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lundi, 22 décembre 2008

Une autre lecture (2)

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De beaux livres, aux couleurs de charbons incandescents et de flammes rougeoyantes : le tonneau pèse. D'un geste amical, c'est désormais l'homme qui soutient ; l'appui de la pointe du pied sur le sol, cet autre du fût sur le genou, bras tendus pour que le cheval se désaltère après l'effort commun.  Tendre complicité de l'instant de la pause, entre l'homme et l'animal. Un passage attentif, aussi, de l'univers du paysan, à celui de l'artisan : Paul-Émile Colin est né à Lunéville en 1867. Il fait des études de médecine, mais se détourne très vite de cette profession pour se consacrer, dès 1901 à la gravure sur bois. Malgré une myopie fort importante,  il illustre plus d’une vingtaine de livres, au canif et au burin sur bois. Paul Emile Colin travaille la technique des cuirs incisés & incrustés, peignant à la gouache les gardes de certains de ses ouvrages. Il célèbre la campagne, les cieux et les villages lorrains, avec de splendides couvertures teintées de camaïeux havane et marron, incrustées dans des maroquins bruns ou noirs. Paul-Émile Colin est décédé en 1949 à Bourg-la-Reine.

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Le chapeau est posé sur le sol, là où reposent, également, les deux genoux. Quelle douleur secrète, ou quel espoir, quel murmure de quel angélus s'est brisé, quel sanglot ailleurs retenu peut soudain s'exprimer dans la solitude ? Les rayons consolateurs du couchant effleurent l'épaule et le cou, et l'eau de la rivière, saisie entre les paumes, désaltère.

12:13 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : paul émile colin, reliure | | |

Une autre lecture (1)

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Deux arbres, faisant front au crépuscule,
Tout de rousseur et de vent,
L'homme et ses brebis,
Les sillons du labour,
La lune en croissant blanc,
L'art du graveur,
Celui du relieur,
Objet somptueux, le livre :
Matière,
le burin, le velin,
le cuir brun,
Le pas vaillant sur le chemin,
Le regard du chien
Plein d'entrain,
La brouette à la main
On se passerait presque de l'écrivain.
On s'en passerait bien :
C'est pourquoi je laisse 
A chacun le soin
De rêver le reste, l'intérieur, de loin.
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01:25 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : bibliophilie, paul émile colin, reliures, littérature | | |

samedi, 13 décembre 2008

Chronique des gens ordinaires qui vont regarder le foot au comptoir

Il y a un plaisir indiscutable à regarder les matchs de foot à la télé dans les cafés. Indiscutable. La première raison à cela, c’est que le foot est un sport qui se joue en équipe. On ne peut donc concevoir qu’il se regarde autrement qu’en équipe. Cela, les habitués de comptoirs l’ont bien compris, tout comme d’ailleurs les patrons qui souvent imposent une deuxième mi-temps à leurs consommateurs et pratiquent volontiers une prolongation de leurs tarifs les soirs de diffusion.

On peut toujours croire que les gens qui se rendent dans les cafés pour regarder les matches sont des pauvres qui ne peuvent pas se payer un abonnement aux chaînes cryptées. Calculette à la main, l’argument tient mal. C’est au fond comme si on disait que les gens qui vont boire du café dans les cafés  (ou du vin, ou du gin-tonic, ou n’importe quoi d’autre) n’avaient pas de quoi se payer tout ça chez eux. Une statistique infaillible a prouvé que le prix de la boisson est toujours moins élevé chez soi que chez le bistrotier du coin, et ce qui est vrai du picrate l’est tout autant de la chaîne cryptée.

On peut en dernier lieu soutenir, comme certaines mères de famille le font, que le foot n’est qu’un prétexte pour se pochtronner entre mecs chaque week-end. C’est aussi discutable. De la passion du foot ou de la passion de l’alcool, laquelle vint la première chez le bipède urbanisé ? Cela doit dépendre des cas, me direz-vous. Pour la plupart de ces messieurs qu’on voit, l’œil fixé à l’écran, empreint de gravité, il est possible que les deux soient intimement mêlées : mais de fait, ils boivent le même coup, qu’il y ait un match ou que l’écran soit éteint, parce que c’est encore Bernard Henri Lévy qui pérore dans un talk show.

