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mardi, 18 novembre 2008

Madone Sixtine

"Sa beauté est étroitement liée à la vie terrestre. Elle est démocratique, humaine. Elle est inhérente à la masse des êtres humains - ceux qui ont la peau jaune, ceux qui louchent, les bossus aux longs nez pâles, les noirs aux cheveux frisés et aux graphael-01.jpgrosses lèvres -, elle est universelle. Elle est l'âme et le miroir de l'humanité, et tous ceux qui la regardent voient en elle un être humain : elle est l'image de l'âme maternelle, c'est pourquoi sa beauté est à jamais entremêlée, confondue avec la beauté qui se cache indestructible et profonde partout où la vie naît et existe - dans les caves, les greniers et les bas-fonds. Il me semble que cette Madone est l'expression la plus athée qui soit de la vie, de l'humain sans la participation du divin. Par moments, j'avais l'impression qu'elle exprimait non seulement l'humain, mais aussi quelque chose d'inhérent à la vie terrestre prise dans son sens le plus vaste, au monde des animaux, partout où, dans les yeux bruns de la jument, de  la vache ou de la chienne nourrissant ses petits, on peut voir, deviner l'ombre prodigieuse de la Madone. Et plus terrestre encore me paraît être l'enfant qu'elle tient dans ses bras. Son visage semble plus adulte que celui de sa mère.

Un regard aussi triste et aussi grave, dirigé à la fois devant lui et à l'intérieur de soi-même, est capable de connaître, de voir le destin. Leurs visages sont calmes et tristes. Peut-être voient-ils le Golgotha, la route poussiéreuse et caillouteuse qui y mène, et la croix, monstrueuse, courte, lourde, en bois brut, destinée à reposer sur cette petite épaule qui ressent pour l'instant la chaleur du sein maternel (...) Pourquoi n'y-a-t-il pas de peur sur le visage de la mère, pourquoi ses doigts ne se croisent-ils pas autour du corps de son fils avec assez de force pour que la mort ne puisse les desserrer, pourquoi ne veut-elle pas le soustraire à son destin ? Elle offre son enfant au destin, elle ne le dissimule pas. Et le petit garçon ne cache pas son visage dans le sein de sa mère. Il est sur le point de s'arracher à son étreinte pour marcher à la rencontre du destin sur ses petits pieds nus. Comment expliquer cela ? Comment le comprendre ?

 

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La Madone Sixtine avec son enfant dans les bras, c'est ce qu'il y a d'humain en l'homme, et c'est là son immortalité. En regardant la Madone Sixtine, notre époque y discerne son propre destin. Chaque époque contemple cette femme avec son enfant dans les bras et, entre les hommes de générations différentes, de peuples, de races et de temps différents, surgit une fraternité tendre, émouvante et douloureuse. L'homme prend conscience de lui-même, de sa croix, il comprend soudain le lien merveilleux qui existe entre les époques, entre ce qui vit aujourd'hui et tout ce qui a été, tout ce qui sera (...)  La force miraculeuse et sereine de ce tableau tient à ce qu'il nous parle de la joie d'être une créature vivante sur cette terre. Ce tableau nous dit combien la vie doit être précieuse et magnifique, et qu'il n'est pas de force au monde capable de l'obliger à se transformer en quelque chose qui, tout en ressemblant extérieurement à la vie, ne serait plus la vie. C'est pour cela que les visages de la mère et du fils sont si sereins : ils sont invincibles."

LA MADONE SIXTINE  (Vassili Grossman - 1955)

00:04 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : vassili grossman, madone sixtine | | |

Commentaires

Votre choix, ce texte, la madone, ma journée finit bien. merci Solko.

Écrit par : Sophie L.L | mardi, 18 novembre 2008

BABY BLUE

Le monde est une femme immobile
Dont la robe danse au fil de l'eau
Créant des formes et des couleurs
Au contour de nulle part

Le monde est une femme visible
Nu vêtu de transparence intime
Dont l'unique enfant regarde
L'étendue de ses rêves

Calme est la joie qui resplendit
Dans le coeur des madones
Immuable couverte par les flux
Des caresses sans fin

Écrit par : gmc | mardi, 18 novembre 2008

@ Sophie : C'est un très beau texte, en effet, de l'auteur de Vie et Destin, que je n'ai pas encore lu en entier.
@ GMC : merci pour votre poème, "vu".

