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samedi, 27 décembre 2008

Etienne,le lapidé

Ce que les païens appellent les fêtes de Noël cela dure longtemps, s'étire, s’éternise jusqu'à la plus absolue nausée, au mensonge le plus absolu, au dégoût véritable. Aussi cuvent-ils sous le sapin, couverts de guirlandes, prêts à enchaîner avec la Saint-Sylvestre et hop la boum, champagne et lumières multicolores, Aspégic et corbeilles d'huitres béantes, volailles dodues digérées ou pas, smac-smac et pouêt pouêt. Pendant ce temps, l'Eglise a déjà quitté la Nativité pour s'intéresser au Martyre. Le martyre d'Etienne, annonciateur de celui du Christ. "Seigneur, reçois mon esprit" s'écria Etienne, lapidé, sous les yeux de Saul. Et il rajouta, à l'Imitation de Jésus : "Ne leur compte pas ce péché". Dans une primatiale presque vide, le Recteur de Saint-Jean Baptiste à Lyon tentait donc d'expliquer, hier soir, par quel mystère inconnu de la fête des Lumières, inaccessible à l'intelligence humaine, une naissance peut n'être, tout-soudain, que l'envers d'un martyre, et demeuré malgré tout une fort bonne nouvelle. En l'écoutant, je pensais à Vassili Grossman qui disait à peu près la même chose, mais en termes plus littéraires, dans un texte que j'avais déjà cité sur ce blog et que je replace en lien, car on n'en aura jamais, nous autres, fini de ne pas comprendre ces terribles choses-là : d'ailleurs, disait le Recteur, c'est pourquoi ce sont des mystères...

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Statue de Saint-Etienne, entrée du choeur, oeuvre d'un certain BLAISE (c'est écrit sur le socle) 1776

Il se trouve que l'autre dédicace de la cathédrale de Lyon (magnifique, cette cathédrale, oh, ce n'est pas Chartres, bien sûr, mais comme Louis Guilloux le disait de celle de Saint-Brieuc, cette cathédrale, c'est la mienne, c'est ma paroisse), l'autre dédicace de l'église de Lyon, c'est celle de Saint-Etienne, le lapidé. C'était donc un peu la fête de la cathédrale de Lyon, hier soir. Nous n'étions vraiment qu'une poignée, mais pas de raisons pour ma part d'en être désolé : Moins on est de fous, parfois, mieux on rit.

 

Aujourd'hui, samedi 27 décembre, c'est la Saint Jean. Non, pas celle de Jean-le-Baptiste, mais celle de Jean, l'Apôtre et l'Evangéliste. Je lisais l'autre jour sur un blog ami que les saints avaient disparu du calendrier des PTT cette année. Comment quiconque peut-il comprendre quoi que ce soit à la religion catholique, si on supprime les saints du calendrier ? Mais sans les saints, nul ne sait plus quel jour il habite, c'est un peu comme si on supprimait les numéros des rues, comment s'y repérer ? Ah, ils savent bien ce qu'ils font, car le saint du jour, c'est ce qui donne son humanité, sa couleur, sa senteur, sa mémoire, sa religion à une journée. Mais quel saint, de toute façon, le calendrier terne de notre époque sans mystère peut-il conserver en mémoire ? Le calendrier païen est bâclé par paquets de deux ou trois semaines, allez, voilà pour les beaufs les fêtes, les jeux olympiques, le téléthon, la saint-Valentin, tsoin-tsoin..., les départs en vacances...  Les vacances d'hiver, par paquets de trois, et ceux de Pâques itou, avec la ribambelle à suivre des fêtes des mères, pères, grand mères, grandes sœurs, petits cousins et vilaines tantes....  L'Eglise est plus studieuse, bien plus subtile, plus appliquée, et tant plus généreuse, aussi : Le 28 décembre, ce sera les Innocents, le 29 décembre, Saint Thomas Becket (première chapelle installée à Fourvière)...  Mais hier, 26 décembre, c'était la fête non pas de tous les Etienne, comme le dit en accompagnant d'un sourire fort niais son discours une présentatrice de la météo, mais d'un seul, aussi incompréhensible qu'Œdipe, le Grec énucléé, c'était la fête d'Etienne, le chrétien, lapidé.

