mercredi, 22 octobre 2008
Le monde sans Cézanne
Aujourd'hui, Paul Cézanne est mort depuis 102 ans (22 octobre 1906).
En l'an 1996, le remplacement in extremis du billet de deux cent francs prévu à l'effigie des frères Lumière par celui à l'effigie de Gustave Eiffel a libéré soudainement la valeur faciale de cent francs, la plus populaire, qui est échu du coup à Paul Cézanne par décision de la Banque de France. Le dernier bifton de cent balles, ce fut donc lui. Cézanne, l'aixois. Le Claude Lantier de L'Oeuvre de Zola. Ci contre, un essai pour le billet que nous aurions dû avoir lors de la dernière série de francs. Un regard brun, ferme, un regard du sud. La barbe noire et drue, une calvitie naissante. Dans le filigrane, le peintre, plus replet, plus âge, plus rond. Les joueurs de cartes sous un platane, étrangement bleuacés, au centre du dessin. On remarque, parmi les gadgets de sécurité, une palette rouge en haut en gauche.
Autre version des mêmes épreuves, avec un arbre dont les branches ne suivent plus les mêmes arabesques, le regard du peintre peut-être plus centré sur le hors-champ, de face. La palette rouge a disparu. Le filigrane est plus pâle. Les joueurs de cartes sont sensiblement différents, leurs tenues plus claires.
"Je vais étonner les Parisiens avec une pomme" avait déclaré le reclus la colline de Laugres : Le billet final à l'effigie de Paul Cézanne, qui sortit finalement en 1997, fut donc le dernier billet de cent francs de toute l'histoire du franc; sur une face entière, en effet, s'étalaient les fameuses pommes... Il y aurait, rien que sur cette valeur faciale, une histoire à faire, tant cette valeur fut évidemment la plus familière, pour les ados (argent de poche), les retraités (pensions) comme pour chacun d'entre nous. Le vrai billet du quotidien. Je me souviens que, lors de la disparition du franc, j'avais écrit ceci, de triste, de rageur et d'impuissant, que je livre tel quel :
Ce soir, dans mon blême isoloir, moi qui n’ai presque rien conservé de tout ce qui s’écoule et de tout ce qu’on détruit, je contemple le front large de Cézanne que j’ai mis de côté sur ma table (1839-1906). C’était cent balles, quand même ! Cent balles ! Nez à nez. Impressionnant, ce front qu’on tâtera plus jamais du bout du doigt, ni dans sa poche ni dans son porte feuille. Ce front : Quel front ! Quel regard ! Sauvage, tout comme ses toiles. Venu du Sud et du dix-neuvième siècle, ce regard tout en fièvre contenue. Comment peut-on être aussi perçant ? Aussi franc ? Les deux petits joueurs de cartes tout verts, qu’on dirait des anesthésistes dans une clinique chirurgicale. Et les pommes ! Je les compte une à une, les pommes. Dix oranges et quatre jaunes. Rondes comme des boules. La sentimentalité excessive nuit à l’évolution harmonieuse des sociétés, dirait je sais pas qui, en me voyant comme ça, ému sottement devant des bouts de papier; Ce soir, je me sens comme Cézanne. Il a ce strap en pointillé devant le nez, un vrai mât de cocagne électronique, et le vise du regard comme pour le dégommer de sa seule suggestion mentale. Pauvre Cézanne, enrubanné ! Pauvre humanité qui disparaît. Pauvres gens du Sud, du Nord, de l'est, de l'Ouest, pauvres, les pauvres, et tous les peuples qui, toujours, se feront avoir... Je me sens coincé, pire encore que Cézanne, moi, dans son rectangle aux abois. Pire ! Je me sens moi aussi scotché, strapé, parvenu à un degré d'anesthésie tel que nul ne sait plus où j'ai fourré la justesse de mon sentiment.
