jeudi, 18 septembre 2008
Léopold m'a taguer
"Léopold m'a taguer" (...). Il me faut donc choisir un livre, l'ouvrir (pas au hasard comme j'aime le faire), mais à la page 123, indiquer ses références (auteur, éditeur, année), puis tel un écolier appliqué recopier les lignes 5 à 10. Quelques lignes de circonstances, donc, récoltées chez Péguy, ("L'Argent", Gallimard, 1932) :
"Je n'aime pas, mon jeune camarade, et pour dire le vrai, je ne veux rien savoir d'une charité chrétienne qui serait une capitulation perpétuelle devant les puissants de ce monde. Je ne veux rien savoir d'une charité chrétienne qui serait une capitulation constante du spirituel devant les puissances temporelles."
A mon tour de désigner quelques victimes : Fond de tiroir, Myriam Gallot, File la laine et Romain Blachier
A la suite de mon tagueur, je répète les instructions, pour mes tagués : Vous devez :
-Citer la personne qui vous a tagué(e)
-Choisir un livre, l'ouvrir page 123,
-recopier les cinq lignes qui suivent la cinquième,
-indiquer les références du livre...-
-Et taguer 4 autres personnes à votre tour ! (les avertir aussi).
Bonne continuation
08:54 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, péguy, tag |
Correction de la version
Frangine d'altèque (Jolie soeur)
Je mets l'arguemine à la barbue (Je mets la main à la plume) pour te bonnir (pour t'apprendre) que ma largue aboule de momir un momignard d'altèque (que ma femme vient de mettre au monde un joli garçon ) qu'on trimbalera à la chique (qu'on ménera à l'église ) à six plombes et mèche (à six heures et demi) , pour que le ratichon maquille son truc de la morgane et de la lance (pour que le curé lui donne le baptême) ; ensuite on renquillera dans la taule à mézigue (ensuite on rentrera chez moi) pour refaiter gourdement (pour manger à satiété) et chenument pavillonner (et bien rire) et picter du pivois sans lance (et boire du vin sans eau).
Chenu sorgue roupille sans taffe, (Bonne nuit, dors sans peur)
Tout à tézigue (Tout à toi)
Pour mieux parler l'argot des voleurs...
00:00 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : argot, galtier-boissière, littérature |
mercredi, 17 septembre 2008
La version d'argot
Passé une partie de l'après-midi en compagnie de Madame de Sévigné, tous deux plongés dans le dictionnaire d'argot de Jean Galtier-Boissière et Pierre Devaux. Saine lecture; en avons ramené, pour internautes désireux de s'éprouver à cette belle et rude langue, ce petit devoir du mercredi.
Frangine d'altèque,
Je mets l'arguemine à la barbue pour te bonnir que ma largue aboule de momir un momignard d'altèque qu'on trimbalera à la chique à six plombes et mèche, pour que le ratichon maquille son truc de la morgane et de la lance ; ensuite on renquillera dans la taule à mézigue pour refaiter gourdement et chenument pavillonner et picter du pivois sans lance.
Chenu sorgue roupille sans taffe,
Tout à tézigue
Ton frangin.
20:14 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : argot, traduction, littérature, langue française |
mardi, 16 septembre 2008
Dom Mabillon et l'argot
C'est devenu une banalité, hélas, que de constater l'effacement de la langue française devant l'influence de l'anglo-américain dans le monde. C'en est presque une autre, hélas, hélas, que de dire la précarité de sa survie dans les sociétés francophones, hélas, hélas, hélas, au sein même de la production éditoriale - on n'ose dire littéraire - française. L'antidote à ce mal serait simple : lire. Car depuis Du Bellay et son manifeste, nous savons que toute littérature digne de ce beau nom-là n'est au fond que l'héroïque combat d'une langue et d'une culture destinées à périr pour survivre à cette pauvre destinée. Lire : Nous autres Français, nous avons cette chance-là de disposer d'une littérature dont plusieurs siècles font la richesse; parmi toutes nos infortunes, ne la gâchons pas. Lire, mais que lire ? Voilà ce que beaucoup disent, dressés depuis Pivot le mauvais saint-Bernard à tendre l'oreille et à soumettre leurs goûts à des conseillers littéraires entrevus à la télé, un peu comme on fait confiance à un conseiller fiscal ou comme, jadis, les pauvres gens honoraient le médecin. Ah, le règne des spécialistes n'aura-t-il pas assez duré ?