01:49 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (26) | Tags : religion, christianisme, saint-étienne, saint-jean, lyon, culture | | |

vendredi, 26 décembre 2008

Le marchand-fabricant : un type littéraire lyonnais

« Ne lui demande rien ; il a mal à la main qui donne » « On ramasse pas des argents à regonfle sans les tirer de la poche de quelqu’un. » ; « Le fabricant mange quand il a faim, le canut quand il a pain. » :  La première caractéristique du marchand fabricant, dûment consignée par la plaisante sagesse lyonnaise, [1] c’est tout simplement l’avarice. Une avarice chronique Si par hasard le marchand fabricant fait preuve de bonté, il convient donc de le consigner aussitôt dans des registres. Marcel Grancher relate dans des souvenirs de jeunesse [2]  l’anecdote de ce patron qui, après avoir remis d’année en année l’augmentation de leur vieux fondé de pouvoir en alléguant  tantôt la baisse des cours en Chine, tantôt les krachs américains, finirent par lui proposer, en guise de faveur susceptible de le faire patienter une année de plus, la clé des W.C. patronaux, qu’il pourrait utiliser désormais à sa convenance, au même titre qu’eux [3].

 

Deuxième caractéristique constitutive du personnage, il est triste et casanier. En publiant chez Grasset sous le pseudonyme de Jean Farmer une satire codée des milieux industriels lyonnais, Jean Duplan ouvre en 1911, avec Messieurs les Fabriciens, une porte dans laquelle beaucoup s’engouffreront par la suite : 

« La gaieté est une attitude vulgaire qu’il faut laisser aux petites gens. Le pessimisme seul est comme il faut. Donnez à votre visage un aspect sévère et triste. C’est celui qui s’harmonise avec les murailles grises de nos maisons. »[4]

Le territoire du marchand-fabricant, demeure bien sûr Le quartier du Griffon où il vit depuis 1831 sous la terreur inavouée du pays des canuts qui le domine : La rue Terraille, où sont les entrepôts de M. Dax, « morne et terne », serrée « entre d’immenses maisons laides, gluantes d’humidité » ; la rue des Capucins où loge l’Adolphe Haudequin de Colette Yver[5] ; la place des Feuillants, siège de la redoutable maison Chambard-Giroud de Ciel de Suie :  Au début de ce roman, la description qu’Henri Béraud fait de la caste est un morceau indépassable :

« Sur les pavés toujours gras, qui semblent renvoyer au ciel plus de clarté qu’ils n’en reçoivent, le jour plombe comme une pluie de cendres. Sans relâche, un relent de latrines s’exhale des cours et des impasses, où les gens glissent en silence, comme des noyés. C’est le Griffon. C’est le quartier des millionnaires.

L’étranger, que l’aventure égare en ces lieux se demande s’il ne rêve point. Il se frotte les yeux, il se bouche le nez : « Quoi ! Les plus riches commerçants de la terre vivraient là, dans cette ombre et ces odeurs ?-  Ils y vivent. Et ils y meurent.

C’est au fond de ces taudis que, poursuivant de père en fils la tache séculaire, ils s’acharnent à la besogne. De génération en génération, l’usure des meubles leur a renvoyé le reflet de visages plus durs et plus tristes. Lyon leur appartient. Vingt mille immeubles leur suent des rentes ; leurs châteaux déserts règnent sur des lieues de vignes, de blés, d’étangs et de bois ; leurs coffres regorgent ; ils pourraient dominer le monde et vivre comme des princes, et ils sont là, chaque jour, souvent seuls, dès l’aube et tard dans la nuit, même le dimanche . Ils ignorent la joie. Ils se refusent le moindre plaisir. Une seule passion les dévore, la plus ardente et la plus opiniâtre, celle qui ferme dans l’effort d’une suprême convoitise les doigts crochus de leurs moribonds. »[6]

 

