mardi, 09 décembre 2008
La fête est finie
Voilà.
Il n’y a pas. Il n’y a jamais eu de rapport entre cette prière, ce chant, cette gratitude qui s’échappe d’une jeune fille et bondit sur le monde pour l’adoucir à jamais, et forme entre Antiquité et nous comme une passerelle de merveilles, cette jeune fille du Magnificat
Et cette fête honteuse et dégradée qu’on achève à la va-vite, estrades démontées, projecteurs en tas, écrans repliés, les touristes ont regagné leurs pénates et les caisses sont pleines, et les pierres qu’on a giflées, aveuglées et comme dégueulassées, ont l’air de demander réparation au soleil matinal derrière les brumes, les pierres hagardes,
IL N’Y A PAS de rapport.
Pourtant, on le dira, on l'imprimera, on le proclamera.
Et des enfants se détourneront. Et d’autres. Et d’autres. Et d’autres encore se détourneront avec raison – diront-ils - du cœur magnifique & infailliblement solitaire de Marie, se détourneront dans une grimace, en croyant au mépris de Celle qui pourtant pleure,
Celle qui pleure,
Or, jamais, le voeu de son manteau, sur eux déplié, ne sera déposé avec tant d’ardeur,
Puisque la fête, enfin, repliée, les journées ordinaires recommencent ...
07:10 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : fête des lumières, christianisme, marie, littérature, poésie |
lundi, 08 décembre 2008
Magnificat
Magnificat anima mea Dominum, | Mon âme exalte le Seigneur, |
et exsultavit spiritus meus in Deo salutari meo. | exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur. |
Quia respexit humilitatem ancillae suae. | Il s'est penché sur son humble servante, |
Ecce enim ex hoc beatam me dicent omnes generationes. | désormais tous les âges me diront bienheureuse. |
Quia fecit mihi magna qui potens est. | Le Puissant fit pour moi des merveilles, |
Et sanctum nomen ejus. | Saint est son nom. |
Et misericordia ejus a progenie in progenies timentibus eum. | Son amour s'étend d'âge en âge sur ceux qui le craignent. |
Fecit potentiam in brachio suo. | Déployant la force de son bras, |
Dispersit superbos mente cordis sui. | Il disperse les superbes. |
Deposuit potentes de sede, et exaltavit humiles. | Il renverse les puissants de leurs trônes. Il élève les humbles. |
Esurientes implevit bonis, et divites dimisit inanes. | Il comble de biens les affamés, renvoie les riches les mains vides. |
Suscepit Israël puerum suum, recordatus misericordiae suae. | Il relève Israël, son serviteur, il se souvient de son amour, |
Sicut locutus est ad patres nostros, Abraham et semini ejus in saecula. | et de la promesse faite à nos pères, en faveur d'Abraham et de sa race, à jamais. |
Gloria Patri, etc. | Gloire au Père, etc. |
18:10 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : fête des lumières, illuminations, christianisme, lyon |
dimanche, 07 décembre 2008
Le pont de Saone
Le plus vieux pont de Lyon n’est plus. Il enjamba durant des siècles la Saône pour relier la place du Change au quartier Saint-Nizier. Son peu de largeur le rendant insuffisant à la circulation d’une rive à l’autre, il avait été remplacé en 1845 par le Pont de Nemours, d’une largeur de 13 mètres. Ce dernier disparut à son tour en 1978 et fut remplacé par le pont Maréchal Juin, plus en aval. L’autre pont de pierre, qui traversait le Rhône, a été démoli en 1954
Je suis toujours étonné que Lyon ait sacrifié ses deux ponts de pierre, témoins l’un et l’autre d’une histoire remontant au Moyen Age, sans autre forme de procès, quand tant d’autres villes ont su garder les leurs
Raconter l’histoire de ce pont construit sous l’archevêque Humbert et consacré par le pape Innocent III en 1070, c’est raconter une bonne part de l’histoire de la ville elle-même : En 843, le traité de Verdun avait donné la rive droite de la Saône au roi Charles-le-Chauve, et la rive gauche à l’empereur Lothaire : le Pont de Saône, dit Pont du Change, qui reliait les deux rives, reliait donc le Royaume à l’Empire et les mariniers pendant plusieurs siècles, pour parler de la tour défensive côté Saint-Nizier, dirent la tour d’Empire, et pour parler de celle côté de Fourvière, dirent la tour de France.
