jeudi, 12 février 2009
Vers 1638
La plus ancienne vue connue de la ville de Lyon se trouve insérée dans le Chronicarum Liber, plus connu sous le nom de Chronique de Nuremberg (1493). A partir du seizième siècle, les vues de la ville se sont multipliées, grâce aux talents de plusieurs dessinateurs et graveurs et en raison du développement important de la ville à cette époque. Très vite, un panorama s'impose. L'estampe de Jacques Androuet dit du Cerceau (vers 1510 - 1584), architecte du roi et graveur en taille douce, conservée à la Bibliothèque Nationale et titrée La Cité de Lyon, passe pour le prototype de toutes les représentations au naturel publiées durant les cent années suivantes. En 1550 Jerome Cock, peintre, graveur et marchand d'estampes à Anvers (1510-1570) et Balthazar Bos publient une vue générale de la ville qui s'inspire du même point de vue et fit aussi autorité, malgré des imperfections dans la reproduction au burin de certains monuments. Le Grand Plan Scénographique réalisé de 1545 à 1553 en 25 feuillets et conservé aux Archives municipales représente la ville saisie à vol d'oiseau, traçant dans le détail la perspective des bâtiments publics d'alors, les costumes des habitants, la spécificité des fêtes et des coutumes. La vue de Sébastien Munster (1544-1628), illustrant sa Cosmographie et celle de Mathieu Mérian (1593-1650) - voir ci-dessous- se ressemblent beaucoup.
Sur cette dernière, dessinée vers 1638 par de Boissieu dans le goût de celles du XVIème, puis gravée par Mathieu Mérian (1593-1650), on voit clairement au second plan (rive droite de la Saône) le mont Fourvière, l'église Saint-Paul, le château Pierre Scize (qui sera démolli après la Révolution). Le pont de pierre (unique pont de Saône à cette époque) est également fort bien profilé, avec en son centre la chapelle de la Vierge. Sur la rive gauche, on entrevoit au loin le confluent, l'église d'Ainay, celle des Jacobins, puis au premier plan Saint Nizier, la côte Saint-Sébastien et les remparts qui la séparent de la campagne, d'où le dessin est fait.
En complément au commentaire de S. Jobert, un gravure de milieu du dix-neuvième siècle, prise à partir du même panorama croix-roussien. On remarque que la basilique n''est pas encore construite sur la colline de Fourvière. Mais il y a, comme au dix-septième siècle, des petits personnages à l'allure champêtre placés aux premier plan.
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mercredi, 11 février 2009
Foutrasies
Je me souviens avoir été cet écrivain qui avait le temps. Partout où j'allais - je parle de petits boulots - j'étais en repérage. Le monde, il me semblait alors infiniment vaste, avec toutes ses portes. Infiniment décousu, également. Le temps de regarder ce qu'il y avait derrière chacune de ces portes : un placard à balais, une loge de théâtre, un commissariat de police, une chambre d'hôpital, un frigidaire bien rempli - ou vide (ça, c'était selon la saison...), un vestiaire au fond de l'entrepôt - Je manquais de fil de fiction pour coudre tout cela : aussi ces portes demeurèrent les premières pages de romans dont la plupart ne furent jamais écrits. Le temps : des routes en lacets, des îles, des saisons. J'ai eu tout cela comme en grappes et j'ai mordu dedans, de portes en portes, dormant sur des bancs ou des chambres de palace. Le temps, le continent.
A cette époque, la route des Indes n'était pas fermée. Dès lors, qu'avait-on besoin, sinon d'un simple sac, pour s'y rendre? La route des Indes, c'était aussi celle de la Littérature. A Venise, Chateaubriand. A Stamboul, Nerval. Et comme cela, Kaboul, Téhéran. C'était facile de tracer, tout droit, jusqu'à Kabir. On pouvait pour deux sous-deux rêves se croire un homme aux semelles de vent : Il y avait quelque chose, encore, qui s'appelait l'Occident, rude, rêche et arrogant, quelque chose, qu'on appelait l'Orient, qu'on pouvait croire le contraire. De vagues fumées. Les plus lucides l'avaient compris. Mais alors, les plus lucides faisaient chier. Je me souviens avoir été cet écrivain qui avait du pays. De la route. Quitte à s'y perdre et combien, d'ailleurs, s'y perdirent pour de bon !