Troisième caractéristique, une discrétion toute matinée de patine provinciale : « Efforcez-vous d’être comme tout le monde, c’est une attitude lyonnaise », tel est le conseil de Calixte prodigué par Jean Dufourt dans son Introduction à la Vie Lyonnaise :  Avarice, tristesse, discrétion, pour ne pas dire hypocrisie, bêtise : le marchand fabricant de naguère a finalement très mauvaise presse. Pourtant, comme celle du canut, sa légende possède un double versant. On peut, comme le suggère Henri Pansu dans l’étude qu’il consacre à l’un d’entre eux,[7] tenter de comprendre le caractère et de cerner ses paradoxes à l’aune des circonstances historiques qui l’ont modelé. Dans un monde en crise dont il ne  maîtrise pas tous les enjeux, le marchand-fabricant est l’héritier contraint de la morale sévère de l’Ancien Régime. A la fois industriel et négociant, ce rude catholique s’est plus ou moins fait tout seul à force de patience et de ruse. Séduit par les libertés commerciales que lui présente la modernité, effrayé par les revendications sociales inévitables qu’elle occasionne, il fait au sens propre le grand écart entre l’église et la banque, tout en vivant le plus loin possible des modes parisiennes et des masses laborieuses, grâce à un emploi du temps bien rempli, qui constitue son meilleur refuge.

Du point de vue du marchand fabricant, l’avarice, qu’on ne s’y trompe pas, ne constitue pas tout à fait un vice, bien au contraire : elle est le symptôme de sa prévoyance, atteste la bonne tenue de son ménage, garantit la sage gestion de sa maison et relève de son éthique du travail, car « c’est l’argent qui fait l’argent », et « de rien il est difficile de faire quelque chose »[8] Son avarice est donc un signe de distinction, elle est le gage de sa moralité, de sa vertu, de sa religiosité : sans avarice au quotidien, en effet, pas d’affaires prospères et durables, pas non plus de charité possible. Or, bien qu’il pratique l’économie dans ses petits détails, il faut comprendre que le marchand fabricant, comme son épouse, est en réalité un être d'une extrême générosité :

« Tel d’entre nous dont les charités sont manifestes, publiques, éclatantes, ne donne à ses employés que des appointements de misère, et sa femme, quêteuse obstinée pour les pauvres, dispute avec ses domestiques sur une augmentation de gages de dix francs ».[9]

De même, son apparente mesquinerie masque de façon aussi singulière qu'oriçginale un idéal de beauté auquel, en pur esthète et en victime immolé, il sacrifie avec goût l’essentiel de son humanité :

« Tout sue la misère, et pourtant, c’est plein de soie là-dedans, -plein de soie, plein d’or ; -les balles, soigneusement emmaillotées de toile bise ou de paille, s’accumulent derrière ces fenêtres à grilles, s’empilent dans ces maisons lugubres, du plancher au plafond. On a logé la soie d’abord, les hommes ensuite ; les hommes n’ont pas besoin de beaucoup de place : ils n’ont guère à remuer, - rien qu’à travailler, immobiles, à travailler tout le jour, tous les jours. »[10]

Sa tristesse procède de la même logique : s’il a l’air si austère, c’est que sa joie ne saurait résider pas dans la poursuite des plaisirs, mais dans le fait, plutôt, de veiller sur une œuvre, d’être au monde, pleinement, par la seule énergie de son affaire : La seule passion à laquelle il reconnaît un intérêt, c’est donc de produire de la bonne et belle étoffe afin d’augmenter incessamment son obsédant chiffre d’affaires.

« Le grand-papa est l’homme de son pays qui a le plus travaillé et s’est donné le moins de récréation, c’est en partie pour cela qu’il est devenu riche, il nous faut le suivre sur le même chemin »[11]

 

Quant à sa discrétion, comment ne pas voir qu'elle atteste surtout de son goût pour l’indépendance ainsi que de sa grande prudence devant les soubresauts politiques et les mœurs du siècle ?  Le marchand fabricant est donc, en profondeur, un incompris. Il ne s’en plaint d’ailleurs que rarement, en homme avisé de l'humaine nature, et à quelques intimes seulement :

