Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

mercredi, 31 décembre 2008

Le billet qui n'existe pas

Paul Cézanne comme il a failli se trouver un jour dans votre portefeuille. On a préféré, in extremis, une autre version.
100F%20Cezanne%20essai%20R2.jpg
Idem avec Saint-Exupéry, première maquette du 50 francs, vite reléguée aux oubliettes
art12_maquette50F.jpg
Un Votaire psychédélique, qui n'a pas été retenu non plus à l'époque
art34_image3.jpg
Une ébauche du Bonaparte, lui aussi demeuré dans les cartons de la BdF
essaiServeau10000a.jpg
Une ébauche d'un billet de dix francs, par Clément Serveau
art11_gouache%20recto.jpg
Une seconde de cent francs, datant des années cinquante :
essaiServeau100.jpg
Celle-ci, très belle, également
art10_%20Gouache%20MH.jpg
Et celui-ci, qui a du panache
de_Funes1.jpg
de_Funes2.jpg
Avec tout ça, si vous n'arrivez pas à vous payer un super reveillon !

BONNE ANNEE

2009

A TOUS

01:20 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (28) | Tags : fêtes, fête, noël, anciens francs, société, billets français | | |

mardi, 30 décembre 2008

Chronique de l'euro symbolique, de Roselyne Bachelot et de l'Amérique

Après avoir été promené dans un véhicule de la Samu sur les routes de l’Essonne durant cinq heures, un homme finit par décéder, après avoir trouvé portes closes dans 27 hôpitaux d’Ile de France et fait, entouré de médecins, trois malaises cardiaques successifs. Réaction de Roselyne Blanchot sur une chaine nationale, le 29 décembre au soir : « Pourquoi l’offre de soin qui existait n’a-t-elle pas rencontré la demande évidente ? Cela pose la question du pilotage de l’information. » Un ministre de la santé qui parle offre et demande en plein milieu d’un drame humain, cela devrait émouvoir le pays. Bof ! Plus le temps, vraiment. Plus le temps de relever les écarts de langage, le discours déconnecté, la technicité impuissante : Un mort à Cergy, un mort à Argenteuil : ce sont cette fois-ci des SDF. Mercredi, veille de Noël, un enfant meurt à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul dans le quatorzième arrondissement d’une surdose de magnésium. Nous sommes en France. 337 SDF sont déjà morts cette année dans la rue

Le litre de super sans plomb flirte à nouveau avec 1 euro, l’euro symbolique avec lequel bientôt, la Chine va acheter l’Amérique. Voilà une nouvelle intéressante, qui croise celle des routes verglacées. Les températures nocturnes descendant quasiment partout à moins cinq degrés, les alertes grand froid sont lancées tous azimuts. Je ne sais pas si, pour un euro, j’en voudrais, moi, de l’Amérique. Franchement. Que ferais-je de ses 302 074 000 habitants, dont la plupart sont, faut bien l’avouer, loin d’être un cadeau ? Il faut s’appeler Bush ou Obama pour développer de tels fantasmes. Ou Roselyne Bachelot. Ce serait drôle d’imaginer Roselyne en first lady américaine : Sa maison serait blanche. Elle trouverait la façade très laide. Avec raison, convenons-en. Première chose à faire, donc, refaire la façade, forcément, dirait-elle à quelques ouvriers obèses. Balancer ces colonnes neo-classiques, d’un goût kitch à dormir dehors par – 5.  Avec raison, à nouveau. On se souvient de la formule d’Alain Peyrefitte « Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera ». Il avait trouvé la formule si jolie qu’il en avait fait un essai, et les libraires avaient trouvé l’essai si vendable qu’ils en avaient fait un best-seller. C’était en 1973. Juste deux ans après la mort d’Alexandre Vialatte qui ne put jamais donc lire l’ouvrage. Juste un an avant le choc dit pétrolier. Je ne crois pas que ce genre de bouquins aurait intéressé Vialatte, remarquez.. C’était le commencement d’une lente dérive qui amena Jack Lang ou son nègre à écrire des conneries sur François 1er et Nicolas Sarkozy à épouser Carla Bruni.

Le dernier essai politique sérieux écrit le fut par Raymond Aron et c’était ses Mémoires. Cela date, tout de même, puisque je vois sur mon vieil exemplaire que le dépôt légal est de 1983. Début des plans-rigueur. Pauvre de nous ! C’est vrai que quand on compare le style des Mémoires de Raymond Aron, rien que la table des matières, tiens ...  et qu'à n’importe quelle page, on pioche une ou deux phrases, n'importe lesquelles...  -  avec le non- style, la table des matières, les phrases, de tous ces essais actuels de pseudo-politiques et de pseudo-intellectuels pour rayons culturels de grandes surfaces, on prend peur. On a beau dire, BHL, ça fait danseur mondain, à côté, ça renifle sa Dombasle à plein nez. Aron avait plus de classe. Madame Aron, dont je n’ai jamais vu l'image, également.

Pour un euro symbolique, je préférerais une toile de maître à l’Amérique. Mais bon, les Chinois, qui finalement ne sont rien que des Américains en puissance, préféreront se payer l’Amérique, c'est évident. Pour eux, c''est un rêve à débrider les yeux. Tant pis pour eux. Il y a très longtemps, j’avais rêvé que j’acquerrais un Quentin de La Tour pour un franc symbolique. Depuis, la valeur de mon rêve donc a été multiplié par 6,56, mais cela reste malgré tout un rêve, puisque je n’ai toujours pas de toile de maître à la maison. Quand Roselyne a fini de débiter son horrible phrase sur le capital-santé / libre échange hospitalier & tagada-tsoin-tsoin - avec tous ces morts en arrière-plan, on nous a annoncé que les Mutuelles allaient augmenter en flèche dès janvier : la seule façon de s’en sortir à partir de l’année prochaine serait de réfléchir à deux fois à ses dépenses santé. Eh oui ! tout ça coule de source, comme le gyrophare d'une ambulance entre 27 hôpitaux,  messieurs dames. C’est pourquoi elle serait mieux à la Maison Blanche que dans un grand ministère parisien, Roselyne !  Amis, dites à la Chine : pour un euro symbolique, on vous l’envoie, avec tout le reste de l’Amérique!