Et puis il y avait aussi des villes. Où tournaient encore des rotatives, où fumaient les percolateurs, où s'allumaient les feux de la Saint-Jean derrière les rideaux de coton de salles de classe hautes en plafonds. Nul ne dira assez quelle perte fut pour la jeunesse des temps à venir l'abandon des versions latines. Sénèque, Tacite et Cicéron. L'Antiquité transpirait à chaque ligne : sous nos pas quand nous passions d'un fleuve à l'autre, des sentiers de Condate aux chemins de Lugdunum, l'Antiquité oui, rose terni comme un morceau d'amphore. Gallo-romain, me disait-on. Je me souviens avoir été cet écrivain qui avait encore une race.
De toutes les Bucoliques de Virgile, ma préférée fut toujours la Quatrième. Sur la grève de rivières polluées, je m'en récitais les derniers vers tout en mordillant le brin d'un blé en herbe, pieds nus sur la terre ôtée. Car déjà, ôtée, la terre l'était sous nos pas, qui apprirent le moelleux des moquettes en même temps que nos oreilles, le cri des téléphones. Depuis quelques décennies, déjà l'humanité s'était mise à dévaster les champs, raser les haies, saccager les clairières, dénicher les oiseaux et les muses de Sicile. Je me souviens avoir été cet écrivain désœuvré devant le soleil, l'œuvre se retournant alors en cette résolution, ce silence, ce pli au front hargneux. Je comprenais que des hommes capables de détruire une rivière seraient pareillement capables de détruire la Terre. J'avais du temps, me semblait-il, du pays encore à l'horizon, j'étais d'une race : mais de quelle œuvre seraient ce temps, ce pays, cette race ? Le risque était déjà trop empli de confort, et le confort de risque. La génération de l'œuvre déjà bien passée.
11:08 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (25) | Tags : littérature, écriture, virgile, buccoliques, poésie |
mardi, 10 février 2009
Chronique des étés caniculaires et des hivers rigoureux
L’Enfer, dans le sud-est de l’Australie. Un été caniculaire, des pyromanes exaltés, des victimes en fort grand nombre, un pic caniculaire aux alentours de 48° à Melbourne : forêts dévastées (on parle de 330 000 hectares), villages rayés de la carte, Kinglake, une petite ville de l’état du Victoria, compte ses victimes par dizaines, on évoque 180 morts et un nombre incalculable de disparus. Pendant ce temps, la France connait un hiver, un vrai, pas des plus rigoureux, mais des plus hivernaux, pour ne pas craindre le pléonasme. Et le pays essuie coup sur coup deux tempêtes à la violence inaccoutumée, quasi-tropicale. On ne sait trop à quoi attribuer de tels bouleversements. Le réchauffement climatique est devenu une véritable tarte à la crème. Chacun en parle sans en connaître la recette, prenant à tout instant le risque de s'en recevoir une en pleine poire, tel Bernard Henri Lévy qui lui n'en reçut sans doute pas assez puisqu'il parle et publie encore. Nous serions trop nombreux à rouler en voiture, lire le journal et réchauffer des quiches surgelées dans des fours micro-ondes sur la Terre et le pet de l’homme, comme celui des vaches, serait devenu nuisible à l’équilibre des éléments. C'est sans doute vrai. Mais le moyen de retenir ses vents ? Qu’on se rappelle l’Apocalypse, professent déjà bon nombre de catholiques exaltés. Les catholiques exaltés en leurs chapelles, un peu comme les laïcs exaltés en leurs loges, sont des militants incurables. Ils souhaitent donc que cela se sache : une pétition circule pour soutenir Benoit XVI dans sa mesure de levée d’excommunications d’évêques intégristes : 35 000 signataires, parents d’environ 65 000 enfants, auraient accordé leur blanc-seing. Parmi eux, une foule d’allumés, j’en suis certain, se prenant pour les élus du Ciel, attendant les trompettes, pour ainsi dire, un peu comme dans une superproduction hollywoodienne remixée par Robert Hossein au Stade de France, on attend que Ben-Hur entre en piste. Nous qui savons que les combats eschatologiques ne sont pas des combats médiatiques, nous restons quelque peu démunis devant cette actualité qui tourne en rond autour d’une époque en crise.