Il est vrai que les piles d'ouvrages proposés par les centres de distribution d'objets culturels indéterminés (Fnac, Virgin et autres espaces insignifiants) ont de quoi décourager les plus nobles ardeurs. Un GPS cvulturel y changera-t-il quelque chose ? Lire ? Mais quoi... devant ces amas informes de papier où tout s'aligne et se ressemble, la question devient vite : Lire, mais pourquoi ? Dans ces mauvais endroits se jouent les aventures post-mortem de la langue française, confiée à des marchands et mise en pages par des vaniteux. Je ne jette qu'un oeil sur la couverture : bien souvent y figure le nom du marchand et la photo du vaniteux. Puis je passe mon chemin.
Dans quelque vieil ouvrage du dix-septième, tenez, celui-ci par exemple : Traité des études monastiques (1691), je trouve au chapitre 14 ce conseil de Dom Mabillon, qui souligne la nécessité pour les clercs de tenir des recueils (des collections) de citations "pour y écrire les choses remarquables qui se présentent dans la lecture afin de ne les perdre pas tout à fait, et de ne pas les abandonner à l'aventure d'une mémoire infidèle ou chancelante." Alors, au point du jour, alors que les premiers bus à perches strient l'obscurité jamais parfaite dans la ville et rompent le silence relatif de derrière mes fenêtres, je cède à ce conseil âgé de plusieurs siècles et je note dans un carnet cette citation : "Le pays des lettres est un pays de liberté où tout le monde présume avoir droit de bourgeoisie". Puis, tout de go, cette autre expression, rencontrée dans un dictionnaire d'argot de Galtier-Boissière et Pierre Devaux, pour désigner le crane d'un chauve : "une perruque en peau de fesse".
"Un pays de liberté où tout le monde présume avoir droit de bourgeoisie... Une perruque en peau de fesse." Allez savoir pourquoi, ce matin, il me semble avoir retrouver, dans l'argot de Dom Mabillon, la syntaxe de Galtier-Boissière (ou le contraire, qu'importe !), un peu de cette langue autant rigoureuse qu'imagée que j'aime. Me voilà paré pour claquer doucement la porte au nez de mes chats, et affronter les vilains titres des quotidiens.
15:03 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : dom mabillon, galtier-boissière, langue française, argot, littérature, société |
lundi, 15 septembre 2008
N'ayez pas peur
N'ayez pas peur : le slogan est en passe de devenir un mot magique, une sorte de "sésame ouvre-toi de la popularité". Testée une première fois par Jean-paul II le jour de son intronisation, il a été martelé par Benoit XVI à l'occasion de son passage en France. D'abord, sur le parvis de Notre Dame ; puis aux Invalides : "N'ayez pas peur de donner votre vie au Christ." En 2007, déjà, Robert Hossein en avait fait le titre d'un spectacle. Etrange formule, a priori, par laquelle celui qui parle présuppose l'existence d'un grand méchant loup rodant à quelque pas de celui qui l'écoute. Etrange formule, qui offre, par ailleurs, le privilège de conférer une autorité à celui qui la prononce face à ce péril suggéré - une autorité à la fois bienveillante & rassurante-. Formule ambiguë, car il semble qu'il faille ne pas avoir peur de celui qui la prononce malgré le danger qu'il édifie lui-même. Formule qui laisse un COI dans l'implicite (mais de quoi devrions-nous ne pas avoir peur ?). N'ayons pas peur des mots, justement, et reconnaissons que la formule, manipulatoire, est politique au moins autant que religieuse : On se souvient que Sarkozy l'avait piquée, lui aussi, à Jean Paul II dans son discours aux jeunes du 18 mars au Zénith. N'ayez pas peur de la mondialisation, du libéralisme, de ma propre personne : je suis là et j'ai changé. N'ayez pas peur : De la place Saint-Pierre au Palais des Sports, du Palais des Sports au Zénith, du Zénith au Parvis de Notre-Dame, de Notre-Dame aux Invalides, des Invalides à Lourdes, la formule a fait mouche. Et ce n'est pas fini, si on songe à sa carrière déjà avancée dans le marketting et la pub. Il serait donc intéressant de savoir qui en fut réellement l'initiateur.
