vendredi, 10 octobre 2008
Sully Nobel Prudhodommisé...
Le prix Nobel (200 000) francs est acquis à Sully-Prudhomme, envisagé par les académiciens de Stockholm, luthériens dessalés et moralistes perspicaces, comme l'ouvrier de "la plus belle oeuvre idéaliste". Le patriotisme en personne est forcé d'en convenir, même à Paris, on n'est pas plus bête que ça. L'heureux vainqueur à déclaré son intention d'employer cette somme à venir en aide aux poètes pauvres, sans se réserver un centime ( Blague idéaliste, dont la dérision n'a pas tardé à éclater).
D'après le Journal, Sully-Prudhomme fonde simplement un prix annuel de 1500 francs pour les jeunes poètes, à décerner par la Société des gens de lettres. C'est à cela que vient d'aboutir l'immense réclame d'immolation pour les pauvres. 1 500 francs, c'est à dire le quart du revenu de 200.000 à 3 pour 100 francs de bénef et le capital dans la profonde, sans préjudice d'une réputation d'holocauste. L'idéalisme est plutôt une bonne affaire.
( Léon Bloy, 18 décembre 1901 /5 mars 1902 - "Quatre ans de captivité à Cochons-sur-marne" (Journal, Bouquins, 1999)
PS. : Ci-dessus, on reconnait Sully, pas Léon. "La profonde", c'est la poche (ah! les ressources inépuisables de l'argot ... )
11:55 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : nobel, bloy, prudhomme, littérature, le clezio, actualité |
jeudi, 09 octobre 2008
Oublier Le Clezio
La dernière fois que j'ai lu un Le Clezio, je l'ai même pas acheté. C'était il y a quelques années, à la Fnac. Son autobiographie. C'était si mal écrit, ou si pas écrit, ou écrit de façon si plate, que je me suis assis sur une chaise, j'ai commandé un petit café dans le coin buvette du centre de distribution d'objets culturels indéterminés et je l'ai -comme on dit d'une vitre quand on voit le jour à travers -, traversé. C'est la France qui va être contente : elle a pas eu les prochains Jeux Olympiques, on s'en souvient, c'est Londres qui a tiré le gros lot, ben elle a le Nobel de littérature. Remarquez, quand on pense que Pierre Perret est Chevalier des Arts et des Lettres, Le Clezio peut bien être labellisé, pardon javellisé, merde, je vais y arriver, nobélisé. Javellisé, il l'est déjà, depuis longtemps, bien propre sur soi et tout et tout, c'est pourquoi il a empôché le pâctole, le foutu cléziô. Il faudra que je retrouve ce soir en rentrant chez moi ce que Léon Bloy a écrit le jour où il a su que l'immortel Sully Prudhomme l'avait empoché, le premier Nobel de littérature. Je le retrouverai, promis.
En attendant, le français Yves Bonnefoy, qui a écrit une véritable œuvre littéraire, pour ne citer que lui, ne sera pas nobélisé. Une question : ce jury de Stockholm, il a appris à lire dans un cabinet d'expertise du genre de ceux qui font les classements des villes européennes, ou quoi ? Mais bon, on va pas s'indigner outre mesure, on va pas s'énerver pour autant. Louis Guilloux, qui a lui tout seul vaut quinze Le Clezio, n'a jamais eu le Nobel. Henri Béraud non plus. Je parle de ces deux-là, parce qu'ils sont tous les deux morts un mois d'octobre. L'un (Guilloux) fut président des écrivains anti-fascistes. L'autre (Béraud) fut le premier sur les listes des procès de l'épuration: La Gerbe d'Or, Le Sang Noir, Ciel de suie, Le Pain des Rêves, des livres de l'un, des livres de l'autre... Durant ce mois qui s'avance, de saines lectures, pour oublier Le Clezio...