Et c'est ainsi qu'Alexandre serait grand.

Après avoir été promené dans un véhicule de la Samu sur les routes de l’Essonne durant cinq heures, un homme finit par décéder, après avoir trouvé portes closes dans 27 hôpitaux d’Ile de France et fait, entouré de médecins, trois malaises cardiaques successifs. Réaction de Roselyne Blanchot sur une chaine nationale, le 29 décembre au soir : « Pourquoi l’offre de soin qui existait n’a-t-elle pas rencontré la demande évidente ? Cela pose la question du pilotage de l’information. » Un ministre de la santé qui parle offre et demande en plein milieu d’un drame humain, cela devrait émouvoir le pays. Bof ! Plus le temps, vraiment. Plus le temps de relever les écarts de langage, le discours déconnecté, la technicité impuissante : Un mort à Cergy, un mort à Argenteuil : ce sont cette fois-ci des SDF. Mercredi, veille de Noël, un enfant meurt à l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul dans le quatorzième arrondissement d’une surdose de magnésium. Nous sommes en France. 337 SDF sont déjà morts cette année dans la rue

Le litre de super sans plomb flirte à nouveau avec 1 euro, l’euro symbolique avec lequel bientôt, la Chine va acheter l’Amérique. Voilà une nouvelle intéressante, qui croise celle des routes verglacées. Les températures nocturnes descendant quasiment partout à moins cinq degrés, les alertes grand froid sont lancées tous azimuts. Je ne sais pas si, pour un euro, j’en voudrais, moi, de l’Amérique. Franchement. Que ferais-je de ses 302 074 000 habitants, dont la plupart sont, faut bien l’avouer, loin d’être un cadeau ? Il faut s’appeler Bush ou Obama pour développer de tels fantasmes. Ou Roselyne Bachelot. Ce serait drôle d’imaginer Roselyne en first lady américaine : Sa maison serait blanche. Elle trouverait la façade très laide. Avec raison, convenons-en. Première chose à faire, donc, refaire la façade, forcément, dirait-elle à quelques ouvriers obèses. Balancer ces colonnes neo-classiques, d’un goût kitch à dormir dehors par – 5.  Avec raison, à nouveau. On se souvient de la formule d’Alain Peyrefitte « Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera ». Il avait trouvé la formule si jolie qu’il en avait fait un essai, et les libraires avaient trouvé l’essai si vendable qu’ils en avaient fait un best-seller. C’était en 1973. Juste deux ans après la mort d’Alexandre Vialatte qui ne put jamais donc lire l’ouvrage. Juste un an avant le choc dit pétrolier. Je ne crois pas que ce genre de bouquins aurait intéressé Vialatte, remarquez.. C’était le commencement d’une lente dérive qui amena Jack Lang ou son nègre à écrire des conneries sur François 1er et Nicolas Sarkozy à épouser Carla Bruni. Le dernier essai politique sérieux écrit le fut par Raymond Aron et c’était ses Mémoires. Cela date, tout de même, puisque je vois sur mon vieil exemplaire que le dépôt légal est de 1983. Début des plans-rigueur. Pauvre de nous ! C’est vrai que quand on compare le style des Mémoires de Raymond Aron, rien que la table des matières, tiens ...  et qu'à n’importe quelle page, on pioche une ou deux phrases, n'importe lesquelles...  -  avec le non- style, la table des matières, les phrases, de tous ces essais actuels de pseudo-politiques et de pseudo-intellectuels pour rayons culturels de grandes surfaces, on prend peur. On a beau dire, BHL, ça fait danseur mondain, à côté, ça renifle sa Dombasle à plein nez. Aron avait plus de classe. Madame Aron, dont je n’ai jamais vu l'image, également.

Pour un euro symbolique, je préférerais une toile de maître à l’Amérique. Mais bon, les Chinois, qui finalement ne sont rien que des Américains en puissance, préféreront se payer l’Amérique, c'est évident. Pour eux, c''est un rêve à débrider les yeux. Tant pis pour eux. Il y a très longtemps, j’avais rêvé que j’acquerrais un Quentin de La Tour pour un franc symbolique. Depuis, la valeur de mon rêve donc a été multiplié par 6,56, mais cela reste malgré tout un rêve, puisque je n’ai toujours pas de toile de maître à la maison. Quand Roselyne a fini de débiter son horrible phrase sur le capital-santé / libre échange hospitalier & tagada-tsoin-tsoin - avec tous ces morts en arrière-plan, on nous a annoncé que les Mutuelles allaient augmenter en flèche dès janvier : la seule façon de s’en sortir à partir de l’année prochaine serait de réfléchir à deux fois à ses dépenses santé. Eh oui ! tout ça coule de source, comme le gyrophare d'une ambulance entre 27 hôpitaux,  messieurs dames. C’est pourquoi elle serait mieux à la Maison Blanche que dans un grand ministère parisien, Roselyne !  Amis, dites à la Chine : pour un euro symbolique, on vous l’envoie, avec tout le reste de l’Amérique!

Et c'est ainsi qu'Alexandre serait grand.

 

 

lundi, 29 décembre 2008

Vu de Fourvière

 De tous les panoramas offerts au badaud qui farniente dans Lyon, le plus célébré se découvre du sommet du jardin du Rosaire, au pied de la basilique de Fourvière. On le doit à Léon Boitel, le fondateur tristement oublié de la Revue du Lyonnais. C'est lui qui, en 1833, conceptualisa le premier la perspective offerte par ce point de vue sur la cité : révélateur d’une part de sa beauté insoupçonnée, mais également de sa honteuse misère : car vu de Fourvière, la misère, autant que la beauté de Lyon se découvrent alors  à perte de vue : « Lyon amoncelé, Lyon accroupi, maisons sur maisons, jetées pêle-mêle, hautes et basses, noires et grises, blanches et bariolées, tatouées d’enseignes, longues, carrées, octogones, triangulaires ; tout cela groupé sans ordre entre le Rhône et la Saône, appelé ville, appelé Lyon. ». Lyon, écrivent Léon Boitel et L.A. Berthaud, l’un de ses collaborateurs « est bizarre, vu de Fourvières : on dirait un monstre rabougri, plié sur lui, tordu dans ses larges écailles, se chauffant le dos au soleil, se baignant à la pluie ou se séchant au vent. » Ce qui frappe le plus l’esprit des deux compères, c’est la folie et le désordre du monde humain, la miniaturisation des bâtiments, des places et des statues :