« Quoique je ne sois pas en mauvaise position, ma maison de commerce, non seulement absorbe tous les capitaux qu’elle a, mais encore nous sommes sans cesse à court d’argent, nous allons en quantité d’affaires, souvent plus loin que nos forces nous le permettent, nous sentons que nous devrions les réduire pour nous trouver moins gênés. Je le sens presque tous les jours. Bon nombre de nos connaissances ne s’en doutent pas parce que je ne me plains pas et que je fais tous mes efforts pour payer avec régularité ce que nous devons. Il faut être chef pour savoir toute la peine qu’il y a à prendre pour faire face partout à tant de dépenses qui surgissent de tant de côtés. »[12]

Le « M. Dax » de « Mademoiselle Dax », l’« Armand Giroud » de Ciel de Suie, le « Calixte Paterin » de L’introduction à la vie lyonnaise, le « Charles Morande » de Vous êtes mon Lyon, « le Foitrasson » de Brumerives, le « Louis Goneret » du Sang de la Nuit, sans être interchangeables, sont tous modèles d’un même « patron ». Entre le caractère molieresque, le type balzacien, porteur de sa condition comme de sa croix, le marchand-fabricant est un personnage astucieusement kaléidoscopiques : selon le point de vue singulier de l’auteur, le modèle romanesque attire la sympathie ou l'antipathie du lecteur, selon qu'il sert ou dénonce l’idéologie qu'il incarne explicitement ; capitalisme, catholicisme, patriarcat. Pourtant, ni Farrère, ni Béraud, ni Dufourt, ni Giuliani, ni Chevallier, ni Daudet ne parvinrent à imposer vraiment à la Fabrique lyonnaise sur le déclin ce César Birotteau dont elle pourrait aujourd’hui s’enorgueillir.

C’est que la Comédie Lyonnaise eut le malheur de venir après la Comédie Humaine dont elle ne semblait présenter, avec plus d’un demi-siècle de retard, qu’une variante locale, lorsque d’autres figures moins romanesques se bousculaient au portillon des réussites pour lui faire la peau :

« D’autres changements l’amusaient : l’homme vedette de la soie n’était plus le seul à pontifier. On entourait surtout celui de l’automobile. De même, ne témoignait-on plus qu’une déférence modérée aux chefs de la banque et de la dorure, qui faisaient figure d’âmes en peine. En revanche, l’homme du ciment paradait. Et l’homme des produits chimiques avait le verbe haut. »




[1] Catherin Bugnard, La plaisante sagesse lyonnaise, Lyon, Audin,

[2] Marcel E. Grancher, Reflets sur le Rhône, Lyon, Rabelais, 1945

[3] La même anecdote se retrouve dans le roman Brumerives de Gabriel Chevallier, publié en 1968 et réédité par Danièle Pampuzac (Gens de Lyon, op. cit.), dont l’action est contemporaine de cette faillite de la soierie. Ce roman relate la folle liaison d’un soyeux nommé Foitrrasson avec une courtisane du nom de Loulou Biche, sur fond de crise mondiale et de faillites.

[4] Jean Farmer, Messieurs les Fabriciens, Paris, Grasset, 1911

[5] Colette Yver, Haudequin de Lyon, Paris Calmann Lévy, 1927

[6] Henri Béraud, Ciel de Suie, Paris, Ed. de France, 1933

[7] Henri Pansu, Claude-Joseph Bonnet, Lyon et Jujurieux 2003, op. cit.

[8] Henri Pansu, Claude-Joseph Bonnet, lettres de Bonnet p 93

[9] Jean Dufourt, Calixte, Introduction à la vie lyonnaise, Paris, Plon, 1926

[10] Claude Farrère, Mademoiselle Dax jeune fille, Paris, Flammarion, 1908

[11] Henri Pansu, Claude-Joseph Bonnet, lettres de Victor Bonnet p 278

[12] Henri Pansu, Claude-Joseph Bonnet, lettre de C-J. Bonnet, p 286

[13] Joseph Jolinon, L’Arbre sec, Paris, Rieder, 1933

01:52 Publié dans Des nouvelles et des romans | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, lyon, marchand-fabricant, société, romans | | |

jeudi, 25 décembre 2008

Noël en patois lyonnais

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Saint Joseph charpentier
(Vers 1640)
Georges de La Tour
Musée du Louvre, Paris

Ce Noël  en patois lyonnais a été imprimé dans divers recueils six fois de 1757 à 1939. De graphie différente, la dernière strophe est probablement un rajout.

