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mercredi, 03 décembre 2008

Les Illuminations (3)

Voici la suite du récit romancé du 8 décembre 1903 à Lyon, extrait de  Périssoud, militant lyonnais, roman de Charles Joannin.

Il est près de dix heures du soir lorsque les deux tronçons se réunissent. Une hésitation se manifeste : les plus jeunes, les plus enthousiastes, les moins nombreux aussi, s'engagent dans la montée du Chemin-Neuf pour gagner Fourvière où ils trouvent à leur arrivée les lumières éteintes, les grilles d'enceintes de la Basilique fermées; ils en sont réduits à invectiver, à travers les barreaux , les quelques gardiens qui se trouvent sur le terre-plein et marchent de long en large, indifférents aux cris. Peut-être songent-ils aux martyrs lyonnais des premiers âges, lorsque des pierres viennent s'abattre auprès d'eux.

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Le gros des manifestants n'a pas suivi la jeunesse; la montée, la longueur de la course a dû effrayer plus d'un homme d'âge mûr. Il rebrousse chemin vers l'Archevêché où se trouvent quelques agents de police. Afin de protéger la demeure épiscopale, des membres de la jeunesse dite antiministérielle et du Grand Occident de France sont rassemblés devant les grilles, au nombre d'une centaine. Beaucoup, parmi eux, sont munis d'une canne. Leurs adversaires, des libres penseurs, ministériels, adhérents du Grand Orient de France, les injurient copieusement. A un signal, levant les cannes, malgré leur insuffisance numérique, les catholiques foncent sur leurs antagonistes; alors c'est la mêlée où les corps enlacés prennent l'aspect de monstres aux multiples membres, où le nombre des mains paraît se multiplier tandis que les visages se dissimulent pour offrir le moins de surface possible aux choses rudes; et Périssoud n'est pas en retard pour cogner durement, hurlant...  Les catholiques doivent se replier et, peut-être seraient-ils traités par ceux qui les pourchassent dans l'enivrement du triomphe si un galop de cavaliers, l'arrivée au pas de gymnastique d'une troupe d'agents de police, ne venaient rappeler à la sagesse et au calme.

La contre-attaque est annihilée, car les gardiens de la paix besognent sans ménagements, de leurs poings massifs, procédant à quelques arrestations. Les deux groupes restent face à face, se bornant à recourir aux invectives, aux quolibets; la lassitude semble devoir venir à bout de l'opiniâtreté, à bref délai. Au cours de l'accalmie, un monsieur dont le visage est encadré d'une belle barbe blanche attirant sur lui l'attention, traverse sans méfiance l'avenue pour rejoindre des personnes de sa connaissance qu'il aperçoit rue du Doyenné, à l'opposé. On voit un homme s'approcher de lui, puis disparaître, tandis qu'il chancelle et s'abat. On s'empresse, les gardiens de la paix s'approchent et l'on doit transporter le malheureux à l'hôpital, où il mourra quelques jours plus tard. Ainsi, la lutte entre concitoyens fut-elle cause de la mort d'un homme, un soyeux, nommé Boisson.

 

02:25 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (31) | Tags : charles joannin, littérature, fête des lumières, lyon, 8décembre | | |

mardi, 02 décembre 2008

Les Illuminations (2)

 

Reprise  des évocations de cette fête des Illuminations, qui tient sa place dans l'image que la ville s'est donnée d'elle-même à travers sa littérature. Charles JOANNIN fait partie de ces auteurs lyonnais à présent parfaitement oubliés, parfaitement démonétisés, dont je me suis plu, il y a quelques années, à  collectionner les titres. Dans son roman PERISSOUD militant lyonnais  (paru au Mercure universel en 1932) il livre ce témoignage sur le climat politique qui entoure la fête du 8 décembre en 1903, à la veille de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Marcel Grancher, dans le témoignage précédent, évoquait déjà ces tensions :

 

Le mardi 8 décembre 1903 marquera peut-être une date dans l'histoire de l'affranchissement des esprits. Le Nouvelliste, paru le matin, invite les catholiques à illuminer avec plus d'enthousiasme que de coutume et à traduire cet enthousiasme par un nombre de lampions plus important que jamais pour protester contre l'arrêté du Maire.  Les libres penseurs se préparent à venger leur honneur. Une réunion anticléricale  est annoncée pour le soir dans la salle des Folies Bergères. Une célébrité locale, le militant Francis de Pressensé, doit faire une conférence et il est fort probable qu'un cortège s'organisera dès la sortie pour manifester en ville.

L'importance du service d'ordre donne peut-être à réfléchir car, au dernier moment, on apprend que la conférence et la réunion sont renvoyées à une date ultérieure. Les décisions sont vite prises. Un mot d'ordre porté de bouche en bouche assigne alors un rendez-vous à tous les militants pour 8h30 du soir, autour du monument Carnot  (...)

Pour tromper l'attente, on entama l'Internationale, hymne vengeur aimé de  la classe ouvrière; et il faut entendre clamer ce début de couplet :

« Il n'est pas de sauveur suprême / Ni Dieu ni César ni tribun… »  pour sentir passer dans l'air un peu de cette haine accumulée dans les coeurs populaires à l'égard de tout ce qui est synonyme d'oppression aux regards simplistes de braves gens. Et la finale du refrain exprime l'immense espoir de libération : « Groupons-nous et demain : L'Internationale sera le genre humain... »

Le chant terminé, l'impatience n'est pas sans créer des mouvements d'indiscipline. Cela ne satisfait guère Périssoud qui voudrait voir ses compagnons manifester leur force dans une attitude digne, imposante, jusqu'au moment où l'on devra passer à l'action directe. Il prêche l'exemple, harangue, exhorte, sans grands résultats. Enfin neuf heures sonnent dans le voisinage. Un mouvement se dessine. Les manifestants se dirigent en masse vers la Rue de la République pour arriver vers la place de la Comédie. Ils avancent entre deux rangées de badauds, alternant L'Internationale et la Carmagnole avec de vigoureux « Conspuez la calotte... »

L'inquiétude s'empare des commerçants qui baissent en toute hâte les rideaux de fer, développent les volets, ferment les devantures, après avoir rentré précipitamment les étalages extérieurs. Quel dommage ! Ils avaient pris tant de soin pour allécher la clientèle, mis tant d'art dans la présentation de leurs produits ! Que peut compter devant cela l'emportement de la passion ?...  Le défilé poursuit sa route, il gagne la rue de l'Hôtel-de-Ville et, arrivé rue Grenette, il s'y engage, tourne à droite, se dirige vers le quai pour remonter vers le pont du Change où l'on a négligé de disposer des forces de police. Deux cortèges se forment alors, enveloppant le Palais de Justice, l'un gagnant la rue Saint-Jean directement, l'autre suivant le quai : la jonction s'opérera place Sant-Jean. Le quartier est désert car les habitants se sont rendus dans la presqu'île pour mieux jouir du spectacle des illuminations et des étalages : de Bellecour, de Perrache, on voit mieux l'ensemble du panorama offert par la Colline et la Basilique embrasées. Aussi, l'ardeur des manifestants peut-elle s'exercer impunément à l'encontre des lampions de verre, des lanternes, des vitres mêmes ; les choses sont presque toujours les victimes de la haine et de la colère des humains.  (A suivre)

 

06:21 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : charles joannin, littérature, fête des lumières, lyon, 8décembre | | |