« J’ai vu notre Louis XIV de là-haut, et il m’avait tellement l’air d’un singe à cheval sur un chien, que j’ai tremblé pour ses jours en voyant un milan qui tournait au-dessus de lui, prêt à descendre et à l’accrocher de sa serre. Qui sait pourquoi le milan le prenait ? Pour un moineau, peut-être. »

Contrastant avec la  mesquinerie des bâtiments, le cadre naturel révèle alors une majesté romantique insoupçonnée, «la courbe de la Saône, les plaines lointaines,  fertiles et peuplées d’arbres , à tel point qu’ils se demandent pourquoi le faubourg de la Guillotière, plutôt que de s’étrangler contre ce Lyon épuisé, haletant, poussif, rendant l’âme et demandant de l’air à ses grandes maisons enfumées, ne va pas lascivement s’y étendre."

 

Si ces pages furent mille fois imitées par la suite, c’est qu’elles résumaient à merveille l’osmose entre une grande ville, son cadre naturel et le mythe de sa fondation, osmose certes à présent compromise par l’industrialisation galopante et le développement des banlieues, mais encore perceptible par qui chercherait à comprendre cette mythique beauté de Lyon. Tournant le dos à l’Est, à la nature et à la plaine, la ville vient, en effet, buter contre Fourvière, le Forum Veterum  bâti sur la colline aux corbeaux où vient mourir chaque soir la lueur de son dieu. La campagne y est invisible et  l’ascension de ce mont seul est capable de dévoiler le cadre lumineux dans lequel elle baigne tout entière : De là à conclure que son vrai visage, la face cachée de ce dieu qui n’est que matérialité de la lumière, ne se révèle sous un jour heureux que de ce sommet, il n’y a qu’un pas que franchirent implicitement les nombreux romanciers qui reprirent le motif.

C’est ainsi, par exemple, que Joseph Jolinon transporte l’un de ses personnages, Me Debeaumont, (l’héroïne du tryptique Dame de Lyon, L’Arbre Sec et Le Bât d’Argent ) au sommet de la colline lors d’un moment de détresse particulièrement poignant. (1)

 

  « Parvenue en haut, détachée des groupes, elle n’entre pas à la basilique. Elle va et vient sur la terrasse. Comme celles qui n’ayant plus foi en Dieu cherchent là simplement la distraction de l’espace, un horizon qui absorbe les ennuis et accueille tous les désirs. »

La ville, effrontément claire, note le narrateur, lui apparaît sous un jour méridional.

« Sauf le fond invisible des hautes montagnes, la netteté à peine distincte des lointains, et quelques fines trames de brume dans les replis du sol d’où le soleil se retire, où la nuit va commencer, ce sont les mêmes ondulations, le même panorama, la même coloration des façades frottées au lait de chaux, rayées de gris et de bleu, les mêmes étendues de toits plats, décolorés, couverts de tuiles romaines, la même tranquillité » …

Et c’est là, seulement, de ce sommet magique et éclairé, qu’elle retrouve le courage et la fierté d’être lyonnaise :

« Mme Debeaudemont s’arrête, elle admire sa ville natale et la remercie de ce rappel. Pour un peu, bêtement, elle s’écrierait : « Mon Lyon », comme si elle allait fuir. Mais elle sait que sa ville, judicieusement assise et puissamment façonnée, résiste à toute épreuve, est un exemple d’obstination. Sage, sereine, belle à voir, assainie par le soleil. » 

 

Sur le même registre, une page particulièrement significative du roman  Myrelingues la Brumeuse (2), écrit en 1932, met en scène la lente ascension de Fourvière,  le mont pierreux, par les membres les plus prestigieux de la société idéale que le roman reconstitue en l’an de grâce 1536 :  Etienne Dolet, Bonaventure des Perriers, Maurice Scève, François Rabelais, Gadagne, Kléberger,  Champier, Juste, Gryphe… On y voit le groupe d’érudits deviser d’étymologies savantes le long de la ruelle-ornière du Gourguillon, jusqu’au plateau de Fourvière où Rabelais s’écrie tout soudain : Maintenant, comparez avec Paris ! La longue description qui suit, et dont on ne présente ici qu’un extrait, joue de bout en bout sur le thème de la révélation du site par une puissance naturelle bienveillante transfigurant littéralement  la représentation que les personnages se faisaient jusqu’alors de la ville :

 

« Au spectacle soudain révélé, ils furent pris d’émotion, ces voyageurs perpétuels, qui connaissaient tout l’univers admirable ! Ils regardèrent non sans douceur, étonnement et plaisir cette ville poussée au hasard, tortueuse et laide, faite de ruelles, ornières, trou punais, rues en zigzag ; puits, abbayes, couvents, églises, maisons sans grâce ; mais qui, baignée dans la vapeur bleue montant des fleuves, devenait imprécise, belle de lignes, sinueuse de contours et dont l’horizon fuyait éperdument vert et lointain avec des clochers, des forêts et des méandres argentés du fleuve, jusqu’aux Alpes neigeuses, inaccessibles et éternelles. Et si l’on ne voyait en ville par les rues que murs et fanges, du haut de la montagne on n’apercevait entre ces murs que fleurs et parures ; les jardins clos des monastères s’étendaient vastes, touffus et bariolés. Les rues sombres et les bâtisses hautes ne semblaient que des ombres tracées pour aviver encore les couleurs : les ourlets noirs font le drap plus blanc… Les vieux cloîtres souriaient… »

Le lien entre le mythe et la réalité, c’est donc, on le voit, la lumière et la magie soudaine de son rayonnement sur la ville qui l’opère. Que le silence diffus, dû à l’éloignement du centre ville, imprègne aussi l’endroit, et sa religiosité peut alors prendre le devant de la description . Dans Le Sang de la nuit, roman inspiré de l’affaire Gillet, Léon Daudet qui y transporte aussi ses personnages, joue de l’effet, non sans facilité :

