mardi, 16 septembre 2008
Dom Mabillon et l'argot
C'est devenu une banalité, hélas, que de constater l'effacement de la langue française devant l'influence de l'anglo-américain dans le monde. C'en est presque une autre, hélas, hélas, que de dire la précarité de sa survie dans les sociétés francophones, hélas, hélas, hélas, au sein même de la production éditoriale - on n'ose dire littéraire - française. L'antidote à ce mal serait simple : lire. Car depuis Du Bellay et son manifeste, nous savons que toute littérature digne de ce beau nom-là n'est au fond que l'héroïque combat d'une langue et d'une culture destinées à périr pour survivre à cette pauvre destinée. Lire : Nous autres Français, nous avons cette chance-là de disposer d'une littérature dont plusieurs siècles font la richesse; parmi toutes nos infortunes, ne la gâchons pas. Lire, mais que lire ? Voilà ce que beaucoup disent, dressés depuis Pivot le mauvais saint-Bernard à tendre l'oreille et à soumettre leurs goûts à des conseillers littéraires entrevus à la télé, un peu comme on fait confiance à un conseiller fiscal ou comme, jadis, les pauvres gens honoraient le médecin. Ah, le règne des spécialistes n'aura-t-il pas assez duré ?
Il est vrai que les piles d'ouvrages proposés par les centres de distribution d'objets culturels indéterminés (Fnac, Virgin et autres espaces insignifiants) ont de quoi décourager les plus nobles ardeurs. Un GPS cvulturel y changera-t-il quelque chose ? Lire ? Mais quoi... devant ces amas informes de papier où tout s'aligne et se ressemble, la question devient vite : Lire, mais pourquoi ? Dans ces mauvais endroits se jouent les aventures post-mortem de la langue française, confiée à des marchands et mise en pages par des vaniteux. Je ne jette qu'un oeil sur la couverture : bien souvent y figure le nom du marchand et la photo du vaniteux. Puis je passe mon chemin.
Dans quelque vieil ouvrage du dix-septième, tenez, celui-ci par exemple : Traité des études monastiques (1691), je trouve au chapitre 14 ce conseil de Dom Mabillon, qui souligne la nécessité pour les clercs de tenir des recueils (des collections) de citations "pour y écrire les choses remarquables qui se présentent dans la lecture afin de ne les perdre pas tout à fait, et de ne pas les abandonner à l'aventure d'une mémoire infidèle ou chancelante." Alors, au point du jour, alors que les premiers bus à perches strient l'obscurité jamais parfaite dans la ville et rompent le silence relatif de derrière mes fenêtres, je cède à ce conseil âgé de plusieurs siècles et je note dans un carnet cette citation : "Le pays des lettres est un pays de liberté où tout le monde présume avoir droit de bourgeoisie". Puis, tout de go, cette autre expression, rencontrée dans un dictionnaire d'argot de Galtier-Boissière et Pierre Devaux, pour désigner le crane d'un chauve : "une perruque en peau de fesse".
"Un pays de liberté où tout le monde présume avoir droit de bourgeoisie... Une perruque en peau de fesse." Allez savoir pourquoi, ce matin, il me semble avoir retrouver, dans l'argot de Dom Mabillon, la syntaxe de Galtier-Boissière (ou le contraire, qu'importe !), un peu de cette langue autant rigoureuse qu'imagée que j'aime. Me voilà paré pour claquer doucement la porte au nez de mes chats, et affronter les vilains titres des quotidiens.
15:03 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : dom mabillon, galtier-boissière, langue française, argot, littérature, société |
Commentaires
Je crois avoir vu ce "traité des études monastiques" sur la table de chevet de Fénelon! Excellent ouvrage m'a t-il dit! Mais Fénelon
n'était pas opposé aux mots étrangers, je vais en parler bientôt! ceci dit, sans vouloir blesser Fénelon, c'était une autre époque n'est-ce-pas!
Écrit par : sophie L.L | mardi, 16 septembre 2008
J'ai quelques relations avec une perruquerie de la rue Paul Chenavard et comme tout le couloir de la chimie est tombé sur Lyon ces jours-ci avec les dernières pluies, j'ai quelques ennuis capillaires voyez vous (on s'en fout mais c'est pour dire) , donc demain à l'aube je prendrai la première diligence et irai rue Paul chenavard , acquérir cette perruque en peau de fesses dont vous semblez penser le plus grand bien. Félicitez de ma part Monsieur Galtier Boissière, autant que vous ...
P.S.
Comment ? Une métaphore ? où ça ?
Écrit par : la champouineuse | mercredi, 17 septembre 2008
@ frasby J'ai bien peur que les ennuis occasionnés par ce foutu couloir de la chimie ne fassent que commencer. Ah, pauvres de nous, Lyonnais. Il n'y a bien que le maire et le président du club de foot local qui se réjouissent... Encore qu'ils aient, paraît-il, raté leur promo 2013 !
Il leur reste leurs quat'yeux pour pleurer, sous une perruque en peau de fesses.
Écrit par : solko | mercredi, 17 septembre 2008
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