La seconde mort de Cézanne, loin de la Sainte-Victoire, c'est là, sur ma table comme sur une table d'autopsie, autour de laquelle on ne joue pas, ce soir, aux cartes. Un truc, voilà, qu’on avait en poches et en commun, toutes et tous, depuis un sacré bail, nous autres. Et pas rien que nous autres : Tous les Francs, aussi, les Anciens, les Morts, à présent logés au crématoire ou au tombeau, les anciens qui en avaient drôlement trimballé, pendant leurs existences entières de Francs, des francs, sonnants et trébuchants. Démonétisés du même coup, tous les Anciens ! Tous ces trimbalements, toutes ces négociations, tous ces calculs de francs en francs, au fil des siècles et des générations, ça en avait pondu, du verbe et du boucan, de la rente et de la chanson ! Sacrée littérature, hein : Et quel boucan ! De la langue, quoi, elle aussi sonnante et trébuchante, durant des siècles ! A présent trébuchée : Oui, et bien comme il faut ! Ces mots-là, cette parole-là, qu’en fera-t-on, au fond des bouches, des gosiers, des gorges ? En faire des collections, comme avec les billets ? En faire du patrimoine classé, du qu’on montrerait aux petits enfants, les petits enfants des écoles ? La dictionnariser ? Que faire à présent des patates et des galettes, de l’oseille et du pognon, de la flèche et de la thune, comment, surtout, convertirait-on les cent balles de Cézanne au nouvel ordre hyper-monétarisé ? Trop neuf, trop sage, trop lisse, l’euro, qui rime trop avec égaux, avec trop d’égos, qui rime avec troupeaux, tous pareillement bien grillés au franc soleil du billet mondialisé. Trop commun, cet euro, pour enfanter d’un bel argot. Faites gaffe, je dis moi, aux légions de convertis que je croise : après la monnaie viendra la langue. C’est la langue qui y passera à son tour. Evidemment.
Quelle langue parlera-t-on, dans un monde sans Cézanne ?
06:16 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : cézanne, peinture, francs, anciens francs, société, culture, numismatique |
jeudi, 09 octobre 2008
I live in a Very Important City
I live in a very important city. C'est moi qui suis fier. Pas peu fier ! Thank you to Gérard who made it possible, avec ses feuilles de route. Thank you Vincent Rocken , le journaliste du Progrès, sans qui on ne serait pas informé de l'importance qu'on a dans le monde. Thank you also to Jean Michel. Non, non, Jean Michel, ne t'en vas pas : tu as, tu as, toujours de beaux yeux... Thank you Juni, thank you Cris, Govou and Benzema. Thank you, thank you, thank you !!!! Il parait qu'une grève de footballeurs s'annonce. Les gars, déconnez pas. Cette putain de Coupe européenne, il nous la faut cette année, sur le bureau de l'Hôtel de Ville, nom de Dieu. Et les Marseillais, les Stéphanois, les Girondins, et tout et tout, faut les niquer. C'est nous, les champions. J'ai placé tout mon portefeuilles d'actions sur vous, si l'OL aussi suit le chemin des banques américaines, qu'allons-nous devenir ? On ne peut plus compter sur la parole de Nicolas Chauvin, bordel ? C'est un peu grâce à vous qu'on était passé, en 2007, au dix-septième rang européen, faut voir à le conserver, son rang !
Pauvre Nicolas ! Dix-sept blessures, trois doigts amputés ! Au joli temps de l'Empire, le chauvinisme était sans doute un sentiment encore assez simple : il n'y avait qu'une forme de chauvinisme, un chauvinisme un peu brut et paysan, franc du collier, made in mon clocher, le contraire du modèle citadin, bien plus tordu, lui, bien plus alambiqué. Ce chauvinisme rural avait peut-être encore un certain sens, remarquez bien. De la signification. En tous cas, il n'était pas un marché et personne n'aurait eu l'idée de le coter en bourse. Moi, tout ce qui a du sens, j'essaie de comprendre, je suis preneur. Le sens, c'est de l'histoire. Et l'histoire, c'est des hommes. Des siècles d'hommes. Le chauvinisme d'à présent, c'est plus compliqué. Un chauvinisme fabriqué en séries, un chauvinisme manufacturé à coup de hit-parades et de statistiques... Chacun a le sien : son club, sa marque, son genre, son label, sa cité. Du chauvinisme libéral. Toujours aussi identitaire, et donc toujours aussi bête. I live in a very important city. Du mauvais chauvinisme. Il fait mine de ne pas détruire le sentiment d'appartenir à un monde universel commun, rien qu'en surface. En profondeur, il brise les communautés, dissout les solidarités, place les particules en compétition, transforme chacun d'entre nous en une petite entreprise.
