vendredi, 04 janvier 2008
La belle époque du pouvoir d'achat
On parle beaucoup, et à juste titre, de pouvoir d'achat en ce début d'année 2008. Qu'en était-il il y a un siècle ? Voici, à titre indicatif, quelques tarifs concernant les transports, restaurants et spectacles proposés aux Parisiens en 1900 :
TRANSPORTS : Tarif des fiacres à deux places pris aux gares ou dans la rue : 1fr 50 (le jour) pour la course et 2 francs par heure. La nuit, cela grimpe 2fr 25 et 2 fr 50. Métropolitain parisien : Un carnet de dix tickets, en première classe coûte 2fr 50; En 2ème classe 1 fr 50; Une place d'impériales en autobus revient à 15 centimes. En intérieur, c'est 30 centimes. Avec ce billet, on peut effectuer des correspondances dans tout Paris. Bien sûr, la carte orange n'existe pas. Mais on peut emprunter les bateaux mouches pour un prix unique de 10 centimes, du pont d'Austerlitz à Auteuil.
RESTAURANTS : Dans un bon restaurant à carte chiffrée du quartier de l'Opéra, voici ce que vous dégustez pour une somme de 10 fr 30 : coquille de saumon ou de turbot ou rouget de vin blanc à la gelée - filet sauté financière aux truffes ou entrecôte aux fonds d'artichauts farcis - meringue glacée aux fraises - fromages divers, 1 bouteille de vin ordinaire, couverts et pourboire. Les étudiants disposent, par exemple, du café d'Harcourt, à proximité de la Sorbonne, qui leur propose un menu complet avec 2 plats, dessert et 1/2 carafe de vin pour 2fr75 à midi et 3 fr le soir.
DIVERTISSEMENTS : Au théâtre, le prix du fauteuil varie entre 5 fr (théâtre Antoine et théâtre Cluny), 8 fr ( Comédie Française) et 14 fr (Opéra). L'entrée des bals publics ( Moulin de la Galette, Moulin-Rouge, Elysées-Montmartre, Salle Wagram...)est de 1fr pour le cavalier et 0,25 pour sa dame. Dans ce qu'on appelle alors les "brasseries de femmes", un bock revient à 30 centimes, tandis que le tarif pour le champagne en cabinet particulier varie de 12 à 15 francs.
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lundi, 31 décembre 2007
Tables d'antan
Dans ses Oisivetés du sieur Puitspelu, Clair Tisseur inaugure un genre de littérature fort spéciale, la littérature gastronomique. Manger, affirme-t-il, est une chose d’esprit par laquelle l’homme se distingue de l’animal. :
« Car ne soyez point assez sots de croire qu’un bon morceau se goûte seulement avec le palais ; il se goûte bien plus avec l’esprit. Le palais n’est qu’un agent de transmission. C’est comme si vous disiez d’un Raphaël ou qu’un Ruysdaël qu’il se juge avec les yeux. Apprenez que vous jugez d’un plat exactement avec les mêmes facultés de comparaison, de réflexion, de généralisation, qui vous font juger d’une pièce de vers, d’un tableau ou d’un opéra. »
C’est pourquoi il n’est de bon repas qui ne se fasse sans commentaire :
« Car, si vous visitiez un musée en compagnie d’artistes amis, ne vous éclaireriez-vous point de vos impressions et de vos idées respectives ? Et ne croyez point qu’un bon repas ne soit pas le meilleur des tableaux ? Manger d’une bonne chose sans en parler, autant dire que les caresses entre amoureux se peuvent échanger sans doux propos »
Le repas pris en commun, voilà ce qui le rend savoureux :
« C’est grand heur que de manger bien et bon, et boire d’autant, mais qui n’existe qu’à condition d’avoir en face de soi des visages amis ».
