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mercredi, 14 janvier 2009

Le lait de la fiction en série

Je m'interroge sur ces images (Nimbus, les héros de Monjournal) vers lesquelles j'ai laissé glisser durant ces deux jours mon esprit. Tous, nous avons bu, par une mamelle ou par une autre, le lait de la fiction en séries. On nous l'a fait boire, plutôt. On nous l'a fait boire et puis nous y avons pris goût. Car au fond, nous ne demandions rien. Combien de fois m'est-il arrivé de voir un petit gamin dans un manège, par exemple, qui tournait,  semble-t-il, davantage pour le plaisir de sa mère ou de son père que pour le sien. Je me souviens très bien que quand on me demandait si je voulais monter sur le manège, où lire l'histoire d'Akim, au commencement de moi-même, je ne savais pas vraiment. Peut-être même, je ne voulais pas. Après, cependant, venait le goût ; un goût relatif, vite dépassé par un autre. Il y a un moment ou j'ai reconnu que toutes ces séries étaient de très mauvaises fictions, ou j'ai reconnu le lieu commun et le formatage (comme on dit à présent) dans les phylactères. Mais le pli était pris. Et le plaisir, d'une certaine façon, trouvé. J'avais bu au lait de la fiction en séries.  Et puis ça a continué. C'est même devenu très puissant, avec la télévision. Inutile de commenter ce ridicule effet Belphegor qui a traversé la France de nos parents  (Juliette Gréco était elle vraiment aussi épouvantable que cela ? Je n'ai vu le film entier que trop tard  pour partager ce grand frisson collectif). Mais d'autres séries. J'ai vu des "copains", à l'époque, qui sont passés sans transition d'Akim à Salut les Copains, par exemple. Le grand lait de la fiction en séries, c'était aussi les films-cultes. Des studios Dysney aux studios Spielberg, d'Hitchkock à Woody Allen, ces films dont certains m'ont vraiment ébloui (je pense à Vertigo, par exemple), mais qu'il fallait, d'une manière ou d'une autre avoir vus. Et qui prenaient subrepticement la place des livres qu'il fallait avoir lus. On pourrait peut être dater, dans l'histoire des Français, le moment où lire les Pensées de Pascal, la Nouvelle Héloïse, la Chartreuse de Parme, est devenu moins important que d'avoir vu le dernier Gérard Oury, Woody Allen ou Almodovar. Bien sûr, il y a ceux (de plus en plus rares) qui ont continué à faire les deux de front. Mais enfin... Même chez les profs, parfois on peut douter. Ce moment, c'est le grand tournant des années Pivot.

Ah ! Pivot ! L'alibi Pivot ! Le souriant autant que sourcilleux fossoyeur de la déjà-moribonde littérature française...  Combien d'Apostrophes aura-t-il fallu pour qu'il habitue ainsi les gens à têter au vilain sein de la fiction en séries, à têter le Nimbus ou l'Akim qui venait tourner manège sur le petit écran de la semaine, avec le fameux label "vu  la télé" collé sur le veston éditorial, une sorte de label-bio avant l'heure, finalement. Ah, Pivot... Le mauvais élève parvenu, le cancre revanchard, le commercial qui endosse le petit tailleur de l'intello pour écrabouiller ce qui reste d'esprit dans la France de Giscard puis dans celle de Mitterand et finir, finalement, en académicien de la rive gauche... Et nous voici avec le triomphe de Bienvenue chez les Ch'tis, avec Dany Boom qui va bientôt passer, ô comble de misère, ô comble de stupeur ! pour la France à lui tout seul, avec un Djamel Debbouze ou une Marion Cotillard dans son sillon. Au temps du professeur Nimbus, d'Akim et de Marco Polo, le mécanisme était déjà en route et tous les producteurs de lait avarié déjà plus au moins aux commandes, certes. Mais il y avait encore un certain sens de la hiérarchie de l'esprit, autrement dit un reliquat de culture chez les faiseurs d'opinion publique de tous crins.  Et c'est au fond cela que je regrette le plus : pas ces histoires, que je ne relirai jamais, bien que je reconnaisse les avoir lues avec ce plaisir ambigu dont je parlais plus haut; mais la hiérarchie à laquelle Nimbus et Akim m'initiaient à leur façon. Nimbus et Akim qui, au contraire de Dany Boom ou Djamel Debbouze, n'ont jamais pété plus haut que leur cul.

