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dimanche, 30 novembre 2008

La poésie et la monnaie

Entre le poète et le marchand il y a bien un point de rencontre : tous deux dépendent de l’utilisation de signes  fondamentaux placés au cœur de la relation humaine : la lettre et le monnaie. C’est ainsi.

Ce point de rencontre est aussi un point de rupture. Comme – et tandis que - le signifiant linguistique accorde aux choses que nous voyons un sens, le signifiant monétaire, de manière tout aussi arbitraire, leur accorde une valeur.

Si la monnaie a toujours paru au plus grand nombre plus fiable que le mot, c’est qu’elle s’est présentée sous un jour plus concret. Il fut en effet un temps où la valeur de son signifié s’exprimait concrètement dans son signifiant : autrement dit la valeur marchande d’une pièce équivalait à peu près à la valeur attribuée au métal dont on la frappait (cuivre ou argent). Exista-t-il jamais, hors du temps mythique, une période où la forme d’un mot garantît absolument son sens ? Autrement dit où la parole fût d’or ?

 Le papier monnaie fascine parce qu'au contraire de la pièce d'or, il proclame son mensonge. Tel le batard illégitime, il a pris sa naissance en cette forfaiture. Indigne, parce qu'imprimé et reproduit en alphabets de chiffres et non de lettres, il a fondé sur cette imposture initiale sa légitimité.  Un billet est  l'affiche vite salie, vite froissée, et de mains en mains corrompue, de sa propre duplicité : Regardez, proclame-t-il à chacun à la façon d'une Peau de Chagrin balzacienne, je ne suis quasiment rien, je vaux tout. Chacun le croit unique : il ne l'est pas. C'est en déclarant haut et fort cet artifice - Saussure dirait cet arbitraire - que ce chiffon de papier, aussi malhonnête qu'éphémère, réalisa cet exercice de haute voltige : fonder ce qu'ironiquement, des économistes malveillants ont appelé la monnaie fiduciaire, la monnaie du plus grand nombre; devenu en quelque sorte le coryphée moderne de nos danses boursières virulentes et macabres, il n'a jamais pu cependant gagner la hauteur tragique des vieux écus ni des louis d'or. Fondamentalement démocratique, il est fondamentalement comique. Irrémédiablement bouffon.

Je constate que l'avènement de son règne coïncide, dans l'Histoire, avec le Romantisme, cet autre illusion, la perte des mythes, la prolifération industrielle des objets, et l'impossible naissance, parmi nous dorénavant, de poètes de l'Authentique.

 

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12:50 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : crise, monnaie fiducière, poésie, littérature, histoire, âge d'or | | |

Aphorismes d'Alceste

Toute la mémoire du monde tient dans un noyau de pêche

Aussi, quand la terre manque, l’amnésie croît parmi les humains :

La croissance de l’amnésie entrainera-t-elle fatalement la disparition de nos péchés ?

 

Deux plus deux n’existe pas dans un jardin

Ni multiplication ni division en un champ de vignes

Quand s’agrippe au cep le regard qui dénombre,

la cécité est octroyée tel un droit à chaque voyant :

L’acharnement de la statistique à décimer toute grappe de raisins aura-t-il raison de nos ivresses ?

 

Et qu’est-ce qu’un homme sans péché ?

Qu'un peuple sans ivresse ?

04:12 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : aphorismes, poésies, écriture | | |