Or il se trouve qu'en fouillant les textes, on s'aperçoit que celui qu'aurait prononcé la Vierge elle-même à Mélanie et à Maximin à la Salette commence précisément par cette douce injonction : Avancez, mes enfants, n'ayez pas peur, je suis ici pour vous conter une grande nouvelle. (Pour la suite et la totalité de ce texte peu connu, suivre le lien). Dans ce texte cher à Léon Bloy, la "Dame de Lumière" accuse l'Eglise de son Fils d'être devenue "un cloaque d'impureté"; elle traite les prêtres qui la servent de "chiens", et annonce, faute d'un redressement spectaculaire de la Foi des Chrétiens, une série de catastrophes sans fin s'abattant sur le pauvre monde. Or l'Apparition de la Salette (19 septembre 1846) précède de deux ans la première apparition de Lourdes à Bernadette (février 1848). On sait à quel point Lourdes a, par la suite, occulté La Salette, non sans arranger d'ailleurs autant la politique de Napoléon III que celle de l'Eglise. On peut en tout cas penser que c'est dans ce discours, qu'il connaissait fort bien, que Jean Paul II a puisé la formule magique, reprise par Sarkozy en campagne électorale, reprise par son successeur aujourd'hui. Décidément, il n'y a pas que la comique Ségolène qui se prend pour une Madone : Quelle époque aurait dit ma mère-grand !
20:38 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : benoitxvi, pape, apparition, actualité, religion, politique, notre dame de la salette |
dimanche, 14 septembre 2008
une journée
blanche
22:29 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : blanc |
samedi, 13 septembre 2008
Edvige, Gustav, Cristina, Eloi, Ike, Ignace et moi
Une manie récente (cela daterait du début du XXème siècle et se serait généralisé durant les années soixante-dix) consiste à baptiser les ouragans: D'après Dunn et Miller (1960), le premier usage d'un nom pour un cyclone a été le fait d'un prévisionniste australien qui a donné à un cyclone le nom d'un personnage politique qu'il n'aimait pas. Cette coutume a été, parait-il, instaurée afin de pouvoir communiquer plus facilement avec la population. Lorsqu'un cyclone se révèle particulièrement meurtrier, on le retire des listes en signe de deuil. Sinon, tant qu'il n'a pas "tué", son nom est réutilisé par la suite. Ainsi, avant le Gustav qui a récemment sévi, d'autres Gustav (en 1996, en 2002) étaient passés plus inaperçus. Voici la liste des prénoms attribués aux futurs cyclones tropicaux de l'hémisphère nord.
2008 | 2009 | 2010 | 2011 | 2012 | 2013 |
Arthur | Ana | Alex | Arlene | Alberto | Andrea |
En France, il fut un temps où passer la nuit chez Gaspard, c'était passer la nuit au violon; nos anciens n'allaient pas jusqu'à prénommer le Mont-de-Piété où ils laissaient leurs économies, mais ils disaient "Chez ma tante..." L'habitude d'humaniser des événements ou des circonstances désagréables est donc avérée . Et comme, quelque violents que soient certains de nos orages, nous n'avons pas (pas encore) de véritables ouragans à baptiser, alors nous baptisons nos fichiers. Edvige, Cristina, Eloi... Sur ce lien, les premiers à avoir protesté.