Le vieux pont était repérable immédiatement dans le paysage en raison des masures médiévales qui, outre les deux tours, le surmontaient au dessus de l’Arc des Merveilles Les anciennes chroniques appelaient la première arche de ce pont (du côté de Saint-Nizier), l’Arc Merveilleux, en raison de l’antique fête des Merveilles, durant laquelle des bœufs ou des taureaux étaient projetés dans la Saône, puis récupérés par des mariniers qui les abattaient, à l’endroit même qui donna son nom à la rue Ecorche-Bœuf. Cette fête était le prétexte, pour les diverses corporations d’exhiber les pièces maîtresses de leurs métiers (mirabilia opera) et pour l’Église de célébrer ses quarante-huit martyrs (Fête des Miracles) à l’occasion de processions navales reliant Vaise à Ainay. Le Clergé avait ses bateaux, les autorités civiles avaient les leurs, parmi lequel le célèbre Bucentaure ou paradait l’élite de la jeunesse. Jusque vers la fin du XIIème siècle, elle se déroulait de manière fixe, tous les 2 juin. Au XIIIème siècle, elle fut reportée au mardi avant Saint-Jean. La fête des Merveilles, à la fois païenne et sacrée, connut à partir du quatorzième siècle de nombreux débordements et finit par être abandonnée en raison des rixes, blessures et homicides qu’elle occasionnait. C’est aussi du haut de l’Arche des Merveilles que la bande des souffleurs jeta longtemps dans le courant de la Saône un mannequin nommé Carmentran, qui symbolisait la fin du carnaval de Mardi-Gras.En souvenir de la peste de 1628, un café mitoyen ayant adpté l'enseigne d'un squelette embouchant une tropette, on surnomma la partie du quai qui longeait cette arche ( cf. gravure) La Mort qui Trompe. A moins que ce nom ne provînt d'un passage partculièrement dangereux de la rivière, tout autaant pour le snageurs que pour les manoeuvres desmarinirs. Les avis divergent. .
C’est tout naturellement en des points stratégiques de la ville que les échevins, lorsqu’ils placèrent officiellement la ville sous la protection de Marie le 12 Mars 1643, s’engagèrent à élever deux statues de la Vierge en marbre blanc. L’une devait être placée sur la place du Change, l’autre, précisément, au milieu de ce pont de Saône que tout un chacun empruntait, « sous un petit dôme triangulaire composé de trois petites arcades de la largeur de trois pieds sur six de hauteur ». La délibération des cinq échevins précise que l’arcade faisant face au côté de midi «sera enrichie de deux petites colonnes de pierre noire polie », et le reste du dôme « de même pierre noire sans polissure ».
Le monument commémoratif du Pont de Saône fut commandé le 23 janvier 1659 au sculpteur Mimerel et édifié en 1662 « sur l’avant-bec de la quatrième pile du côté de Saint-Nizier, où précédemment il existait une croix en pierre indiquée sur les plans de Simon Maupin de 1625 et de 1659 » (1) Les circonstances de la disparition de la Vierge de Mimerel du pont de Saône et celles de son transfert jusqu'à la chapelle de l'Hôtel Dieu, où elle passe pour miraculeuse, sont mal connues. Grisard rapporte une légende selon laquelle la Vierge elle-même aurait décidé de son nouvel emplacement :
« La statue de la Vierge qui était sur le pont de pierre de Saône ayant été fracturée, on en plaça les débris sur un chariot attelé de deux bœufs, pensant les faire disparaître en les transportant au loin. Mais arrivé devant l’entrée de l’Hôpital, l’attelage refusant d’avancer malgré les efforts e son conducteur, on crut voir dans ce comportement le désir exprimé par la Mère de miséricorde pour faire admettre sa statue dans l’asile réservé au malheur et à la souffrance, et sur le champ, sans autrement délibérer, on transporta le chargement dans l’intérieur de l’Hôtel-Dieu ».
