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vendredi, 09 janvier 2009

Personne n'est quelque chose

Curieuse journée. Superpositions diverses d'impressions qui se conjuguent, mêlent les gens, les lieux, les époques. Hier matin, je vois un prof à la photocopieuse du lycée : trente-trente cinq ans, le capot de la machine relevé, son cartable entrouvert sur la petite table à côté. Bien en poste. Chez lui. Me rappelle soudainement une prof qui est depuis six ou sept ans partie à la retraite, à  cette même place, ce même lieu, faisant la même action. Autrefois. Ce même air installé. Autrefois. Moi-même, entre ces deux-là, me revoyant alors, à présent, ensuite, me devinant plus tard, puis jamais. Moment d'épiphanie. Parole de Joyce, remontant à la surface. Grâce de la littérature :

« Toute la population d'une ville disparaît, une autre la remplace, qui passera aussi. Maisons, files de maisons, rues, kilomètres de trottoirs, piles de briques, pierres. Ca change de mains. Ce propriétaire-ci, celui-là. On dit que le mort saisit le vif. Un autre se glisse dans ses souliers, quand il reçoit sa feuille de route. Ils achètent ça à prix d'or, et après, ils ont encore tout l'or. De la filouterie, quelque part, là-dedans. Amoncelé dans les villes, miné par les siècles. Pyramides dans le sable. Bâties avec le pain et les oignons. Esclaves de la muraille de Chine. Babylone. Les grosses pierres restent. Tours rondes. Le reste, débris, banlieues envahissantes, bâclées en série, maisons poussées comme des champignons, bâties de vent. Asiles de nuit. Personne n'est quelque chose. » (Ulysse, chapitre II)

 

 

 

20:05 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (27) | Tags : james joyce, littérature | | |

Commentaires

pas bien gai, mais un peu mon état d'esprit ce soir aussi

Écrit par : neige | vendredi, 09 janvier 2009

C'est pour cela que Marilyn lisait avec intérêt Ulysse.

Écrit par : Sophie L.L | vendredi, 09 janvier 2009

Il y a, là, quelque chose qui ressemble à de l'éternité, "au maillon qu'on se sent parfois être d'une châine éternelle," pour plagier le vieil Hugo.

Écrit par : B.redonnet | vendredi, 09 janvier 2009

J'ai connu un ex-Odéonien qui, en regard des photos figurant sur les programmes ajoutait : " mort, mort, mort " avec sans doute de façon implicite à l'esprit : à quand mon tour ? ... Pourtant, chacun d'eux à un moment quelconque de sa carrière s'était cru éternel. Ce même comédien disait en parlant de sa profession " nous créons dans le temps et dans l'espace, par conséquent, il n'en reste rien " C'est l'oubli de ce genre de certitude qui permet tout. Sinon, on devient philosophe au risque de ne plus rien faire ...

Écrit par : Simone | vendredi, 09 janvier 2009

Un peu dans le même ordre d'idée quand Brassens a su qu'il avait un cancer qui lui serait fatal, il s'est confié à un ami :
- Je vais mourir...
- Mais Georges, il y a ton oeuvre...
- Tu sais quand on sait qu'on va mourir, l'oeuvre...l'oeuvre....On s'en fout de l'oeuvre...

Écrit par : B.redonnet | vendredi, 09 janvier 2009

Il y a quelques années, en découvrant la correspondance entre mon arrière-grand-père et mes arrières-arrières-grands-parents, qui vivaient dans la ferme familiale où habitent encore leurs descendants (dont mes grands-parents), j'ai exactement ressenti ce dont vous parlez, mon cher Solko: les murs sont toujours là (bien que pas de pierres, mais de simple pisé), les champs, les bois aussi, mais des personnes d'autrefois et de leur univers rien, tous les humains ont été renouvelés. Forte impression, je dois dire, de les voir revivre à travers leurs mots, eux dont il ne reste rien qu'un nom au cimetière et qui pourtant furent chez eux chez nous, et avant nous.

Écrit par : Myriam | vendredi, 09 janvier 2009

Joyce, Joyce, Joyce!!!

Personne n'est quelque chose, pas tout le monde est rien, personne n'est quelque chose. Cette oeuvre est inouïe. Ce fût mon cadeau de Noël en Pléiade! Avec les lettres, c'est le genre de cadeau que je vais faire durer...

Écrit par : Léopold | vendredi, 09 janvier 2009

@ Neige : Pas bien gai à la surface des choses. Mais en profondeur, très serein. On trouve une vraie serénité à accepter la condition qui est profondément la notre, sans en faire autre chose qu'une simple conscience.

Écrit par : solko | vendredi, 09 janvier 2009

@ Bertrand : C'est drôle, en lisant à l'instant votre texte sur l'hiver polonais, j'ai pensé encore une fois à cette phrase de Joyce.
http://lexildesmots.hautetfort.com/archive/2009/01/08/polska-zima.html

Écrit par : solko | vendredi, 09 janvier 2009

@ Sophie. L'important, c'est quand même que nous et de plus jeunes, également, continuent de le lire, je veux dire, aient les moyens de le lire.