Quand même, sauf à rendre aimable ce qui ne l'est pas, tolérable ce qui ne l'est pas, humain ce qui ne l'est pas, je ne vois pas à quoi cela sert de baptiser d'un doux nom d'être des choses aussi détestables qu'un fichier de renseignements, ou encore un ouragan, ou encore son propre patron. Car vous avez remarqué que les patrons aussi se sont mis également, depuis une vingtaine d'années, à se faire appeler par leur petit nom, voire même, dans certaines entreprises, à se faire tutoyer par ceux qu'ils gouvernent... C'est devenu un lieu commun.
Alors, pourquoi ne pas appeler Albert ou Angelina sa déclaration d'impôts, afin de se la rendre -pourquoi pas ?- plus sympathique au moment de la signer. Je propose que tous les radars parsemés sur les belles routes de France portent désormais le nom d'un saint-patron de la Légende Dorée de Jacques de Voragine. Quitte à être flashé, autant se donner l'impression qu'on l'est par un saint ou un martyr, c'est tout de même plus classe de laisser entre des mains de Bien-Nommés quelques points de permis, non ? Restent enfin toutes les caméras de surveillance qui passent leur temps à nous identifier à chaque coin de rue, identifiées, pourquoi ne le seraient-elles pas, elles aussi ? ". Eh oui ! J'ai intérêt à pisser droit car un peu partout, Joaquim, Hermione, Wendy et Olga, m'ont désormais à l'oeil... Fut un temps (1937), le joyeux Fernandel chantait la chanson que voici : Pourquoi n'en ferions-nous pas l'hymne, joyeux autant que dérisoire, de notre nationale et désolante infortune ?
22:32 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : politique, sarkozy, actualité, edvige, fernandel, cyclones tropicaux |
mardi, 09 septembre 2008
Le cardinal et le billet de mille.
Aujourd'hui, 9 septembre, c'est l'anniversaire de Richelieu. Naquit-il à Paris ? Naquit-il à Richelieu ? Les historiens, qui sont gens sérieux mais divisés, s'étripent sur la question.
Quelques quatre cents ans et plus après ce 9 septembre 1585 où Armand Jean du Plessis de Richelieu, quatrième enfant d'une noble famille française, duc et pair de France, futur cardinal et ministre de Louis XIII, il serait quand même temps de trancher.
Ce que l’on sait avec certitude, c’est qu’il Richelieu naquit l'année même où Montaigne quittait la mairie de Bordeaux ; qu’il fut de huit mois le cadet de Vaugelas, lequel occupa le fauteuil 32 de l'Académie Française, dont il avait été à partir de 1635 le fondateur et le protecteur.
On doit à Richelieu la devise "A l'Immortalité", qui figure sur le sceau de l'Académie, d'où les "Immortels" (Valéry Giscard d'Estaing & Max Gallo compris), tiennent leur surnom.
Figure kaléidoscopique et hautaine, car Richelieu ne fut pas seulement un cardinal d'Académie. Richelieu, c’est également un point de dentelle, des verres à pieds, une sauce ma foi fort bonne au palais, un pâté en croute tout aussi délicieux… sans compter qu’il donna son nom également par tout le pays à un nombre incalculable de deux, trois et quatre étoiles pour représentants de commerce, couples adultères et séminaristes en goguettes. A quoi il convient également de rajouter la Bibliothèque Nationale, d'avant l'ère mégalo-mittérandienne, ce qui n'est pas rien, et une rivière, sinueuse, assez sale, grâce à laquelle Champlain (le lac) se rend à Saint-Laurent (le fleuve).