Pour conclure ce billet, une remarque de Monsieur Josse (A Travers Lyon, 1887) sur ce vieux pont de pierre, alors détruit depuis quarante deux ans :
« Nous voici face au Pont de Pierre. Car pour les Lyonnais, c’est sous ce nom que le pont de Nemours ou du Change est connu. Je ne puis le traverser une seule fois sans me ressouvenir du vieux pont, à la chaussée étroite, décrivant une courbe élevée au-dessus de l’eau, bordée de cadettes (trottoirs) qu’avaient creusées les pas des piétons et formant, les jours de pluie, une flaque ininterrompue, dans laquelle on plongeait, bon gré, maugré, jusqu’à la cheville ».
Autre pont disparu : l'ancien pont Morand.
(1° Le vœu des échevins de la ville de Lyon, J.J. Grisard, Pitrat, Lyon, 1888
17:44 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : pont de saône, lyon, saint-nizier, monsieur josse, pont du change |
Ce qui fut sans lumière
Je dois me délivrer de ces images
Je m’éveille et me lève et marche. Et j’entre
Dans le jardin de quand j’avais dix ans,
Qui ne fut qu’une allée, bien courte entre deux masses
De terre mal remuée, où les averses
Laissent longtemps des flaques où se prirent
Les premières lumières que j’ai aimées.
Yves Bonnefoy - "L'agitation du rêve" (Ce qui fut sans lumière)
05:12 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : yves bonnefoy, littérature, poésie, poèmes, fête des lumières, lyon |
samedi, 06 décembre 2008
Contre les Lumières
« Ce que j'aime à voir dans une ville, ce sont les habitants », écrivait Stendhal.
Il ne serait pas déçu, s'il venait à Lyon ce week-end ! Ce week-end, sortez par les rues. Quelle que soit la prétendue beauté du spectacle, ne regardez pas les Lumières. Regardez ceux qui regardent les lumières. Regardez-les bien. Comme Stendhal, intéressez-vous à l'homme lui-même. Pas à ce qu'il produit.
Observez-le : Il marche, parmi une foule compacte, dans l'obscurité des rues. Ses yeux glissent d'une façade illuminée à une autre enluminée à une autre bariolée, à une autre peinturlurée… Ses yeux... toujours blasés, jamais repus, mais que cherchent ses yeux ? … Ses yeux, comme lui, ils ne font plus que marcher. Errance, là est toute leur fête. Leur seule fête. Inquiétant silence : Ils ne font que regarder, attroupés. Et tandis que ses yeux regardent, que dit l'homme ? Que pense l'homme ? Rien. Ou pas grand chose. Il pense qu'il est sidéré. Il l'est, de fait. Le premier reproche qu’on peut faire à cette fête, c’est de rendre le spectateur passif : la scène est la ville, le spectateur erre au milieu, fantomatique citoyen regardant flamber ses impôts locaux.
Etrangeté, partout. Où donc est passée la fête, se dit-on ! Faisceaux géométriques qui s'élancent en boucles programmées, à l'assaut des façades et des regards, tournent en rosaces, s’écrabouillent en gerbes, s'emparent un bref instant de tout l'espace, ne laissant aux familles que l'obscurité de leur morne déambulation, aussi passive qu'absurde. Car devant la prétendue prouesse technologique (on pense à des enfants devant des lanternes magiques) cette passivité ressemble à une défaite. Ainsi prise en main, la foule n’est plus festive. Vers quel étrange incinérateur final tous ces chemins tracés à la va-vite la conduisent-ils ? Le deuxième reproche qu’on peut faire à cette fête, c’est d’être une sorte d’auto-sacramental de la technologie : où sont les acteurs, actrices, cracheurs de feu, saltimbanques et funambules : c’est tout sauf vivant. C’est mortifère. Mort. Lugubre et raté, dit Frasby dans son compte-rendu de cette nuit.