Quand, dans l'esprit des hommes, la Cité n'est plus qu'un label, comment s'étonner de la mort du politique ? Quand, dans le cœur des hommes, le sentiment de l'Universel vacille, qu'est-ce qui est le mieux, le pire : le trou, le bled, ou bien la marque, le style ? Sonia Rykiel, Calvin Klein ou Ploumschtroumpf les Bains, Montcalm les Jonquilles ?
08:24 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : europe, lyon, actualité, société, politique, chauvinisme |
lundi, 06 octobre 2008
Passe des Cordeliers.
Des places de villes aux contours flous, il en existe un certain nombre un peu partout; cela s'appelle place, mais à bien y regarder, c'est au mieux un quelconque carrefour, lieu fade où le promeneur solitaire, comme le piéton contemplatif, ne trouve plus sa place. Il faudrait retirer une lettre aux plaques bleues de ces ronds-points, et les nommer passe, symbole de notre temps pour gens multipressés, qui ne font que passer.
Dans le premier arrondissement de Lyon se trouve ainsi la passe des Cordeliers. Elle fut ouverte en 1557, sur le cimetière des religieux qui, moyennant une redevance annuelle de cent livres que la Ville s'engageait à leur payer, lui ont alors cédé le terrain. Le Consulat a fait abattre les murs du vieux cimetière, vider les tombes, aplanir le sol bossu et, du nom des Cordeliers installés là depuis 1220, baptisé le funèbre enclos ouvert au trafic urbain. Un Turc installa là le premier café lyonnais, en 1660 (on écrivait alors caffé.) Cet antre prit naturellement le nom de Caffé Turc.
Au centre du cimetière se dressait jadis une très ancienne croix gothique. On la laissa presqu'un siècle au centre de la place. En 1748, comme elle tombait de vétusté, le Consulat la remplaça par la colonne du Méridien. Vingt mètres de haut : longtemps, affairistes & amoureux, qui la repéraient de loin, s'y donnèrent rendez-vous; si bien que les Cordeliers faillirent céder leur nom à ce qui, dans les conversations, devenait peu à peu « la place du Méridien ». Au-dessus de la colonne trônait une statue, celle d'URANIE, la muse aujourd'hui manquante sur le fronton de l'Opéra où n'en trônent que huit. Une Maison de Concert bâtie sur la place eut son heure de gloire puisque le jeune Mozart en personne s'y fit applaudir le 13 août 1766.
La Colonne d'Uranie et la Maison du Concert firent les frais du ré-aménagement du Quartier par le préfet Vaisse, le Hausmann local de Napoléon III de triste mémoire puisqu'on dit qu'il ouvrit la Rue Impériale (future rue de la République) pour réprimer au canon plus facilement d'éventuelles émeutes de canuts. La place qu'on voit sur la gravure perdit peu à peu son caractère historique. On édifia à la gloire du Tout Puissant-Commerce le Palais de Dardel, flanqué du bas-relief assez mastoc représentant le Rhône et la Saône qu'on peut toujours y voir. Tony Desjardins planta juste à côté à côté ses fameuses Halles en 1860, dans le goût métallique de son époque. Ces Halles furent ratiboisées un siècle plus tard, et installées à la Part-Dieu, dans un bâtiment sans originalité auquel on donna le nom de Paul Bocuse : sur la place des Cordeliers s'est dressé à leur place un magnifique parking qui fait la joie des touristes du monde entier attirés à Lyon par son classement UNESCO. On le voit, pour les bâtiments aussi, cette drôle de place ne devait être surtout que le lieu d'un passage éphémère. Les Grands Magasins Sineux, devenus Grands Magasins des Cordeliers, puis succursale des Galeries Lafayettes parisiennes- et désormais de Planet Saturn- furent construits sur les plans de l'architecte Prosper Perrin. Un modeste bazar polonais qui avait ouvert au début du dix-neuvième siècle vola bien vite en éclat pour céder la place à une autre enseigne "A la Ville de Lyon", qui devint bien vite le fort populaire "Grand Bazar," depuis peu reconverti en un banal aquarium du label Monoprix. Certains jours de juillet, quand il fait très chaud sur la vieille capitale des Gaules, le toit de ce machin-là s'avance sur le chaland de façon incroyablement menaçante.
