en France ? On peut parier que d’autres créatures auraient été promues à leur place par d'habiles managers afin d’occuper la même fonction.

Sans la presse du bon Walt, une certaine couleur des jeudis puis des mercredis de nos enfances aurait sans douté été différente. Mickey, pourtant, n’était bien vite devenu à mes yeux qu’un fade logo dans son propre journal, une sorte de manager dynamique qui coachait des figures plus hautes en couleurs : Guy l’Eclair, Pim Pam Poum, un certain homme préhistorique dénommé Onkr, dont on suivait les aventures grotesques et palpitantes de numéro en numéro.  

Sans Disney, une chose aurait cependant, j'en suis sûr, fait défaut à cette France de la seconde partie du XXème siècle, et c’est les nains de jardin.

Certes, direz-vous, la coutume est ancienne et remonte à l’Allemagne du XVIIème siècle. Mais comment ne pas penser qu’elle ne parvint jusqu’au XXIème siècle que parce qu’elle fut portée par le grand vent des studios Disney ?

Un qui ne s’était pas trompé fut Alexandre Vialatte qui, dans sa chronique des nains en céramique publiée en 1967, affirmait déjà que « le nain de faïence sort de Blanche Neige avec la barbe en cœur, surmonté d’un capuchon rouge, et remonte plus anciennement aux opéras de Wagner, aux contes de Grimm, aux Nibelungen. » Depuis les nains de jardins connurent leur front de libération : « Si je tenais l’enfant de gredin / qui m’a volé mon nain jardin » chanta Renaud en 2002…

 

Disney, grand fécondeur devant l’Eternel de nains de jardins par milliards  : l’image est parlante. « Notre but, c’est de brouiller la frontière entre l’art et l’entertainment, et nous imaginons ici à la fois de vraies pièces de théâtre, des parades, des spectacles en marionnettes, des feux d’artifice, des événements larger than life », explique Anne Hamburger, la présidente de Disney Creative Entertainement, à Frédéric Martel, l’auteur de Mainstream. Ce sont d’ailleurs ces mêmes nains, pères Noël miniatures devenus cariatides, qui soutiennent le toit du siège de la Walt Disney Company à Burbank en Californie.  Larger than life : Sur la photo, face au boss qui tient par la main sa créature, tout au sommet de la pyramide, les bras en l'air tel un leader des temps nouveaux : le géant Simplet… Prémonitoire, ce formidable Walt...

 

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dimanche, 21 novembre 2010

Alors, Vernay pleura

 

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Le 10 juin 1909  L'Art Libre éditait  à Lyon la plaquette d'Henry Béraud titrée François Vernay et illustrée par le peintre Jacques Martin. Elle rassemblait plusieurs articles publiés du 6 au 26 janvier de la même année dans l'Express de Lyon. En exergue, cette simple citation ô combien virulente, ô combien amère de Degas : On nous fusille mais on fouille nos poches.

La plaquette  débutait par ces lignes devenues légendaires : « Vers l'année 1897 mourut à Lyon un vieil artiste besogneux. Il se nommait François Vernay. On sait de lui qu'il vécut et travailla dans l'indifférence de ses concitoyens et qu'après une existence de misères et d'avatars, il mourut pauvre, dédaigné, ignoré, à l'hôpital. J'entreprends de raconter l'histoire de ce gueux»

C'était pour Béraud le prétexte de présenter au public de l'époque ce peintre en passe d'être reconnu, et de régler son compte à l'élite municipale composée, derrière Herriot et Bach Sisley, d'une bourgeoisie aussi bedonnante que béotienne. Il faut dire que la figure de François Miel, dit Vernay (1821- 1896), avait été pour ces notables provinciaux le vivant emblème de la bohème la plus scandaleuse qui soit : celle qui, se dégageant de ce que Baudelaire appela un jour  le bagne de la peinture pour désigner la Fabrique de soie dévoreuse de talents de dessinateurs, était partie par les chemins des lumineux paysagistes à la conquête des sentiers et des bois environnants, de Crémieu à Morestel. En préface du catalogue que le Musée des Beaux-Arts consacra à François Vernay à l'occasion du centenaire de sa tragique disparition, Jean-Jacques Lerrant rappelle quelle place ce gueux occupa entre Carrand et Ravier. 

Car il y a trois Vernay, tous trois remarquables : le peintre de natures mortes, le paysagiste, et celui des derniers dessins.