Le spectacle infiniment monotone de lumières technologiques qui tourbillonnent en boucles comme les pubs à la télé et écrasent la ville (la place des Terreaux transformée en parc à jeux – concept révélateur !!! ) n’est donc pas une fête. Tout au plus un spectacle… Un banal son et lumière, condamné d’année en année à répéter la même médiocrité, et qui, se substituant non sans un implacable terrorisme à la fête locale dont Tancrède de Visan, Joannin et Grancher, écrivains lyonnais, ont dressé le tableau, l’a purement tuée. La suprême imposture des organisateurs étant de prétendre obéir à une tradition. Remplacer les Illuminations par les Lumières, c’était tout simplement se soumettre sur le plan local au gigantesque programme de divertissement continu auquel la mondialisation libérale a soumis les peuples de la planète, en s’emparant de leurs traditions.. Cela s’est passé sous le mandat de Barre. Et Collomb, le royaliste, a repris le flambeau du commerce prétendu culturel avec ferveur. Pauvre Marie !
10:27 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (23) | Tags : fête des lumières, lyon |
Les Illuminations (6)
La fête du 8 décembre a officiellement débuté hier à Lyon. Oui, je sais, on ne dit plus 8 décembre (d'ailleurs nous sommes le 6). On dit Fête des Lumières. Je n'ai pas encore mis le nez dehors, je veux dire dans la pesqu'île, là où tout est bariolé; j'en suis, à vrai dire, en 1922 (beaucoup de retard, je sais, sur mon époque) car mon époque, remarquez bien, me donne de moins en moins envie d'être son contemporain... Et donc, en guise de nouvelles du jour, je livre à tous ceux que cette semaine huit-décembriste n'aura pas complètement saturé de bouffer du Lyon ce témoignage de Pétrus Sambardier, un extrait d'un article du Salut Public, le 9 décembre 1922. Alors que tout le monde, de la presqu'ile ou de la rive gauche du Rhône, regarde la colline de Fourvière , il conseille, lui, le soir du huit décembre, de grimper sur la colline de Fourvière et, de son sommet, de regarder la ville. Le point de vue n'est plus politique, comme dans les textes de Grancher ou de Joannin, ni religieux comme chez Tancrède de Visan ; il n'est déjà plus qu'esthétique :
« Il faut, lorsque l'atmosphère est claire comme elle l'était hier soir, aller de la terrasse de Fourvière contempler toute la ville illuminée. Passez par la montée Saint-Barthélémy, d'où vous pouvez voir la masse des lumières des pentes croix-roussiennes. Tels groupes de grandes maisons des quartiers du Bon Pasteur et de l'Annonciade font, de loin, l'effet d'immenses dés à jouer solidement embrasés. De la brèche qui a été heureusement ouverte dans le mur du jardin de l'Antiquaille, on aperçoit déjà la plus grande partie de Lyon, et il semble que les illuminations aient étendu très loin les limites de la ville. C'est à perte de vue que les lignes de feu, les unes droites comme des routes sans fin, les autres en zigzag ou en courbes, vont au-delà du Rhône.