 « La jeune femme et l’enfant, devenu un petit jeune homme, avaient fait à pied l’ascension de la colline sacrée et, après leur visite au sanctuaire, admiraient la perspective de la ville, de la rivière, du fleuve, des environs. Partout des jardins de monastères, de couvents, d’hôtels particuliers, apparaissaient entre les rangées de maisons, donnant à la cité laborieuse l’aspect d’un parc immense, irrigue, et semé de grands tombeaux. Aucun bruit ne montait de ce duel du végétal et de la pierre, que le son des cloches marquant l’heure et les cérémonies religieuses ; que quelques chants lointains de coqs. Rien ne donne mieux l’impression de la fuite du temps et de son vertige que la vision perpendiculaire et à vol d’oiseau, comme si l’image de la chute ouvrait aussitôt celle de l’éternité.»  (3)

 

S’ils sont légions, les récits à s’être réapproprié un tel panorama, (autant que les cartes postales à l’avoir reproduit), c’est que, pour les habitants comme pour les hôtes de passage, ce dernier est devenu un incontournable de l’imagerie lyonnaise  « L’âme de Lyon, s’écrie même un Edouard Herriot saisi de lyrisme, voilà ce qui nous émeut lorsque nous montons là-haut, sur la terrasse de Fourvière. Ce que l’on voit à l’horizon suffit à nous faire comprendre pourquoi tant d’hommes vivent là, dans ce carrefour magnifique où se croisent voies fluviales et routes de terre. » (4) Il paraît ainsi significatif, avant de tourner cette page, de citer deux témoignages :

Celui d’une femme, tout d’abord, Lyonnaise et donc familière des lieux :

 

« Accoudons-nous d’abord à la terrasse où tant de fois nous sommes venus aimer silencieusement notre ville. Par tous les temps, par toutes les saisons. Dans le matin, aigu et vif comme une hirondelle, dans l’après midi éclatant, alourdi de poussière et de lassitude, quand le dernier reflet s’accroche aux vitres du quai de l’Est ; par un clair de lune, décor polaire ; au printemps qui habille virginalement la montagne de Marie, à l’automne qui sent l’humus et le vent aigre, en janvier, quand la gelée blanche fripe les troènes du passage Gay et givre le masque d’Agrippa » (5)

 

Ensuite, cet extrait d’un Nouveau Guide Pittoresque de l’étranger à Lyon, daté de 1856 (6) :

 « Il (l’observatoire de Fourvières) s’élève depuis une vingtaine d’années sur le même plateau où se trouve l’église. Les Alpes à l’Orient, le Mont Cindre au nord, avec des percées qui permettent à la vue de s’étendre jusqu’à la Côte d’Or ; à l’occident, le commencement des chaînes de l’Auvergne ; au midi, des cimes nuageuses, dont quelques-unes peu éloignées de Bordeaux, forment son bel horizon.(…) Quand l’œil a parcouru, avec cette émotion que fait naître l’aspect des grandes choses, toutes les lignes lointaines de l’immense tableau, une curiosité de détails s’empare de l’observateur. L’observatoire de Fourvières est l’exécution heureuse et belle d’une pensée qui n’est pas sans grandeur. Les astronomes y trouvent un télescope de huit pouces de diamètres, dont la force est remarquable, une très belle lunette achromatique de six pouces, dont l’effet est plus bel encore ; enfin les simples curieux et les étrangers, un spectacle vraiment magnifique, dont il est difficile de se faire une idée, quand on n’en a pas éprouvé la vive émotion. »

4455Blanc.jpg


 Vu de Fourvière ( Blanc & Demilly)

 


(1) Joseph Jolinon, L’Arbre sec (chapitre VIII), Paris, Rieder, 1933

(2) Claude le Marguet, Myrelingues la Brumeuse (III, 19, chapitre, précise Le Marguet « à sauter par les lecteurs avides d’événements » , Paris, Boivin, 1933

(3) Léon Daudet, Le sang de la nuit

(4) Edouard Herriot, « L’âme de Lyon », in La Patrie lyonnaise, op. Cit.

(5) Mag Cabanes, Le Masque de Lyon, op. cit.

(6) Nouveau Guide pittoresque de l’étranger à Lyon, Paris, Bally et Conchon éditeurs, 1856

05:05 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : léon boitel, vu de fourvière, joseph jolinon, léon daudet | | |

dimanche, 28 décembre 2008

Le sens des Innocents

A la fin du chapitre qu'il consacre à Saint Etienne, Jacques de Voragine (La Légende dorée) réfléchit à l'organisation du calendrier liturgique qui, juste après la Nativité, place la célébration de trois martyres : ceux d'Etienne, de Jean, des Innocents. Voici ce qu'il rappelle :

"L'église a eu deux raisons pour organiser ainsi les trois fêtes qui suivent Noël. 

La première, c'est de rassembler ses compagnons autour de l'Epoux et du Chef. En effet, le Christ époux, en naissant, a conduit vers l'Eglise trois compagnons, dont on dit dans le Cantique : Mon bien-aimé est clair et vermeil, il est insigne plus que dix mille.  Clair est Jean l'Evangéliste, confesseur éclatant; vermeil est saint Etienne le protomartyr; insigne plus que dix mille est la multitude vrginale des Innocents.

La seconde raison est la suivante : l'Eglise réunit ainsi, selon leur degré de dignité, tous les genres de martyres dont la naissance du Christ martyr a été la cause. Or il y a trois types de martyre : le premier consiste en une volonté et un acte, le second en une volonté non suivie d'acte, le troisième en un acte et non une volonté. Le premier type se réalisa en saint Etienne; le second en saint Jean et le troisième dans les Innocents."

Voilà ce qui s'appelle créer de la signification. Ce que les sociétés dans lesquelles nous nous trouvons ne savent absolument plus faire. A un point qui a même cessé d'être consternant. D'où leur nullité. Et leur agonie. Loin, fort loin des Innocents.