Ci-dessus, le portrait en pied de celui qui fut (comme on le dirait aujourd'hui) l'une des plus grosses fortunes de son temps (estimée à 20 millions de livre). Portrait en pied par Philippe de Champaigne, auteur également du triple portrait (profils et trois-quarts, ci-contre), dont s'inspira Clement Serveau lorsqu'on (la Banque de France) lui passa commande du billet.
Un homme de Dieu... Un homme d'Eglise... Sur un billet de banque !
L'homme d'Etat, il est vrai, en avait connu d'autres…
Le premier alphabet date du 2 avril 1953; le dernier du 4 janvier 1963; dix ans, c'est un bel exemple de longévité. Le franc, entre temps, par la magie d'Antoine Pinay, était mort et ressuscité : "A nouvelle République, franc nouveau" (La formule, de Marcel Dassault, se trouve dans Paris Presse du 30 décembre 1958.) Deux jours auparavant, dans l'une des allocutions radiotélévisées dont il avait le secret, DeGaulle s'était exclamé : « Quant au vieux franc français, si souvent mutilé à mesure de nos vicissitudes, nous voulons qu'il reprenne une substance conforme au respect qui lui est dû ».
Et c'est ainsi que le matin du 1er Janvier 1960, le cardinal qui valait mille anciens francs n'en valut plus que dix nouveaux. (sur la photo ci-dessous, une coupure de mille surchargée 10 NF) .Divisé par cent, comme ses compagnons de l'époque (Victor Hugo, Henri IV, Bonaparte), mais, rassurait la communication gouvernementale, cela ne changerait rien puisqu'on diviserait aussi bien les dépenses que les recettes. « En terme de prix des marchandises, proclamait Pinay, on retrouverait d'ailleurs les échelles de 1927 ». C'était une référence forte à l'Age d'Or du franc Poincaré, à un souci affiché de redressement économique, à la solidité monétaire du franc lourd d'avant 14 dont la France (qui cesserait bientôt d'être un Empire) rêvait encore. L'effigie conservée de Richelieu, dans cette affaire, assurait une sorte de continuité de l'identité française, d'un ancien régime aussi romantique qu'un roman de Dumas, à un nouveau aux prises avec le monde moderne : pour comprendre les Trente Glorieuses, il faut aussi regarder yeux dans les yeux les grands hommes de ses billets.
Sur celui de mille comme sur le nouveau billet de dix, le cardinal se détache devant une estampe rappelant les façades rectilignes du Palais-Cardinal (Palais-Royal), tel qu'il fut peu après sa construction en 1622. Sur les beaux toits gris de Paris, « ville jolie », s'attarde un ciel onctueux, lisse, crémeux, comme si la capitale s'était tout entière repliée dans les pans rosés du jupon cardinalesque. Le regard suave et la barbichette affutée, ce dernier veille, conforte, rassure.
Au verso, même prestance, même allure : la figure de l'homme d'Etat en pleine force tranquille, non loin de sa gentilhommière provinciale, devant les remparts du bourg de Richelieu, sourcil hautain et lèvres pincés, sous ce même ciel rose fané.
Si ce billet fut l'un des plus populaires qui sortit des presses de la BdF, c'est aussi parce qu'il fut l'un des plus abouti : dans sa composition se résume une certaine conception du Pouvoir dit gaullien, propre à la fois à l'Ancien Régime et au Nouveau, à la Province comme à Paris, à l'Esthétique comme à l'Idéologie. Avec la crise, le passage à l’euro, la mythification médiatique des années soixante et la nostalgie des Trente Glorieuses, il se peut bien que cette effigie fasse encore rêver…
15:25 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : cardinal richelieu, littérature, billets français |
mardi, 02 septembre 2008
Solitudes de Saint-Exupéry
Depuis quelques années, l'aéroport de Lyon-Satolas est devenu Lyon-Saint-Exupéry. Sur la place Bellecour, l'écrivain est représenté, assis sur un socle, en tenue d'aviateur. Son personnage fétiche se tient debout derrière lui, une main posée sur l'épaule, comme pour le consoler d'on ne sait quel accablement structurel. Tous deux ont les mains glissées dans les poches. Ces deux silhouettes ont l'air de planer sur la pollution insupportable de l'endroit, et en même temps d'être comme figées dans une lourdeur de bronze ou de plomb. D'attendre on ne sait qui. On dirait un père divorcé et son fiston, attendant sur un quai de TGV l'improbable retour de maman. Le double hommage de la ville de Lyon à cet auteur à la renommée internationale a quelque chose de poignant : s'agissait-il de transformer en « auteur lyonnais » l'écrivain de Terre des hommes qui n'a jamais célébré outre mesure sa ville natale ? On ne s'étendra pas ici sur la question.