Cette impression de vaste est plus frappante lorsque, du pied de la basilique, vous pouvez étendre vos regards sur tout l'espace, de la plaine de Vaulx jusqu'aux multiples croisements des voies de la Guilotière. Les lumières habituelles de l'éclairage se confondent avec celles des illuminations et l'on a sous les yeux toute la carte de la ville, qu'avec un peu d'attention, on peut lire en suivant les lignes et les groupes de feux. Tout en bas, Bellecour, béant, les rues du centre éblouissantes, les quais, sans un coin sombre, les ponts, à l'éclairage net. Au fond, les milliers de très petites lumières de la gare de la Mouche qui s'enchevêtrent comme les lignes pâles et confuses d'une voie lactée. En redescendant, arrêtez-vous encore au sommet de la montée des Chazeaux. L'horizon est étroit : la cathédrale sombre, pesante, parait un bloc géant, prodigieusement agrandi. »
06:03 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : sambardier, littérature, lyon, le salut public, fête des lumières |
vendredi, 05 décembre 2008
Les Illuminations (5)
Suite du témoignage de Tancrède de Visan :
La rue de la République, domaine réservé aux banques et aux marchands de chaussures, flamboyait de tous ses cordons de gaz, de ses guirlandes d'ampoules électriques accrochées aux corniches des établissements de crédits, de ses étalages commerciaux illuminés dans un but publicitaire, mais concourant sans le vouloir à l'expression d'une tradition. Les belles maisons, propriétés de la Société de la rue Impériale, voyaient les visages de leurs rudes façades creusés de clartés blanches. Le long des fenêtres les lampions brûlaient dans une herse ardente avec, ça et là, des trous d'ombre qu'on remarquait tout de suite avec réprobation. Une foule silencieuse débordait les trottoirs, envahissait la chaussée des trams comme au temps de l'armistice, foule excessivement mélangée, composée de femmes de chambre et de cuisinières auxquelles un congé est accordé le soir des illuminations, de banlieusards, de paysans venus de leurs vallées proches, de patronages, de couvents d'orphelines, de bourgeois promenant leur progéniture, de vieilles filles curieuses, de canuts endimanchés, de familles entières "bien lyonnaises" venues, de génération en génération, juger de la rue l'effet produit par leur balcon incandescent. (...)
Ce Huit décembre est le dernier flambeau élevé au-dessus de la barbarie. Trois mots : Lyon à Marie déchainent un gigantesque accord parfait, où vibrent toutes les harmoniques essentielles de nos âmes. Pour mieux imprégner son fils de cette atmosphère, Damien lui fit gravir les escaliers de cette montée des Chazeaux, jadis nommée Tire Cul dans le vert langage de nos pères. Puis, traversant la montée Saint-Barthélémy, ils se mirent en devoir d'escalader le jardin du Rosaire. Le Huit décembre, ce dernier se pare de lanternes vénitiennes. Le site revêt la gaieté d'une guinguette pour orphelinat. Ces accordéons bariolés, de loin, semblaient déceler une bicyclette accrochée à chaque arbre. Damien et Albert escaladèrent ces marches en terre battue dont aucune n'avait la formule, heureux de plonger dans cet océan de verdure, de pénétrer à l'intérieur de ce décor pour marionnettes où l'amertume des fusains se marie à l'odeur de mousse tamponnée par le pilon d'étoupe des brouillards matineux.
Parvenus sur le roc de l'imposante terrasse, le panorama jusque-là caché déroula tous ses plans. En bas, c'était un étrange lac de feux follets. Plus de trous d'ombres, plus de solution de continuité entre les lampions alignés. Vue de cette hauteur, la ville recevait la visite du Saint Esprit un soir de Pentecôte. Ces langues de feu pendaient immobiles au-dessus des rues creusées en ruisseaux d'ombres. Dans toute la presqu'île, un buisson ardent s'opposait au désert lointain. Le cœur de Lyon, du grand, du vrai Lyon flambait. Vers les Brotteaux, vers la Guillotière, des lumières vacillaient encore, mais en désordre, faisaient songer à des charrettes lointaines guidées dans les ténèbres au moyen des falots en toiles. Au-delà, Montchat, Monplaisir, Villeurbanne plongeaient dans la nuit. La civilisation s'arrêtait à peu près où commençait l'esclavage. Puis c'était le néant informe des plaines baignées de la seule clarté lunaire, un chaos de lignes brouillées dans un horizon d'un bleu liquide.