17%20RUBENS%20MASSACRE%20OF%20INNOCENTS.jpg
Rubens, Massacre des Innocents 1621

 

samedi, 27 décembre 2008

Etienne,le lapidé

Ce que les païens appellent les fêtes de Noël cela dure longtemps, s'étire, s’éternise jusqu'à la plus absolue nausée, au mensonge le plus absolu, au dégoût véritable. Aussi cuvent-ils sous le sapin, couverts de guirlandes, prêts à enchaîner avec la Saint-Sylvestre et hop la boum, champagne et lumières multicolores, Aspégic et corbeilles d'huitres béantes, volailles dodues digérées ou pas, smac-smac et pouêt pouêt. Pendant ce temps, l'Eglise a déjà quitté la Nativité pour s'intéresser au Martyre. Le martyre d'Etienne, annonciateur de celui du Christ. "Seigneur, reçois mon esprit" s'écria Etienne, lapidé, sous les yeux de Saul. Et il rajouta, à l'Imitation de Jésus : "Ne leur compte pas ce péché". Dans une primatiale presque vide, le Recteur de Saint-Jean Baptiste à Lyon tentait donc d'expliquer, hier soir, par quel mystère inconnu de la fête des Lumières, inaccessible à l'intelligence humaine, une naissance peut n'être, tout-soudain, que l'envers d'un martyre, et demeuré malgré tout une fort bonne nouvelle. En l'écoutant, je pensais à Vassili Grossman qui disait à peu près la même chose, mais en termes plus littéraires, dans un texte que j'avais déjà cité sur ce blog et que je replace en lien, car on n'en aura jamais, nous autres, fini de ne pas comprendre ces terribles choses-là : d'ailleurs, disait le Recteur, c'est pourquoi ce sont des mystères...

048ter.jpg

  

Statue de Saint-Etienne, entrée du choeur, oeuvre d'un certain BLAISE (c'est écrit sur le socle) 1776

Il se trouve que l'autre dédicace de la cathédrale de Lyon (magnifique, cette cathédrale, oh, ce n'est pas Chartres, bien sûr, mais comme Louis Guilloux le disait de celle de Saint-Brieuc, cette cathédrale, c'est la mienne, c'est ma paroisse), l'autre dédicace de l'église de Lyon, c'est celle de Saint-Etienne, le lapidé. C'était donc un peu la fête de la cathédrale de Lyon, hier soir. Nous n'étions vraiment qu'une poignée, mais pas de raisons pour ma part d'en être désolé : Moins on est de fous, parfois, mieux on rit.

 

Aujourd'hui, samedi 27 décembre, c'est la Saint Jean. Non, pas celle de Jean-le-Baptiste, mais celle de Jean, l'Apôtre et l'Evangéliste. Je lisais l'autre jour sur un blog ami que les saints avaient disparu du calendrier des PTT cette année. Comment quiconque peut-il comprendre quoi que ce soit à la religion catholique, si on supprime les saints du calendrier ? Mais sans les saints, nul ne sait plus quel jour il habite, c'est un peu comme si on supprimait les numéros des rues, comment s'y repérer ? Ah, ils savent bien ce qu'ils font, car le saint du jour, c'est ce qui donne son humanité, sa couleur, sa senteur, sa mémoire, sa religion à une journée. Mais quel saint, de toute façon, le calendrier terne de notre époque sans mystère peut-il conserver en mémoire ? Le calendrier païen est bâclé par paquets de deux ou trois semaines, allez, voilà pour les beaufs les fêtes, les jeux olympiques, le téléthon, la saint-Valentin, tsoin-tsoin..., les départs en vacances...  Les vacances d'hiver, par paquets de trois, et ceux de Pâques itou, avec la ribambelle à suivre des fêtes des mères, pères, grand mères, grandes sœurs, petits cousins et vilaines tantes....  L'Eglise est plus studieuse, bien plus subtile, plus appliquée, et tant plus généreuse, aussi : Le 28 décembre, ce sera les Innocents, le 29 décembre, Saint Thomas Becket (première chapelle installée à Fourvière)...  Mais hier, 26 décembre, c'était la fête non pas de tous les Etienne, comme le dit en accompagnant d'un sourire fort niais son discours une présentatrice de la météo, mais d'un seul, aussi incompréhensible qu'Œdipe, le Grec énucléé, c'était la fête d'Etienne, le chrétien, lapidé.

01:49 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (26) | Tags : religion, christianisme, saint-étienne, saint-jean, lyon, culture | | |

vendredi, 26 décembre 2008

Le marchand-fabricant : un type littéraire lyonnais

« Ne lui demande rien ; il a mal à la main qui donne » « On ramasse pas des argents à regonfle sans les tirer de la poche de quelqu’un. » ; « Le fabricant mange quand il a faim, le canut quand il a pain. » :  La première caractéristique du marchand fabricant, dûment consignée par la plaisante sagesse lyonnaise, [1] c’est tout simplement l’avarice. Une avarice chronique Si par hasard le marchand fabricant fait preuve de bonté, il convient donc de le consigner aussitôt dans des registres. Marcel Grancher relate dans des souvenirs de jeunesse [2]  l’anecdote de ce patron qui, après avoir remis d’année en année l’augmentation de leur vieux fondé de pouvoir en alléguant  tantôt la baisse des cours en Chine, tantôt les krachs américains, finirent par lui proposer, en guise de faveur susceptible de le faire patienter une année de plus, la clé des W.C. patronaux, qu’il pourrait utiliser désormais à sa convenance, au même titre qu’eux [3].