06:17 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (37) | Tags : littérature, actualité, professeur nimbus, bernard pivot | | |

mardi, 13 janvier 2009

Des nouvelles de Mon Journal

Bon. Un dessin, la force d'un dessin, c'est ça : le petit professeur Nimbus d'hier, l'air de rien, traine avec lui son cortège de revenants. Les personnages font la parade. Pourtant, je les ai balancés il y a si longtemps, toutes ces séries MON journal. Sans grand regret. Mais s'être laissé conté des aventures, il y a des années, dans l'ennui étincelant de ses neuf-quatorze ans, c'était s'exposer à des opportunités imprévues de retour, semble-t-il. Ces petits fascicules dont seule la couverture était colorée racontaient des aventures simples et bien menées, des histoires à rebondissements dont on comprenait facilement les ficelles sans difficulté. Brik, le pirate, puis Marco Polo, Lancelot ...

 
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Le plus drôle, c'est que les éditions "Aventures et Voyages", qui lancèrent ces diverses collections, et leur créatrice Bernadette Ratier, étaient domiciliés à Lyon, au 37 rue de Brest : Fondée le 26 août 1946, cette maison avait été lié  à la Résistance car pour créer un organe de presse, il fallait à l'époque disposer d'une "attribution de papier".  Or celle-ci était réservée en priorité aux résistants qui avaient déjà créé des journaux clandestins, ou aux équipes des journaux qui s'étaient sabordés dès les premiers mois de l'Occupation. Or Bernadette Ratier avait été résistante et avait réalisé des tracts, des fascicules et même collaboré à un magazine féminin assez éphémère, à cause de la Gestapo. A la Libération, elle a fait des conférences sur les femmes et la résistance et a rédigé quelques articles dans "La Marseillaise"... J'apprends tout ceci sur ce site que je place en lien pour ceux qui veulent en savoir plus. A tout seigneur, tout honneur, la série dans laquelle les ressorts de la fiction chers à R.L Stevenson étaient le mieux tendus, Akim le seigneur de la jungle, protecteur du faible et de l'opprimé, pour clore ce coloré cortège de héros à peine réchappés de la guerre, et vivant dans le monde manichéen d'une humanité encore facile à comprendre, où ne se rencontrent que ceux qui sont clairement bons et ceux qui sont authentiquement méchants.

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07:03 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : bandes dessinées, mon journal, bernadette ratier, humour, akim | | |

lundi, 12 janvier 2009

Le professeur N...

Nous discutions ensemble, un ami dont je n'avais pas eu de nouvelles depuis quelque temps et moi-même, hier, par téléphone. Et, après avoir raconté beaucoup de conneries, nous avons conclu qu'on pourrait au fond couper l'humanité vivant à présent sur la Terre en deux catégories : l'une regrouperait ceux qui ont connu ce monsieur, et l'autre ceux qui ignorent absolument qui il est.

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05:23 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : culture, littérature, politique, société, actualité, retrouvailles | | |

vendredi, 09 janvier 2009

Personne n'est quelque chose

Curieuse journée. Superpositions diverses d'impressions qui se conjuguent, mêlent les gens, les lieux, les époques. Hier matin, je vois un prof à la photocopieuse du lycée : trente-trente cinq ans, le capot de la machine relevé, son cartable entrouvert sur la petite table à côté. Bien en poste. Chez lui. Me rappelle soudainement une prof qui est depuis six ou sept ans partie à la retraite, à  cette même place, ce même lieu, faisant la même action. Autrefois. Ce même air installé. Autrefois. Moi-même, entre ces deux-là, me revoyant alors, à présent, ensuite, me devinant plus tard, puis jamais. Moment d'épiphanie. Parole de Joyce, remontant à la surface. Grâce de la littérature :

« Toute la population d'une ville disparaît, une autre la remplace, qui passera aussi. Maisons, files de maisons, rues, kilomètres de trottoirs, piles de briques, pierres. Ca change de mains. Ce propriétaire-ci, celui-là. On dit que le mort saisit le vif. Un autre se glisse dans ses souliers, quand il reçoit sa feuille de route. Ils achètent ça à prix d'or, et après, ils ont encore tout l'or. De la filouterie, quelque part, là-dedans. Amoncelé dans les villes, miné par les siècles. Pyramides dans le sable. Bâties avec le pain et les oignons. Esclaves de la muraille de Chine. Babylone. Les grosses pierres restent. Tours rondes. Le reste, débris, banlieues envahissantes, bâclées en série, maisons poussées comme des champignons, bâties de vent. Asiles de nuit. Personne n'est quelque chose. » (Ulysse, chapitre II)