Qu'ét-ay donc cela novela

Ce dit maître Jean Capon ?

Et-ay vray qu'na Vierge-pucella

Que tot le one s'appreta

Per verre lo novio venu

Nos en seran de la feta

Dussian no alla pi niud

 

Qu'et-ay donc celo grands homme

Que sont bio comme de ray ?

Il an tous trais de couronne

Y'en a un qu'est tot nai.

Grou Guillot, pren ta museta,

Et toi, ton aubois, Michi :

Noz en sera de la fieta

J'ai  mon tambor per tochi.

 

Saint-Joset prit se lunnette

Per avissa qui etoit.

Y cherchi de z-allumette,

Mais la bisa que soflave

Per mas de trenta golet,

Chaque fay qu'i se bessave,

Fessave chere son bonet.

 

Lo diablo entendit la feta :

Il est veny per la vey :

S'en alla fora la teta

Par un trou de la parey.

Saint Joset prit sa verlopa,

Ly foity una vortollia,

Il en a yu, la charlopa,

Lo groint tout ecarmailla.

 

La mare s'epoventave,

Se rengrave dans un coin :

A gran coite elle engonçave

L'enfant dens un pou de foin.

L'ano a pou, le bou se confia;

Ly veni sota dessus;

En soflant comme una ronfla

Li foiti se corne u cu.

 

Lo guiablo, ben en colere,

Se veyant traita ainsy,

V'a ronflant per la charera

Comm'un fouet de charrety;

Et veyant bien qu'i n'avave

Grin d'endret per se logi,

Y trovit une boutasse,

Y s'y alli dandogli.

 

 

Traduction :

 

Qu’est-ce-donc que cette nouvelle ?

Dis, maître Jean Capon ?

Est-il vrai qu’une pucelle

Vient d’accoucher d’un poupon ?

Que tout le monde s’apprête

Pour voir le nouveau venu ?

Nous  serions de la fête

Dussions-nous aller pieds nus.

 

Qu’est-ce donc que ces grands hommes

Qui  sont beaux comme des rois ?

Ils ont tous trois des couronnes,

Il y en a un qui est tout noir.

Gros-Guillot, prends ta musette,

Et toi, ton hautbois Michel :

Nous serons de la fête :

J’ai mon tambour pour jouer.

 

Saint-Joseph prit ses lunettes

Pour voir qui c’était.

Il chercha des allumettes

Pour enflammer son lumignon :

Mais la bise qui soufflait

Pas plus de trente trous,

Chaque fois qu’il se baissait

Faisait tomber son bonnet.

 

Le diable entendit la fête

Il est venu pour la voir :

Il est allé fourrer sa fête

Dans un trou de la paroi.

Saint-Joseph prit sa varlope

Lui en donna une rossée

Il en a eu , la charogne,

Le groin tout écrabouillé.

 

La mère était effrayée

Elle se retirait dans un coin

En grande hâte elle enfonçait

L’enfant dans un peu de foin.

L’âne a peur, le bœuf se gonfle :

Il vient lui sauter dessus.

En soufflant comme une toupie

Il  lui flanque ses cornes au cul.

 

Le diable, bien est en colère

Se voyant traité ainsi.

S’en va ronflant par la rue

Comme un fouet de charretier ;

En  voyant bien qu’il n’avait

Aucun endroit pour s’abriter,

Il y trouva une mare

Il alla y barboter.

13:18 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : noël, patois, lyon, littérature, poème, poésie | | |

mercredi, 24 décembre 2008

Intérieurs canuts

Voici Noël, un de plus. Un père Noël qui vous invite une fois de plus à bouffer du Lyon, grâce à ces deux gravures représentant des intérieurs de tisseurs. Ambiance.