La seule vraie raison des ces rassemblements rituels dans les bistrots touche à la grégarité de l’espèce : Cicéron n’affirme-t-il pas que, la res publica est la chose du peuple, étant précisé que par peuple il faut entendre, un groupe nombreux d’humains associés les uns aux autres par leur adhésion à une même loi et par une certaine communauté d’intérêts. Rien de plus républicain, donc - c'est un penseur antique qui l'affirme -, que de regarder le match chaque week-end au café du coin. Qu’on se le dise !  Depuis quelques années, d’ailleurs, n’y rencontre-t-on pas quelques dames, et même quelques enfants que leurs géniteurs initient tant bien que mal au civisme de l'agora ? Car la dégustation d’une victoire comme la consolation d’une défaite ne se savourent, au contraire de tout le reste, qu’entre voisins d’un même quartier.

Si vous ne m’en croyez pas, et à titre d’exercice pratique, je vous propose de profiter de cette 18è journée de Ligue 1 pour aller étudier de plus près la question. En voici le programme : Aujourd’hui, 19 heures : Le Mans – Bordeaux ; Auxerre- PSG ; Toulouse-Saint-Etienne ; Valenciennes-Monaco ; Sochaux-Caen ; Nancy-Grenoble ; Rennes-Nantes ; demain, 17 heures : Nice – Lille ; Le Havre-Lorient, et demain 21 heures : OL-OM.  Il y a bien, non loin de chez vous, un petit boui-boui aux vitrines embuées, et d’où s’échappent de loin en loin d’incompréhensibles clameurs qui, pour ne pas monter jusqu’au ciel, grimpent au moins jusqu’à votre fenêtre. Poussez donc la porte de cet antre dont vous ne comprenez pas la langue. Faute de saisir du premier coup  toute la subtilité de la technique ou de la non-technique de chacun des joueurs multi millionnaires évoluant sur le gazon, vous goûterez la saveur de la réflexion de Schopenhauer. C’est bien lui, n’est-ce pas, qui affirmait que les porcs-épics sont de vrais sages ? En effet, pour ne pas souffrir du froid, ils se serrent les uns contre les autres, mais à bonne distance, afin de ne pas s’enfoncer de piquants dans la chair. Le foot au comptoir, c’est au fond la situation intermédiaire acceptable, entre la solitude glacée du salon et la proximité mordante du stade.  Vive, donc, la sagesse immuable de ces téléspectateurs de comptoirs, lecteurs infatigables de journaux provinciaux. Car c'est pour eux, au fond, qu’Alexandre est grand.

 

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dimanche, 07 décembre 2008

Le pont de Saone

Le plus vieux pont de Lyon n’est plus. Il enjamba durant des siècles la Saône pour relier la place du Change au quartier Saint-Nizier. Son peu de largeur le rendant insuffisant à la circulation d’une rive à l’autre, il avait été remplacé en 1845 par le Pont de Nemours, d’une largeur de 13 mètres. Ce dernier disparut à son tour en 1978 et fut remplacé par le pont Maréchal Juin, plus en aval.  L’autre pont de pierre, qui traversait le Rhône, a été démoli en 1954

Je suis toujours étonné que Lyon ait sacrifié ses deux ponts de pierre, témoins l’un et l’autre d’une histoire remontant au Moyen Age, sans autre forme de procès, quand tant d’autres villes ont su garder les leurs

Raconter l’histoire de ce pont construit sous l’archevêque Humbert et consacré par le pape Innocent III en 1070, c’est raconter une bonne part de l’histoire de la ville elle-même : En 843, le traité de Verdun avait donné la rive droite de la Saône au roi Charles-le-Chauve, et la rive gauche à l’empereur Lothaire : le Pont de Saône, dit Pont du Change, qui reliait les deux rives, reliait donc le Royaume à l’Empire et les mariniers pendant plusieurs siècles, pour parler de la tour défensive côté Saint-Nizier, dirent la tour d’Empire, et pour parler de celle côté de Fourvière, dirent la tour de France.