20:37 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : nobel, le clezio, littérature, langue française, actualité |
I live in a Very Important City
I live in a very important city. C'est moi qui suis fier. Pas peu fier ! Thank you to Gérard who made it possible, avec ses feuilles de route. Thank you Vincent Rocken , le journaliste du Progrès, sans qui on ne serait pas informé de l'importance qu'on a dans le monde. Thank you also to Jean Michel. Non, non, Jean Michel, ne t'en vas pas : tu as, tu as, toujours de beaux yeux... Thank you Juni, thank you Cris, Govou and Benzema. Thank you, thank you, thank you !!!! Il parait qu'une grève de footballeurs s'annonce. Les gars, déconnez pas. Cette putain de Coupe européenne, il nous la faut cette année, sur le bureau de l'Hôtel de Ville, nom de Dieu. Et les Marseillais, les Stéphanois, les Girondins, et tout et tout, faut les niquer. C'est nous, les champions. J'ai placé tout mon portefeuilles d'actions sur vous, si l'OL aussi suit le chemin des banques américaines, qu'allons-nous devenir ? On ne peut plus compter sur la parole de Nicolas Chauvin, bordel ? C'est un peu grâce à vous qu'on était passé, en 2007, au dix-septième rang européen, faut voir à le conserver, son rang !
Pauvre Nicolas ! Dix-sept blessures, trois doigts amputés ! Au joli temps de l'Empire, le chauvinisme était sans doute un sentiment encore assez simple : il n'y avait qu'une forme de chauvinisme, un chauvinisme un peu brut et paysan, franc du collier, made in mon clocher, le contraire du modèle citadin, bien plus tordu, lui, bien plus alambiqué. Ce chauvinisme rural avait peut-être encore un certain sens, remarquez bien. De la signification. En tous cas, il n'était pas un marché et personne n'aurait eu l'idée de le coter en bourse. Moi, tout ce qui a du sens, j'essaie de comprendre, je suis preneur. Le sens, c'est de l'histoire. Et l'histoire, c'est des hommes. Des siècles d'hommes. Le chauvinisme d'à présent, c'est plus compliqué. Un chauvinisme fabriqué en séries, un chauvinisme manufacturé à coup de hit-parades et de statistiques... Chacun a le sien : son club, sa marque, son genre, son label, sa cité. Du chauvinisme libéral. Toujours aussi identitaire, et donc toujours aussi bête. I live in a very important city. Du mauvais chauvinisme. Il fait mine de ne pas détruire le sentiment d'appartenir à un monde universel commun, rien qu'en surface. En profondeur, il brise les communautés, dissout les solidarités, place les particules en compétition, transforme chacun d'entre nous en une petite entreprise.
Quand, dans l'esprit des hommes, la Cité n'est plus qu'un label, comment s'étonner de la mort du politique ? Quand, dans le cœur des hommes, le sentiment de l'Universel vacille, qu'est-ce qui est le mieux, le pire : le trou, le bled, ou bien la marque, le style ? Sonia Rykiel, Calvin Klein ou Ploumschtroumpf les Bains, Montcalm les Jonquilles ?
08:24 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : europe, lyon, actualité, société, politique, chauvinisme |
mercredi, 08 octobre 2008
Common Indecency
En couverture de la feuille de chou local (Le Progrès) aujourd'hui, le clocher de la Charité. Forcément, ça m'interpelle, à cause de mes fantômes. Assis (malgré la pluie) sous l'auvent d'une terrasse de café, je découvre : « LYON peine à s'imposer parmi les villes d'Europe. »
Il existait donc sans que je n'en sache rien un top 20 des villes européennes ? La belle info... Question qualité de vie, Lyon serait (le journal, qui ne s'emmerde pas avec la modalisation, dit est ) la septième ville d'Europe (Devant Madrid et Londres !!!!).
Ah ?
