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mercredi, 24 septembre 2008

Entre les murs de la fiction

Après celui du flic et celui du commissaire, celui du détective et de l'espion, d'autres métiers font l'objet de « créations littéraires & cinématographiques. » Il y a eu les médecins d'Urgences, les instituteurs de l'Instit, il y a désormais les professeurs avec cette curieuse palme d'or décernée au printemps dernier. Le genre policier n'a jamais posé problème car il s'est toujours défini comme un genre, précisément : à part quelques idiots, je pense que tout le monde faisait clairement la distinction entre le commissaire Maigret et un commissaire normal; tout le monde, malgré les prétentions scientifiques très grossières de Zola, faisait la distinction entre Jacques Lantier et le conducteur de la locomotive Paris-Le Havre. On l'espère du moins.

Tout le monde fera-t-il la distinction entre cette classe de quatrième qu'on nous montre et la réalité ? C'est moins sûr. D'abord parce que tout est fait pour brouiller les pistes : auteur/prof mettant en récit  son métier (François Bégaudeau), faux-acteurs juvéniles et enthousiastes, vrais-décors  (collège et collégiens Françoise Dolto, paris XXème), bref : tout est là pour, après une partie de télé-réalité,  jouer au cinéma-réalité. L'argument de vente (qui serait d'ailleurs un contre-argument à mes yeux) : c'est une vraie classe de 4ème ! Mais alors, si c'est une vraie classe, quel est intérêt d'aller la voir sur la toile ? Je serais un enseignant de collège, je ne le ferais qu'à condition d'être payé en heures sup', non ? D'autant plus que c'est très à la mode, les heures sup'. Mais moi, payer pour ça !  Bref.

L'intérêt, le titre du long métrage le suggère, c'est, comme au théâtre, de transformer la toile en quatrième mur pour pénétrer dans la classe. Article de Paris-Match : "La grande force de frappe de ce film est de nous faire rentrer dans une classe avec le réalisme d'un reportage" Nous, parents, citoyens du monde d'après-l'école, on se paye une petite régression, on retourne à l'école, on accompagne notre marmaille, on mate, on juge. La presse de ce jour est emplie d'articles où l'on donne, un peu comme chez le bêtifiant Delarue, la parole à chacun-chacune : "C'est nous en exagéré" disent des gamins dans les colonnes d' Ouest France. Pourquoi ce nous, clanique autant que clonique, me met-il si mal à l'aise ? Parce qu'il abolit le moi, dans la bouche de celui qui le prononce. Pire, même, il prend sa place.

Tout comme d'ailleurs la pseudo-réalité du pseudo reportage est en train de prendre la place de la fiction sur l'écran; tout comme une espèce de fiction contamine la réalité des collèges et des lycées. Dans certains établissements, on organise des sorties scolaires au ciné du quartier. On va aller voir le film ensemble, et puis on ira se voir au cinéma, et puis on en parlera après, et puis on organisera un débat, et tout ça fera un cours ! Si c'est ça la France métissée, il faudra qu'on m'explique en quoi elle est moins ridicule que la France profonde ! Il y a des profs, j'en suis sûr, qui vont trouver tout ça très bien, très bien... Des parents, aussi. Et, bien sûr, des collégiens. Evidemment ! Eux, cependant, ont quelques excuses. Mais les adultes ! Pauvres parents. Et surtout, pauvres profs !

Il parait que ce film, que je n'irai pas voir, se dirige vers les Oscars. Pour représenter la France sarkozienne, après le navet de Cotillard en carton-pâte, c'est vrai qu'on ne pouvait trouver mieux. Pauvre Education Nationale. L'enseignement de l'Ignorance dont parlait Jean Claude Michea du temps d'Allègre est dépassé : "dans la société du spectacle, écrivait-il alors, un professeur ne peut plus rien enseigner sans devenir lui-même spectaculaire" Qu'on me comprenne bien : ce n'est pas qu'on fasse un film sur l'école ou les professeurs qui me dérange. Il y a bien eu L'Ange bleu, Topaze, Le Cercle des Poètes Disparus... Ces productions là s'affichaient clairement comme des fictions.  C'est qu'on fasse des films qui prétendent montrer la réalité et qu'on se serve de ces films pour faire ni plus ni moins une sorte de propagande : voilà qui me conforte dans l'idée terrifiante que la Société du Spectacle est entrée pour longtemps dans l'ère de l'Ignorance de l'Enseignement... Orwell rajouterait : dans celle de la propagande.

 

18:17 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (24) | Tags : actualité, société, cinéma, éducation, entre les murs | | |