vendredi, 28 novembre 2008

Claude a cent ans

Claude a cent ans. Non pas Sarraute. Levi-Strauss. Non pas les jeans. L'anthropologue. Très distingué, l'anthropologue. Je ne sais pas pourquoi, je m'en suis toujours méfié, de Claude Lévi-Strauss, oui. Comme de tous les structuralistes de sa génération, d'ailleurs. Des séducteurs, certes. De grands séducteurs, qui plantèrent un jour leur bivouac sur le Quartier Latin et, longtemps, cette terre universitaire et toutes ses colonies en province leur furent conquises. David Pujadas qui tient le carnet mondain de France2 a-t-il lu jusqu'au bout Tristes Tropiques ? Croyez-vous ? Et le président Sarkozy qui s'est rendu à son domicile pour lui dire l'hommage de toute la nation ? A-t-il lu jusqu'au bout Tristes Tropiques ? Et Valérie Pécresse, a-t-elle une tête à avoir lu jusqu'au bout Tristes Tropiques ? Et vous-mêmes, avez-vous lu jusqu'au bout Tristes Tropiques ?  Claude Levi-Strauss a cent ans, le structuralisme sans lequel il n'y avait point de salut il y a encore quelques années sera bientôt, comme le positivisme, une vieille lune. Les théories vieillissent mal, presque aussi mal que les hommes, parfois plus mal encore. Allez, pas de mensonges : moi, franchement, je me souviens avoir essayé, il y a longtemps, et puis avoir laissé à leurs tristesses ces tropiques levi-straussiennes. Et c'est pas parce que Claude a cent ans que je vais m'y mettre...

21:23 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : claude levi-strauss, littérature, anthropologie | | |

Vue

Ce qu’à Lyon, on appelle une vue n’est accessible que de quelques endroits : des sommets de Fourvière ou de ceux de la colline des canuts. Ces derniers sommets s’édifièrent dans un conglomérat de rues tel que cette vue qu’on déflore, au fur et à mesure qu’on s’élève dans les étages d'un immeuble, ne se peut imaginer lorsqu'on est sur le trottoir, en tous cas si vaste , si claire, si somptueuse. On la découvre soudain, à partir du quatrième ou cinquième étage de l’immeuble. D’un côté, les Alpes, naturelles, blanches et éloignées ; de l’autre, la roche sombre, abrupte de Fourvière, pierre scize plongeant dans la Saône. En quelques points privilégiés des hauts immeubles des pentes, on peut saisir les deux dans la même pièce. On vit alors, encore, dans la ville, certes. Au confluent même de ses pensées les plus profondes : Dans le creuset véritable de son nom. Les aubes et les crépuscules, qui, du lux latin, devinrent dans l'imaginaire le Lug celte, viennent frapper aux carreaux de vos fenêtres. Les premières sont alpines et attendent encore le doux Turner qui les fixerait sur une toile ; les seconds, de derrière Fourvière, semblent soulever la basilique, quand la fureur rouge de leurs rayons la fige contre le cul dodu des nuages. Puis, soudain, toutes pierres fécondées, l’aveuglant jet du couchant s’éclipse, comme auréolé par des lointaines fondations : de la ville dont, un instant, chaque soir, il dispute le privilège à Marie, Lug, irrité et vivant, se retire. De son emprise, immense et affairée, se dégage la cité classée au patrimoine historique, obstinément amnésique. Dans les reflets que l’illumination technologique de ses nuits accorde aux cours d’eau qui la traversent, elle est sotte et glacée comme une image, cette ville, au soir tombé.

         Celui qui bénéficie d’un tel point de vue peut, pareillement, saisir l’extrême qualité de l’orage, après que le site, chaque tuile, chaque pavé, chaque clocheton, en a subi l’attente, souvent lourde et caniculaire. Ça claque, on ne sait d’où, ça vrombit brusquement : L’eau ne vient pas. La noirceur du ciel, même en plein jour, atteint des degrés sinistres. Puis le gris danse et roucoule. En un éclair, c’est le mariage des éléments, subit et colossal. L’acte fondateur et vivant redevient contemporain : Tout, qui ruisselle. Et le souffle alpin, tournoyant à présent alentours, balayant, après la foudre, la pierre italienne et renaissante de fraîches bourrasques, la nettoie minutieusement de la présence des hommes.

14:15 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : lyon, littérature, société, poésie, poèmes, écriture | | |

jeudi, 27 novembre 2008

Ségolène

Il y a chez Ségolène Royal et ses partisans, dans ce déterminisme froid, cet opportunisme qui avance à découvert, ce cynisme langagier, intransigeant et procédurier, quelque chose d'obscène et de veule qui me glace littéralement. Comme si cette femme et sa cour incarnaient jusqu'à la nausée et de façon irrémédiable la fin de tout ce que la gauche a pu avoir de juste, de complexe, de réel.

