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lundi, 04 janvier 2010

François Mauriac, le 4 janvier 1945

Voici le texte qu’Henri Béraud rédigea de la prison de Fresnes, le 1er janvier 1945 alors qu’à la suite d’un procès bâclé, il venait d’être condamné à mort. (1) Suit l’article que François Mauriac fit paraître en réponse dans le Figaro, il y a tout juste 65 ans.

 

« Ce qui va suivre fut écrit à la prison de Fresnes le jour de l’an 1945, dans une cellule de condamné à mort. Je suis seul en camisole de forçat, les fers aux pieds. L’aumônier vient de sortir. Devant mon guichet deux gardiens passent et repassent et, dans le silence, on n’entend d’autre bruit que leur pas monotone. Il fait un froid terrible. Pourtant ma main glacée, d’où glisse le crayon, ne tremble pas. Ma sérénité est profonde, égale à mon innocence.

Condamné dans des conditions juridiques sans précédent, je ne proteste ni contre mon sort, ni contre les étrangetés de la procédure. L’histoire s’en chargera. Pour l’heure, je rassemble mes dernières forces afin de m’élever contre l’iniquité d’un jugement.

Ce jugement me frappe au nom de l’article 75, le plus infamant des articles du code pénal. Or jamais ni à l’instruction, ni à l’audience, il n’a été posé une seule question sur des faits relatifs à une connivence quelconque, à un contact direct ou indirect à une relation, si minime fût-elle, avec l’ennemi. Ni le réquisitoire de commissaire du gouvernement, ni les dépositions des témoins n’y firent la moindre allusion. Et pour cause ! C’est que de tels faits n’existent point. Il aurait pu m’arriver, comme à tant d’autres, de céder à quelque vaine curiosité, et de rencontrer à table ou ailleurs, des Allemands. Mais non. Tous ceux qui me connaissent savent quelle aversion je nourrissais à l’égard de l’occupant. Je ne me suis jamais caché d’être anticollaborationniste, autant que j’étais anglophobe. J’ai sans cesse prévenu la direction de Gringoire contre ses tendances à la collaboration, cela par écrit, dans les termes les plus vifs, et j’en ai apporté la preuve à l’audience, tout comme la preuve de la confiscation de mes biens par les Allemands qui me firent expier tout ensemble mes articles de la guerre et de l’avant-guerre, ainsi que mon refus d’écrire dans la presse contrôlée par eux. J’ai montré, prouvé tout cela, en van. Une délibération de trois minutes a fait litière de mes explications les plus claires, les plus courageuses, les plus loyales. On voulait ma mort. On voulait me déshonorer.

Du fond de ma prison j’élève vers mes confrères et mes derniers amis le cri suprême d’une conscience révoltée. Libre écrivain, j’ai écrit, selon ma nature, ce que je croyais juste et vrai. Qu’aujourd’hui l’on juge mes idées fausses, ma passion excessive, mes écrits néfastes qu’une justice révolutionnaire me frappe pour avoir combattu ses doctrines, soit ! Ayant lutté seul, la poitrine découverte, je suis vaincu et me tiens prêt à subir les conséquences de ma défaite.

Mais vous écrivains, qui représentez les droits sacrés de l’esprit, qui m’avez vu vivre, admettez-vous que la rancune politique s’exalte jusqu’à confondre le patriotisme exalté avec la trahison consentie ? Laisserez-vous transformer en agissements criminels un conflit d’opinions ? Vous tous, qui me connaissez, qui m’avez vu vivre, iriez-vous laisser ternir mon œuvre et mon nom ? Ne vous dresserez-vous pas, selon les traditions de notre état, contre une aussi criante injustice Non ! L’élan unanime d’un auditoire où je ne comptais guère de partisans a déjà répondu. Le pays entier, s’il avait pu m’entendre, eût répondu de même, et cela mille témoins vous le diront.

Mon espérance dernière est que des voix plus hautes répondent à leur tour.  Amis je vous confie mon destin, mon honneur et ma mémoire. Vous ne resterez pas sourds à ma voix. »

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17:20 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : françois mauriac, henri béraud, littérature, polémique, politique | | |