« Qui fera l’unité du monde ? », se demandait François Mauriac, le quelque peu perplexe polémiste et moraliste chrétien, dans une chronique datée du 28 avril 1947 (1). Commentant la première apparition du terme « intégrisme » dans un acte officiel de l’Eglise (2), il le définissait ainsi : « C’est l’état d’esprit des chrétiens qui se retranchent, rompent avec le monde condamné, s’établissent dans un divorce irréductible, comme s’il existait un parti du Christ dressé contre les autres partis, et lorsque les circonstances le permettent, profitent de l’appui du bras séculier pour dominer par la force l’adversaire. » François Mauriac a-t-il vraiment cru, comme il l’écrivit alors, que la sainteté moderne surgirait de la classe ouvrière ? De la classe ouvrière, nous sommes aujourd’hui bien placés pour savoir que la sainteté n’est pas sortie. S’il y a encore certains ingénus pour croire qu’elle surgirait du métissage, de l’émergence des minorités, vieille lune utopiste qui fait aujourd’hui les beaux jours d'un libéralisme aussi intransigeant que mondialisant, ils risquent de déchanter rapidement. Comme un boutiquier vêtu de safran, le dalaï-lama court le monde, affublé de son VRP Ricard et de la ridicule Sophie Marceau en pom-pom girl pour vendre un bouddhisme allégé de matières grasses à des consommateurs de nirvana à la petite semaine, revenus de la messe du dimanche. En réalité, la sainteté ne surgit jamais toute nue de nulle part, pas plus qu'Athena ne sortit toute armée du crâne de Zeus en un somptueux cri de guerre. Peut-être quelques saints. Mais la sainteté ? Celui qui veut garder les yeux ouverts face à la complexité d’un tel monde a toutes les chances de se les brûler. Cela nous ramène aux incendies australiens et aux tempêtes européennes. Quelque ampleur qu'une digression s'autorise, elle doit aussi connaître sa limite. Sagesse de la Montagne. Et puis, que peut prévoir celui qui n’a d’éprouvée, au fond, que sa raison ? Qu’aux hivers rigoureux suivront probablement des étés caniculaires. Entrepreneurs de ventilateurs d'appoint, ne désespérez pas. Que la crise du capitalisme n’a aucune chance de cesser, tant le capitalisme a encore besoin de se nourrir d’elle et des catastrophes qu'elle génère,, avant de définitivement se perdre, et le monde avec. Que d’ici là, quelques individus ont encore de beaux jours devant eux, tandis que d’autres risquent de courir devant de grandes épreuves. Epreuves : un mot qui fera les choux-gras des démagogues de tous poils, de tous sexes et toutes couleurs de peau durant les prochaines échéances législatives nous séparant de 2012. Tout cela commencera bientôt par des européennes. L'électeur a encore de beaux jours devant lui. Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand.
(1)F.Mauriac, Journal, Mémoires politiques, « Essor ou déclin de l’Eglise ? », Bouquins, Laffont
(2) Cardinal Suchard, "Essor ou déclin d el'Eglise", lettre pastorale pour le carême 1947
11:28 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : alexandre vialatte, françois mauriac |
lundi, 09 février 2009
Lieux communs sur le Lyonnais
Des rues noires, étroites, ou plutôt des ruelles se frayant un chemin sinueux au travers des maisons colossales, enduites d’une couche uniformément sombre par la vétusté jointe aux fumées de la houille ; un pavé boueux en toutes saisons ; de bâtardes allées vomissant dans la rue des ruisseaux d’une onde suspecte ; des boutiques obscures et de mince étalage ; de grandes portes cintrées, munies de barreaux de fer, éclairant, pour toute ouverture, les ténèbres à peine visibles de magasins que le soleil n’a jamais éclairés de ses reflets dorés et où la lampe mélancolique s’allume quelquefois dès le milieu du jour ; une population soucieuse, affairée, peu curieuse de la forme, et pour tout luxe d’équipage, dans ces rues dignes du XIIIème siècle, de lourds véhicules supportant des monts énormes de ballots de soie. Le Lyonnais est une sorte de Hollandais auquel le ciel a refusé les grâces frivoles de l’affabilité, de la légèreté, de la sociabilité, cette fine fleur de l’intelligence qu’on nomme esprit ou, pour mieux dire et être plus juste, cet agréable badinage dont le plus pur béotien de Paris sait si bien masquer sa radicale nullité, en même temps que ce vernis d’urbanité et d’élégance qui fait illusion aux étrangers et cache la vulgarité foncière ou l’égoïsme renforcé.