Seule demeure, en place et au coeur de tout ce qui passe (et ne sait faire que cela), seule demeure et comme en apnée, tant l'espace s'est amenuisé et pollué autour d'elle, la vieille église dédiée à Bonaventure, l'italien séraphique au si joli nom, venu mourir à Lyon le 15 juillet 1274, lors du Concile Oecuménique convoqué par Grégoire X. Si vous passez par la passe des Cordeliers, entrez-y. Vous y trouverez d'abord du silence, de la fraîcheur et des bancs. Ce n'est pas négligeable par les temps qui courent. Puis vous ferez face à l'un des plus beaux orgues de la ville. Des rangées de lustres qui s'alignent là tombe un clair-obscur comme méditatif. Tous les anciens corps de métiers avaient jadis regroupé autour de l'autel de Saint-Bonaventure leurs chapelles latérales, dont les vitraux restaurés -la plupart s'étaient effondrés lors du bombardement du pont Lafayette - étincèlent. Asseyez-vous. Laissez, à la lueur d'un cierge, à la note de l'orgue, le sanctuaire s'animer dans la pénombre : le cœur du Moyen-âge, dans la bourrasque de la modernité, livre son premier et simple éclat. Sur la passe, enfin, le badaud trouve sa place.
19:37 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : cordeliers, lyon, ville, grand bazar, société |
mardi, 30 septembre 2008
Nom d'une vogue !
Avant d'être une fête de faubourg ou de quartier, la vogue était une fête de village, qui coïncidait avec la fête patronale. Le petit Robert, qui cite le mot comme étant lyonnais, le date du XVIIIème. Le Littré de la Grande Cote indique qu'il s'agit d'une dérivation du franc vogue, au sens d'abondance, d'affluence. Le terme est indéniablement plus ancien que ne le prétend le Robert, puisque le concile de Vienne, en 1554, avait défendu les divertissements des vogues : prescriptions qui demeurèrent lettres mortes car, pour supprimer les vogues, il eût fallu commencer par supprimer les garçons, les filles et les cabaretiers; je puise ces informations-là chez le bon Puitspelu et ses Vieilleries Lyonnaises, une véritable mine. C'est que ce mardi 30, dernier de septembre, la vogue redevient d'actualité puisque dans une joyeuse pagaille, ses stands vont se dresser sur le boulevard de la Croix-Rousse une fois de plus. Je dis une fois de plus, car on ne sait jamais si cela ne sera pas pour la dernière fois, tant la polémique sur les fêtes foraines (les fêtes baladoires disait-on jadis) à l'intérieur des villes se fait vive.
En 1873, Puistpelu raconte que les vogues les plus courues étaient celles de la Croix-Rousse et de Perrache - celle qu'on appelait « la vogue aux choux », en raison de la présence de nombreux jardiniers parmi les forains. Pétrus Sambardier, lui, évoque longuement dans un article qui date de septembre 1934, la vogue du Pont Lafayette. A cette occasion, il dit qu'il « serait intéressant de faire un petit inventaire de ce qui a disparu, de ce qui semble vieillir et de ce qui se présente de nouveau dans les attractions foraines. Cette étude, rajoute-t-il, enlèverait leurs illusions à ceux qui croient à la prochaine disparition des vogues ». Le plus ancien vestige des vogues de jadis, c'est dit-il « le tir aux tableaux comiques peints naïvement, dont les deux volets s'ouvrent en musique lorsque le tireur a mis sa balle sur le coqueluchon-cible, large comme un matefaim. »
Autres anciennes baraques : les loteries de vaisselles ( devenues loteries de nounours et autres peluches). Parmi les nouveautés de 1934, Sambardier relève « la multiplication de ces charmants petits manèges d'enfants : autos, carosses, motocyclettes, bicyclettes, wagons de chemins de fer » et celle des « manèges nautique ».