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L’atelier est aussi un lieu d’habitation. Le métier à tisser tient le volume le plus important. La suspente est sous le plafond. Le poële, au centre de la pièce. On reconnait l'ancien carrelage, fort typique. Chats, souris, canaris cohabitent avec la famille. Une tradition locale veut que la vitalité de l’oiseau garantisse celle des humains. Image de prospérité, cinq personnes sont au travail et les enfants jouent. Deux femmes préparent les canettes, sur des mécaniques différentes. La tisseuse tire sur le cordon pour lancer la navette d’un métier d’unis. Le tisseur, lui, procède à quelques réparations sur sa pièce. Il est probable que cet atelier se trouve sous un toit de Saint-Georges, avant que les canuts n’émigrent à la Croix-Rousse.  Mobilier, gravures au mur, buste, plantes, bénitier, buis : l’estampe, qui date du XIXème siècle, montre une famille de tisseurs laborieux et religieux, sous l’Ancien Régime, avec le souci de célébrer l’âge d’or d’une période de prospérité perdue. Elle provient du musée Gadagne dont on espère la réouverture durant l’année 2009

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Toujours issu du musée Gadagne (fonds Justin Godart), ce dessin de Gérardin, d’après nature. La crise industrielle s’est installée. Le métier à tisser occupe toujours le volume le plus important, mais les chats, souris, canaris semblent bien plus maigres. Ils ne sont plus que deux, et seul l’enfant qui joue garde un peu d'insouciance. Assis au tabouret, il la regarde, inquiet, qui fait bouillir le linge. Elle aussi est soucieuse. Le linge déjà étendu en arrière plan, on sent la récupération. Au sol, le carrelage s’est abîmé. Une mécanique surmonte désormais le métier à tisser ; un progrès ? Pas pour tout le monde : Sur la table ne trône qu’une unique bouteille, qu’on devine vide. Comme sur la gravure du haut, un balai est placé au premier plan. On reconnait ce même type de fenêtres, à petits carreaux de papiers gras. Il est certain que cet atelier est à la Croix-Rousse.  Et que ce couple est locataire, de l'unique pièce comme du métier. Qui ne possède que sa seule force de travail est un prolétaire : le monde moderne et rugissant est en route.

 

01:02 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : lyon, noël, croix-rousse, histoire, canuts, crise, travail | | |

lundi, 22 décembre 2008

Une autre lecture (2)

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De beaux livres, aux couleurs de charbons incandescents et de flammes rougeoyantes : le tonneau pèse. D'un geste amical, c'est désormais l'homme qui soutient ; l'appui de la pointe du pied sur le sol, cet autre du fût sur le genou, bras tendus pour que le cheval se désaltère après l'effort commun.  Tendre complicité de l'instant de la pause, entre l'homme et l'animal. Un passage attentif, aussi, de l'univers du paysan, à celui de l'artisan : Paul-Émile Colin est né à Lunéville en 1867. Il fait des études de médecine, mais se détourne très vite de cette profession pour se consacrer, dès 1901 à la gravure sur bois. Malgré une myopie fort importante,  il illustre plus d’une vingtaine de livres, au canif et au burin sur bois. Paul Emile Colin travaille la technique des cuirs incisés & incrustés, peignant à la gouache les gardes de certains de ses ouvrages. Il célèbre la campagne, les cieux et les villages lorrains, avec de splendides couvertures teintées de camaïeux havane et marron, incrustées dans des maroquins bruns ou noirs. Paul-Émile Colin est décédé en 1949 à Bourg-la-Reine.

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Le chapeau est posé sur le sol, là où reposent, également, les deux genoux. Quelle douleur secrète, ou quel espoir, quel murmure de quel angélus s'est brisé, quel sanglot ailleurs retenu peut soudain s'exprimer dans la solitude ? Les rayons consolateurs du couchant effleurent l'épaule et le cou, et l'eau de la rivière, saisie entre les paumes, désaltère.