Ayant défini ainsi les conditions de la bonne table, Puitspelu affirme que « les dîners lyonnais ont plus que tous les autres en partage ce parfum de la cordialité. »
Quelques années plus tard, Vingtrinier prolonge la chanson un peu sur le même air, avec trois chapitres entiers consacrés, dans La Vie Lyonnaise, au « Ventre de Lyon », à « Lyon à table », au « Gosier de Lyon ». Dans la lignée de Nizier de Puitspelu, il cite avec une sorte de mélancolie admirative les immenses plats chargés de viande, de poissons et de légumes qu’on dévorait sous l’Ancien Régime. Énumérations à la Rabelais de volailles (chapons, poules, poulets, coqs d’Inde, canards, oies, pigeons et paons...), de gibiers à plumes (cigognes, hérons, aigrettes, cygnes, grues, perdrix, cailles, ramiers, tourterelles, faisans, merles et mauviettes, bécasses, becfigues, ortolans, gélinotte de bois, poules d’eau, sarcelles, canetons sauvages, outardes, râles) ou à poils (lièvres, lapins, daims, faons) et de poissons d’eau douce (ablettes, anguilles, barbeaux, brochets, carpes, chatouilles, écrevisses, goujons, lancerons, perches, tanches, truites, ombres...). De quoi se désoler du manque d’opulence des tables démocratiques, conclut-il, « la Révolution ayant coupé l’appétit à ceux dont elle avait épargné la tête. ».
Pouvoir d'achat en berne, moral, dit-on, dans les chaussettes, les Français termineraient mal l'année 2007 ? Tsss tsss... On a, il est vrai, l'impression qu'une majorité parmi eux se réjouissent avec Sarkozy d'avoir échappé à Royal, tandis que l'inverse aurait pu tout aussi bien arriver. Souhaitons-nous une année 2008 pleine de santé, prospérité, bonheur, paix et bonne chère, si les uns veulent bien aller de pair avec les autres. Joyeuses fêtes à toutes et tous.
20:20 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, société, lyon, gastronomie, culture, reveillon, sarkozy |
mardi, 25 décembre 2007
Histoire de dame brune...
Le souci commémoratif n'a jamais été aussi commercial que depuis quelques années.Dans les allées climatisées des centres de distribution de la culture, on voit s'amonceler des compilations d'œuvres d'artistes morts ou sur le point de l'être (je pense à Aznavour et Salvador, par exemple).
Bien sûr, tout n'est pas à jeter dans cet effort à l'adresse du bon public de la société de saturation, qui ne sait plus quoi s'entre-offrir durant cette période mièvre de fêtes de Noël. Ces compilations, ça aide, certes... Je me demande ce qu'en aurait pensé Monique Serf, alias Barbara, dont on s'est souvenu, non sans émotion, durant ce mois de novembre, qu'elle nous avait quittés il y a déjà dix années. A première vue, comme ça, je dirais pas grand bien. Son souci d'éviter les plateaux-télé dans lequel le moindre citoyen lambda à présent se précipite tête baissée, au risque de se prendre les pieds dans les fils d'un projo, fut toute sa vie manifeste. Et la dame avait raison. Cela dit, il fallait bien vivre et aimer. Paradoxe du comédien, non des moindres, la scène est un métier public, dont il convient bien sûr honorer les exigences. N'empêche. Brel, son grand copain, dans le coffret-tombeau qui est à lui aussi dédié, déclare :
« et vous ne trouvez pas indécent, en 1967, que des gens soient encore obligés de montrer leur cul ? » Que dirait, à présent, le Grand Jacques ? Siècle de goujats ! Société de masses...