Autre témoin digne de confiance, Emmanuel Vingtrinier et son Lyon forain :
« C'est d'un bout à l'autre du boulevard de la Croix-Rousse une véritable cacophonie : charivari des tambours, de cymbales et de cornets à piston, musque enragée de cuivres faux, de grosses caisses et de chapeaux chinois; hurlements de fauves dans leurs cages de fer, aboiements de chiens; appels furibonds d'industriels et de barnums : venez voir les Puces savantes dans leur travail extraordinaire... Pour deux sous le remède à tous les maux... A la lutte ! A la lutte !... »
En 1898, Vingtrinier parle déjà de ligues anti-foraines et de gens délicats rebutés par l'odeur des lampions à la graisse dans les baraques en toile.
Les gens délicats d'aujourd'hui évoquent davantage les gênes de stationnement occasionnées pour leurs quat-quat' et autres que les odeurs de graillon, et se plaignent du chevauchement de la vogue et des marchés, sur ce boulevard, disent-ils, bien encombré : C'est qu'ils sont, eux, (mais s'en rendent-ils compte?) bien encombrants... Le maintien de cette vogue, dans un arrondissement de Lyon, certes, en pleine mutation, doit être considéré comme une sorte de survie heureuse de traditions populaires séculaires. Car il ne faut pas oublier que la vogue de la Croix-Rousse reste l'ultime survivante de toutes celles qui firent jaillir sur le pavé tant de cris de fête et de joie; malgré son aspect quelque peu uniforme (elle se réduit de plus en plus à la multiplication de stands plus ou moins identiques), son caractère commercial évident (eux-aussi vous diront que « tout augmente ») dans le fracas et les lueurs de ses manèges, elle a encore, je crois, quelque chose à murmurer à l'oreille de nos routines plus ou moins décolorées.
06:53 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : vogue, actualité, lyon, fête foraine, société, langue française |
lundi, 29 septembre 2008
Mobilier urbain
Abribus : Refuge où s'abriter en cas de faillites répétées de grandes banques américaines
Bancs publics : Sièges collectifs pour se reposer ensemble afin d'échapper au Grand Stress universel.
Bornes anti-stationnement : Voir bancs publics
Corbeille de propreté : Cavités en plastique où balancer ses idées noires et celles de ses voisins. Les conteneurs sont des corbeilles pour grands dépressifs solitaires.
Grilles d'arbres : De l'avis d'Alceste, ça devrait être interdit. Si les hommes ont, après tout, le droit de mettre en cage leurs prochains, il s'arrogent inconsidérement celui d'emprisonner les arbres.
Jardinières urbaines : Au contraire des maraîchères, plat non comestible. Lieu où s'ennuient des fleurs.
Miroirs de surveillance : Où Edvige se refait une beauté.
Panneaux électoraux : Miroirs aux alouettes
Poteaux haute visibilité : Pour ne plus avoir la vue basse
Poubelle accueillante : Suivre le lien
Toboggans : Attractions de rues, réservés aux vieillards du baby-boom qui veulent garder la forme : ne se prend qu'à rebrousse-pente
07:32 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (12) | Tags : actualité, société, langue française, mobilier urbain |
jeudi, 25 septembre 2008
La fable des abeilles
Parasites ? Pesticides ? Portables ? Les abeilles, comme les humains, perdent le nord et souffrent de troubles comportementaux. Frappées par de multiples pathologies, elles seraient menacées de disparition imminente. On s'interroge, ça et là, sur leur sort; des titres alarmants fleurissent. L'apocalypse des abeilles serait-elle le prélude à celle du genre humain ?