 

 

 

20:05 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (27) | Tags : james joyce, littérature | | |

jeudi, 08 janvier 2009

Chronique du vin chaud en hiver, de la marionnette et des petits glougloux

Il fait froid partout en Europe. Il neige sur le Sud de l'hexagone. Rien de tel qu'un petit coup pour se réchauffer. J'ai entendu dire ça et là que ce n'était pas exactement comme cela que ça se passait, et que l'alcool ne réchauffait en vérité rien du tout. Au contraire, même. Que ce n'était qu'une impression fausse et que le répéter tenait du lieu commun. N'empêche qu'hier soir, après cours, nous sommes allés boire un vin chaud au café la Cloche, rue de la Charité, - dont les problèmes sont encore en attente de solution - et n'en déplaise aux jeteurs de sorts, ça fait quand même du bien par où ça passe, un bon vin chaud. L'autre jour, au théâtre des Célestins, j'étais allé voir « Les embiernes recommencent », un spectacle d'Emile Valantin sur et avec Guignol. Trois textes, de la fin du dix-neuvième et du début du vingtième, exhumés par ses soins. 

Si j'en parle à présent, c'est à cause de cette affaire de grand froid, qui a mis tout le pays en branle-bas de combat, même les Bretons et les Marseillais, jusqu'à congeler la sardine du Vieux Port. Par association d'idées, en quelque sorte. Car c'est bien connu, l'ivresse, c'est bel et bien l'antithèse de la mort : celui qui boit, même avec excès, ne prouve t'il pas qu'il est bien vivant ? C'est ainsi que le lien entre le vin et la marionnette est bien plus fort qu'on ne le croit de prime abord. Francis Ponge ne dit-il pas dans Le Vin que "la flamme du vin transforme les corps articulés plus ou moins en guignols, pantins, marionnettes ?" Regardez par ailleurs cette photo inoubliable, celle du Bonhomme Cep Vermeil : Dirait-on pas, ce brave-là, une marionnette à gaine brandissant sa racine merveilleuse, sa trique magique, sa dive bouteille, toute sa fortune et tout son credo ?

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Pour en revenir à Gounod, si, comme tout le monde, je me souvenais de son Ave Maria, j'ignorais bien qu'il était aussi le compositeur d'un opéra inspiré du Médecin malgré lui de Molière. Sganarelle, comme Guignol, on ne connait que lui. Ces valets de comédie, rajoutez-y Scapin et Figaro, ont quelque chose d'éternellement réjouissant, de neuf à jamais, allez savoir pourquoi!  Passent, comme le chante le bon Guillaume, les jours et passent les semaines... or donc, dans le premier acte de cet opéra-comique oublié (1), Emilie Valantin a déniché une Chanson à boire bien moins interprétée aux quatre coins du monde que ne le fut l'Ave Maria, mais tout aussi plaisante  et, à la fin de son spectacle de Guignol, elle est parvenue, ce qui est une forme de miracle, à la faire chanter au public - tenez vous bien - du théâtre des Célestins.

Au passage, je dois dire que j'aime beaucoup le travail d'Emilie Valantin. Il y a toujours une grâce particulière à regarder ses marionnettes : comment elles se déplacent, s'assoient, s'immobilisent, vous regardent, et se jouent de l'illusion théâtrale dont elles sont nées. L'an dernier, j'avais raté son spectacle à la Comédie Française, la  Vie du grand dom Quichotte et du gros Sancho Pança d’Antonio José da Silva. Mais je ne vais pas me lancer dans une discussion sur la marionnette, outrecuidante. A propos de celles de M. Signoret (au passage Vivienne à Paris, Anatole France a tenu ces propos délicieux, dans ses si élégants souvenirs (La Vie Littéraire) :  "j'ai vu deux fois les marionnettes de la rue Vivienne et j'y ai pris un grand plaisir. Je leur sais un gré infini de remplacer les acteurs vivants. S'il faut dire toute ma pensée, les acteurs, me gâtent la comédie. J'entends les bons acteurs. Je m'accommoderais encore des autres! mais ce sont les artistes excellents, comme il s'en trouve à la Comédie-Française, que décidément je ne puis souffrir". 