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L'adaptation au froid.

20:54 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (31) | Tags : ps, politique, ségolène royal | | |

Alexandre Vialatte et le bon roi Henri

Le 17 juillet de l'an 1956, Alexandre Vialatte notait dans sa chronique n° 82 de la Montagne quelques lignes dont il a le secret sur les éléphants : L'éléphant est le songe pompeux d'un dieu des Indes. Son oreille, dit l'Ecriture, est comme le manteau de Salomon.  Magnifique. Mais quel rapport, me dirait un pointilleux, avec le bon roi Henri ? Aucun, en apparence. Aucun.  

Sinon qu'après des tours et des détours, la plume du maître de la Gare de Lyon en vient, dans cette même chronique, à évoquer le susdit roi, à propos de la parution du nouveau Larousse:

« Les vrais grands hommes ne savent pas l'orthographe ! Imaginez-vous Henri IV, Louis XIV ou Bonaparte, ou même simplement Saint-Simon, ou Ravaillac, écrivant proprement ? discutant du pluriel des noms à trait d'union?  Que de temps perdu ! Ils allaient au plus court, au bout de la phrase, à la victoire, au crime urgent. » 

Deux fois, Vialatte évoque le roi Henri : Au début de la phrase, de façon explicite, et à la fin, de façon quasi-métonymique, à travers la notion de crime urgent qui fait penser à Ravaillac, dont personne aujourd'hui ne se souviendrait sans un certain coup de surin;  le crime urgent qui justifie qu'on n'ait pas le temps de finir sa phrase en faisant tous les accords, le crime-urgent, terme générique pour désigner la nécessaire primauté de l'action sur le langage châtié, ah, la redoutable concision de Vialatte !

Le 23 septembre 1958, soit deux ans plus tard, alors qu'il parle « d'entrer dans le signe de la Balance », le chroniqueur auvergnat cite à nouveau le monarque béarnais, cette fois-ci aux côtés du « chaste Louis XIII, de Boucher, Watteau et de son propre boulanger (suite logique du boucher ?) un brave parisien du nom de Courcoux ».

A peine une année plus tard, (14 avril 1959) il remet ça, embrigadant le vert galant dans une autre liste, à l'occasion d'un passage traitant des raretés, et dans lequel il est question de « la barbe de Fidel Casto, le crâne de Henri IV enfant, le Jardin de Brêche Grignotte, la Topographie au Salpêtre, les Sols et Terrains de Dubuffet. »

Le 20 avril 1960, Vialatte récidive en incluant cette fois-ci le premier Bourbon  parmi Jeanne d'Arc, Ravaillac, Landru, Pasteur et Brigitte Bardot, lors d'une énumération des représentants de la « France éternelle ». Le 27 août 1963, revoici Henri IV, cité comme personnage préféré des Français de l'époque, en compagnie du pape Jean XXIII, de Brigitte Bardot, saint Vincent de Paul, le bourreau de Béthune et Khrouchtchev.

A propos de la vitesse de la lumière, dans un beau délire dont il a le secret, Vialatte un peu plus tard rend subitement et fort scientifiquement le 27 avril 1965 contemporain de ... l'assassinat d'Henri IV par Ravaillac : y aurait-il chez Vialatte une fascination secrète et ambiguë pour l'un des plus célèbres trousseurs de jupons du pays ?

Voire une véritable obsession ?

Car ce n'est pas fini. C'est peut-être la chronique du 5 octobre 1965, intitulée Le vase de Soissons qui contient la formule la plus lumineuse :

« L'âme française, écrit Vialatte, a toujours été démocratique, même dans ses monarques : Henri IV préfigurait les présidents de la République. »

 Voilà qui est dit.