Bernard Mandeville, en 1714, avait déjà lié le destin de ces bourdonnants insectes à celui du roseau soi-disant pensant. On sait le rôle que joua par la suite sa fable des abeilles dans la critique du capitalisme et de ses fondements immoraux. Dans son texte, la ruche devenait une métaphore du royaume : « Ces insectes imitaient tout ce qui se fait à la ville, à l'armée et au barreau, vivaient parfaitement comme des hommes, et exécutaient, quoiqu'en petit, toutes leurs actions. »
Dans un autre contexte, la ruche a souvent servi d'allégorie à la conception de la Cité idéale. Son organisation a fasciné autant de théoriciens politiques que de moralistes. Et voilà qu'à l'ère technologique, la petite abeille, dans la dérégulation générale du monde économique, continue d'accompagner l'homme jusqu'en ses pires craintes, et ses plus noirs pressentiments.
08:09 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : politique, actualité, société, capitalisme, abeilles, mandeville |
mercredi, 24 septembre 2008
Entre les murs de la fiction
Après celui du flic et celui du commissaire, celui du détective et de l'espion, d'autres métiers font l'objet de « créations littéraires & cinématographiques. » Il y a eu les médecins d'Urgences, les instituteurs de l'Instit, il y a désormais les professeurs avec cette curieuse palme d'or décernée au printemps dernier. Le genre policier n'a jamais posé problème car il s'est toujours défini comme un genre, précisément : à part quelques idiots, je pense que tout le monde faisait clairement la distinction entre le commissaire Maigret et un commissaire normal; tout le monde, malgré les prétentions scientifiques très grossières de Zola, faisait la distinction entre Jacques Lantier et le conducteur de la locomotive Paris-Le Havre. On l'espère du moins.
Tout le monde fera-t-il la distinction entre cette classe de quatrième qu'on nous montre et la réalité ? C'est moins sûr. D'abord parce que tout est fait pour brouiller les pistes : auteur/prof mettant en récit son métier (François Bégaudeau), faux-acteurs juvéniles et enthousiastes, vrais-décors (collège et collégiens Françoise Dolto, paris XXème), bref : tout est là pour, après une partie de télé-réalité, jouer au cinéma-réalité. L'argument de vente (qui serait d'ailleurs un contre-argument à mes yeux) : c'est une vraie classe de 4ème ! Mais alors, si c'est une vraie classe, quel est intérêt d'aller la voir sur la toile ? Je serais un enseignant de collège, je ne le ferais qu'à condition d'être payé en heures sup', non ? D'autant plus que c'est très à la mode, les heures sup'. Mais moi, payer pour ça ! Bref.
L'intérêt, le titre du long métrage le suggère, c'est, comme au théâtre, de transformer la toile en quatrième mur pour pénétrer dans la classe. Article de Paris-Match : "La grande force de frappe de ce film est de nous faire rentrer dans une classe avec le réalisme d'un reportage" Nous, parents, citoyens du monde d'après-l'école, on se paye une petite régression, on retourne à l'école, on accompagne notre marmaille, on mate, on juge. La presse de ce jour est emplie d'articles où l'on donne, un peu comme chez le bêtifiant Delarue, la parole à chacun-chacune : "C'est nous en exagéré" disent des gamins dans les colonnes d' Ouest France. Pourquoi ce nous, clanique autant que clonique, me met-il si mal à l'aise ? Parce qu'il abolit le moi, dans la bouche de celui qui le prononce. Pire, même, il prend sa place.
Tout comme d'ailleurs la pseudo-réalité du pseudo reportage est en train de prendre la place de la fiction sur l'écran; tout comme une espèce de fiction contamine la réalité des collèges et des lycées. Dans certains établissements, on organise des sorties scolaires au ciné du quartier. On va aller voir le film ensemble, et puis on ira se voir au cinéma, et puis on en parlera après, et puis on organisera un débat, et tout ça fera un cours ! Si c'est ça la France métissée, il faudra qu'on m'explique en quoi elle est moins ridicule que la France profonde ! Il y a des profs, j'en suis sûr, qui vont trouver tout ça très bien, très bien... Des parents, aussi. Et, bien sûr, des collégiens. Evidemment ! Eux, cependant, ont quelques excuses. Mais les adultes ! Pauvres parents. Et surtout, pauvres profs !