Au classement général, toutes catégories confondues, Hambourg vient de doubler Lyon. Vous aviez remarqué ? Par rapport à l'an dernier (le hit est donc annuel ?) Lyon a perdu une place. Les stars du classement sont Paris, Londres et Francfort.
C'est le cabinet Cushman et Wakefield qui a réalisé l'étude. Un cabinet aux States, of course. On ne précise pas qui l'a payée, cette étude... Le journaliste ignore les vertus du conditionnel : tout est à l'indicatif, comme dans le récit d'un match ou d'une étape du Tour de France. Sous le règne de la statistique et du bureau d'étude, tout est réel (ou n'est pas), gobable à merci. Comme je lape le fond de mon verre, je bois sans m'en rendre compte ces conneries que je lis. Mais tant pis.
Je connaissais les hit parades, les meilleurs ventes, les top ceci, cela, classements des clubs de foot, des plages, des crèches, des établissements scolaires, des personnalités préférées des Français... Tout ce qui a une particularité est ainsi fictivement placé en compétitivité avec tout ce qui en a une autre, dans la novlangue du marché par ses dévoués sbires. J'ignorais que les "villes européennes", comme les entreprises, l'étaient aussi. Les Lyonnais distanciés par les Hambourgeois, quelle horreur. Il faut faire quelque chose et vite ! Gérard ! Un nouveau parc de vélov, une autre tour à la Part-Dieu, un second musée aux Confluents, un nouveau Benzema !
N'importe quoi, Gérard, mais vite... Lyon peine à s'imposer, tu te rends compte ? Je ne sais toujours pas par qui nous sommes ainsi placés en compétition les uns avec les autres : Autrement dit, qui paie le cabinet Cushman et Wakefield ? Bravo et merci le Progrès pour la une. Une étude de marché bidon, un journal qui a besoin de titrer sur du local, un passage indu du conditionnel à l'indicatif : Il va falloir les doubler l'an prochain, ces putains de Hamburgers, pardon, de Hambourgeois, parce que sinon...
Noyés, sommes nous, dans ce discours : common indecency - L'indécence désormais commune, du marché, si omniprésente qu'elle passe, partout - non, pas inaperçue, mais c'est pire - pour normale.
En couverture de la feuille de chou local (Le Progrès) aujourd'hui, le clocher de la Charité. Forcément, ça m'interpelle, à cause de mes fantômes. Assis (malgré la pluie) sous l'auvent d'une terrasse de café, je découvre : "LYON peine à s'imposer parmi les villes d'Europe." Il existait donc sans que je n'en sache rien un top 20 des villes européennes ? La belle info... Question qualité de vie, Lyon serait (le journal, qui ne s'emmerde pas avec la modalisation, dit est ) la septième ville d'Europe (Devant Madrid et Londres !!!!). Ah ? Au classement général, toutes catégories confondues, Hambourg vient de doubler Lyon. Vous aviez remarqué ? Par rapport à l'an dernier (le "hit" est donc annuel ?) Lyon a perdu une place. Les "stars" du classement sont Paris, Londres et Francfort. C'est le cabinet Cushman et Wakefield qui a réalisé l'étude. Un cabinet aux States, of course. On ne précise pas qui l'a payée, cette étude... Le journaliste ignore les vertus du conditionnel : tout est à l'indicatif, comme dans le récit d'un match ou d'une étape du Tour de France. Sous le règne de la statistique et du bureau d'étude, tout est réel (ou n'est pas), gobable à merci. Comme je lape le fond de mon verre, je bois sans m'en rendre compte ces conneries que je lis. Mais tant pis.