mardi, 10 février 2009

Chronique des étés caniculaires et des hivers rigoureux

L’Enfer, dans le sud-est de l’Australie. Un été caniculaire, des pyromanes exaltés, des victimes en fort grand nombre, un pic caniculaire aux alentours de 48° à Melbourne : forêts dévastées (on parle de 330 000 hectares), villages rayés de la carte, Kinglake, une petite ville de l’état du Victoria, compte ses victimes par dizaines, on évoque 180 morts et un nombre incalculable de disparus.  Pendant ce temps, la France connait un hiver, un vrai, pas des plus rigoureux, mais des plus hivernaux, pour ne pas craindre le pléonasme. Et le pays essuie coup sur coup deux tempêtes à la violence inaccoutumée, quasi-tropicale. On ne sait trop à quoi attribuer de tels bouleversements. Le réchauffement climatique est devenu une véritable tarte à la crème. Chacun en parle sans en connaître la recette, prenant à tout instant le risque de s'en recevoir une en pleine poire, tel Bernard Henri Lévy qui lui n'en reçut sans doute pas assez puisqu'il parle et publie encore. Nous serions trop nombreux à rouler en voiture, lire le journal et réchauffer des quiches surgelées dans des fours micro-ondes sur la Terre et le pet de l’homme, comme celui des vaches, serait devenu nuisible à l’équilibre des éléments. C'est sans doute vrai. Mais le moyen de retenir ses vents ? Qu’on se rappelle l’Apocalypse, professent déjà bon nombre de catholiques exaltés. Les catholiques exaltés en leurs chapelles, un peu comme les laïcs exaltés en leurs loges, sont des militants incurables. Ils souhaitent donc que cela se sache : une pétition circule pour soutenir Benoit XVI dans sa mesure de levée d’excommunications d’évêques intégristes : 35 000 signataires, parents d’environ 65 000 enfants, auraient accordé leur blanc-seing. Parmi eux, une foule d’allumés, j’en suis certain, se prenant pour les élus du Ciel, attendant les trompettes, pour ainsi dire, un peu comme dans une superproduction hollywoodienne remixée par Robert Hossein au Stade de France, on attend que Ben-Hur entre en piste. Nous qui savons que les combats eschatologiques ne sont pas des combats médiatiques, nous restons quelque peu démunis devant cette actualité qui tourne en rond autour d’une époque en crise.

« Qui fera l’unité du monde ? », se demandait François Mauriac, le quelque peu perplexe polémiste et moraliste chrétien, dans une chronique datée du 28 avril 1947 (1). Commentant la première apparition du terme « intégrisme » dans  un acte officiel de l’Eglise (2), il le définissait ainsi : « C’est l’état d’esprit des chrétiens qui se retranchent, rompent avec le monde condamné, s’établissent dans un divorce irréductible, comme s’il existait un parti du Christ dressé contre les autres partis, et lorsque les circonstances le permettent, profitent de l’appui du bras séculier pour dominer par la force l’adversaire. »  François Mauriac a-t-il vraiment cru, comme il l’écrivit alors, que la sainteté moderne surgirait de la classe ouvrière ?  De la classe ouvrière, nous sommes aujourd’hui bien placés pour savoir que la sainteté n’est pas sortie. S’il y a encore certains ingénus pour croire qu’elle surgirait du métissage, de l’émergence des minorités, vieille lune utopiste qui fait aujourd’hui les beaux jours d'un libéralisme aussi intransigeant que mondialisant, ils risquent de déchanter rapidement. Comme un boutiquier vêtu de safran, le dalaï-lama court le monde, affublé de son VRP Ricard et de la ridicule Sophie Marceau en pom-pom girl pour vendre un bouddhisme allégé de matières grasses  à des consommateurs de nirvana à la petite semaine, revenus de la messe du dimanche. En réalité, la sainteté ne surgit jamais toute nue de nulle part, pas plus qu'Athena ne sortit toute armée du crâne de Zeus en un somptueux cri de guerre. Peut-être quelques saints. Mais la sainteté ? Celui qui veut garder les yeux ouverts face à la complexité d’un tel monde a toutes les chances de se les brûler. Cela nous ramène aux incendies australiens et aux tempêtes européennes. Quelque ampleur qu'une digression s'autorise, elle doit aussi connaître sa limite. Sagesse de la Montagne. Et puis, que peut prévoir celui qui n’a d’éprouvée, au fond, que sa raison ? Qu’aux hivers rigoureux suivront probablement des étés caniculaires. Entrepreneurs de ventilateurs d'appoint, ne désespérez pas. Que la crise du capitalisme n’a aucune chance de cesser, tant le capitalisme a encore besoin de se nourrir d’elle et des catastrophes qu'elle génère,, avant de définitivement se perdre, et le monde avec.  Que d’ici là, quelques individus ont encore de beaux jours devant eux, tandis que d’autres risquent de courir devant de grandes épreuves. Epreuves : un mot qui fera les choux-gras des démagogues de tous poils, de tous sexes et toutes couleurs de peau durant les prochaines échéances législatives nous séparant de 2012.  Tout cela commencera bientôt par des européennes. L'électeur a encore de beaux jours devant lui. Et c’est ainsi qu’Alexandre est grand.

 

(1)F.Mauriac, Journal, Mémoires politiques, « Essor ou déclin de l’Eglise ? », Bouquins, Laffont

 

(2) Cardinal Suchard, "Essor ou déclin d el'Eglise", lettre pastorale pour le carême 1947

11:28 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : alexandre vialatte, françois mauriac | | |