12:13 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : paul émile colin, reliure | | |

Une autre lecture (1)

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Deux arbres, faisant front au crépuscule,
Tout de rousseur et de vent,
L'homme et ses brebis,
Les sillons du labour,
La lune en croissant blanc,
L'art du graveur,
Celui du relieur,
Objet somptueux, le livre :
Matière,
le burin, le velin,
le cuir brun,
Le pas vaillant sur le chemin,
Le regard du chien
Plein d'entrain,
La brouette à la main
On se passerait presque de l'écrivain.
On s'en passerait bien :
C'est pourquoi je laisse 
A chacun le soin
De rêver le reste, l'intérieur, de loin.
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01:25 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : bibliophilie, paul émile colin, reliures, littérature | | |

dimanche, 21 décembre 2008

Chronique de la Bourse, de George Dandin et de la Cloche de la Charité

"Il faudrait supprimer toutes les Bourses me disait très sérieusement avant-hier un ami. Toutes ? Toutes ! Car elles ne servent plus à rien. On les a créées pour aider les entreprises à trouver des capitaux. Soit. Mais depuis si longtemps, elles ne remplissent plus ce but-là. La Bourse, ce n'est plus qu'un marché virtuel de l'Occasion, un gigantesque marché à l'encan, de capitales en capitales. Bon à jeter." Cela m'a rappelé une autre réflexion que m'avait faite une amie lors d'une première à la Comédie Française, il y a de ça bon nombre d'années. C'était très exactement George Dandin qu'on y jouait, avec me semble-t-il Claude Brasseur dans une mise en scène de Roger Planchon. Si je m'en souviens plus de vingt ans après (car cela nous ramène aux années 86/87, je crois), ce n'est pas tant en raison de cette adaptation qui n'était pas inoubliable. Mais d'une remarque que me fit cette amie, vieille habituée des soirées théâtrales parisiennes. "Tu vois, me dit-elle en pointant du doigt non loin de nous un homme qui, dépliant nonchalamment Le Monde du soir, y lisait les cours de la Bourse au vu de tout le monde, tu vois : ça, il y a deux ou trois ans, c'eût été impossible !"  Ah les foutues années quatre-vingts, les années-Tonton, durant lesquelles il devint socialement possible de consulter publiquement les cours de la Bourse dans Le Monde en attendant que le rideau de la Comédie Française ne s'ouvre sur George Dandin ! François entamait son second septennat, et tombait à gauche le tabou de l'argent : Ah! Qu'une femme Demoiselle est une étrange affaire, et que mon mariage est une leçon bien parlante à tous les paysans qui veulent s'élever au-dessus de leur condition, et s'allier, comme j'ai fait, à la maison d'un gentilhomme !  Vingt ans plus tard ...

Je passe du coq à l'âne. Ou plutôt de la Bourse au café, de la Comedie-Française à La Cloche. La Cloche est un café, à l'entrée de la rue de la Charité, à Lyon Bellecour. Une vénérable institution, un des derniers cafés de Lyon à posséder un plafond art-déco d'époque et une vue panoramique en état du Lyon des échevins. Fut un temps, c'était truffé de journalistes là-dedans, les journalistes du Dauphiné Libéré (oui, nous revoilà en province) et mêmement leurs copains du Progrès qui crèchaient en face dans la rue Bellecordière. Confronté à un triplement de son loyer (merci la société ANF), La Cloche risque de fermer. Déjà, murmurent tristement tous mes fantômes, déjà qu'on a foutu l'hôpital en l'air (l'histoire abrégée de l'hôpital est à lire sur le site du café, avec l'explication du nom la Cloche), même qu'il ne demeure plus que le Clocher Ah triste, triste  temps où il faut pétitionner pour sauver les bistrots garottés par des actionnaires indélicats !  J'invite donc tous les habitués de Solko, lyonnais ou pas, à signer la pétition lancée pour "sauver la Cloche" que son patron Philippe Bitat a mise sur Internet (la pétition se trouve sur le lien "la Cloche est un café" là au-dessus). Ci-dessous, une photo de ce café par lequel commence la rue de la Charité, en 1955, du temps de son ancien propriétaire, Abel Durin : Et c'est ainsi Alexandre est grand.