Je connaissais les hit parades, les meilleurs ventes, les top ceci, cela, classements des clubs de foot, des plages, des crèches, des établissements scolaires, des personnalités préférées des Français... Tout ce qui a une particularité est ainsi fictivement placé en compétitivité avec tout ce qui en a une autre, dans la novlangue du marché par ses dévoués sbires. J'ignorais que les "villes européennes", comme les entreprises, l'étaient aussi. Les Lyonnais distanciés par les Hambourgeois, quelle horreur. Il faut faire quelque chose et vite ! Gérard ! Un nouveau parc de vélov, une autre tour à la Part-Dieu, un second musée aux Confluents, un nouveau Benzema ! N'importe quoi, Gérard, mais vite... Lyon "peine" à s'imposer, tu te rends compte ? Je ne sais toujours pas par qui nous sommes ainsi placés en compétition les uns avec les autres : Autrement dit, qui paie le cabinet Cushman et Wakefield ? Bravo et merci le Progrès pour la une. Une étude de marché bidon, un journal qui a besoin de titrer sur du local, un passage indû du conditionnel à l'indicatif : Il va falloir les doubler l'an prochain, ces putains de Hamburgers, pardon, de Hambourgeois, parce que sinon... Noyés, sommes nous, dans ce discours : common indecency - L'indécence désormais commune, du marché, si omniprésente qu'elle passe, partout - non, pas inaperçue, mais c'est pire - pour normale.
21:06 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : common decency, lyon, gérard collomb |
COMMON DECENCY
Orwell est, décidément, fort à la mode. Après Jean Claude Michéa, Bruce Bégout lui consacre un essai que l'excellente maison Allia vient d'éditer. Le petit livre est tout entier consacré à l'analyse du concept (mieux vaudrait dire, d'ailleurs, la notion, car Orwell avait en horreur ces échafaudages intellectuels qui font le bonheur des conversations de salon) - de la notion, donc - de common decency. De la décence ordinaire : Tous ceux qui souhaitent se familiariser avec la pensée d'Orwell - complexe, sur cette question - trouveront là, pour 6,10 euros, un bon guide. « La décence ordinaire est le revers de l'apparente indécence publique » (citation de Bégout en quatrième de couverture). Mieux vaut, évidemment, lire directement les textes que Michea et Bégout commentent, à savoir les Essais, publiés par l'Encyclopédie des Nuisances. Et parmi eux ce très beau texte, au titre si évocateur : Tels étaient nos plaisirs. Je ne remets nullement en doute la probité des critiques et des commentateurs. Mais enfin, qu'une notion si longtemps méprisée comme la décence commune devienne peu à peu le concept phare d'une société qui érige aussi indécemment - et ce depuis tant d'années - l'opportuniste Noah, par exemple, en modèle national absolu, ou le trou du cul Bégaudeau (tiens, j'ai appris ce matin qu'avec les entrées de Entre les Murs, il songeait à racheter le FC Nantes en péril : n'est-il pas ce Bégaudeau, comme un parfait Zidane de la littérature, un héros décent, fort justement adapté, lui aussi, à l'époque ? ) - voilà de quoi méditer pour la journée !
07:35 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : orwell, littérature, bruce bégout, bégaudeau, actualité, common decency, allia |
mardi, 07 octobre 2008
Débat de singes
"Le mot ne se négocie pas, il est simplement polysémique" : tel était le commentaire laissé par un anonyme "lexique en folie", à l'occasion de la première publication de ce texte, que je publie à nouveau, influencé (excédé ?) sans doute par ce que j'entends partout (radios - même dans le bus -on n'y échappe pas, c'est la crise, c'est la crise ! ..., TV, presse gratuite...). Si, hélas, les mots se négocient : Ils se vendent et s'achètent comme des putes, et ce depuis longtemps ; cela s'appelle lieux communs ( débités en campagnes de pub, de comm', et campagnes électorales) cela s'appelle rentrée littéraire, bande-annonce de films, clips, et bientôt dans certains cas, conversations du genre je t'aime moi non plus, savez ? ...) Si, hélas, bien sûr que le mot s'est vendu, et ce, je répète depuis longtemps. Ce n'est rien d'autre que ça, ce que de beaux esprits appellent "le déclin de la langue française". En rapport, sans doute, avec le déclin du signe monétaire. Crise des signes en pays de singes, donc, telle pourrait être la manchette du journal de Solko, ce matin :
Ils n’étaient que signes, et le savaient tous deux :
la lettre et le nombre,
la syntaxe et la monnaie,
la métaphore et le commerce.