Il parait que ce film, que je n'irai pas voir, se dirige vers les Oscars. Pour représenter la France sarkozienne, après le navet de Cotillard en carton-pâte, c'est vrai qu'on ne pouvait trouver mieux. Pauvre Education Nationale. L'enseignement de l'Ignorance dont parlait Jean Claude Michea du temps d'Allègre est dépassé : "dans la société du spectacle, écrivait-il alors, un professeur ne peut plus rien enseigner sans devenir lui-même spectaculaire" Qu'on me comprenne bien : ce n'est pas qu'on fasse un film sur l'école ou les professeurs qui me dérange. Il y a bien eu L'Ange bleu, Topaze, Le Cercle des Poètes Disparus... Ces productions là s'affichaient clairement comme des fictions. C'est qu'on fasse des films qui prétendent montrer la réalité et qu'on se serve de ces films pour faire ni plus ni moins une sorte de propagande : voilà qui me conforte dans l'idée terrifiante que la Société du Spectacle est entrée pour longtemps dans l'ère de l'Ignorance de l'Enseignement... Orwell rajouterait : dans celle de la propagande.
18:17 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : actualité, société, cinéma, éducation, entre les murs |
mardi, 23 septembre 2008
Hamlet's performance
Me tombe sous la main le dossier d'une compagnie théâtrale lyonnaise que je ne citerais pas. Je recopierai simplement là ce que je lis, assorti de quelques commentaires bileux entre parenthèses.
HAMLET 4 GO. Création / Performance. Du 5 au 7 février 2009.
Performance (Il doit, Kantor, se retourner dans sa tombe) avec comédiens, danseurs, plasticiens (pas de noms propres cités; on est humble)
D'après Williiam SHAKESPEARE (on apprécie le d'après, très couru ces temps-ci depuis l'Inferno de Romeo Castellucci d'après le malheureux Dante. Après Dante, donc, Shakespeare tombe en enfer. Dans cette novlangue outrecuidante, d'après signifie en réalité sans - C'est Hamlet sans Shakespeare : c'est pour ça que, plus haut, on parle - de façon un peu péremptoire, certes, de création ) Ceux qui veulent des explications peuvent les trouver là. Je continue :
"Dans ce système, Hamlet sera omniprésent et totalement absent. (La loi des contraires, si chère à René Char et aux présocratiques, servie à la sauce BTS en communication marketting) Nous tâtonnerons individuellement et collectivement. (traduction : nous sommes tous des artistes. Vous aussi, public... Sauf que, NDLR, seuls ceux qui sont sur scène - et qui sont de moins en moins artistes- sont payés..) Nous jouerons de l'objet téléguidé, nous serons des dominants dominés, nous appuierons sur des boutons. (Cela doit faire référence à quelque scénographie incluant de la technologie : waaaouuuuh : quelle audace ! - pour traduire la dialectique du regardant/regardé, joueur/joué, arroseur/arrosé...) Nous inventerons, malgré nous, d'autres logiques, nous provoquerons des collisions (appréciez ici l'emploi des indéfinis - autres notamment, qui me rappelle le fameux "faire de la politique autrement" = on fera donc du théâtre autrement. C'est à dire qu'on n'en fera pas. Ou qu'on fera autre chose ). Nous serons les maîtres du monde, nous déciderons du chaos total ou du silence absolu. ( Tudieu !) Nous serons têtus et peut-être pervers. ( Autosatisfaction, quand tu nous tiens, tu ne nous lâches plus...) Nous ne comprendrons rien. ( Ah ça !) Nous/Vous. "
Pour donner à ce discours une touche intello, une citation d'Anne Giffon-Selle rajoute la petite couche, celle qui manquait au ridicule institutionnel, celle du Trissotin savant, qui achève de rendre le ton de cette brochure jaune et non paginée ( pour qu'on ne s'y retrouve pas ?) conforme et terriblement subventionné : "Derrière la mécanique formelle instaurée par la règle, se joue pour chacun une dialectique entre liberté d'action ou de choix et étroite interdépendance (...) De l'aveu de tous, cette interdépendance entre un individu et un groupe, cette prise d'otage réciproque, génèrent une intimité entre les deux parties, non exempte d'une violence sous-jacente". ( Prise d'otages... Hmmm. Le trait d'époque est creux, maladroit, démago, pour ne dire qu'un mot. )
Ce pauvre Hamlet, (" La dernière figure de l'intellectuel en Occident", disait Yves Bonnefoy dans son cours au Collège de France ) ce pauvre Hamlet, si j'ose dire, resucé a cependant son prix : 12 euros tarif plein, 6 euros tarif réduit. Le jeudi, précise-t-on, c'est gratuit.