Du premier, voici ce que dit J.J.Lerrant, on ne saurait dire plus juste : « Quelle grâce majestueuse dans la plus intime de ces natures qu'on ne consent pas à dire mortes tant elles regorgent de sucs ! L'écorce, l'épiderme, la pulpe y proclament leur harmonie avec les grès, les porcelaines, le cristal, le lin, et les riches tissus de soie en rideaux de théâtre pour la mise en scène de ces festins...» 

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Dans les paysages aussi se devine la trame d'un tissu : « Inspiré par les tissus, leur ordonnance, il en arrive dans la nature morte et surtout le paysage à une composition qui participe de la mise en carte ou de la mise en règle , lesquelles déterminent un style synthétique, une manière de simplifier par masses et par taches de couleur parfois indépendantes de la forme. »

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Le troisième Vernay, le plus personnel, est celui des ultimes dessins :  « Les mines s'y écrasent quand il rehausse d'ocre, de gris, de vert, d'orangé, à coups de pastel, de taches d'encre et de gouache, les enveloppes estompées et sommaires du fusain, en a dit Marius Mermillon en juin 1946. Bien différent du premier, un autre peintre naît alors en lui, car on ose à peine nommer dessins ces images massives et complètes, prises autrefois pour des ébauches. Elles sont des tableaux faits d'ombres que modèlent, ça et là, des traits de lumière. Ainsi Vernay imagine-t-il, comme une fable, une nature qui n'appartient qu'à lui.»

 

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Quelques réflexions de Vernay, retrouvées après sa mort :

- La lettre tue et l'esprit vivifie : l'on ne connaît jamais assez la lettre. Et l'on ne possède jamais assez l'esprit.

- Sincérité et vérité. S'attacher à être le plus vrai avec soi-même

- Ne donne rien au hasard, mais laisse au sentiment

- L'art ne peut et ne doit être que création

- Nature, création de Dieu. Art, création de l'homme.

 - Avec l'amour de la vérité, élevez-vous jusqu'à l'art pour convaincre

- La nature consent à donner des leçons, les ayant méritées

- Savoir faire bon accueil aux idées qui viennent quand il leur plaît

- Le mieux est l'ennemi du bien ; surtout, pas d'efforts inutiles.

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14:20 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : henri béraud, françois vernay, lyon, peinture | | |

lundi, 27 septembre 2010

Pierre Dupont

Le mercredi 20 octobre 2010, L'Esprit Canut reprend son cycle de conférence au cinéma Saint-Denis grande rue de la Croix-Rousse, avec une conférence en chansons, par Jean Butin et Gérard Truchet, organisée en partenariat avec Soierie Vivante.  Cette soirée, consacrée au poète chansonnier Pierre Dupont, débutera à 20h30. Occasion pour moi de republier ce billet, daté de novembre 2008, et un peu retouché pour l'occasion.

 

« Quand j’entendis cet admirable cri de douleur et de  mélancolie (Le chant des ouvriers, 1846), je fus ébloui et attendri. Il y avait tant d’années que nous attendions un peu de poésie forte et vraie (…) Il est impossible, à quelque parti qu’on appartienne, de quelques préjugés qu’on ait été nourri, de ne pas être touché du spectacle de cette multitude maladive respirant la poussière des ateliers, avalant du coton, s’imprégnant de céruse, de mercure et de tous les poisons nécessaires à la création des chefs-d’œuvre, dormant dans la vermine, au fond des quartiers  où les vertus les plus humbles et les plus grandes nichent à côté des vices les plus endurcis …» C’est Baudelaire qui écrivit ceci, dans l’un des deux articles qu’il consacre au lyonnais Pierre Dupont sans sa Critique Littéraire. 

Pierre Dupont vécut cinquante ans, de 1821 à 1871. Il avait perdu sa mère à quatre ans. Son père, forgeron, fut tué pendant l’insurrection lyonnaise de 1831. Son parrain,  qui était prêtre, prêtre fit parachever son éducation au séminaire de Largentière. Au sortir de la maison religieuse, Dupont entra dans la canuserie, où il fut apprenti. Puis il devint employé de banque et, grâce au soutien d’un académicien, obtint un poste à la rédaction du Dictionnaire. Il commença à écrire très jeune, une œuvre qui se décompose en trois : des chants rustiques, des chants ouvriers, et quelques poèmes philosophiques ; l’écriture de Dupont, pour paraphraser Baudelaire, est hantée par deux secrets, qui sont les clés de sa fortune d'alors, et celles aussi de l'oubli dans lequel il est tombé à présent : « la joie et le goût infini de la République ».