 

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Quelques précisions : En 1954, le projet d’un billet Louis XIV, remanié plusieurs fois, avait dû être écarté, les reproductions des peintures de Rigaud ne donnant pas satisfaction aux pontes les plus éminents de la Banque de France. Pour la vignette de 5000 francs, qui devint ensuite la première de 50 NF, on demanda à un prix de Rome, et pas n'importe lequel, le bien-nommé Le Feuvre, de songer à ce qu'il pourrait faire avec un autre roi que le trop absolu Roi-Soleil, indésirable en pays désormais démocratique : l'élu fut alors Henri IV.

Et ce dernier devint du même coup l'unique monarque à figurer sur un billet de la République.

Beau symbole : Ne  préfigurait-il pas ainsi les monarques républicains que celle-ci allait bientôt s'offrir sous les traits de De Gaulle ou Mitterand ? 

Le monarque républicain, le voici donc dans toute sa débonnaire splendeur. Et puisque Paris valait bien une messe, Le Feuvre le plaça devant le Pont-Neuf en construction qu'on aperçoit à l'horizon, derrière la royale fraise, avec ses boutiques et son moulin du Petit Chatelet. En ce dix-septième débutant, le ciel de Paris est encore d'un bleu limpide, le moteur à explosion n'ayant pas encore été breveté. Sûr que dans cette Seine, on plongeait à la renverse des arches du nouveau Pont, et on pêchait, tout vif, le poisson. 

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De l'autre côté du billet, Le Feuvre grava la silhouette draculéenne du Château de Pau, ainsi qu'une chaîne des Pyrénées qui, ne connaissant pas le Tour de France, n'avait entendu jusqu'alors d'autre son de cor que le son de celui de Roland, lequel n'avait nul besoin de dopage pour décimer du sarrasin. 

On cessa d'imprimer ce fort joli billet en 1961. Et, l'année suivante, Jean Racine prit le relai dans le grave et mélancolique cortège des figures du Franc.

Démonstration avait été faite de la souveraineté symbolique du billet sur tous les régimes politiques : Le billet, c'est le vrai roi, le vrai président, le pourvoyeur de poules au pot devant l'Eternel et pour les siècles des siècles ... Le billet de banque, c'est l'autorité qui prévaut sur toutes les tables de la loi, ne nous y trompons-pas, comme l'assura en son temps un certain Honoré qui célébrait de roman en roman la toute puissante pièce de cent sous.

Un fondateur de dynastie sur le sol de Marianne, donc, pour assurer la liaison entre le vieux et le nouveau franc républicain, jeter un pont entre un régime parlementaire en pleine déconfiture et un régime présidentiel en gestation :  J'ignore combien la Montagne rémunérait son chroniqueur attitré.

Tout laisse à penser cependant que grâce à sa plume empanachée, ce dernier en gagna un bon nombre au fil de ces semaines, de ces mois, de ces années-là. De quoi remplir de poules aux cuisses bien dodues et bien fermes le pot de maints dimanches que le Bon Dieu fit. Et c'est ainsi qu'Alexandre est grand.

 

Autres billets de la même série ( cliquez sur les noms pour suivre les liens):

Victor Hugo, Richelieu, Bonaparte et Molière.

 

 

07:29 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : alexandre vialatte, le bon roi henri iv, billets français | | |

mercredi, 26 novembre 2008

Hésitations

 J'hésite sur le titre à donner à ce billet ...

1. Interdit aux moins de 18 ans

2. L'angoisse de l'écran blanc ...

3. Petit matin givré

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4. Yasmina Reza

5. PS : Une nouvelle direction

6. Coup d'état en Alaska

7. Ceci n'est pas un cube de glace

8. L'équilibre de Saturne

9. Mozart : La tête au carré

10 : Crise économique : le monde a perdu la boule

05:54 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (28) | Tags : yasmina réza, peinture, crise, politique, ps, art | | |