Quand la valeur de l’or
Ne s’énonça plus que sur le papier,
Le mot fit remarquer à la monnaie :
Tu n’as fait qu'imiter mon arbitraire;
L'homme, c’est par moi qu’il lui revient de s'exprimer !
Sans broncher, la monnaie répondit :
"Ils sont bien trop nombreux, désormais ,
Pour entendre de ta bouche
Ce qui n’a que du sens :
J’ai moi de la valeur !
Quelles sont tes autres armes ?"
Le mot découvrit alors
L’éclatement sidéral de son être,
La signifiance, à l’infini,
A profusion, silence,parfum, musique,
Pensée, engagement, littérature...
Studieuse et très cynique,
La monnaie observait ce gueux tout en sueur.
"Ta parole n’est qu'une ruse,
Ricana-t-elle enfin :
Mon règne est ce qui vaut!"
Que dire, qu'écrire, que rire, depuis ?
Ce qui n’a plus, nulle part, de sens
Mendie sur les affiches un peu de sa valeur !
"C’est moi qui te possède!"
Déclare, souverainement prostituée,
Cette monnaie, singe fait signe,
A cette lettre, signe fait singe.
08:39 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : crise, monnaie, actualité, poésie, langue française, poèmes |
lundi, 06 octobre 2008
Passe des Cordeliers.
Des places de villes aux contours flous, il en existe un certain nombre un peu partout; cela s'appelle place, mais à bien y regarder, c'est au mieux un quelconque carrefour, lieu fade où le promeneur solitaire, comme le piéton contemplatif, ne trouve plus sa place. Il faudrait retirer une lettre aux plaques bleues de ces ronds-points, et les nommer passe, symbole de notre temps pour gens multipressés, qui ne font que passer.
Dans le premier arrondissement de Lyon se trouve ainsi la passe des Cordeliers. Elle fut ouverte en 1557, sur le cimetière des religieux qui, moyennant une redevance annuelle de cent livres que la Ville s'engageait à leur payer, lui ont alors cédé le terrain. Le Consulat a fait abattre les murs du vieux cimetière, vider les tombes, aplanir le sol bossu et, du nom des Cordeliers installés là depuis 1220, baptisé le funèbre enclos ouvert au trafic urbain. Un Turc installa là le premier café lyonnais, en 1660 (on écrivait alors caffé.) Cet antre prit naturellement le nom de Caffé Turc.
Au centre du cimetière se dressait jadis une très ancienne croix gothique. On la laissa presqu'un siècle au centre de la place. En 1748, comme elle tombait de vétusté, le Consulat la remplaça par la colonne du Méridien. Vingt mètres de haut : longtemps, affairistes & amoureux, qui la repéraient de loin, s'y donnèrent rendez-vous; si bien que les Cordeliers faillirent céder leur nom à ce qui, dans les conversations, devenait peu à peu « la place du Méridien ». Au-dessus de la colonne trônait une statue, celle d'URANIE, la muse aujourd'hui manquante sur le fronton de l'Opéra où n'en trônent que huit. Une Maison de Concert bâtie sur la place eut son heure de gloire puisque le jeune Mozart en personne s'y fit applaudir le 13 août 1766.