Ce n'est pas la chose la plus intelligente que Breton et sa tribu aient faite, de liquider aussi stupidement Anatole, qui les valait bien, tous. Quitte à s'en prendre à un cadavre d'académicien, dans les années 23-24 il y avait assurément bien pire. Preuve de leur total manque de discernement, à ces surréalistes. Enfin, je m'égare. Est-ce le vin ? Est-ce le froid ? Est-ce la marionnette ? Il est temps de conclure. Comme ni sur Daily Motions, ni sur You tube, je ne trouve la moindre trace des glougloux de Gounod, je vous laisse imaginer l'air, pour accompagner les paroles, que voici. Et c'est ainsi qu'Alexandre est Grand.

(doux)

Qu’ils sont doux

Qu’ils sont doux

Qu’ils sont doux

Bouteille jolie

 

(joyeux)

Qu’ils sont doux

QU’ils sont doux

Vos petits glougloux

Vos petits glougloux

 

(silence 2 temps)

Ah *Bouteille, bouteille

Bouteille, ma mie

 

(Très joyeux)

Ah !

Pourquoi, pourquoi

Pourquoi vous videz-vous

Mon sort ferait bien des jaloux

Si vous étiez toujours remplie !

 

Qu’ils sont doux

Qu’ils sont doux

Qu’ils sont doux

Bouteille jolie

 

Qu’ils sont doux

QU’ils sont doux

Vos petits glougloux

Vos petits glougloux

 

(Doucement)

Qu’ils sont doux …

 

( Très festif)

Qu’ils sont doux.

Vos petits glougloux

Vos petits glougloux

 

 (1) Opéra comique en 3 actes, créé le 15 Janvier 1858 au Théâtre-Lyrique de Paris.

07:00 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : vin chaud, froid, neige, hiver, vialatte, littérature | | |

mercredi, 07 janvier 2009

Le père Rival

A Lyon les bouquinistes, paradis des chineurs, refuge des épuisés, se sont installés depuis quelques décennies sur le quai de la Pêcherie, face au quai de Bondy le long duquel siège chaque dimanche matin le marché de la création. Les bouquinistes lyonnais ont en cela imité leurs confrères parisiens des bords de Seine. En rendant hommage à un citoyen de la Belle Epoque, bouquiniste de son état et, sans aucun doute, oublié de tout le monde, je voudrais leur rendre hommage à tous.. Je suis pour ce faire le témoignage d’Henri Béraud dans sa Gerbe d’Or, qui nous apprend qu'en ce temps jadis, c'étaient les quais du Rhône qui, à Lyon, étaient comparables à ceux de la Seine, c'était le long du Rhône que chineurs et bibliophiles trouvaient leur bonheur :

 

« Du pont de la Guillotière au nouveau quartier Grolée, le rez-de-chaussée de l’Hôtel-Dieu n’était qu’un bric-à-brac. On n’y voyait que bouquinistes, marchands d’estampes, tapissiers, empailleurs d’oiseaux. Le père Rival, qui était un peu tout cela, avait son échoppe au milieu de la façade, sous le dôme de Soufflot, à droite du grand portail. Quelle échoppe, quel éventaire ! Tout ce qu’on pouvait pendre ou accrocher était accroché ou pendu là, aux murs gris du vénérable édifice, jusqu’aux voûtes de la soupentes, où dormait le père Rival. Lui-même se présentait sous un aspect des plus fantasque, le chef couvert d’un bonnet carré, à tour de velours et fond d’indienne, la barbe fauchée à la serpe sur le rond des bajoues, l’habit défait, de gros sabots aux pieds, l’air d’un alchimiste à la Rembrandt, et le tout bien calculé pour intriguer et faire jaser. 

 Toute cette friperie, crocodiles et mannequins, servait de mise en scène à un commerce mal défini où dominait la bouquinerie. Pour cela encore, il avait sa manière, bien à lui, de mener les affaires. Ses livres étaient répandus sur le trottoir en tas effondrés, bords à bords : le tas de deux sous, le tas de cinq sous, le tas de dix sous, le tas de vingt sous ; tout cela sans limites bien marquées, si bien que d’astucieux naïfs prenaient leur air le plus innocent pour payer cinquante centimes des bouquins choisis adroitement sur la pente du tas à un franc, mais fort dignes en réalité du tas à deux sous dont ils provenaient.

-Merci, mon brave.