 

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Le vieux pont était repérable immédiatement dans le paysage en raison des masures médiévales qui, outre les deux tours, le surmontaient au dessus de l’Arc des Merveilles  Les anciennes chroniques appelaient la première arche de ce pont (du côté de Saint-Nizier), l’Arc Merveilleux, en raison de l’antique fête des Merveilles, durant laquelle des bœufs ou des taureaux étaient projetés dans la Saône, puis récupérés par des mariniers qui les abattaient, à l’endroit même qui donna son nom à la rue Ecorche-Bœuf. Cette fête était le prétexte, pour les diverses corporations d’exhiber les pièces maîtresses de leurs métiers (mirabilia opera) et pour l’Église de célébrer ses quarante-huit martyrs (Fête des Miracles) à l’occasion de processions navales reliant Vaise à Ainay.  Le Clergé avait ses bateaux, les autorités civiles avaient les leurs, parmi lequel le célèbre Bucentaure ou paradait l’élite de la jeunesse. Jusque vers la fin du XIIème siècle, elle se déroulait de manière fixe, tous les 2 juin. Au XIIIème siècle, elle fut reportée au mardi avant Saint-Jean. La fête des Merveilpont du change.jpgles, à la fois païenne et sacrée, connut à partir du quatorzième siècle de nombreux débordements et finit par être abandonnée en raison des rixes, blessures et homicides qu’elle occasionnait. C’est aussi du haut de l’Arche des Merveilles que la bande des souffleurs jeta longtemps dans le courant de la Saône un mannequin nommé Carmentran, qui symbolisait la fin du carnaval de Mardi-Gras.En souvenir de la peste de 1628, un café mitoyen ayant adpté l'enseigne d'un squelette embouchant une tropette, on surnomma la partie du quai qui longeait cette arche ( cf. gravure) La Mort qui Trompe. A moins que ce nom ne provînt d'un passage partculièrement dangereux de la rivière, tout autaant pour le snageurs que pour les manoeuvres desmarinirs. Les avis divergent. .

 

C’est tout naturellement en des points stratégiques de la ville que les échevins, lorsqu’ils placèrent officiellement la ville sous la protection de Marie le 12 Mars 1643, s’engagèrent à élever deux statues de la Vierge en marbre blanc. L’une devait être placée sur la place du Change, l’autre, précisément, au milieu de ce pont de Saône que tout un chacun empruntait, « sous un petit dôme triangulaire composé de trois petites arcades de la largeur de trois pieds sur six de hauteur ». La délibération des cinq échevins précise que l’arcade faisant face au côté de midi «sera enrichie de deux petites colonnes de pierre noire polie », et le reste du dôme « de même pierre noire sans polissure ».

Le monument commémoratif du Pont de Saône fut commandé le 23 janvier 1659 au sculpteur Mimerel et édifié en 1662 « sur l’avant-bec de la quatrième pile du côté de Saint-Nizier, où précédemment il existait une croix en pierre indiquée sur les plans de Simon Maupin de 1625 et de 1659 »  (1) Les circonstances de la disparition de la Vierge de Mimerel du pont de Saône et celles de son transfert jusqu'à la chapelle de l'Hôtel Dieu, où elle passe pour miraculeuse, sont mal connues. Grisard rapporte une légende selon laquelle la Vierge elle-même aurait décidé de son nouvel emplacement :  

« La statue de la Vierge qui était sur le pont de pierre de Saône ayant été fracturée, on en plaça les débris sur un chariot attelé de deux bœufs, pensant les faire disparaître en les transportant au loin. Mais arrivé devant l’entrée de l’Hôpital, l’attelage refusant d’avancer malgré les efforts e son conducteur, on crut voir dans ce comportement le désir exprimé par la Mère de miséricorde pour faire admettre sa statue dans l’asile réservé au malheur et à la souffrance, et sur le champ, sans autrement délibérer, on transporta le chargement dans l’intérieur de l’Hôtel-Dieu ».

 

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Pour conclure ce billet, une remarque de Monsieur Josse (A Travers Lyon, 1887) sur ce vieux pont de pierre, alors détruit depuis  quarante deux ans :

« Nous voici face au Pont de Pierre. Car pour les Lyonnais, c’est sous ce nom que le pont de Nemours ou du Change est connu. Je ne puis le traverser une seule fois sans me ressouvenir du vieux pont, à la chaussée étroite, décrivant une courbe élevée au-dessus de l’eau, bordée de cadettes  (trottoirs) qu’avaient creusées les pas des piétons et formant, les jours de pluie, une flaque ininterrompue, dans laquelle on plongeait, bon gré, maugré, jusqu’à la cheville ».

 

Autre pont disparu : l'ancien pont Morand.