mardi, 25 novembre 2008

Alceste

J'ai le bon sens qu'habite pas loin de chez moi. La nuit, quand tout repose dans l'arrondissement, je vas lui demander quelques conseils. Il répugne jamais à m'en livrer quelques uns : le bon sens est un bon bougre que ne trouble pas sa popularité grandissante dans le pays. Les parchemins qu'il déroule ne sont-ils pas emplis de lieux communs qui ont aidé un sacré paquet de dépressifs à vivre en bonne sociabilité avec leur prochaine et son prochain ? Que si !  Il en délivre dans toutes les langues, pour tous les goûts et selon toutes les opinions. Il faudrait le décorer, bon sens, de la médaille du mérite citoyen. Je préfère aller l'entendre la nuit parce que, depuis qu'il a fait un mailing d'enfer en glissant des petits papiers roses avec son numéro de téléphone dans toutes les boites aux lettres, y'a une queue pas possible devant chez lui, du soir au matin. Avec ce qu'ils lisent dans la presse et ce qu'ils voyent à la télé, les gens du quartier, qu'est-ce qu'ils feraient sans ses conseils avisés ?

VOUS SAVEZ PLUS QUOI PENSER ?

VOUS SAVEZ QUOI DIRE ?
ALLEZ DANS LE BON SENS …

En allant chez lui, longtemps, je longe le grand boulevard qui ferme par le Nord le petit lot d'immeubles gris où je loge. A un endroit, y'a un misanthrope qui loge dans les grands arbres presque centenaires qu'on parle de couper à cause de leurs puces qui tombent sur les enfants quand ils jouent dessous. Il est le seul à jamais tendre l'oreille au bon sens. Une vieille avec une poussette m'a dit que la première fois où il l'a vue diriger ses pas par chez lui, il lui a jeté des cailloux dessus pour l'en détourner.  Vous vous rendez compte ? "On aurait dit un forcené". Une autre fois, il s'en est pris à un couple d'amoureux. Alceste a sa réputation qui tourne de plus en plus mauvaise. Le bon sens raconte à tout le monde qu'il faut plus l'écouter. D'ailleurs, quand novembre commence à répandre sur nous tous son air de banquise, et que les beaux platanes un à un ont perdu tout leur plumage, est-ce bien censé de continuer à crêcher là-haut, dans les arbres ?  Le bon sens dit : hein, voyez ? Est-ce bien censé ? A ce train là, plus personne ne lui adressera bientôt plus la parole. Bon sens dit que c'est ce qu'il cherche. La doctrine de bon sens, c'est qu'il faut pas faire de vagues, que tout se vaut dans ce bas monde, et qu'il faut laisser les originaux décoiffer les altitudes des plus hautes branches et passer son chemin : ils finiront par se lasser, rentreront tout penauds chez eux quand plus personne fera attention à eux. Avec bon sens, on se demande où va le monde, qui des deux roses emportera le parterre dans quelques heures et si on ferait pas mieux de tous s'aimer. Alceste, lui, il rêve devant les feuilles mortes et jette des cailloux sur la tête des passants. On sait plus trop ce qu'il faut en penser ...

08:11 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : littérature, politique, misanthrope, lyon, feuilles mortes, novembre | | |

lundi, 24 novembre 2008

Creative writing

Il parait qu'aux Etats Unis comme en Grande Bretagne, les creative writing ont le vent en poupe. C'est le Monde des Livres, celui daté de vendredi 21 novembre, qui l'affirme. Bigre. Sur une pleine page, Florence Noiville s'entretient avec plusieurs spécialistes de la chose. Un professeur, tout d'abord, du nom Amy Bloom, « professeur de creative writing à Yale ». Mes respects, professeur !