Le Lyonnais rit quand il a le temps. Son commerce, son industrie, ses chiffres l’absorbent tout entier. De là sa physionomie grave, morne. Il est austère sans effort. Il dîne à deux heures, soupe à neuf et se couche vertueusement ensuite, comme un marchand du Moyen Age. Ses jours, qui ne diffèrent pas sensiblement de ses nuits, il les passe, la plume à l’oreille, dans une façon de cave ou de rez-de-chaussée ténébreux qu’il affectionne ; car à la garde de ce lieu peu avenant sont confiés ses marchandises, son grand livre, le répertoire et le siège de ses affaires, le grand intérêt de sa vie.
Le Lyonnais qu’enrichissent, à moins d’un grand désastre, trente ans d’une telle existence n’a pas un seul instant l’idée de se servir de sa fortune au profit de son bien-être. Il n’en jouit ordinairement qu’à la troisième génération. Non seulement il blâme le luxe chez autrui, mais il ne l’aime point pour lui. Il connaît ses concitoyens et juge de leur naturel ombrageux par le sien propre. Les dépenses et l’étalage qui ailleurs soutiennent le crédit, le compromettraient à Lyon ; la seule joie que se permette le négociant enrichi, la seule que ne lui défendent pas les usages de la cité consiste à acheter une maison de campagne dans les environs de la ville pour y aller passer patriarcalement le jour du Seigneur en famille. L’aristocratie lyonnaise, qui est toute composée de commerçants passés par l’échevinage, est indifférente à tous les efforts que l’esprit humain peut tenter dans un autre but que la perfection du tissage ou la broderie des étoffes.
L’étranger se sent envahi promptement par les méphitiques vapeurs de la tristesse et de l’ennui, ne sait où se pendre pour combattre cette malaria endémique et contagieuse qui l’oppresse. Les cafés, ce palliatif et grand narcotique de la vie de province, ne lui offrent pas un topique. Mornes et enfumés, ils ont plus de rapport avec les tavernes anglaises qu’avec ces élégants palais tout de glaces, d’or et de moulures érigés à la demi-tasse parisienne par des limonadiers artistes. Les plus célèbres restaurants sont des bouges que dédaigneraient nos cuisines à vingt-cinq sous.
Le spectacle finit de bonne heure à Lyon. La population, sage, rangée, matinale, ne fait pas du jour la nuit. Si bien que deux librairies suffiraient à approvisionner la deuxième ville de France, et qu’un seul grand théâtre est plus que suffisant à satisfaire sa curiosité. A dix heures, les rues sont désertes, les phares des cafés et des boutiques s’éteignent, et l’étranger regagne une hôtellerie maussade où, dans une chambre confortable comme une posada espagnole, il écrit de rage à ses amis, à l’univers, que la seconde ville de France est la plus laide, la plus triste, la plus ennuyeuse, la plus etc, etc …
Article de l’ Illustration (journal parisien), daté de 1848.
18:07 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : lyon, l'illustration, littérature, culture, presse |
dimanche, 08 février 2009
Saint-Bonaventure et le magasin Zilli à Lyon
Les retables des chapelles de la Vierge et de Saint-Joseph de l’église Saint-Bonaventure sont sales,
Sales autant que sont miséreux les roumains mendiant devant l’église du bon docteur séraphique,
Sales autant que sont désertés les offices quotidiens de 16 heures,
Sales autant qu’obscène est à deux pas le magasin Zilli,
Un intrus récent dans ce très vieux quartier.