 

Deuxième caractéristique constitutive du personnage, il est triste et casanier. En publiant chez Grasset sous le pseudonyme de Jean Farmer une satire codée des milieux industriels lyonnais, Jean Duplan ouvre en 1911, avec Messieurs les Fabriciens, une porte dans laquelle beaucoup s’engouffreront par la suite : 

« La gaieté est une attitude vulgaire qu’il faut laisser aux petites gens. Le pessimisme seul est comme il faut. Donnez à votre visage un aspect sévère et triste. C’est celui qui s’harmonise avec les murailles grises de nos maisons. »[4]

Le territoire du marchand-fabricant, demeure bien sûr Le quartier du Griffon où il vit depuis 1831 sous la terreur inavouée du pays des canuts qui le domine : La rue Terraille, où sont les entrepôts de M. Dax, « morne et terne », serrée « entre d’immenses maisons laides, gluantes d’humidité » ; la rue des Capucins où loge l’Adolphe Haudequin de Colette Yver[5] ; la place des Feuillants, siège de la redoutable maison Chambard-Giroud de Ciel de Suie :  Au début de ce roman, la description qu’Henri Béraud fait de la caste est un morceau indépassable :

« Sur les pavés toujours gras, qui semblent renvoyer au ciel plus de clarté qu’ils n’en reçoivent, le jour plombe comme une pluie de cendres. Sans relâche, un relent de latrines s’exhale des cours et des impasses, où les gens glissent en silence, comme des noyés. C’est le Griffon. C’est le quartier des millionnaires.

L’étranger, que l’aventure égare en ces lieux se demande s’il ne rêve point. Il se frotte les yeux, il se bouche le nez : « Quoi ! Les plus riches commerçants de la terre vivraient là, dans cette ombre et ces odeurs ?-  Ils y vivent. Et ils y meurent.

C’est au fond de ces taudis que, poursuivant de père en fils la tache séculaire, ils s’acharnent à la besogne. De génération en génération, l’usure des meubles leur a renvoyé le reflet de visages plus durs et plus tristes. Lyon leur appartient. Vingt mille immeubles leur suent des rentes ; leurs châteaux déserts règnent sur des lieues de vignes, de blés, d’étangs et de bois ; leurs coffres regorgent ; ils pourraient dominer le monde et vivre comme des princes, et ils sont là, chaque jour, souvent seuls, dès l’aube et tard dans la nuit, même le dimanche . Ils ignorent la joie. Ils se refusent le moindre plaisir. Une seule passion les dévore, la plus ardente et la plus opiniâtre, celle qui ferme dans l’effort d’une suprême convoitise les doigts crochus de leurs moribonds. »[6]

 

Troisième caractéristique, une discrétion toute matinée de patine provinciale : « Efforcez-vous d’être comme tout le monde, c’est une attitude lyonnaise », tel est le conseil de Calixte prodigué par Jean Dufourt dans son Introduction à la Vie Lyonnaise :  Avarice, tristesse, discrétion, pour ne pas dire hypocrisie, bêtise : le marchand fabricant de naguère a finalement très mauvaise presse. Pourtant, comme celle du canut, sa légende possède un double versant. On peut, comme le suggère Henri Pansu dans l’étude qu’il consacre à l’un d’entre eux,[7] tenter de comprendre le caractère et de cerner ses paradoxes à l’aune des circonstances historiques qui l’ont modelé. Dans un monde en crise dont il ne  maîtrise pas tous les enjeux, le marchand-fabricant est l’héritier contraint de la morale sévère de l’Ancien Régime. A la fois industriel et négociant, ce rude catholique s’est plus ou moins fait tout seul à force de patience et de ruse. Séduit par les libertés commerciales que lui présente la modernité, effrayé par les revendications sociales inévitables qu’elle occasionne, il fait au sens propre le grand écart entre l’église et la banque, tout en vivant le plus loin possible des modes parisiennes et des masses laborieuses, grâce à un emploi du temps bien rempli, qui constitue son meilleur refuge.

Du point de vue du marchand fabricant, l’avarice, qu’on ne s’y trompe pas, ne constitue pas tout à fait un vice, bien au contraire : elle est le symptôme de sa prévoyance, atteste la bonne tenue de son ménage, garantit la sage gestion de sa maison et relève de son éthique du travail, car « c’est l’argent qui fait l’argent », et « de rien il est difficile de faire quelque chose »[8] Son avarice est donc un signe de distinction, elle est le gage de sa moralité, de sa vertu, de sa religiosité : sans avarice au quotidien, en effet, pas d’affaires prospères et durables, pas non plus de charité possible. Or, bien qu’il pratique l’économie dans ses petits détails, il faut comprendre que le marchand fabricant, comme son épouse, est en réalité un être d'une extrême générosité :

« Tel d’entre nous dont les charités sont manifestes, publiques, éclatantes, ne donne à ses employés que des appointements de misère, et sa femme, quêteuse obstinée pour les pauvres, dispute avec ses domestiques sur une augmentation de gages de dix francs ».[9]

De même, son apparente mesquinerie masque de façon aussi singulière qu'oriçginale un idéal de beauté auquel, en pur esthète et en victime immolé, il sacrifie avec goût l’essentiel de son humanité :

« Tout sue la misère, et pourtant, c’est plein de soie là-dedans, -plein de soie, plein d’or ; -les balles, soigneusement emmaillotées de toile bise ou de paille, s’accumulent derrière ces fenêtres à grilles, s’empilent dans ces maisons lugubres, du plancher au plafond. On a logé la soie d’abord, les hommes ensuite ; les hommes n’ont pas besoin de beaucoup de place : ils n’ont guère à remuer, - rien qu’à travailler, immobiles, à travailler tout le jour, tous les jours. »[10]

Sa tristesse procède de la même logique : s’il a l’air si austère, c’est que sa joie ne saurait résider pas dans la poursuite des plaisirs, mais dans le fait, plutôt, de veiller sur une œuvre, d’être au monde, pleinement, par la seule énergie de son affaire : La seule passion à laquelle il reconnaît un intérêt, c’est donc de produire de la bonne et belle étoffe afin d’augmenter incessamment son obsédant chiffre d’affaires.