L’amateur emportait sa trouvaille, détalait. A un autre. Ce spectacle de l’indélicatesse publique constamment renouvelé laissait le vieux libraire imperturbable. Il prenait une prise, donnait du « mon brave » à ses fripons imaginaires et, d’un œil endormi, surveillait sa boutique. » [1]

 

 

 

 

 

Le Père Rival de Béraud a-t-il vraiment existé ? Il est certain que oui. Pour les besoins de sa fiction, l'écrivain a dû néanmoins changer son nom. Ironie du sort, ce sont ces bouquinistes qui ont sauvé l'oeuvre de Béraud, ainsi que celles de tant d'auteurs ou de collections inaccessibles désormais dans les centres de distribution d'objets culturels non déterminés qui se trouvent partout en France sous les enseignes Fnac, Virgin ou autres.

 

 



[1]Henri Béraud, La gerbe d’Or,.

06:50 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : bouquinistes, quai de saône, lyon, livres, romans, littérature, béraud | | |

Une question qui fait sens

Je n'aime pas trop parler de ma vie privée, ni de mon "métier". Je le fais fort rarement. Un blogue n'est pas un journal. Parfois pourtant, lorsque cela me parait utile, je m'y résous. Comme ce soir.

Je suis resté assez tard au lycée, à cause d'une réunion avec des parents d'élèves. Je n'ai jamais bien aimé ces rituels mi solennels, mi puérils, même s'ils ont un caractère relativement nécessaire, au moins jusqu'en classe de première. (Je vois mal ce genre de choses se prolonger en BTS, alors que les étudiants y sont majeurs, encore que...) Bref. Dans un billet récent  (lien ICI), j'évoquais la disparition programmée de l'écriture manuscrite. Je ne pensais pas que les choses, à vrai dire, se manifesteraient si vite. Un parent, père de famille, la cinquantaine - son fils en 1ère S, ni bon ni  mauvais, comme on dit - me pose une question. J'avoue que j'en ai entendu pas mal en vingt ans de pratique. Des vertes et des pas mures; mais celle-ci : "Pourquoi vous obstinez-vous à exiger des copies manuscrites ? Mon fils perd trois heures (!!!!) à recopier ce qu'il a fait sur l'écran pour vous le rendre, alors qu'il n'aurait qu'à appuyer sur un bouton pour l'imprimer."

Voilà.

C'est un type de mon âge qui donne le premier coup de bélier.

Pour l'instant, c'est encore facile d'argumenter : J'aurais pu lui faire observer qu'à l'examen, on demande aux élèves d'écrire à la main. Pas eu envie de me justifier sur un sujet aussi évident. Je leur ai dit, à tous, que nous étions en train d'égarer collectivement, dans notre quotidien une pratique, celle de l'écriture à la main. Et que leurs enfants devraient se réjouir d'avoir encore le temps, l'occasion ou le loisir de la pratiquer. Le père m'a rétorqué que même les écrivains (je le cite) écrivaient à l'ordinateur. J'aurais pu m'offrir en exemple, puisque j'ai écrit moi-même plusieurs pièces de théâtres, des essais et des romans en utilisant un ordinateur, tout en écrivant aussi de nombreux passages sur des cahiers. En fait, je n'ai jamais complètement abandonné l'écriture à la main, pour des raisons que je ne peux développer ici, mais qui sont si évidentes. Je n'ai pas non plus envie d'abandonner la nourriture à la bouche, si j'ose dire - même si je sais que tôt ou tard viendra le temps des perfusions ... Car je voyais bien ce qu'il pensait - que j'étais sans doute contre la technique, contre Internet, contre les blogs, tiens, comme le disent tous ces habitués frénétiques de Delarue qui ne connaissent que le pour et le contre, si imbécile, des choses, qui ont, comme ils le disent si affreusement des opinions ... J'aurais pu  lui dire que j'avais acheté mon premier ordi en 1988, et que je n'étais pas le vieux con qu'il croyait. J'aurais pu l'envoyer faire un tour chez Solko, par exemple...

Mais bon. Pas eu besoin de tout ça. Car il y avait encore une majorité de gens sensés parmi ces parents d'élèves, visiblement, pour soutenir la même position que moi. J'ai juste - tout de même (les correcteurs de copies me comprendront) précisé, d'un ton assez ferme et je l'espère convaincant, que leurs enfants n'étaient que des élèves et non des écrivains. (incroyable ce raisonnement, spécieux, aberrant : les écrivains écrivent à l'ordi, donc mon fils peut faire ses copies à l'ordi...) Je n'ai pas non plus rajouté ce que je pensais de la plupart des imposteurs (et imposteures) que ce monsieur, dans sa liberté de penser, appelle, lui, des écrivains. Nous serions entrés dans un débat trop houleux, sinon.