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00:17 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : lyon, la cloche, bourse, politique, crise, crise financière, anf | | |

samedi, 20 décembre 2008

Une autre écriture

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Voilà qui pour nous sera bientôt un mystère aussi entier que le sont les hiéroglyphes égyptiens. Même si, individuellement, nous gardons encore superstitieusement quelques occasions d'écrire à la main, la pratique s'éloigne sans retour possible hors de l'espèce et ces lignes tracées à la main paraîtront fastidieuses un jour à qui les contemplera. Vos ancêtres écrivaient mains nues sur du papier, dira-t-on quelque jour, si le monde subsiste, à des créatures si éloignées de nos sentiments et de nos sensations que cela ne se peut concevoir. Ils regarderont ces pages, du moins celles qui seront parvenues jusqu'à eux, un peu comme nous regardons, perplexes, les façades des cathédrales que bâtirent nos merveilleux aïeux. Les si sots urbains, dans leur grand mépris pour tout ce qui n'est pas à leur image, ont inventé le mot bouseux pour parler de l'homme qui poussait la charrue : Comment ceux d'après-demain, voire de demain, nous appelleront-ils, nous dont la main courait, vive, sur le papier, nous dont l'esprit était parfois saisi d'angoisse, devant une pauvre page blanche ?

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jeudi, 18 décembre 2008

La toile souveraine

Saint-Exupéry, bien que natif de Lyon, fut peu prolixe en souvenirs d’enfance sur sa ville. Je n’en connais que deux, dont je trouve le récit dans les Ecrits de Guerre.

Le premier se trouve dans un article titré « Quelques livres dans ma mémoire » daté de mars-avril 1941. Il concerne une publicité qui a longtemps trôné dans le hall du funiculaire Saint-Jean-Fourvière, pour un onguent fort efficace contre les brûlures. Alors qu’il évoque un coma qu’il a subi quelques années auparavant lors d’un accident d’avion au Guatemala, « état des plus désagréables, car on ne revient pas à la vie d’un seul coup ; on se réveille lentement avec la sensation de remonter en flottant vers le monde extérieur,  travers une atmosphère épaisse et gluante » il raconte qu’ayant laissé ses filer draps et couvertures et saisi de froid, il demanda  à une infirmière de l’envelopper dans « la toile souveraine ». Cette dernière ne comprit pas sa requête et lui-même, s’interrogeant sur cette résurgence, n’en saisit pas la cause de suite. Quelques années plus tard, de passage  à Lyon, il retrouve le fil conducteur :

« Ma famille m’emmenait tous les dimanches à la messe à Fourvière, une basilique construite sur une colline dominant la ville, et qu’on atteint par funiculaire. Je décidai d’y faire une promenade sentimentale. A l’arrivée, je m’aperçus que l’on prenait toujours son billet à la sortie du tunnel, avant de passer par un portillon automatique. Je pris ma place dans la queue derrière une vingtaine de personnes. Nous avancions lentement, et mes regards se portèrent à ma gauche, vers un mur tapissée d’affiches. C’étaient les mêmes affiches publicitaires que quarante ans auparavant, mais à présent noircies par la fumée et à demi effacées. Je les déchiffrais distraitement quand mon cœur fit un bond. C’était donc ça ! La toile du Bon Secours, souveraine pour les plaies et les brûlures ! A l’âge de cinq ans, j’avais sans doute été profondément impressionné par cette toile souveraine pour les plaies et les brûlures. Cette même affiche, pensais-je, devait aussi être à l’origine d’une phrase utilisée par moi dans Terre des Hommes, quand je dis à Guillaumet :  « Le soir, même, en avion, je te ramenais à Mendoza où des draps blancs coulaient sur toi comme un baume. » Souvenir des draps magiques qui pouvaient guérir les blessures… Souvenir de cette vieille affiche du tunnel de Fourvière, niché dans un coin sombre de ma mémoire pendant près de trente ans ».

 

 

Sur cette vieille photo, probablement, le mur dont parle Saint-Exupéry, tapissé d’affiches, sur la gauche, à la sortie du quai et avant  l’entrée du tunnel.

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08:31 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : saint-exupéry, littérature, lyon, publicité, funiculaire | | |