« Le grand-papa est l’homme de son pays qui a le plus travaillé et s’est donné le moins de récréation, c’est en partie pour cela qu’il est devenu riche, il nous faut le suivre sur le même chemin »[11]

 

Quant à sa discrétion, comment ne pas voir qu'elle atteste surtout de son goût pour l’indépendance ainsi que de sa grande prudence devant les soubresauts politiques et les mœurs du siècle ?  Le marchand fabricant est donc, en profondeur, un incompris. Il ne s’en plaint d’ailleurs que rarement, en homme avisé de l'humaine nature, et à quelques intimes seulement :

« Quoique je ne sois pas en mauvaise position, ma maison de commerce, non seulement absorbe tous les capitaux qu’elle a, mais encore nous sommes sans cesse à court d’argent, nous allons en quantité d’affaires, souvent plus loin que nos forces nous le permettent, nous sentons que nous devrions les réduire pour nous trouver moins gênés. Je le sens presque tous les jours. Bon nombre de nos connaissances ne s’en doutent pas parce que je ne me plains pas et que je fais tous mes efforts pour payer avec régularité ce que nous devons. Il faut être chef pour savoir toute la peine qu’il y a à prendre pour faire face partout à tant de dépenses qui surgissent de tant de côtés. »[12]

Le « M. Dax » de « Mademoiselle Dax », l’« Armand Giroud » de Ciel de Suie, le « Calixte Paterin » de L’introduction à la vie lyonnaise, le « Charles Morande » de Vous êtes mon Lyon, « le Foitrasson » de Brumerives, le « Louis Goneret » du Sang de la Nuit, sans être interchangeables, sont tous modèles d’un même « patron ». Entre le caractère molieresque, le type balzacien, porteur de sa condition comme de sa croix, le marchand-fabricant est un personnage astucieusement kaléidoscopiques : selon le point de vue singulier de l’auteur, le modèle romanesque attire la sympathie ou l'antipathie du lecteur, selon qu'il sert ou dénonce l’idéologie qu'il incarne explicitement ; capitalisme, catholicisme, patriarcat. Pourtant, ni Farrère, ni Béraud, ni Dufourt, ni Giuliani, ni Chevallier, ni Daudet ne parvinrent à imposer vraiment à la Fabrique lyonnaise sur le déclin ce César Birotteau dont elle pourrait aujourd’hui s’enorgueillir.

C’est que la Comédie Lyonnaise eut le malheur de venir après la Comédie Humaine dont elle ne semblait présenter, avec plus d’un demi-siècle de retard, qu’une variante locale, lorsque d’autres figures moins romanesques se bousculaient au portillon des réussites pour lui faire la peau :

« D’autres changements l’amusaient : l’homme vedette de la soie n’était plus le seul à pontifier. On entourait surtout celui de l’automobile. De même, ne témoignait-on plus qu’une déférence modérée aux chefs de la banque et de la dorure, qui faisaient figure d’âmes en peine. En revanche, l’homme du ciment paradait. Et l’homme des produits chimiques avait le verbe haut. »




[1] Catherin Bugnard, La plaisante sagesse lyonnaise, Lyon, Audin,

[2] Marcel E. Grancher, Reflets sur le Rhône, Lyon, Rabelais, 1945

[3] La même anecdote se retrouve dans le roman Brumerives de Gabriel Chevallier, publié en 1968 et réédité par Danièle Pampuzac (Gens de Lyon, op. cit.), dont l’action est contemporaine de cette faillite de la soierie. Ce roman relate la folle liaison d’un soyeux nommé Foitrrasson avec une courtisane du nom de Loulou Biche, sur fond de crise mondiale et de faillites.

[4] Jean Farmer, Messieurs les Fabriciens, Paris, Grasset, 1911

[5] Colette Yver, Haudequin de Lyon, Paris Calmann Lévy, 1927

[6] Henri Béraud, Ciel de Suie, Paris, Ed. de France, 1933

[7] Henri Pansu, Claude-Joseph Bonnet, Lyon et Jujurieux 2003, op. cit.

[8] Henri Pansu, Claude-Joseph Bonnet, lettres de Bonnet p 93

[9] Jean Dufourt, Calixte, Introduction à la vie lyonnaise, Paris, Plon, 1926

[10] Claude Farrère, Mademoiselle Dax jeune fille, Paris, Flammarion, 1908

[11] Henri Pansu, Claude-Joseph Bonnet, lettres de Victor Bonnet p 278

[12] Henri Pansu, Claude-Joseph Bonnet, lettre de C-J. Bonnet, p 286

[13] Joseph Jolinon, L’Arbre sec, Paris, Rieder, 1933

01:52 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, lyon, marchand-fabricant, société, romans | | |

jeudi, 25 décembre 2008

Noël en patois lyonnais

saint-joseph-charpentier-1640.jpg
Saint Joseph charpentier
(Vers 1640)
Georges de La Tour
Musée du Louvre, Paris

Ce Noël  en patois lyonnais a été imprimé dans divers recueils six fois de 1757 à 1939. De graphie différente, la dernière strophe est probablement un rajout.

Qu'ét-ay donc cela novela

Ce dit maître Jean Capon ?

Et-ay vray qu'na Vierge-pucella

Que tot le one s'appreta

Per verre lo novio venu

Nos en seran de la feta

Dussian no alla pi niud

 

Qu'et-ay donc celo grands homme

Que sont bio comme de ray ?

Il an tous trais de couronne

Y'en a un qu'est tot nai.

Grou Guillot, pren ta museta,

Et toi, ton aubois, Michi :

Noz en sera de la fieta

J'ai  mon tambor per tochi.

 

Saint-Joset prit se lunnette

Per avissa qui etoit.

Y cherchi de z-allumette,

Mais la bisa que soflave

Per mas de trenta golet,

Chaque fay qu'i se bessave,

Fessave chere son bonet.

 

Lo diablo entendit la feta :

Il est veny per la vey :

S'en alla fora la teta

Par un trou de la parey.

Saint Joset prit sa verlopa,

Ly foity una vortollia,

Il en a yu, la charlopa,

Lo groint tout ecarmailla.

 

La mare s'epoventave,

Se rengrave dans un coin :

A gran coite elle engonçave

L'enfant dens un pou de foin.

L'ano a pou, le bou se confia;

Ly veni sota dessus;

En soflant comme una ronfla

Li foiti se corne u cu.

 

Lo guiablo, ben en colere,

Se veyant traita ainsy,

V'a ronflant per la charera

Comm'un fouet de charrety;

Et veyant bien qu'i n'avave

Grin d'endret per se logi,

Y trovit une boutasse,

Y s'y alli dandogli.