On viendra le jeudi, promis.
Avec tomates et oeufs pourris.
Pour foutre le boxon.
15:33 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : théâtre, shakespeare, hamlet, société, performance, lyon |
lundi, 22 septembre 2008
Essai de rentrée
C'est une des rares bonnes nouvelles de cette rentrée prétendument littéraire : la ré-édition de Orwell anarchiste tory de Jean Claude Michéa.
J'ai découvert Jean Claude Michea, comme beaucoup de lecteurs, en l'an 2000, à l'occasion de la parution de son petit livre bleu, l'Enseignement de l'Ignorance. Bel oxymoron, à l'époque où Claude Allègre, le grotesque et rougeaud Hardy de Jospin, imposait à un corps professoral (sidéré de découvrir que le socialisme était l'un des meilleurs alliés de la droite libérale) la réforme planifiée par l'OCDE; réforme dont X.Darcos, agrégé de lettres et ministre de Sarkozy, fait avaler en toute tranquillité les dernieres couleuvres à une opinion publique occupée à compter ses sous dans un porte-monnaie de plus en plus flasque, et à un corps professoral en pleine déliquescence.
Un peu plus tard, Jean Claude Michea, directeur de collection chez Climats, m'a fait découvrir le penseur américain Christopher Lasch (1932-1994), l'une des figures les plus complexes et les plus originales de la critique contemporaine. De cet esprit lumineux et jusqu'alors inconnu au bataillon, j'ai donc lu successivement La culture du Narcissisme, Le seul et vrai paradis, et, plus récemment, Le Moi Assiégé, tous publiés chez Climats avant que la fort parisienne maison Flammarion ne rachète la petite maison d'édition du sud de la France ( Ah, les déboires éditoriaux, je laisse à cette occasion à Bertrand Redonnet le soin d'en parler.)
Jean Claude Michéa, c'est aussi Orwell éducateur (2000), Impasse Adam Smith (octobre 2002), L'empire du moindre mal (2007). Un travail critique toujours éclairé, un style décapant, le ton du polémiste passé par l'Université : au hasard, ceci, que je prends dans le très joli "Pour en finir avec le XXIème siècle", texte qui servit de préface à La Culture du Narcissisme de Lasch, en cette année particulièrement ridicule que fut l'an 2000 (son passage au nouveau millénaire, son "arrivée des nouvelles technologies", son éclipse, rappelez-vous, j'en passe - et des meilleures) : "Pour s'être laissés déposséder du peu d'autonomie politique qui leur restait par ces bienvaillants tuteurs à l'esprit si ouvert, les vaincus du monde moderne, -c'est-à-dire, comme toujours, les travailleurs et les simples gens - finissent par se retrouver, pour des raisons symétriques, dans la même situation d'impuissance que les ouvriers du XIXème siècle, lorsqu'ils ne s'étaient pas encore dotés d'organisations politiques indépendantes."
Michea, fils de communistes et lecteur passionné d'Orwell, éclaire les zones d'ombre et débusque les compromis du monde assoiffé où nous nous trouvons; monde de narcisses liquidateurs, de progressistes prédateurs, d'ébahis de la vie consommateurs de psychotropes, monde dans lequel le paradoxe tient lieu d'attitude et le double langage de sincérité.
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