Si je parle dans ce billet de ce qui n'est, après tout, qu'une anecdote, c'est que cette anecdote fait sens. Il commence à y avoir, dans ce pays, un certain nombre d'adultes assez sots pour affirmer publiquement (puisque c'est leur opinion...) qu'écrire à l'ordi (comme ils disent) est plus propre et plus pratique qu'écrire à la main. Hygiénisme et consumérisme n'étant pas mes tasses de thé, je m'abstiendrais de dire quoi que ce soit à propos de ces gens qui ont, tout comme Florent Pagny, leur liberté de penser. Mais je souligne simplement le fait, en tant que professionnel de l'écriture et de la correction - comme d'autres le sont d'un autre domaine, la culture du maïs ou la vente des frigidaires -, que la jeunesse de ce pauvre pays devient de plus en plus - dans son ensemble - inapte à l'écriture manuscrite (c'est un constat) avec la complicité parfaitement inconsciente de leurs géniteurs (encore un constat) et que si on entérine une telle chose, non seulement la perte sera considérable mais surtout, il n'y aura aucun retour possible, avant plusieurs générations..

mardi, 06 janvier 2009

24 heures sur 24

Un monde nouveau

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Le lit au fond, la sacoche contre le vaisselier, la femme devant son rouet et cette voyageuse, assise sur le rebord de la cheminée…

Lecture du supplément économique du Monde : « les jeunes, premières victimes de la crise sociale de 2009 ». Encore une génération dans laquelle les héritiers seront plus habiles que les autres;  « Une onde de choc qui accentue la fracture sociale », titre-t-on dans les pages intérieures du canard. Soit. L'inconscience, aussi. Et pour plusieurs décennies. « Un monde nouveau doit sortir de cette crise », assène sans rire Henri Guaino, le conseiller de Sarkozy. Un monde nouveau. Où voient-ils du nouveau ? C'est l'ancien qui persiste et signe. La conscience en moins. L'info en plus, me direz-vous. Ah ! Les infos ...

La vieille, et son châle recouvrant les épaules, son bonnet de dentelles Regardez comme elle se tient droit, fixant la citadine, comme assise en son silence, mains déposées, croisées sur le ventre. Que savaient-ils des affaires de la planète, du monde, du pays, en ce temps-là ?

« Sainte ignorance », disaient alors certains. « Honteuse ignorance », grimaçaient d'autres.

Le droit à l'information... Credo de l'époque actuelle. Même dans les magasins, jusque dans l'autobus, là, que c'est le plus curieux. Là… Ce qui se passe partout dans le monde. A chaque instant, le savoir.  Informés, nous le sommes, impuissants tout autant. Le rouet ne tourne plus. La roue, jamais si vite.

        Un monde nouveau doit sortir de cette crise, clament les imposteurs. Le marché de l'inquiétude ne s'est jamais mieux porté, et ceux qui vendent de l'espérance prennent des kilos. Un monde nouveau... Pour qu'un monde nouveau soit, il faudrait des hommes nouveaux, moins roués. Des idées nouvelles, pas des lieux communs....  Où voit-on de la nouveauté dans cette crise ? C'est l'ordre le plus ancien du monde qui exulte. Terrible. Au cas où vous ne seriez pas avertis, les chaines infos vous le rappellent. 24 heures sur 24.

06:38 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : société de l'information | | |

lundi, 05 janvier 2009

Rigole !

L'année 2009 prend la température avant de vraiment débuter.

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La rue, qu'elle tâte du bout de son pied inquiet, la rue est encore vide. Le pavé émoussé. Les événements, cependant, les événements à l'entrée du virage, on le sent bien, les événements se pressent, les événements, de venir, ne manqueront pas. Un peu plus loin, juste un peu plus loin, ils grondent, là. Sans doute seront-ils terribles. Avec ce besoin qu'elle a de rire, l'année 2009 a tout de même lacé ses bottines. Elle prendra son temps pour traverser. Sans doute seront-ils glaçants. Le pavé est encore humide de l'an passé. Quelle rincée, l'an passé ! Un parapluie : cela risque bien de servir : cet individu qui la guette ? Sans doute seront-ils violents. Qu'est-ce qui s'apprête à se lézarder sous ses pas ? Première emmerde ou première bonne surprise ? Qu'est-ce qui ... ? Elle jette un œil.

La toile est de Jean Béraud

06:26 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : jean béraud, 2009, peinture | | |