La Colonne d'Uranie et la Maison du Concert firent les frais du ré-aménagement du Quartier par le préfet Vaisse, le Hausmann local de Napoléon III de triste mémoire puisqu'on dit qu'il ouvrit la Rue Impériale (future rue de la République) pour réprimer au canon plus facilement d'éventuelles émeutes de canuts. La place qu'on voit sur la gravure perdit peu à peu son caractère historique. On édifia à la gloire du Tout Puissant-Commerce le Palais de Dardel, flanqué du bas-relief assez mastoc représentant le Rhône et la Saône qu'on peut toujours y voir. Tony Desjardins planta juste à côté à côté ses fameuses Halles en 1860, dans le goût métallique de son époque. Ces Halles furent ratiboisées un siècle plus tard, et installées à la Part-Dieu, dans un bâtiment sans originalité auquel on donna le nom de Paul Bocuse : sur la place des Cordeliers s'est dressé à leur place un magnifique parking qui fait la joie des touristes du monde entier attirés à Lyon par son classement UNESCO. On le voit, pour les bâtiments aussi, cette drôle de place ne devait être surtout que le lieu d'un passage éphémère. Les Grands Magasins Sineux, devenus Grands Magasins des Cordeliers, puis succursale des Galeries Lafayettes parisiennes- et désormais de Planet Saturn- furent construits sur les plans de l'architecte Prosper Perrin. Un modeste bazar polonais qui avait ouvert au début du dix-neuvième siècle vola bien vite en éclat pour céder la place à une autre enseigne "A la Ville de Lyon", qui devint bien vite le fort populaire "Grand Bazar," depuis peu reconverti en un banal aquarium du label Monoprix. Certains jours de juillet, quand il fait très chaud sur la vieille capitale des Gaules, le toit de ce machin-là s'avance sur le chaland de façon incroyablement menaçante.
Seule demeure, en place et au coeur de tout ce qui passe (et ne sait faire que cela), seule demeure et comme en apnée, tant l'espace s'est amenuisé et pollué autour d'elle, la vieille église dédiée à Bonaventure, l'italien séraphique au si joli nom, venu mourir à Lyon le 15 juillet 1274, lors du Concile Oecuménique convoqué par Grégoire X. Si vous passez par la passe des Cordeliers, entrez-y. Vous y trouverez d'abord du silence, de la fraîcheur et des bancs. Ce n'est pas négligeable par les temps qui courent. Puis vous ferez face à l'un des plus beaux orgues de la ville. Des rangées de lustres qui s'alignent là tombe un clair-obscur comme méditatif. Tous les anciens corps de métiers avaient jadis regroupé autour de l'autel de Saint-Bonaventure leurs chapelles latérales, dont les vitraux restaurés -la plupart s'étaient effondrés lors du bombardement du pont Lafayette - étincèlent. Asseyez-vous. Laissez, à la lueur d'un cierge, à la note de l'orgue, le sanctuaire s'animer dans la pénombre : le cœur du Moyen-âge, dans la bourrasque de la modernité, livre son premier et simple éclat. Sur la passe, enfin, le badaud trouve sa place.
19:37 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : cordeliers, lyon, ville, grand bazar, société |
dimanche, 05 octobre 2008
Du déménagement, de l'art de la marionnette et de la tradition
On fêtait hier, salle Rameau à Lyon, les deux cents ans de Guignol. Pour l'occasion, la presque totalité des théâtres de Guignol lyonnais s'étaient donné fier et joyeux rendez-vous (La Compagnie des Zonzons, le Théâtre la Maison de Guignol, la Compagnie Art Toupan, la Compagnie Carton Pâte, le Guignol du Parc de la Tête d'or, la Compagnie Daniel Streble, Les Gones à Mourguet, les Compagnons de Guignol), bref, cela en faisait du monde, en chair comme en os & en bois comme en tissu, nom d'un rat, un sacré paquet de beau monde réuni par la centenaire Société des Amis de Lyon et de Guignol et son président Gérard TRUCHET. On doit à ce dernier l'adaptation d'une des plus célèbres pièces de Mourguet, Le Déménagement, dixième du recueil ONOFRIO. Adaptation que je salue avec respect, car le texte recopié par Onofrio l'étant en langage lyonnais, il fallait le couper tout en gardant les repères les plus connus du public, actualiser sans trahir, avec humour, insolence et tact. C'était difficile : TRUCHET L'A FAIT ! Il a même su utiliser le canevas recomposé par ses soins du Déménagement pour glisser quelques extraits d'autres pièces, Le Pot de Confitures, notamment, dans un bel effet de mise en abime. A un moment donné, je me croyais vraiment, comme dans une gravure de Giranne, au caf'conc' du passage de l'Argue plongé au temps du Second Empire, quand le bourgeois allait écouter les fantaisies des descendants de Laurent. J'étais pourtant au fond de la salle Rameau, un samedi de 2007, l'an II du temps Sarko.
