jeudi, 18 décembre 2008
La toile souveraine
Saint-Exupéry, bien que natif de Lyon, fut peu prolixe en souvenirs d’enfance sur sa ville. Je n’en connais que deux, dont je trouve le récit dans les Ecrits de Guerre.
Le premier se trouve dans un article titré « Quelques livres dans ma mémoire » daté de mars-avril 1941. Il concerne une publicité qui a longtemps trôné dans le hall du funiculaire Saint-Jean-Fourvière, pour un onguent fort efficace contre les brûlures. Alors qu’il évoque un coma qu’il a subi quelques années auparavant lors d’un accident d’avion au Guatemala, « état des plus désagréables, car on ne revient pas à la vie d’un seul coup ; on se réveille lentement avec la sensation de remonter en flottant vers le monde extérieur, travers une atmosphère épaisse et gluante » il raconte qu’ayant laissé ses filer draps et couvertures et saisi de froid, il demanda à une infirmière de l’envelopper dans « la toile souveraine ». Cette dernière ne comprit pas sa requête et lui-même, s’interrogeant sur cette résurgence, n’en saisit pas la cause de suite. Quelques années plus tard, de passage à Lyon, il retrouve le fil conducteur :
« Ma famille m’emmenait tous les dimanches à la messe à Fourvière, une basilique construite sur une colline dominant la ville, et qu’on atteint par funiculaire. Je décidai d’y faire une promenade sentimentale. A l’arrivée, je m’aperçus que l’on prenait toujours son billet à la sortie du tunnel, avant de passer par un portillon automatique. Je pris ma place dans la queue derrière une vingtaine de personnes. Nous avancions lentement, et mes regards se portèrent à ma gauche, vers un mur tapissée d’affiches. C’étaient les mêmes affiches publicitaires que quarante ans auparavant, mais à présent noircies par la fumée et à demi effacées. Je les déchiffrais distraitement quand mon cœur fit un bond. C’était donc ça ! La toile du Bon Secours, souveraine pour les plaies et les brûlures ! A l’âge de cinq ans, j’avais sans doute été profondément impressionné par cette toile souveraine pour les plaies et les brûlures. Cette même affiche, pensais-je, devait aussi être à l’origine d’une phrase utilisée par moi dans Terre des Hommes, quand je dis à Guillaumet : « Le soir, même, en avion, je te ramenais à Mendoza où des draps blancs coulaient sur toi comme un baume. » Souvenir des draps magiques qui pouvaient guérir les blessures… Souvenir de cette vieille affiche du tunnel de Fourvière, niché dans un coin sombre de ma mémoire pendant près de trente ans ».
Sur cette vieille photo, probablement, le mur dont parle Saint-Exupéry, tapissé d’affiches, sur la gauche, à la sortie du quai et avant l’entrée du tunnel.
08:31 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : saint-exupéry, littérature, lyon, publicité, funiculaire |