Benoît de Valicourt est fier de ses manteaux en agneaux ou crocos, de ses costumes à 3000 euros, de ses cravates en soie-duchesse.
Une statue du patron de Saint-Bonaventure trône encore dans la pénombre de l'église, juste au-dessus de la sacristie.
Elle est en carton. On la sortait encore en 1905 pour des processions dans les rues :
Que dirait le pauvre docteur séraphique devant ce faux luxe qui pue l’aéroport de Dubaï ?
Sauvegardé dans la fraîcheur d'un silence vaste et dallé que surplombe une série de lustres,
Le sanctuaire impose à grand peine dans ce quartier dévasté un espace vide et magnifique où prier.
Ici, on trouve encore des cierges à 0,40 euros pour allumer à ses mortes,
Et à ses morts bien-aimés.
La première église du couvent des Cordeliers date de 1232 :
Elle est la mémoire de ce quartier des bords du Rhône où jadis le quai s’appelait Bon Rencontre.
Lorsque se tint en 1274 à Lyon le Concile convoqué par le pape Grégoire X, ancien chanoine de cette ville,
Jean de Fidenza vint, là, mourir à l’âge de cinquante-trois ans.
Qu’ils dorment en paix, les bons morts, qui ne connurent jamais le magasin Zilli, sa clientèle vulgaire internationalement, niché
Juste en face de l’église du bon saint.
Autour de la nef jadis,
Chaque confrérie de métiers accumula au fil des siècles sa propre chapelle de guingois :
Corroyeurs, confituriers, tissutiers, taverniers, fondeurs et bouchers,
Tondeurs de draps, tailleurs d’habits.
Pendant la guerre, la plupart des vitraux sont tombés
Lors de l’explosion du pont Lafayette en 1944.
Elle a fait du bon travail, Mme Lamy-Paillet ;
Merci à Mme Lamy-Paillet, et au dessinateur Louis Charrat
Qui les ont restaurés : ils illuminent de bleu roi, orange, vert lumineux, pourpre.
J’aime tout particulièrement le petit personnage de Saint-Louis, agenouillé en bas du dernier vitrail de gauche dans la chapelle Saint-Antoine de Padoue,
Erigée en 1567 par les pigniers, puis attribuée aux hôteliers et taverniers.
On y voit Saint-Louis passer un habit franciscain par-dessus sa robe toute bleue parsemée de lys dorés :
L’habit franciscain par-dessus l’habit doré :
Une parabole, pour Benoît de Valicourt.
Planet Saturn & le nouveau Monoprix pour les pauvres, l’intrus Zilli pour les riches, le Palais du Commerce juste en face :
Symboles outrageux cernant le coeur sanctuarisé de la défunte paroisse,
Lorsque retentissent les orgues de Saint-Bonaventure, dans les cieux d’hiver comme dans ceux d’été,
Merci mon Dieu que demeure encore l’ancienne église, sa marche usée et son portique masqué,
Surmonté de paroles latines :
« Erunt oculi mei aperti et aures meae erectae ad orationem ejus qui oraverit in loco isto, dicit Dominus »
« Mes yeux seront ouverts et mes oreilles attentives à la voix de celui qui priera en ce lieu, dit le Seigneur. »
23:37 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : zilli, saint-bonaventure, grolée, lamy-paillet |
samedi, 07 février 2009
L'Etude (dédiée à Georges Pérec et Françoise Sagan)
Ce port résolu, ce livre vert fermé, pressé contre soi, ce rameau d’olivier tenu si négligemment qu’on la croirait sur le point de le porter à ses lèvres pour en mâcher distraitement un petit brin : Ce billet affirme la volonté, l’intelligence et la joie d’une étudiante émancipée juste ce qu'il faut, mais encore stricte et très stylée dans un chandail élégamment torsadé, sagement boutonné, soigneusement repassé, les traits un peu sévères à cause de l’arceau vert qui rejette ses boucles de cheveux et dégage son front. Classique mais, déjà, oh déjà, si moderne : L’Étude de 1945 affiche une beauté en technicolor. Songe-t-elle à quelque film américain qu’elle irait voir, avec un amoureux ? Quelque air de swing qu’on danserait, une histoire de vacances sur la côte d’Azur ? Une histoire de soleil, simple et presque banale, racontée à toute vitesse, à toute allure, - tant et si bien qu'on la croirait couchée sur papier pour le livre de poche déjà, le supermarché, la décapotable. Sagan, cette fille de Flaubert, rappelait en ces temps-là avec l'élégance d'un Musset : "Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent, j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse. C'est un sentiment si complet, si égoïste, que j'en ai presque honte alors que la tristesse m'a toujours paru honorable. Je ne la connaissais pas, elle, mais l'ennui, le regret, plus rarement le remords. Aujourd'hui, quelque chose se replie sur moi comme une soie, énervante et douce, et me sépare des autres. (...) Je répète ce nom très bas et très longtemps dans le noir. Quelque chose monte alors en moi que j'accueille par son nom, les yeux fermés : Bonjour Tristesse."