De fait, le malheureux Saint-Ex demeure à présent indissociable de son étrange clone à l'écharpe flottante. J'en veux pour preuve la maquette du premier billet de cinquante francs dressé à son effigie, maquette dans laquelle tous deux figurent à nouveau cote à cote. Non seulement cote à cote, mais le regard tourné dans la même direction, comme si c'était décidément la seule façon de s'aimer. Sur cette première ébauche, Tonio fait une drôle de gueule, et le fond mauve confère a son teint quelque chose de maladif, tandis que le petit prince, en son rouge pantalon, fait songer à un zouave égaré dans l'espace. La solitude du petit prince double ainsi celle de son créateur, dans un troublant effet de redondance. Autour de Saint-Exupéry s'est cristallisé un mythe, plus médiatique qu'autre chose, qui fait qu'en surface, on ne peut qu'aimer niaisement le créateur du Petit Prince ou bien le rejeter en bloc : C'est dommage... Tout le monde a priori est sommé d'aimer ou de détester ce petit prince, lequel fit de Saint Exupéry, et ce en pleine guerre, le Français le plus apprécié des Américains, plus célèbre même que De Gaulle ! Dans un bref Journal qu'il tint en décembre 1943, et qu'il appelle Nuit dans la tête et froid dans le cœur, Saint Exupéry donne pourtant à lire une face cachée du petit personnage fort intéressante, parce que beaucoup moins lisse que celle vendue dans les supermarchés de l'enfance ; une face, qu'il crayonne enfermée dans un cachot sombre où galope une araignée hystérique, cloitré seul et la tête dans les mains, devant un verre de vin vide. Extrait : "Cette incommunicabilité de l'époque me touche plus que tout au monde. J'ai tellement envie, déjà, de les quitter tous, ces imbéciles. Qu'ai-je à faire ici sur cette planète ? On ne veut pas de moi. Comme ça tombe bien ! Je ne voulais pas d'eux ! Je ne parviens pas à en trouver un qui ait quelque chose à me dire qui m'intéresse. Ils me haïssent ? C'est surtout fatigant. Je voudrais bien me reposer. Je voudrais être jardinier parmi des légumes. Ou être mort.". C'est dommage. Cela nous rappelle à quel point fut grande et complexe la solitude de Saint-Exupéry :
Solitude politique, résumée par Raymond Aron dans la courte mais belle préface de ses Ecrits de Guerre (1) : "Les gaullistes lui en voulaient d'autant plus que son apport à la cause (la Résistance) eût été plus grand. Ils l'accusèrent de sympathie pour Vichy : puisqu'il n'était pas gaulliste, il devait être vichyste. Dans l'univers manichéen, il n'y avait pas de place pour lui."