Le père et l'enfant se taisaient, émerveillés. Ils contemplaient ce spectacle unique et cette joie de l'esprit. Toutes ces veilleuses symbolisaient une âme en instance d'ascension. La Vierge dorée de Fabisch, mains tendues du haut de son dôme, attirait vers elle ces messagères de son sourire, leur faisait signe, leur disait : « Venez, les élus de ma gloire, vos larmes de feu sont ma rosée. »
07:32 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : tancrède de visan, lyon, illuminations, fête des lumières |
jeudi, 04 décembre 2008
Les Illuminations (4)
Avec Grancher et Joannin, on s'est attardé un peu sur ce 8 décembre 1903, révélateur des tensions de l'époque. Un témoignage, à présent, d'une autre nature : Celui de Tancrède de Visan (Vincent Bietrix), auteur d'un petit joyau, Sous le signe du lion ( Paris - Denoel et Steel, 1935). Champion de la réaction flamboyante et de la mondanité désuète d'entre deux-guerres, féru d'histoire et d'archéologie, c'est un imitateur - ou continuateur - provincial de Huysmans et des dandys décadents fin de siècle. A la lecture, on se régale de la syntaxe en arabesque, du souci obstiné du terme rare, des circonvolutions du raisonnement où s'entremêlent - parfois au énième degré - le vocable scientifique, le terme mystique, le néologisme. Sous le signe du Lion se veut le bréviaire de ce que l'historien Bruno Benoit appelera plus tard, non sans une certaine cuistrerie post-moderne, la lyonnitude, de ce qu'on nommait (avec finalement moins d'emphase ridicule) l'âme lyonnaise dans les années trente. C'est le récit de l'éducation qu'un jeune père veuf (Damien Chabreuil, gynécologue à l'hôpital Edouard Herriot), soucieux de lui transmettre les valeurs locales, donne à son jeune fils. Tout y passe : la mélancolie des promenades dans les églises et les rues, le souci de la charité, la rêverie archéologique devant les tuiles et les pierres, l'exaltation religieuse, l'appréciation gourmande de la bonne nourriture comme de la belle langue, l'érudition locale et, plus que tout, le culte ironique de la grandeur perdue de la capitale des Gaules. Le huit décembre, point d'orgue de l'identité lyonnaise, constitue évidemment l'un des moments clés de cette initiation aussi méticuleuse que désenchantée : Il commence par une description minutieuse, dans le pur jus huysmansien, des lampions lyonnais d'alors :
"L'on voudra noter cette remarque : La plus belle de nos fêtes, celle qui passe toutes les autres en somptuosité a pour objet une commémoration religieuse. Même à l'occasion de notre foire annuelle du printemps, où Lyon revit deux semaines les chalandises et les lendits du XVIème siècle , la ville ne tréssaille pas de cet unanime transport. Le passage d'un souverain, la venue d'un président de la République, un cortège officiel de ministres flanqué de policiers, laissent nos concitoyens dans le marbre de leur indifférence : rien ne demeure plus éloigné des préoccupations lyonnaises que les batelages politiques. Une fois l'an, la nuit tombante, Lyon se réveille de son sommeil dogmatique. La ville, amie de l'obscurité, flambe d'un pucnh de lumières. Le long des hautes maisons, coincées dans l'étan cotonneux de leur habitat, voltigent des miettes de feux follets. Des hauteurs de la Croix-Rousse à la plaine de la Presqu'ïle, c'est un immense baiser de flammêches, petites langues intrépides dardées vers le gouffre du ciel.
Des milliers de lampions épousent la forme de demi-bouteilles tronquées, étranglées en leur sommet, suspendues à une armature en fer blanc, où s'abrite le ver luisant d'une fine bougie. Enfilées, telle une brochette d'oiseaux d'or, ces fioles distillent une goutte de soleil. La forme de ces lampions, relégués le reste du temps dans des greniers familiaux, aide à nous singulariser. Leur vue remplit de stupeur un étranger non entraîné à nos coutumes. En vain chercherait-il l'usage médical de ces sortes de ventouses pour géants. On ne les fabrique que pour nous. Ils ne servent qu'un soir par an. Les générations se les repassent en héritage, et les petits-neveux remplacent les invalides, car la durée de ses bocaux s'avère éphémère. Conçus selon un principe absurde, dû à quelque inventeur dipsomane, ces carafons au verre mince de cornue éclatent au moindre vent, léchés par l'ardeur charbonneuse d'une bougie dont la tête affleure un goulot inutile. Dans chaque famille, même les plus portées à l'économie domestique, un budget spécial se prévoit pour ce mode d'illumination dont vivent encore les vieux fabricants de verres de lampes tombés en déshérence.