On l’imagine ensuite, Sylvie d’un quelconque Jérôme devenue rien qu’une chose en son salon, écoutant un air de jazz dans un poste radio d’après-guerre que lui aurait offert ses parents. « L’œil glisserait sur la moquette… » Fièrement élancée, lançant loin devant elle et devant sa vie le regard, fièrement assurée devant le globe qui tourne sur lui-même dans son dos, grosse boule liquide d’où émergent des continents, des hommes… Un monde dont le centre, sur la vignette, n’est la France qu’afin de lui permettre de se croire la citoyenne d’un pays calfeutré, elle-même, n'étant que pour elle-même le centre d’un monde déjà sur orbite. Quelques quinze ans plus tard, ils, comme disent les gens simples, poseraient le pied sur la lune. Sur le billet qui porte aussi le nom de Génie français, cette figure, donc, à peine allégorique et déjà très individualisée de l’Étude. Une figure qui n’a plus grand chose à voir avec la statuaire de ses ancêtres du dix-neuvième que logeaient encore les billets roses et bleus de la Belle Epoque. Ce billet, qui est l'œuvre de Sébastien Laurent, fut imprimé sur papier de ramie et frappé de très beaux filigranes. Il est le dernier à posséder une telle largeur : décidant, en 1952, d'homogénéiser sa production, le gouvernement de la Banque de France le condamnait implicitement : le retrait définitif de l'Etude s'opéra un 11 décembre 1956. Georges Pérec avait vingt ans. Françoise Sagan, à peine un de plus. Le monde allait s’emplir de plus en plus de choses. Bonjour, tristesse.
15:13 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : littérature, pérec, sagan, l'étude, billets français, bonjour tristesse |
vendredi, 06 février 2009
L'argent du divertissement
Je suis toujours très étonné de la façon dont comiques, sportifs et chanteurs de variétés jouissent auprès du grand public d'une sorte de blanc-seing économique. Les mêmes qui s'insurgent devant les fortunes impunément accumulées par des patrons industriels ou des financiers véreux vont trouver normal qu'une Céline Dion, un Jean-Marie Bigard ou un Thierry Henry fassent en peu de temps des fortunes considérables, créent de véritables dynasties (Dutronc 1, Dutronc 2 - Noah 1 Noah 2 ...), et deviennent les gurus d'une société de plus en plus décervelée, prête à s'extasier devant n'importe quelle nouveauté technologique. Et pour reprendre une remarque évoquée dans le commentaire d'une autre note : « Les mémés à petites retraites qui dansent sur Capri c'est fini se souviennent-elles qu'au pire moment de ce qu'il appelle sa traversée du désert, un type comme Hervé Vilard gagnait 30 000 francs par mois en n'en tirant pas une rame de la journée, grâce à l'industrie délétère du disque ? »
Les arguments qu'on oppose à toute critique de l'argent du divertissement sont toujours les mêmes : d'abord, on élude la question de l'argent du divertissement pour ne retenir que celle du divertissement lui-même : et si vous critiquez le divertissement, vous êtes forcément un peine-à jouir ou un dépressif. Ah bon ? Pourtant le propre du rire, n'est-il pas d'être gratuit ? Ne pouvons-nous plus rire de nous mêmes par nous-mêmes ? et en quoi avons-nous besoin de la bande à Djammel ou de la bande à Ruquier ? Je préfère rigoler à la terrasse d'un café avec des amis en buvant une tournée que d'aller voir des spécialistes du rire, gens cyniques et malsains comme ces capitaines d'industries dont les salaires et les primes défraient régulièrement la chronique. Pas touche, dit Florent Pagny, à ma liberté de penser. Mais quelle différence entre la liberté de penser de Florent Pagny, celle de Zinedine Zidane, et celle des patrons des banques et des groupes industriels ?