Extraits, saisis au vol : A propos de Gérard Collomb : "Faut passer par son cabinet pour voir le Maire de Lyon, mais pour l'instant, c'est occupé". Un peu plus tard "Faut boire du vin de Brindas quand on ne peut pas aller du ventre". On cause, c'est vrai, beaucoup de bardanes (1). On en balance même sur le public, en trimballant joyeusement des matelas d'un logis à l'autre. Cela, c'est pour la tradition. On vanne aussi l'euro, François Fillon, la mairesse du cinquième... La modernité de ce néo-Déménagement, alors qu'on évoque un peu partout les problèmes d'un chacun pour se loger, saute par ailleurs aux yeux.
Trouver un toit : Il y a dans la farce comme dans la comédie (lesquelles ne se soucient - ainsi disent les vilains pédants de l'Université - que du Bas Corporel) quelque chose qui tient à la fois de l'éternel et de l'universel : les besoins de boire, de manger, de rire et de s'aimer. Voilà pourquoi, dans la mise en scène de Christophe JAILLET, Guignol est si jeune. JAILLET, qui est un excellent marionnettiste, à l'aise dans sa gaine comme dans ses baskets, entouré de ses acolytes, Stéphanie Lefort, Daniel Streble, FLorence Vallin, Armand Pelletier, Patrick Bianchi, Thierry Fillon,Jean Marie Perre, Claire Maxime, Gaston Richard, Yvette Thibault-Verrier et, bien sûr, Gérard Truchet, viennent saluer à la fin sur l'air des "P'tits canuts", (Girier & Chavat / Hermand Brun) invitant tout le public à reprendre en choeur un chant d'anniversaire à l'honneur du papa Mourguet (voir le buste ci-dessus). Et cela marche. Hymne aux marionnettistes, hymne à Guignol, hymne à l'art de la marionnette ("un théâtre qui fait mal aux bras", lit-on dans la programmation des "Zonzons")dont on se souvient soudain, tout penaud, que l'origine est sacrée.
A propos du Guignol de la Belle Epoque, Henri Béraud écrivait ceci : "Il faut entendre ces mots à double entente, ces refrains pimentés et ces dialogues polissons sortir de ces lèvres impassibles, jaillir de ces faces où rien ne tressaille, ou pas une fibre ne s'émeut pour nous dénoncer une pudeur ou nous indiquer une réticence; il faut voir ces gestes étroits et monotones, faits pour accompagner des sentiments moyens, ponctuer des répliques excessives, des phrases qui n'ont d'ordinaire pour excuse que la verve du corps souple et la gaité d'un bras spirituel; il faut, dis-je, entendre et voir ce Guignol pour connaître la saveur de l'humanité toute crue."
Comment dire mieux ?
Voici, pour conclure, le monologue d'ouverture de Guignol, celui de Mourguet, dans la fantaisie initiale de Laurent Mourguet. En photo, les marionnettes de ce dernier (collection Gadagne)
09:47 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : guignol, gérard truchet, christophe jaillet |
samedi, 04 octobre 2008
La comparaison qui tue
Et puis :
Et puis :
Et puis :
Et pour finir
00:03 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : barbara, musique |