Amy Bloom commence par livrer une vision pour le moins caricaturale du travail d'écriture à la française : « En France, vous avez tendance à considérer que l'on nait écrivain » (je ne sais pas d'où il tire cette idiotie). C'est une vision romantique des choses  (Ah, je vois ! d'une mauvaise compréhension de quelques poèmes de Musset, les Américains et le second degré, c'est vrai que c'est toujours difficile ...)  La Grâce tombe sur l'auteur comme, à la Pentecôte, les langues de feu sur les apôtres...  (Oui oui, bien sûr, les Français s'imaginent tous ça ...  sont d'ailleurs tous - moi et toi compris, lecteur -  des demeurés mentaux) ... Passons. Certains "auteurs" se font payer, apprend-on plus avant dans l'article, 150 000 euros annuels pour apprendre de la technicité littéraire à des gens qui les sollicitent. Non, je rêve ! Moi, je me pince, en lisant ça. Sérieux ? Autre chose : « 70 % des universités anglaises possèdent un cours de creative writing. » Pour elles, c'est en train de devenir une matière à part entière, si ! si ! Il paraît que ça peut même sauver la filière Lettres ! Catastrophe ! Imagine-t-on Stendhal ou Proust, Dostoiëvsky ou Joyce, Balzac ou Céline apprenant à l'écrire à l'Université ... De quoi se fendre en quatre de rigolade, non ? En même temps, ils ne manquent réellement pas d'air, ces techniciens de l'écriture ! Vous me direz qu'il faut bien occuper les imbéciles, comme le disait le bon Bernanos, et qu'ils sont légions. Certes. La suite : « La sélection, pour rentrer dans ces ateliers, s'effectue sur un manuscrit de 5000 mots, une lettre de motivation et de solides références. » Là j'ai la nausée. Une lettre de motivation, les gars, un projet d'écriture solide, quoi !  Ce qu'en dit Russell Celyn Jones, un autre zozo directeur du programme de Birbeck University, à Londres : « Le choix n'est pas difficile. En cinq minutes, je peux vous dire qui a le sens de la langue et qui ne l'a pas » (Tiens, le sens de la langue serait inné ? on naîtrait écrivain, à présent...).

De l'aveu de leurs propres directeurs, les gens qui s'adressent à ces ateliers n'auraient « jamais ouvert un bouquin ». Est-ce si étonnant ?

Je ne connais, pour ma part, d'autre façon d'apprendre à écrire que d'ouvrir des bouquins, pourtant. Des vrais bouquins, bien sûr.. Des bouquins d'auteurs. Comme le fit Calaferte dans son usine crapoteuse : Car l'autorité va se chercher dans les textes, à l'ombre des Grands, surtout pas sur les bancs de l'école. L'autorité, c'est l'auteur, pas la technique. Cette fièvre de technicité est désolante, ridicule, et de surcroit obscène, comme tous les marchés de dupes. Etrange ironie que ce tourisme littéraire à l'adresse des ambitieux, des vaniteux et des désœuvrés de tous poils, des Trissotin et des Bélise de tous âges : c'est la star academy versus littéraire, ça promet. Les lecteurs disparaissant, les auteurs (ou du moins ceux qui passent pour tels dans notre monde dément) devront, pour survivre, "apprendre" à écrire à ceux qui ne liront désormais jamais plus leurs livres, trop occupés qu'ils seront à littéraliser leur petit moi. Le marché de l'autofiction a encore de beaux jours devant lui. Car Florence Noiville conclut ainsi son article : « Ces cours seront désormais un point de passage obligé dans le paysage littéraire britannique. C'est là que se fait l'editing, c'est à dire le travail de mise au point et de polissage des textes.... »

 Bref, on apprend à naître auteur, comme ailleurs à être journaliste ou politicien ... Orwellien au possible, au pays de Sa majesté, non ?

Cela me rappelle un alexandrin que j'avais crayonné sur le trottoir d'une rue, il y a longtemps, très longtemps. Quand je croyais encore qu'on pouvait, oui, comme au temps de l'heureux mal-être (1), exprimer un peu de sa révolte et faire la manche en un même élan :

Combien m'achetez-vous ce bel alexandrin ?

 

 (1) Expression de Lephauste, dont je recommande la lecture à tous des textes "à rebrousse-poil" sur Humeur Noirte. Par ces tristes temps de malheureux bien-être, c'est salutaire.

 

 

06:06 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (30) | Tags : creative writting, george orwell | | |