 

 

Traduction :

 

Qu’est-ce-donc que cette nouvelle ?

Dis, maître Jean Capon ?

Est-il vrai qu’une pucelle

Vient d’accoucher d’un poupon ?

Que tout le monde s’apprête

Pour voir le nouveau venu ?

Nous  serions de la fête

Dussions-nous aller pieds nus.

 

Qu’est-ce donc que ces grands hommes

Qui  sont beaux comme des rois ?

Ils ont tous trois des couronnes,

Il y en a un qui est tout noir.

Gros-Guillot, prends ta musette,

Et toi, ton hautbois Michel :

Nous serons de la fête :

J’ai mon tambour pour jouer.

 

Saint-Joseph prit ses lunettes

Pour voir qui c’était.

Il chercha des allumettes

Pour enflammer son lumignon :

Mais la bise qui soufflait

Pas plus de trente trous,

Chaque fois qu’il se baissait

Faisait tomber son bonnet.

 

Le diable entendit la fête

Il est venu pour la voir :

Il est allé fourrer sa fête

Dans un trou de la paroi.

Saint-Joseph prit sa varlope

Lui en donna une rossée

Il en a eu , la charogne,

Le groin tout écrabouillé.

 

La mère était effrayée

Elle se retirait dans un coin

En grande hâte elle enfonçait

L’enfant dans un peu de foin.

L’âne a peur, le bœuf se gonfle :

Il vient lui sauter dessus.

En soufflant comme une toupie

Il  lui flanque ses cornes au cul.

 

Le diable, bien est en colère

Se voyant traité ainsi.

S’en va ronflant par la rue

Comme un fouet de charretier ;

En  voyant bien qu’il n’avait

Aucun endroit pour s’abriter,

Il y trouva une mare

Il alla y barboter.

13:18 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : noël, patois, lyon, littérature, poème, poésie | | |

mercredi, 24 décembre 2008

Intérieurs canuts

Voici Noël, un de plus. Un père Noël qui vous invite une fois de plus à bouffer du Lyon, grâce à ces deux gravures représentant des intérieurs de tisseurs. Ambiance.

interieur-canut.jpg

L’atelier est aussi un lieu d’habitation. Le métier à tisser tient le volume le plus important. La suspente est sous le plafond. Le poële, au centre de la pièce. On reconnait l'ancien carrelage, fort typique. Chats, souris, canaris cohabitent avec la famille. Une tradition locale veut que la vitalité de l’oiseau garantisse celle des humains. Image de prospérité, cinq personnes sont au travail et les enfants jouent. Deux femmes préparent les canettes, sur des mécaniques différentes. La tisseuse tire sur le cordon pour lancer la navette d’un métier d’unis. Le tisseur, lui, procède à quelques réparations sur sa pièce. Il est probable que cet atelier se trouve sous un toit de Saint-Georges, avant que les canuts n’émigrent à la Croix-Rousse.  Mobilier, gravures au mur, buste, plantes, bénitier, buis : l’estampe, qui date du XIXème siècle, montre une famille de tisseurs laborieux et religieux, sous l’Ancien Régime, avec le souci de célébrer l’âge d’or d’une période de prospérité perdue. Elle provient du musée Gadagne dont on espère la réouverture durant l’année 2009

interieur-tisseur.jpg

Toujours issu du musée Gadagne (fonds Justin Godart), ce dessin de Gérardin, d’après nature. La crise industrielle s’est installée. Le métier à tisser occupe toujours le volume le plus important, mais les chats, souris, canaris semblent bien plus maigres. Ils ne sont plus que deux, et seul l’enfant qui joue garde un peu d'insouciance. Assis au tabouret, il la regarde, inquiet, qui fait bouillir le linge. Elle aussi est soucieuse. Le linge déjà étendu en arrière plan, on sent la récupération. Au sol, le carrelage s’est abîmé. Une mécanique surmonte désormais le métier à tisser ; un progrès ? Pas pour tout le monde : Sur la table ne trône qu’une unique bouteille, qu’on devine vide. Comme sur la gravure du haut, un balai est placé au premier plan. On reconnait ce même type de fenêtres, à petits carreaux de papiers gras. Il est certain que cet atelier est à la Croix-Rousse.  Et que ce couple est locataire, de l'unique pièce comme du métier. Qui ne possède que sa seule force de travail est un prolétaire : le monde moderne et rugissant est en route.

 

01:02 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : lyon, noël, croix-rousse, histoire, canuts, crise, travail | | |

lundi, 22 décembre 2008

Une autre lecture (2)

culin 9.jpg

 

De beaux livres, aux couleurs de charbons incandescents et de flammes rougeoyantes : le tonneau pèse. D'un geste amical, c'est désormais l'homme qui soutient ; l'appui de la pointe du pied sur le sol, cet autre du fût sur le genou, bras tendus pour que le cheval se désaltère après l'effort commun.  Tendre complicité de l'instant de la pause, entre l'homme et l'animal. Un passage attentif, aussi, de l'univers du paysan, à celui de l'artisan : Paul-Émile Colin est né à Lunéville en 1867. Il fait des études de médecine, mais se détourne très vite de cette profession pour se consacrer, dès 1901 à la gravure sur bois. Malgré une myopie fort importante,  il illustre plus d’une vingtaine de livres, au canif et au burin sur bois. Paul Emile Colin travaille la technique des cuirs incisés & incrustés, peignant à la gouache les gardes de certains de ses ouvrages. Il célèbre la campagne, les cieux et les villages lorrains, avec de splendides couvertures teintées de camaïeux havane et marron, incrustées dans des maroquins bruns ou noirs. Paul-Émile Colin est décédé en 1949 à Bourg-la-Reine.

4.jpg

Le chapeau est posé sur le sol, là où reposent, également, les deux genoux. Quelle douleur secrète, ou quel espoir, quel murmure de quel angélus s'est brisé, quel sanglot ailleurs retenu peut soudain s'exprimer dans la solitude ? Les rayons consolateurs du couchant effleurent l'épaule et le cou, et l'eau de la rivière, saisie entre les paumes, désaltère.

12:13 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : paul émile colin, reliure | | |