Écrit par : solko | vendredi, 09 janvier 2009

@ Simone : Rien faire ? Pas forcément... Pourquoi pas faire mieux ?

Écrit par : solko | vendredi, 09 janvier 2009

@ Myriam : Très beau témoignage, Myriam. J'ai senti cela en foulant des pieds le sol du cimetière de Thil. Sol que plusieurs générations de mes ancêtres avaient labouré, et non loin de là, le Rhône, sur lequel ils avaient navigué. Et il ne me reste rien de tout cet effort, ni pierres, ni objets, pas la moindre charrue. Enfin il y a soi-même, passant également. Se souvenir de celà en profondeur est la meilleure façon de ne pas sombrer dans ce système mondialisant, technocrate, falsicateur. Vertu de l'écriture : à tous je dis "je suis cet être", mortel soit, mais au moins réel."

Écrit par : solko | vendredi, 09 janvier 2009

@ Léopold : "Avec les lettres" ?

Écrit par : solko | vendredi, 09 janvier 2009

bon réflexe

Écrit par : gmc | vendredi, 09 janvier 2009

@ Solko - Tout n'est que rencontres ... j'ai (très jeune) eu un soir l'honneur imprévisible d'être assise à la même table que Pierre Fresnay pour l'entendre dire : " je déconseillerais à ma fille (j'ignore toujours s'il en a eu une) de faire ce métier " - L'art ou la manière de couper les ailes à un(e) apprenti(e) comédien(ne) et j'avais parallèlement sous les yeux un être exceptionnel que personne ou presque ne connaissait en dehors des gens du métier, bien sûr. On ne gravit pas une échelle dont les barreaux ont été sciés ...

Écrit par : Simone. | vendredi, 09 janvier 2009

Je ne sais pas si c'est l'extrait ou la fatigue ou quelque chose qui rôde mais j'ai des frissons. Enfin je ne trouve pas cela triste mais c'est vraiment ce que je ressens de plus en plus quand j'échappe au vent des hommes - au mien d'abord!

Surtout cela donne envie d'insister, de taper le carton avec Joyce et Ulysse malgré le panonceau "No trespasser"... Et cela mérite bien un petit remerciement. Merci Solko.

Écrit par : Olivier (vivant aussi) | vendredi, 09 janvier 2009

(reprise de peau)

Écrit par : Tang | vendredi, 09 janvier 2009

@ GMC : Retour vers Joyce, est-ce un réflexe, le retour ?

Écrit par : solko | vendredi, 09 janvier 2009

@ Simone : Barreaux sciés ? La métaphore est hardie. C'est vrai, cela dit, que tout est affaire de circonstances. "Les maudites circonstances", comme dit le neveu de Rameau.

Écrit par : solko | vendredi, 09 janvier 2009

@ Tang : Reprenez, je vous en prie, votre peau. Très joli, ce poème sur Roland que j'invite les lecteurs de passage ici à aller lire chez vous, et sur lequel je n'ose laisser de commentaire avant Sophie et Pascal.

Écrit par : solko | vendredi, 09 janvier 2009

Nombreuses similitudes, entre Lyon et Dublin.

Écrit par : Marcel Riviere | vendredi, 09 janvier 2009

@ Solko : Merci, je ne le crois pas bien fameux mais pour vous je freinerai ma pulsion justicière et délaisserai la gâchette.

Ce n'est pas du tout ce que je voulais dire... Euh...

Je me rends compte tout de même que mon intitulé était assez maladroit, je ne songeais pas qu'il y eût encore tant de délicatesse rescapée sur l'aride oueb... Sophie et Pascal on décidément bien de la chance, et je me réjouis d'avoir occasionné d'aussi jolies attentions - j'en serais même jaloux!

J'ai repris ma vieille peau fripée, je ne parvenais pas à me faire à mon corps musculeux de preux chevalier...

A bientôt Solko.

Écrit par : Tang | vendredi, 09 janvier 2009

PS: Cela n'aurait pas dû m'empêcher de bien orthographier Roncevaux - rétabli dans ses droits.

Écrit par : Tang | vendredi, 09 janvier 2009

oui et non, tout dépend de ce qu'on attache comme valeurs associées au mot réflexe.
il est possible de le voir comme un réflexe ou de postuler l'inverse sans que cela pose de problème, tout est affaire de circonstances. au choix du narrateur, en quelque sorte.

Écrit par : gmc | samedi, 10 janvier 2009

Joyce, Pléiade, T2, Ulysse + Choix de lettres :)

Écrit par : Léopold | samedi, 10 janvier 2009

@ Léopold : Merci du renseignement. J'ignorais que la correspondance de Joyce était en pleïade.

Écrit par : solko | samedi, 10 janvier 2009

Solko on n'est plus à la photocopieuse et content de ne plus y être
content d'être ailleurs.
Il y a des pages qu'il faut savoir tourner.
Un jour on ne sera plus nulle part ?
Pas sûr
on restera quelques temps dans le coeur de quelques uns.

Écrit par : Rosa | samedi, 10 janvier 2009

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