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mercredi, 07 janvier 2009

Le père Rival

A Lyon les bouquinistes, paradis des chineurs, refuge des épuisés, se sont installés depuis quelques décennies sur le quai de la Pêcherie, face au quai de Bondy le long duquel siège chaque dimanche matin le marché de la création. Les bouquinistes lyonnais ont en cela imité leurs confrères parisiens des bords de Seine. En rendant hommage à un citoyen de la Belle Epoque, bouquiniste de son état et, sans aucun doute, oublié de tout le monde, je voudrais leur rendre hommage à tous.. Je suis pour ce faire le témoignage d’Henri Béraud dans sa Gerbe d’Or, qui nous apprend qu'en ce temps jadis, c'étaient les quais du Rhône qui, à Lyon, étaient comparables à ceux de la Seine, c'était le long du Rhône que chineurs et bibliophiles trouvaient leur bonheur :

 

« Du pont de la Guillotière au nouveau quartier Grolée, le rez-de-chaussée de l’Hôtel-Dieu n’était qu’un bric-à-brac. On n’y voyait que bouquinistes, marchands d’estampes, tapissiers, empailleurs d’oiseaux. Le père Rival, qui était un peu tout cela, avait son échoppe au milieu de la façade, sous le dôme de Soufflot, à droite du grand portail. Quelle échoppe, quel éventaire ! Tout ce qu’on pouvait pendre ou accrocher était accroché ou pendu là, aux murs gris du vénérable édifice, jusqu’aux voûtes de la soupentes, où dormait le père Rival. Lui-même se présentait sous un aspect des plus fantasque, le chef couvert d’un bonnet carré, à tour de velours et fond d’indienne, la barbe fauchée à la serpe sur le rond des bajoues, l’habit défait, de gros sabots aux pieds, l’air d’un alchimiste à la Rembrandt, et le tout bien calculé pour intriguer et faire jaser. 

 Toute cette friperie, crocodiles et mannequins, servait de mise en scène à un commerce mal défini où dominait la bouquinerie. Pour cela encore, il avait sa manière, bien à lui, de mener les affaires. Ses livres étaient répandus sur le trottoir en tas effondrés, bords à bords : le tas de deux sous, le tas de cinq sous, le tas de dix sous, le tas de vingt sous ; tout cela sans limites bien marquées, si bien que d’astucieux naïfs prenaient leur air le plus innocent pour payer cinquante centimes des bouquins choisis adroitement sur la pente du tas à un franc, mais fort dignes en réalité du tas à deux sous dont ils provenaient.

-Merci, mon brave.

L’amateur emportait sa trouvaille, détalait. A un autre. Ce spectacle de l’indélicatesse publique constamment renouvelé laissait le vieux libraire imperturbable. Il prenait une prise, donnait du « mon brave » à ses fripons imaginaires et, d’un œil endormi, surveillait sa boutique. » [1]

 

 

 

 

 

Le Père Rival de Béraud a-t-il vraiment existé ? Il est certain que oui. Pour les besoins de sa fiction, l'écrivain a dû néanmoins changer son nom. Ironie du sort, ce sont ces bouquinistes qui ont sauvé l'oeuvre de Béraud, ainsi que celles de tant d'auteurs ou de collections inaccessibles désormais dans les centres de distribution d'objets culturels non déterminés qui se trouvent partout en France sous les enseignes Fnac, Virgin ou autres.

 

 



[1]Henri Béraud, La gerbe d’Or,.

06:50 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : bouquinistes, quai de saône, lyon, livres, romans, littérature, béraud | | |

Commentaires

Hélas, nos bienaimés bouquinistes sont menacés de disparition. Déjà pour survivre ils proposent d'infâmes babioles du style tour eiffel pour touristes et leur nombre va décroissant au fil des années pour ne pas dire, des mois.
Pourtant les quais de Seine sans eux deviendraient bien tristes, privés d'âme en quelque sorte.

Écrit par : Simone. | mercredi, 07 janvier 2009

LES FLOTS D'ARÔMES

Sur les bords du fleuve
Des livres
Comme autant de photos
Des rives du temps
Aux chromes satinés
Aux saynettes amoureuses
Aux mille et une histoires
Qui font de l'existence
Un patchwork de couleurs
Aux fragrances innombrables

Écrit par : gmc | mercredi, 07 janvier 2009

Z'auriez pu me demander mon avis avant de coller ma photo ! En noir et blanc, qui plus est ! Et le mauvais profil ! Et juste le jour où j'avais perdu mon Stetson !

Écrit par : Porky | mercredi, 07 janvier 2009

Et vous? vous l'avez bien connu le Père Rival n'est ce pas ? (même si vous nous faites croire que c'est dans un livre...) On dirait un copain à vous.
PS:
Porky, vous seriez bien aimable de me rendre ma casquette, Parce que si c'est bien vous qui êtes en photo, (en noir et blanc qui plus est !) il se trouve que c'est juste le jour où j'avais perdu ma casquette ! quel toupet !

Écrit par : Frasby | mercredi, 07 janvier 2009

Très bel hommage, la fin de l'extrait est d'un drôle salvateur. Ça rachète l'indélicatesse publique sans cesse renouvelée.

Écrit par : Olivier (vivant aussi) | mercredi, 07 janvier 2009

@ Simone : Oui, la dernière fois que je suis passé à Paris, il m'a semblé entrevoir cette évolution. Triste.

Écrit par : solko | mercredi, 07 janvier 2009

@ Porky :
Vous ? Mais non ! Regardez mieux : ce monsieur a le ventre absolument plat !
PS. Je vous laisse régler avec Frasby vos problèmes de casquettes ...

Écrit par : solko | mercredi, 07 janvier 2009

Lou padro Rival : Si jo l'avon conou ? Ouuuh !!!
Ca remonte à lontan, vinzou d'vinzou. Mêmement qu'on étions pays à Viesa et conscrit de surcroit. C'est dont vô dire! Et c'est dans sa boutique qu'j'déchiffrion not'premier alphabet ! En c't'an là, y commençaient tô juste à bâtir la basilique de Forvière qu'on y voit par derrière sur la photo...Eh ouais ! Le tan, il a passé ma bonne Frasby !

Écrit par : solko | mercredi, 07 janvier 2009

@ Olivier (toujours vivant) : Et l'Oncle ? "Carles li reis, nostre emperere magnes." Celui à la barbe fleurie ? L'avez-vous revu ? Cela me plairait bien de trinquer un apéro avec lui dans un bistro du quai des bouquinistes.

Écrit par : Roland (toujours vivant) | mercredi, 07 janvier 2009

air d’un alchimiste à la Rembrandt,
ou du vieil antiquaire de Balzac : on y est presque.
Finalement Béraud c'est peut-être encore mieux que Mauriac :)

Écrit par : Rosa | mercredi, 07 janvier 2009

Hélas, il se terre Solko, une horde d'adolescent a mis sa tête à prix depuis qu'ils ont appris que le drôle avait inventé l'école... Je 'amènerai si je peux à Lyon...

@Rosa: J'y pensais de même... D'autant que Balzac aimait à comparer ses vieillards à des toiles de Rembrandt...

Écrit par : Olivier (vivant aussi) | mercredi, 07 janvier 2009

Il a sa rue, à Lyon, Charlemagne. Ou plutôt son cours.

Écrit par : Marcel Riviere | vendredi, 09 janvier 2009

@ Marcel : Merci de le rappeler

@ Olivier : Aussi, si vous parvenez à l'apporter, nous irons boire un coup dans un tripot du cours Charlemagne.

Écrit par : Solko | vendredi, 09 janvier 2009

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