 



(1° Le vœu des échevins de la ville de Lyon, J.J. Grisard, Pitrat, Lyon, 1888

17:44 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : pont de saône, lyon, saint-nizier, monsieur josse, pont du change | | |

jeudi, 27 novembre 2008

Ségolène

Il y a chez Ségolène Royal et ses partisans, dans ce déterminisme froid, cet opportunisme qui avance à découvert, ce cynisme langagier, intransigeant et procédurier, quelque chose d'obscène et de veule qui me glace littéralement. Comme si cette femme et sa cour incarnaient jusqu'à la nausée et de façon irrémédiable la fin de tout ce que la gauche a pu avoir de juste, de complexe, de réel.

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L'adaptation au froid.

20:54 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (31) | Tags : ps, politique, ségolène royal | | |

samedi, 22 novembre 2008

Voilà pourquoi

Voilà pourquoi j'emmerde la faune de la Star Académy,

ainsi que l'aphone Carla Bruni :

 

00:46 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : fréhel, chanson, musique, carla bruni, star academy | | |

mardi, 04 novembre 2008

Archéologiquement vôtre

Je dis souvent à mes amis que Lyon est une ville croustillante, au sens qu'on emploie en parlant d'une simple pate feuilletée. Avant d'être celle de la gastronomie, Lyon fut, au seizième siècle, la capitale de l'archéologie. Le Petit Robert date de 1599 la naissance de ce  terme et en donne la définition suivante : « science des choses anciennes, des arts et des monuments antiques ».

Avant sa création, les érudits lyonnais disaient plus simplement : histoire. On se souvient peu que c'est le lyonnais Jacob Spon qui fut l'inventeur de ce mot. Spon, l'amoureux « des pierres qui parlent dans tous les coins de nos rues », du « Lyon romain retrouvé », de « l'antique grandeur enfouie sous nos pas », le médecin des hommes (comme Rabelais) et des pierres, qui consacra sa vie à l'exégèse de leurs étonnantes épigraphes latines. J'eusse aimé me promener en ce temps-là sur le site encore en grande partie livré aux caprices de Nature, comme disait alors Belièvre ou Champier.

Le Lyon moderne et industrialisé, celui que nous connaissons, a totalement éclipsé cette perspective. Elle se rappelle pourtant à lui à chaque fois qu'à l'occasion de la percée d'un tunnel ou de la creusée (c'est ce mot qui me vient, et non pas le plutôt laid creusement - qu'importe !) d'un parking souterrain, son passé antique et préhistorique vient cogner à ses tempes : les ancêtres sont têtus, et refusent que leurs opéra s'éclipsent si facilement devant les nôtres. L'Amphithéâtre des Trois Gaules possédait à ses côtés un Sanctuaire, lequel a littéralement disparu. Ne restent que ces piliers qui soutiennent la basilique d'Ainay.

On suppose une gigantesque terrasse, longue de cent mètres, au niveau de l'actuelle rue des Tables Claudiennes (nom rappelant justement les Tables de l'empereur Claude), avec des rampes d'accès donnant sur d'autres, étagées par en-dessous. Le souvenir de cette architecture antique transpire justement sous cette topographie si caractéristique des pentes de la Croix-Rousse, qui fait de la ligne 6 qui la parcourt en esses une des plus pittoresques du réseau TCL. 

Les pierres du Sanctuaire ayant servi de vaste carrière au Lyon médiéval, elles furent donc éparpillées telles de gigantesques dominos par toute la cité. La nature aura donc repris ses droits pendant plusieurs siècles, effaçant le souvenir de Condate. Ceignant de murailles et de hautes grilles leurs enclos et leurs potagers, les couvents qui s'y installèrent ont longtemps protégé la physionomie de ces lieux de tout ce qui aurait pu la corrompre. Après la Révolution, les marchands les plus fortunés ayant acquis ces terrains, ils y firent bâtir les hauts immeubles de rapport qu'on voit aujourd'hui, où s'entassèrent les canuts du dix-neuvième siècle, sur ces terrasses qui faisaient face aux monts alpins, et qu'on avait conçues pour des empereurs romains. Le bistenclac de leurs métiers retentit ainsi durant des décennies, comme le cri de leurs révoltes, juste au-dessus du vieux sanctuaire dont les mânes veillaient encore, enfoui sous leurs caves, sur les amours de ce malheureux prolétariat. Est-ce la saison, qui me rend l'âme toute archéologique ? Lorsque je traverse ce vieux et cher quartier, j'aime bien que grimpent à mes narines, depuis les temps d'Auguste et de Claude, et à travers ceux de jacob Spon puis de Louis Philippe, les effluves d'un lancinant parfum, qui, parcourant toute la ville, m'en rappellent toute l'histoire en un seul geste, de mon enfance à ce jour.