L'autre argument est de faire de ces gens, footballeurs, histrions, et autres suceurs de micros des artistes à part entière ou des acteurs de la vie culturelle. Le monde consacrait hier une page entière à un rugbyman, Thierry Dusautoir, sous un titre à la Libé, Serial Plaqueur. C'est vrai : que serait la France sans Thierry Dusautoir, n'est-ce pas ? Et le monde, sans le bon Yannick Noah ? Non seulement tout ce ramassis d'opportunistes incarne donc la vie culturelle mais de surcroit, « la vie culturelle populaire ». Et donc si vous critiquez cet argent qu'ils accumulent sur finalement ni plus ni moins la connerie du plus grand nombre, vous êtes non seulement un peine à jouir et un dépressif, mais de surcroit un élitiste (avec toutes les connotations négatives que ce beau mot trimballe avec lui désormais) et sans doute un jaloux...
J'en conclus que l'argent du divertissement, comme jadis celui de l'Eglise, est devenu un tabou. En dénoncer le trafic scandaleux relève du sacrilège, dans cette société du spectacle où la duplicité est parvenue à s'ériger en morale absolue et en syntaxe universelle. Continuons donc à dénoncer les salaires de Sarkozy et ceux des grands patrons de la société du spectacle en nous régalant des exploits des sportifs et des histrions médiatisés par ses soins. Qui a dit (et redit) qu'un roi sans divertissement est un homme plein de misères ?
21:07 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : culture, littérature, variété, divertissement, actualité, société |
jeudi, 05 février 2009
Une affaire de goût
Beaucoup de gens disent que leur goût est naturel. Et de ce goût prétendument naturel, ils font la mesure de tout jugement esthétique, parfois même éthique. "J'aime, j'aime pas", variante assez stupéfiante du médiatique "pour ou contre", qui structure de plus en plus leurs opinions. Impression que demeure ainsi un choix, que ce choix relève d'un goût, et que ce goût est naturel. Et de ce goût prétendument naturel, ils font l'étalon absolu, la mesure exacte de ce qu'ils voient, de ce qu'ils rencontrent. "J'aime, j'aime pas" : Sorte de pensée magique, de crédo mystique, la référence en matière de sapes, objets, livres, films, tableaux, people, manifestations, festivals et parfois même, idées ... Jamais nous n'aurons vécu aussi loin de la nature, jamais, nous ne l'aurons mise à autant de sauces : c'est naturel, disent-ils de tout et n'importe quoi... mais comment peut-on sérieusement penser que le goût est naturel alors qu'on vit dans une société où, précisément, plus rien ne l'est ?
La nature, elle-même, Séjour des dieux chez les Grecs, Mère providentielle chez les humanistes, Asile miséricordieux chez les romantiques, chez nous, & par la grâce de notre sémantique, n'est plus qu'un simple environnement. Voilà à quoi nous avons réduit la représentation que, collectivement, nous nous en faisons. Cela n'empêche pas quelques-uns d'entre nous de l'admirer, certes : mais toujours de très loin; mais comment, loin de cette nature qui nous environne, aurions-nous pu conserver un goût naturel, lequel serait passé à travers tous les filtres de l'éducation, du conditionnement, de l'idéologie, des affects... pour toutes les saloperies que la grande distribution, commerciale ou culturelle, nous refile à digérer ? Froissés, sans doute, de n'être pas le centre réel de l'univers comme l'avaient cru les Antiques, nous, modernes, nous nous sommes en quelque sorte configurés un centre. Et de là, de ce centre où les notions d'inné et d'acquis ne sont même plus identifiables, éloignés de la tradition du goût, nous prenons la mesure de ce tout qui nous entoure. Combien de gens pensent-ils encore qu'en matière esthétique, le goût est avant tout une affaire d'éducation ? Combien de gens ont-ils encore l'humilité de se dire qu'ils pourraient, qu'ils devraient éduquer leur goût ? Combien de gens en ressentent-ils encore la nécessité, dans cette étrange et partout régnante confusion ?