On raconte qu’encore jeune, Pierre Dupont se rendit place Royale pour rencontrer Victor Hugo. Comme ce dernier était absent, il lui laissa sa carte sur laquelle il crayonna les vers suivants :

 

Si tu voyais une anémone

Languissante et près de périr,

Te demander, comme une aumône,

Une goutte d’eau pour fleurir ;

 

 Si tu voyais une hirondelle

Un jour d’hiver te supplier,

A ta vitre battre de l’aile,

Demander place à ton foyer,

 

L’hirondelle aurait sa retraite,

  L’anémone sa goutte d’eau !

Pour toi, que ne suis-je, ô Poète,

Ou l’humble fleur ou l’humble oiseau 

Gounod lui trouvait une voix remarquable et s’étonna qu’il ne connût rien à la musique. A quoi Dupont répondit qu’il était heureux de n’y rien connaître, et qu’il ne tenait pas à l’apprendre.

 Une date, dans sa vie, a été un moment charnière : celle de février 1848, dont son Chant des Ouvriers devint l’hymne. Il mourut l’année même de la consécration définitive de cette dernière, après avoir, de 1848 à 1870 traversé le règne de Napoléon III en ardent républicain. A cause de ses aspirations socialistes, il avait été condamné pour sept années à la déportation après le coup d’Etat de 1851 et avait dû sa grâce à quelques puissants admirateurs, ainsi qu’à l’allégeance qu’on le força de prononcer envers le nouveau régime. Pour toute sa génération, Pierre Dupont, fut, digne successeur de Bérenger, le talentueux chansonnier du petit peuple, le chantre militant de la République. Jusqu’à la guerre de 14, et au gigantesque fossé d’oubli qu’elle creusa entre un avant et un après, une romance à la Dupont, c’est ce qui accompagnait les hommes, des fêtes données pour leur baptême, à celles données lors de leur enterrement, en passant par les banquets de mariage.  Dupont laissa  la réputation d’un solide bon vivant, qui  buvait comme un héros antique. « Les vieux de Vaise, relate Louis Maynard dans son Dictionnaire des Lyonnaiseries, ont longtemps conservé le souvenir de beuveries qui duraient plusieurs jours et plusieurs nuits. » Béraud, dans sa Gerbe d’Or, rappelle avec verve la façon dont son père boulanger, républicain passionné, ténorisait du Dupont au pétrin, dans une page de son récit d'enfance que traverse, de part en part, la gaieté.  On a, depuis, oublié Pierre Dupont et sa philosophie simple. En voici quelques couplets :

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Rêve, paysan, rêve :

Entends la semence qui lève,

Regarde tes bourgeons rougir,

Et comme tes enfants grandir :

C’est l’avenir !

(Le Rêve du paysan)

 

Aimons-nous, et quand nous pouvons

Nous unir pour boire à la ronde,

Que le canon se taise ou gronde,

Buvons, buvons, buvons,

A l’indépendance du monde !

(Le chant des ouvriers)

 

Alerte, imprimeurs !

Inondez  de lueurs

Le monde qui tâtonne ;

Faut-il que le flambeau

Reste sous le boisseau ?

Non, il faut qu’il rayonne !

( L’imprimerie)

 

Gouttes d’eau, filles du nuage,

Filtrez à travers le feuillage

Sur l’étang attiédi,

Car ma mie au gentil corsage,

Aux pieds blancs, au rose visage,

Y vient sur le midi.

( Midi )

 

Des deux pieds battant mon métier,
Je tisse, et ma navette passe,
Elle siffle, passe et repasse,
Et je crois entendre crier
Une hirondelle dans l’espace.

( Le Tisserand)

 

Aux armes, courons aux frontières,

Qu'on mette au bout de nos fusils

Les oppresseurs de tous pays

Les poitrines des Radetskis !

Les peuples sont pour nous des frères,

Et les tyrans, des ennemis.

( Le chant des Soldats)

 

 

A lire en cliquant ici, l'une des deux notices, complète, de Baudelaire et en cliquant là, une sélection de quelques poèmes.