 

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Le sanctuaire des Trois Gaules, à Condate, aujourd'hui

15:02 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : littérature, archéologie, condate, jakob spon | | |

jeudi, 30 octobre 2008

Noms de rues, les rues

C'était jadis l'initiative populaire seule qui attribuait aux rues les noms qu'elles portaient : les rues Torche-cul, du Boucher, de l'Enfant qui pisse ou de la Truie qui fyle couraient, si j'ose dire, les rues. Avec la Révolution Française, l'oligarchie administrative a commencé à se saisir de ce droit. Alors, de commission en commission, la nomenclature des rues n'a cessé d'échapper aux habitants des rues, du début à la fin du dix-neuvième siècle, puis à travers tout le vingtième. Prétextant d'un prétendu souci d'éduquer ce pauvre peuple ignorant, les premiers révolutionnaires avaient eu le souci de donner aux voies qu'ils traçaient les noms des hommes les plus illustres, de manière à faire des villes un tableau de l'Histoire de France : rue de Duguesclin, de Charlemagne, de Vauban, de Sully...  A cette époque ont fleuri également des rues portant des noms d'allégories (la Tempérance, l'Egalité, l'Humilité, la Concorde...) Avec l'Empire et la Restauration ont surgi des noms représentant chaque famille politique, des bonapartistes, des légitimistes, des orléanistes, des républicains, et les choix furent dictés par un souci de propagande. Un cours Henri IV devenait ainsi un cours Eugénie pour se retrouver dans la peau d'un cours Gambetta. A Lyon, la rue de la République fut d'abord une rue Impériale. Avec le déclin de l'instinct belliqueux, surgit le goût pour les hommes de Lettres. Ce fut la grande époque des rues Victor Hugo, Anatole France et autres Emile Zola.

L'oligarchie administrative, malgré ses prétendus soucis d'édification historique et morale, ou son désir moins avouable de propagande, a entretenu ainsi la prétention des plus obscurs quidams, laquelle prétention s'est mise à tapisser par tout le pays le damier des quartiers. Car au fond, à bien y regarder, qu'est-ce que c'est que cette manie d'afficher des noms de notables au coin des rues ? Quoi d'autre qu'une criante manifestation de vanité ? Ce souci très bourgeois, qu'on retrouve dans les tombeaux édifiés dans les cimetières des grandes villes, les ex-votos de certaines chapelles, de laisser, faute de mieux, au moins un nom à l'immortalité. Quand on est député, conseiller municipal, bienfaiteur des hospices, avocat, médecin, banquier, on a le droit à une reconnaissance publique, prolongement post-mortem du ruban ou de la médaille. Mais les hommes célèbres ne le sont que grâce à leurs œuvres, les autres resteront, quoi qu'on fasse dans l'anonymat. Ainsi nombreuses plaques sont demeurées lettres mortes, malgré les quelques lignes explicatives qu'on a cru bon d'y joindre parfois,; et le public continue d'habiter rue Ruplinger ou Vaudrey (je puise au hasard dans l'excellent Brun et Vallette, Lyon et ses rues - 1969), comme il habiterait rue Punaise ou Lanterne.

Dans une notice sur le changement des noms de la ville de Lyon qui date de 1884, Steyert, historien et érudit lyonnais remarque : « Et ce qu'il y a de plus singulier, c'est que ce sont précisément d'austères républicains, dédaigneux, disent-ils, des hochets vulgaires, qui se montrent les plus zélés à propager cette mode puérile et vaniteuse ».

Dans ces conditions, et pour en revenir à une remarque judicieuse qui m'a été faite dans un billet précédent, comment s'étonner que la ville de Lyon qui s'honore d'une rue pour chacun de ses maires et de ses préfets, y compris certains de sinistre mémoire qui firent tirer sur la foule, n'ait nulle part, dans le damier sinueux de ses arrondissements, su garder une place pour le chantre premier, Maurice Scève ? Etait-ce dans ce cas si opportun d'abandonner la rue des Grenouilles ou celle des Six-Grillets ?

 

21:23 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : noms de rues, urbanisme, lyon | | |

mercredi, 29 octobre 2008

Au menuisier Zimmer

« Je l'ai chez moi depuis qu'ils l'ont sorti de la clinique »

C'est un menuisier qui parle. D’un poète : Zimmer, d'Hölderlin.