20:53 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : goût, culture, enseignement |
mardi, 03 février 2009
Ces gens-là
Qui peut encore sérieusement croire qu'une littérature, qui ne soit pas textes de pure consommation, a encore un avenir dans une société qui n'a d'autre idéal que de perpétuer son idéal de consommation au prix de la destruction pure et simple de la planète ?
Qui peut sérieusement penser qu'un théâtre, qui ne soit pas un théâtre de simple divertissement, peut conquérir le moindre crédit dans une société où l'individu-spectateur n'a d'autre revendication que le droit au divertissement ?
Qui peut vraiment prendre au sérieux une production cinématographique que les lois de la distribution contraint à n'être que de la propagande, dans une société du spectacle dont le credo constant est que « the show must go on... », et que « yes, we can »
Qui peut encore attendre de la télévision qu'elle joue un autre rôle que celui qu'elle joue depuis plus de cinquante ans, à savoir tisser l'incessant éloge de son pouvoir de nuisance pour, auprès de gens très naïfs ou très désespérés, le muter en un pouvoir de "tenir compagnie" ?
Qui peut attendre quoi que ce soit de la politique dans une société qui affirme qu'être informé est suffisant, et que c'est un droit au même titre que, par exemple, la liberté ? Et que nous serons égaux lorsque nous serons tous semblables ?
J'ai passé l'âge où se poser ce genre de questions serait attristant. J'ai compris que l'humanité était embarquée dans le sale destin qu'elle s'est elle-même tissée, que cette pente est irréversible, au vu du grand nombre d'humains que nous sommes, et que je n'y peux rien changer.
Il existe une littérature déjà écrite. Elle est fort vaste, et au fond, tout bien pesé, en quoi avons-nous besoin d'en produire une nouvelle à notre image ? La question du théâtre serait plus délicate à traiter. Pourtant je crois vraiment que la nécessité que l'individu-lambda, la plupart du temps très inculte et le plus souvent illettré, ressent du théâtre est désormais quasiment nulle. A notre image, nous avons le cinéma, et cela suffit au spectateur ivre de narcissisme encore capable de s'asseoir dans une salle obscure devant un écran blanc : Qui se doute encore aujourd'hui que cette phrase, si prémonitoire, fût de Cocteau, chantre par ailleurs de la modernité : « Je plains la jeunesse moderne, obligée de n'attendre que des fantomes à la sortie d'un film ? » (1) A quoi bon déranger, dès lors, les voix puissantes de Sophocle, Calderon, Molière, Tchékhov ou Claudel, qui naquirent du désir puissant de leurs contemporains, quand nos contemporains se satisfont en si grand nombre de Muriel Robin ou de Line Renaud, de Laurent Ruquier ou de Djamel Debbouze ?
Quant à la poésie, il suffit de dire qu'elle n'est qu'un grand corps malade, pour ne pas dire décomposé.
Je crois que le temps est venu de s'occuper de soi en parfait égoïste, avide en tous cas de rendre réelle sa propre survie.
Quitte, dit un saint hindou qui, tout autant, aurait pu être un saint chrétien : « quitte ces gens-là, et va adorer ! »
Nous sommes quelques-uns seulement, malgré ces propos - en apparence seulement pessimistes, à demeurer en mesure de nous comprendre.
(1) Jean Cocteau, Portraits, Souvenirs, Cahiers Rouges, Grasset,
00:05 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (56) | Tags : littérature, théâtre, cinema, culture, société |