Solitude morale : Je suis triste pour ma génération, qui est vidée de toute substance humaine. Qui, n'ayant connu que le bar, les mathématiques et la Bugatti comme forme de vie spirituelle, se trouve aujourd'hui entassée dans une action strictement grégaire, qui n'a plus aucune couleur." Un peu plus loin : "Tout lyrisme sonne ridicule. Les hommes refusent d'être réveillés à une vie spirituelle quelconque. Ils font honnêtement une sorte de travail à la chaîne. Comme dit la jeunesse américaine : Nous acceptons ce job ingrat. Et la propagande, dans le monde entier, se bat les flancs avec désespoir." (2)
Solitude affective : "Et puis, la poignante méditation des heures de vol au-dessus de la France, si proche à la fois et si lointaine ! On en est séparé comme par des siècles. Toutes les tendresses, tous les souvenirs, toutes les raisons de vivre sont là, bien étalés à trente-cinq mille pieds sous les yeux, bien éclairés par le soleil, et cependant, plus inaccessibles que les trésors des pharaons sous la vitrine d''un musée" (3)
Solitude historique : "Nous sommes étonnamment bien châtrés. Ainsi, sommes-nous enfin libres. On nous a coupé les bras et les jambes, puis on nous a laissé libre de marcher. Je hais cette époque où l'homme devient sous un totalitarisme universel bétail doux, poli et tranquille." ( 4)
Solitude spirituelle : "Nos buts de guerre ? Ils sont de défendre notre substance même. Plus que nos lois, plus que nos pierres, plus que les Fables de La Fontaine, qui reviennent périodiquement dans la bonne propagande patriotique. Nous nous battons pour qu'on n'ait point le droit de lire nos lettres au public, pour n'être point soumis à la masse. Pour prier quand il nous plait si nous sommes religieux. Pour écrire comme il nous plait si nous sommes poètes. Nous nous battons pour gagner une guerre qui se situe exactement à la frontière de l'empire intérieur." (5)
Le Bréguet 14, survole le désert dans un ciel de neige et d'encre. Autant que la littérature, c'est ainsi l'épopée de l'aérospatiale que le graphisme très planétaire du billet tient à célébrer. Sur le recto, le visage d'après photo d'Antoine de Saint Exupéry. Au fond, une mappemonde sur laquelle se profilent les contours de l'Europe et ceux de l'Afrique. On distingue le tracé de deux parcours effectués par l'aviateur. Au sommet gauche du billet, la silhouette ombrée d'une autre légende de l'aviation, le Latécoère 25, silhouette saisie de face et en plein vol. Dessous, toujours, l'indécrottable Petit Prince. Comme si, non content d'enfermer l'aviateur dans sa cartouche, la BdF emprisonnait l'écrivain aussi dans un seul de ses livres. Appartenant à la dernière série, le 50 francs St-Ex fut l'un des billet les plus sécurisés de la BdF. Le trop fameux éléphant digéré par le boa, le non moins trop célèbre mouton apparaissent dans une vilaine couleur vert fluo. Ces motifs qui, avec le strap de sécurité, sont censés protéger le billet des contrefaçons, se sont promenés un peu partout sur sa surface au fil des ratés des diverses impressions, si bien que les collectionneurs recensent in fine plus de six variétés de cette coupure.