05:46 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : poésie, littérature, lyon, musique, chansons, pierre dupont, histoire | | |

mardi, 07 septembre 2010

Un divertissement suffisant ?

La fête du huit décembre a revêtu depuis quelques années à Lyon, une telle importance touristique et médiatique qu’on se souvient peu qu’en réalité, c’est le huit septembre, jour de la Nativité de la Vierge, qui constitue réellement entre Rhône et Saône une solennité.

Rappel distancié des faits, pour les néophytes : frappée cruellement par une épouvantable épidémie de peste en 1628, puis en 1631, puis en 1638, enfin en 1643, la population de la ville est littéralement traumatisée et le Consulat tout autant débordé. Aussi ce dernier décide-t-il de s'en remettre courageusement à la Divinité. Le roi Louis XIII venant tout juste (en 1638) de placer la France sous la protection de Marie, le prévôt des marchands et les échevins lyonnais se réunissent en urgence à l’Hôtel de Ville et, le 12 mars 1643, imitent le monarque en plaçant solennellement la garde, la protection et la guérison de la ville sous les auspices de la Vierge. Ils formulent alors le vœu que - dans le cas où la ville se remettrait de cette dure épreuve-, eux et leurs successeurs iraient à chaque fête de la Nativité de la Vierge (huit septembre) à pied gravement jusque à la chapelle de Fourvière « pour y ouïr la sainte messe, y faire leurs prières et dévotions à  Notre Dame de Fourvière et lui offrir en forme d’hommages et reconnaissance la quantité de sept livres de cire blanche en cierges et flambeaux propres au divin service de la dite chapelle, et un écu d’or au soleil ». Ce vœu, dit « des échevins » (voir le détail ICI) se perpétua de 1643 à 1789. En 1848, en la chapelle rendue au culte, le cardinal de Bonald prononça la première consécration solennelle de Lyon à Marie. Cette consécration fut reconduite sans interruption depuis ce jour par tous les primats des Gaules. Quant au vœu lui-même, il a été remis à l’ordre du jour par le maire Francisque Collomb (1976-1989) qui reprenait à son compte une proposition antérieure du cardinal Gerlier.

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Et donc demain 8 septembre 2010, Gérard Collomb, son homonyme socialiste, l’ensemble des élus et des corps constitués, seront donc accueillis vers 16h45, sur l’esplanade de la basilique, par le cardinal Barbarin, archevêque de Lyon et primat des Gaules, et par Jean Marie Jouham, recteur de la basilique de Fourvière. Le cortège se mettra en marche et pénétrera par l’allée centrale. La cérémonie débutera vers 17 heures pétantes ; après l’homélie du cardinal Barbarin, la remise de l’écu d’or par le maire au prélat aura lieu dans le chœur. Gérard Collomb prononcera alors le dialogue traditionnel, tandis que la chorale entamera un solennel « amen ». Le cierge sera ensuite remis par un tailleur de pierre, qui sera allumé et déposé sur un chandelier. Après la communion, le cardinal Barbarin lira à genoux la prière de consécration traditionnelle de la ville à Marie, avant d’aller vers 18h30/35 la bénir du haut du balcon avec le Saint Sacrement. A ce moment, trois coups de canon seront tirés dans les jardins du Rosaire.

On pourrait croire à la lecture de tout ceci le diocèse de Lyon particulièrement traditionnel et tourné vers le passé : ce serait faire peu de cas du  lancement de l’application smartphone qui accompagnera la cérémonie et qui permettra la visite en réalité augmentée de la Basilique de Fourvière et de la cathédrale Saint-Jean. Cette application, « voulue par la Fondation Fourvière, gérante du site de la colline et de la basilique de Fourvière et par le Diocèse de Lyon, est gratuite et destinée aux 2 millions de touristes qui, chaque année, franchissent les portes de la basilique mariale ou de la cathédrale de Lyon » (voir ICI le site « visiter-la-basilique-de-fourviere-et-la-cathedrale-saint-jean-de-lyon-avec-son-telephone » L’application est astucieusement appelée « Zevisit » ; elle est disponible sur smartphone (iPhone, androïd phone et windows phone). Elle permet - y apprend-t-on- un circuit audio-guidé en sept étapes intérieures ou extérieures, pour chacun des monuments où il découvre, selon le principe de la « réalité augmentée »  l’histoire, l’architecture, l’art et la spiritualité de ces édifices, grâce aux voix de plusieurs guides, mais aussi de l’archevêque de Lyon, le cardinal Philippe Barbarin, du recteur de la primatiale, le père Michel Cacaud, du recteur de la basilique, Mgr Jean-Marie Jouham, ou encore de l’architecte en chef des monuments historiques, Didier Repellin. Vinzou...