La littérature est suffisamment emplie de couples masculins calqués sur le modèle négatif de la domination  (Don Juan et Sganarelle, Jacques et son maître, Rubembré et Vautrin, Puntila et son valet Matti...) pour qu’on prenne plaisir à saluer ici un couple bâti sur un autre patron,  le couple Zimmer / Hölderlin, couple réel de surcroît, qui offre un visage plus fervent, plus spirituel, plus insolite de ce qui peut naître et exister entre deux hommes qu'à priori tout oppose : le modèle du service.

En 1807, Zimmer écrit à la mère du poète :

 holderlin3.jpg« Son esprit poétique se montre toujours actif. Ainsi, il a vu chez moi le dessin d'un temple. Il m'a dit que je devrais en faire un comme cela en bois. A quoi j'ai répliqué qu'il me fallait travailler pour gagner mon pain, que je n'étais pas assez heureux pour pouvoir vivre comme lui dans le repos philosophique. Il m'a répondu aussitôt : Hélas, je suis un pauvre homme ; et dans la minute il a écrit pour moi les vers suivants, au crayon, sur une planche :

 

 

Les lignes de la vie sont diverses

Comme les routes et les contours de montagnes

Ce que nous sommes ici, un Dieu, là-bas, peut le parfaire

Avec des harmonies et l'éternelle récompense et le repos»

 

Le menuisier Zimmer confie un peu plus tard à un visiteur, toujours à propos d'Hölderlin : « C'est sa manie de savoir qui l'a rendu fou. Jamais il n'arrive à se débarrasser de tout son savoir. »

On sent que Zimmer est fier d'Hölderlin. 

Reconnaissance de l'homme d'esprit autant que reconnaissance du patriote, car revient toujours dans les discours du menuisier la joie presque enfantine de rappeler que le poète, comme lui, est de race souabe.

La tour de Zimmer à Tübingen est presque aussi célèbre que les châteaux de Ludwig II en Bavière. Ou que le château de François-René à Combourg. Et beaucoup murmurent que c'est parce que l'un des plus grands poètes allemands y a séjourné durant les 36 dernières années de sa vie, avant d'y mourir  « tout doucement, sans véritable agonie », écrira joliment la fille de Zimmer, le 7 juin 1843.

Soit... Soit... 

On comprend ce que la fille du menuisier a voulu dire. Cela dit, un poète de la « race » d'Hölderlin peut-il mourir sans connaître « une véritable agonie »? Bien malin, par ailleurs, celui qui peut dire à quel instant de sa vie sa véritable agonie a débuté...

 

Il me plait de croire que la tour dominant le Neckar abrita une sorte de miracle assez rare dans le monde des hommes pour que ce "monument" devienne digne de mémoire : un artisan menuisier recueillant, au sortir de l'asile, un poète apatride et démuni, pour l'amour de la langue et pour celui de la Terre. Quelque chose comme une œuvre vivante, unique et lumineuse :

 

Un homme, je dis de lui, quand il est bon

Et sage, que lui faut-il ? Est-il rien

Qui suffise à une âme ? Est-il épi,

Est-il grappe à point murie qui sur terre

Poussés la nourrissent ? Tel est ainsi

Le sens. L'amante est souvent un ami, l'art

Presque tout. O toi qui m’es cher, je te dirai la vérité,

De Dédale, tu as le génie, et de la forêt

( A Zimmer, traduction de Jaccottet, Pleiade - page 1024)

 

 Et comment, écrivait Hölderlin, avant ses premières graves crises,

« Et comment des mots auraient-ils apaisé la soif de mon âme ? Des mots ! J'en trouvais partout. Partout, des nuages... Je les hais comme la mort, ces misérables compromis de quelque chose et de rien. Devant l'irréel, toute mon âme se hérisse. Ce qui ne peut m'être tout, pour l'Eternité ne m'est rien. O Bellarmin ! Où trouverons-nous l'unique chose qui donne la paix ? Et quand pourrons-nous entendre une autre fois chanter notre cœur, comme aux jours radieux de l'enfance ? »

(Hypérion, fragments Thalia)

 

 

Sur son blog Certainsjours, Frasby évoquait hier par une très belle photo le poète des Odes, dont la figure est à la fois si douloureuse et si joyeuse.

12:09 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : hölderlin, poésie, zimmer, littérature, tubïngen, hypérion | | |