Les plus avares, ceux dont la fierté se dissout avec l'âge, remplacent ce modèle vénérable par des godets dans lesquels nage un champignon de suif. Ces pots pour rillettes ont l'avantage de ne point "peter" à la chaleur. Le bloc de graisse dentelé, piqué d'une mèche de veilleuse, dure exactement trois heures réglementaires. Posés à même le rebord de pierre des croisées, ces lumignons ne s'aperçoivent que de loin, à moins qu'un promeneur, par un soir de mistral, n'ait son chapeau buclé par cette stérine bouillante, qui rappelle en petit la poix versée par les Evêques du haut du mâchicoulis du château de Pierre-Scize, sur leurs ennemis héréditaires, les chanoines contes de Lyon. Sublime hommage collectif ! Des myriades de confetti étincelants, jetés par des mains pieuses contre chaque demeure, font ruisseler les pierres de taille, scellent le créps des façades, comme autant de lettres de faire part, d'une infinité de pains à cacheter translucides...
A suivre…
07:28 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : tancrède de visan, lyon, illuminations, fête des lumières |
mercredi, 03 décembre 2008
Les Illuminations (3)
Voici la suite du récit romancé du 8 décembre 1903 à Lyon, extrait de Périssoud, militant lyonnais, roman de Charles Joannin.
Il est près de dix heures du soir lorsque les deux tronçons se réunissent. Une hésitation se manifeste : les plus jeunes, les plus enthousiastes, les moins nombreux aussi, s'engagent dans la montée du Chemin-Neuf pour gagner Fourvière où ils trouvent à leur arrivée les lumières éteintes, les grilles d'enceintes de la Basilique fermées; ils en sont réduits à invectiver, à travers les barreaux , les quelques gardiens qui se trouvent sur le terre-plein et marchent de long en large, indifférents aux cris. Peut-être songent-ils aux martyrs lyonnais des premiers âges, lorsque des pierres viennent s'abattre auprès d'eux.
Le gros des manifestants n'a pas suivi la jeunesse; la montée, la longueur de la course a dû effrayer plus d'un homme d'âge mûr. Il rebrousse chemin vers l'Archevêché où se trouvent quelques agents de police. Afin de protéger la demeure épiscopale, des membres de la jeunesse dite antiministérielle et du Grand Occident de France sont rassemblés devant les grilles, au nombre d'une centaine. Beaucoup, parmi eux, sont munis d'une canne. Leurs adversaires, des libres penseurs, ministériels, adhérents du Grand Orient de France, les injurient copieusement. A un signal, levant les cannes, malgré leur insuffisance numérique, les catholiques foncent sur leurs antagonistes; alors c'est la mêlée où les corps enlacés prennent l'aspect de monstres aux multiples membres, où le nombre des mains paraît se multiplier tandis que les visages se dissimulent pour offrir le moins de surface possible aux choses rudes; et Périssoud n'est pas en retard pour cogner durement, hurlant... Les catholiques doivent se replier et, peut-être seraient-ils traités par ceux qui les pourchassent dans l'enivrement du triomphe si un galop de cavaliers, l'arrivée au pas de gymnastique d'une troupe d'agents de police, ne venaient rappeler à la sagesse et au calme.
La contre-attaque est annihilée, car les gardiens de la paix besognent sans ménagements, de leurs poings massifs, procédant à quelques arrestations. Les deux groupes restent face à face, se bornant à recourir aux invectives, aux quolibets; la lassitude semble devoir venir à bout de l'opiniâtreté, à bref délai. Au cours de l'accalmie, un monsieur dont le visage est encadré d'une belle barbe blanche attirant sur lui l'attention, traverse sans méfiance l'avenue pour rejoindre des personnes de sa connaissance qu'il aperçoit rue du Doyenné, à l'opposé. On voit un homme s'approcher de lui, puis disparaître, tandis qu'il chancelle et s'abat. On s'empresse, les gardiens de la paix s'approchent et l'on doit transporter le malheureux à l'hôpital, où il mourra quelques jours plus tard. Ainsi, la lutte entre concitoyens fut-elle cause de la mort d'un homme, un soyeux, nommé Boisson.
02:25 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (31) | Tags : charles joannin, littérature, fête des lumières, lyon, 8décembre |