Sur la dernière coupure de cinquante francs que nous avons tous eue en poche, l'enfant aux cheveux d'or devenu icône de ce qui est invisible pour les yeux trône, évidemment seul sur son astre, une étoile posée non loin du crâne en guise d'auréole. Derrière lui, un bi-places, l'un des mythiques
Le mythe du petit prince s'est ainsi forgé à la croisée de plusieurs autres : En premier lieu, celui de l'Aéropostale, dont on n'imagine pas aujourd'hui la force et la vivacité : "Mon travail ne valait rien si, en même temps qu'il me nourrissait matériellement, il ne me faisait pas être de quelque chose. S'il ne me faisait point pilote d'une ligne, jardinier d'un jardin, architecte d'une cathédrale, soldat d'une France. Si nos créations de ligne nous enrichissaient le coeur, c'est à cause des dons qu'elles exigeaient de nous. La ligne naissait de nos dons. Une fois née, elle nous faisait naître. Si aujourd'hui, je retrouve un camarade, je puis lui dire : Te souviens-tu? C'était une époque merveilleuse, puisque noués par les mêmes dons, nous nous aimions les uns les autres." (6) La Résistance fut le deuxième ingrédient qui a permis au mythe de se cristalliser. Une Résistance d'autant plus vive qu'elle se fondait sur le non-compromis (ni avec de Gaulle, ni avec les communistes); non-compromis où se déclinent l'élégance, le courage, mais aussi l'aveuglement du solitaire invétéré; Enfin le troisième élément est celui de l'écrivain engagé dns l'action, celui d'une littérature moderne placée à mi-chemin entre le roman et le reportage : Saint-Exupéry, de ce point de vue, fut une sorte d'Albert Londres des nuées - tout comme ce dernier mort tragiquement- une sorte d'Albert Londres avec ses titres qui sonnent comme des manchettes de journaux dont on distinguerait les gros caractères dans la lumière crémeuse de l'aube : Vol de Nuit, Terre des Hommes, Courrier Sud... A ces trois ingrédients, l'Aéropostale, la Résistance et la Littérature de reportage, s'est rajoutée la disparition énigmatique du héros : ce fameux 31 juillet 1944, jour où Icare, à point nommé, a brisé ses ailes à bord du Lightning P 38. Avec le "monstre léger", il venait pourtant de retrouver "un cœur de vingt ans" : "On pilote ce monstre léger qu'est le Lightning P 38 à bord duquel on a l'impression non de se déplacer, mais de se découvrir présent partout à la fois sur un continent." (7).
Plus de 80 millions d'exemplaires vendus dans le monde, Le Petit Prince affiche une réussite commerciale sidérante. Il est traduit dans quelque 160 langues et dialectes, dont l'amazigh (berbère) et compte entre 400 et 500 éditions différentes, une aubaine pour les Éditions Gallimard. Un an avant sa mort, le 8 juin 1943, Saint-Ex écrivait d'Oudjda une lettre à Curtice Hitchkock : "Curtice, je ne sais rien du Petit Prince. Je ne sais même pas s'il a paru ! Je ne sais rien de rien. Ecrivez-moi." (8) Six mois plus tard (janvier 44), dans un billet à Georges Pélissier posté d'Alger, St-Ex se plaint d'avoir perdu son unique exemplaire du Petit Prince alors qu'il est en contact avec un intermédiaire londonien pour le tournage d'un film : "Que vous ne vouliez pas me dire ce qu'il en est, que vous n'ayez ps une seconde pour ce qui est pour moi vital et de l'ordre de 50 000 dollars m'est incompréhensible. Ceci n'est pas inamical. Seigneur. Mais si je perds 50 000 dollars en 5 minutes, ça vaut peut-être 30 secondes de conversation : Où est mon livre ?"
Qu'a-t-il manqué, dès lors, à la légende dorée d'Antoine de Saint-Exupéry, le presque canonisé ? Un album d'Hergé, peut-être... Album dans lequel Tintin, le célèbre grand frère du Petit Prince, tout aussi naïf mais un peu plus dégourdi que lui, aurait mené l'enquête dans une Europe de l'Après-guerre coupée en deux par de méchants soviets et arrosée de bons dollars américains. Un album qui se serait intitulé "l'affaire de la gourmette disparue" ou bien "l'épave mystérieuse".
_____________________________________________________
1. Ecrits de guerre, edition Folio 2573, préface de Raymon Aron.
2. "Vers les temps les plus noirs du monde", p. 277
3. "J'ai un coeur de vingt ans", p. 401
4. "Vers les temps les plus noirs du monde", p. 283
5. "La morale de la pente", p.463
6. "Maintenant, les Américains sont engagés", p.178
7."J'ai un coeur de vingt ans", p. 401
8. Lettre à Curtice Hithckck, p. 273
17:41 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : saint-exupéry, littérature, lyon, petit prince, billets français, culture |