Quelle époque ! auraient certainement soupiré quelques vieux lyonnais que j’ai bien connus et qui ne le diront pas puisqu’ils sont au cimetière : voir tous les vaillants francs-maçons du conseil municipal aller processionner à la queue leu leu jusque devant la crème des huiles catholiques de la cité pour leur faire allégeance (tous en grandes pompes vous dis-je) c’était déjà un sacré spectacle, faute d'un spectacle sacré. Mais ce mélange oxymorique de la plus pure tradition catholique et de la technologie muséale la plus élaborée, mêlant odeur de cierges et interactivité vocale, possède décidément un je ne sais quoi (comme auraient dit Paul Bourget, les frères Goncourt ou Joris Karl Huysmans) de fort intriguant et de franchement indécidable. Si le catholicisme est bien ce sens de la théâtralité la plus parcimonieuse, adapté à l’état du monde et à son désoeuvrement, ou à son ennui, eh bien, nous y voilà : Comme aurait dit le Giono du Roi sans Divertissement, il n’y aura pas de crimes demain dans la ville, et les braves gens pourront y dormir tranquilles. Tout juste quelque reliquat de manifestations inoffensives, puisque l’assassin aura trouvé « un divertissement suffisant ».

dimanche, 22 août 2010

Sarkozy, c'est mon ami ...

« Le livre politique fait un retour en force à la rentrée avec plusieurs essais critiques sur Nicolas Sarkozy, un portrait de DSK doublé d'une investigation, une enquête sur Le Pen, un livre de Michel Rocard ou encore deux ouvrages sur la ministre de l'Economie, Christine Lagarde. Tous ces livres paraîtront en septembre ou octobre, au côté des 700 romans de la rentrée... A tout seigneur, tout honneur, c'est le président de la République qui a inspiré le plus d'auteurs, pour la plupart journalistes. » En coup de vent, mes yeux se sont posés sur cette phrase commune de la feuille de chou qu’un homme lisait en terrasse : quel rapport avec la littérature ? Objectivement, aucun. Les 700 romans de la rentrée- quelque intérêt qu’ils aient, tous balancés dans le même sac, afin de servir de contrepoint aux ouvrages merdiques de ces « auteurs-journalistes » (oxymore qui en aurait fait bondir plus d’un il n’y a pas si longtemps) qui s’empileront sur les rayons des centres de distribution d’objets culturels indéterminés de ce pauvre pays (Fnac, Virgin et autres réseaux), pour lesquels la foire électorale a commencé et, avec elle, des promesses de tirage conséquent. Même si on peut penser que la plupart de ces saloperies finiront en carton en pizzas, je ne peux m’empêcher de tiquer devant cette propagande, ce commerce de papier juteux. Détournons le regard : L’air, tout bleu, lui, mêlé à la mer. La ola des gradins, à chaque fois qu’un chevalier blanc tombe dans le canal : Revoici Sète, toute occupée à ses fêtes de la Saint-Louis, Cète et ses fanfarons jouteurs, hantée de fraîcheur du large et d’odeurs pestilentielles, de musique techno jusqu’à l’aube.

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Au Tabary’s, Brel et Brassens qui ont leur banc, comme au Flore, Sartre. La croix qui domine devant nous le port nous rappelle les missionnaires de la Salette. Il suffit de suivre la corniche : Ce lieu, qui ne laisse pénétrer que la couleur bleue et contient d’étranges morsures est ici bel et bien comme un toit tranquille où marchent des colombes : la mer, et me revient à chaque fois en mémoire cette autre phrase que lance l’Annoncier du Soulier de Satin dans une tirade éblouissante, « libre à ce point que les limites du ciel connu s’effacent. »

Il sera toujours temps de retrouver ce pays et ses discordes de politiciens complices. Le papier dont, jadis, on emballait le poisson ou se torchait le cul, en effet, quelle littérature !

12:48 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : sète, fête de la saint-louis, politique, sarkozy, littérature | | |