Écrit par : solko | mardi, 18 novembre 2008

Très beau texte, en effet. J'aime beaucoup Vassili Grossman.

Et le père, sinon, qu'est-ce qu'il fait dans la vie?
Il peint, monsieur, il peint.

Bon, bon, je blague.

Écrit par : Pascal Adam | mardi, 18 novembre 2008

Très beau texte ! Madone sixtine c'est l'anti Christ mort de Holbein apparemment ... (???)

Écrit par : frasby | mardi, 18 novembre 2008

@ Frasby : Là où Holbein présente un cadavre, Raphaël propose un enfant dans les bras de sa jeune mère, vive, sensuelle. Peut-on dire que l'un est l'anti de l'autre ? Les deux bouts d'un destin, du destin, les deux points ultimes d'une meêm chaine, plutôt. Depuis longtemps, je me dis que je vais me plonger dans ce pavé, Vie et Destin, et puis je recule et j'hésite. J'attends de disposer d'une longue plage de temps.
Du 26 au 30 novembre (c'est bientôt) l'adaptation qu'en a faite Lev Dodine arrive aux Célestins. 3h. 20, surtitré en russe... Je recule un peu. Je lirai un jour ce livre imposant.

Écrit par : solko | mardi, 18 novembre 2008

@ Pascal : What are you doing with your fucking comments ?

Écrit par : solko | mardi, 18 novembre 2008

Est-ce qu'on peut dire: en regardant encore "cette" Madone sixtine, je regrette le temps où je portais mes enfants comme ça contre moi?j'en ai le manque physique.

Écrit par : Sophie L.L | mardi, 18 novembre 2008

@ Sophie : La mère est en mouvement. La beauté de ce tableau est aussi dans le corps de Marie, qui va quelque part, c'est vrai. Et là où elle va,le fils grandit. Je trouve le texte de Grossman, pour ça, sublime. Vie et destin.

Écrit par : solko | mardi, 18 novembre 2008

Tiens, vous râlez en anglais, vous... A part ça, ils sont open mes fucking machins. Enfin, normalement.

Écrit par : Pascal Adam | mardi, 18 novembre 2008

@ Pascal : Depuis que j'ai vu en VO un film sur la prohibition dont j'ai d'ailleurs complètement oublié le nom (une des dernières fois que je suis allé au cinéma) je ne râle qu'en anglais.

Écrit par : solko | mercredi, 19 novembre 2008

Le tableau est magnifique oui Solko et l'extrait de Grossmann très beau. J'ai chiné "Vie et destin" pour trois fois rien cet été en Ardèche, dans un petit bar/resto/bouquiniste. L'éditeur, une vague réminiscence, j'ai flairé la bonne pioche...

Reste à lire cet imposant pavé en effet... Mais déjà l'extrait que vous avez livré conforte le désir lointain...

Écrit par : Tang | mercredi, 19 novembre 2008

Beau texte ! (Sur un beau blogue que je découvre en suivant les liens !)

Écrit par : Zabou | mercredi, 19 novembre 2008

@ Tang : Ce n'est pas un extrait de V & D, mais d'une brève nouvelle de quelque pages seulement, adjointe à l'édition chez Robert Laffont, Bouquins.

Écrit par : solko | mercredi, 19 novembre 2008

@ Zabou : Merci à vous, soyez la bienvenue

Écrit par : solko | mercredi, 19 novembre 2008

"Christ mort de Holbein" c'était un commentaire en demi teinte,
mais vous avez raison de ramener les choses au sens strict, à leur origine et leur achèvement, tandis que j'évoquais plus vaguement la facture, la matière même des couleurs et l'effet purement esthétique (hors du sens , même s'ils sont , certes, inséparables) produits sur le visiteur... Un point de vue épidermique(si j'ose dire) sinon, je suis très en accord avec vos précisions.

Écrit par : frasby | jeudi, 20 novembre 2008

Un très bel article, celui qui m'a le plus touché quand j'ai découvert votre blog.
J'aime bien votre style d'écriture.
Continuer de nous faire réfléchir, c'est si rare de nos jours...

Écrit par : Celyus | dimanche, 23 novembre 2008

@ Celyus : Merci

Écrit par : solko | dimanche, 23 novembre 2008

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