« Je ne peux pas me servir des morts qui ne sont pas les miens », déclare la longue dame brune à Denise Glaser, dans un enregistrement bien ancien de Discorama . Notre enfance, ni plus ni moins. Qui a connu un peu Barbara, de fait, sait qu'il y a un avant-Nantes comme un après Nantes. Comme il y aura par la suite un avant Perlimpimpin et un après- Perlimpimpin. Avec beaucoup de délicatesse, de prudence et de talent, Barbara a su approcher un à un tous les éléments de son drame personnel pour l'envelopper derrière une confidence, dont elle apprit à son public qu'elle devait, cette confidence, devenir peu à peu un art - ou n'être pas : La confidence esthétisée, au risque de simplifier tragiquement celle qu'on se fait entre infirmes, très sérieusement, en se livrant ce qu'on appelle des secrets, au coin d'un trottoir. La confidence sublimée par la note et par l'articulation : écoutez-là, puisque c'est aujourd'hui jour de Noël, ar-ti-cu-ler les mots dents, puis gants, par exemple, dans la chanson pleine de légèreté et de gravité (ou de l'alliance des deux) intitulée Joyeux Noël. Ecoutez-là vous dire, yeux dans les yeux : « la so-li-tu-de... »
Née en 1930, Monique Serf était, malgré son métier, quelqu'un de discret, quelqu'un - cela me fait drôle de l'écrire - d'un autre siècle. A sa poursuite, j'ai couru un temps les routes de France et de Hollande, et campé non loin de son piano dans le provisoire du théâtre des Variétés ou de Bobino. Son approche de la scène était empreinte de la conscience du temps qui passe, de la mort qui vient, de l'amour qui illusionne, et de l'art, seul capable de figer l'instant de la mort comme celui de l'amour. Recréer chaque soir, comme si le temps qui passe n'avait plus d'incidences, le même rituel, au geste près, au souffle près. Et, derrière le voile de cette maitrise technique, laisser croître en lui l'émotion du spectateur, comme monte la mayonnaise. J'avais vingt ans, et cela m'épatait :
« La scène est un pouvoir, disait-elle. Mais c'est un faux-pouvoir ».
Toute la loyauté, toute l'honnêteté de Barbara est dans cette deuxième phrase. Voilà ce qu'on ne comprend plus trop, aujourd'hui, mitraillés que nous sommes par de faux-artistes technologiquement assistés : Le grand artiste n'est pas là pour mystifier les autres, ni pour les corrompre ou les manipuler : bien au contraire, son art, tout en même temps qu'il mystifie, démystifie. C'est cela le paradoxe. Tenir en haleine pour libérer l'haleine. Elle chantait la mort, l'enfance, l'amour, pour se libérer de la mort, de l'enfance, de l'amour. Toute la carrière de Barbara fut ainsi un long voyage pour aller d'un point A (parler de soi à soi-même devant les autres) à un point C (parler des autres à soi-même devant soi) en passant par un point B (parler de soi aux autres devant soi-même). J'utilise ces concepts soi, soi-même, autre, qui ne sont qu’approximatifs. Il faudrait d'ailleurs en rajouter un quatrième, inventé pour l'occasion, l'autre-même, auquel elle dédia « sa plus belle histoire d'amour. Question chez elle, non pas de sincérité (Dieu que ce mot est exécrable en matière artistique !), mais de moralité. Question, hélas aussi, d'un autre siècle...
08:35 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : noël, barbara, société, chanson, variété, culture, consommation |
lundi, 24 décembre 2007
Ginger, Fred, et la nuit de Noël
C'est une émission enregistrée pour être diffusée une nuit de Noël dont l'enregistrement sert de fil conducteur à l'intrigue de l'avant-dernier film de Fédérico Fellini, Ginger et Fred. Tourné en 1985, c'est à dire en pleine montée du berlusconisme, le film est bien sûr une satire aussi méticuleuse que délirante de la télévision privée : Une télévision qui ne se contente déjà plus d'être vulgaire et abrutissante. Déjà, déjà, elle se révèle cynique et dictatoriale. « Géant au pied d'argile », certes, à laquelle le vieux Fellini, qu'on sent poindre derrière Marcello Mastroianni, tire un malicieux mais direct bras d'honneur comme à travers les années, en profitant de la panne d'électricité qui interrompt le numéro de claquettes de ses deux personnages. Au fil des séquences de Ginger et Fred, Fellini ne se lasse pas de filmer des écrans de postes en fonction, dans le petit car qui conduit les « artistes », à la réception de l'hôtel, dans la chambre et le restaurant. Au beau milieu des foules, au cœur des conversations, la télévision s'installe et déverse des programmes immondes : matchs de foot où l'on ne voit que des pieds, sitcoms jeux et concours idiots, recettes de cuisine à vomir, variété toc et publicités obscènes.
Il y a, dans cet envahissement, quelque chose qui tient de Big Brother : la télé surveille et enferme chacun des personnages à qui elle n'adresse donc pas indûment la parole. En clair, on ne lui échappe pas. En témoigne ce plan étrange dans la chambre d'hôtel (cf photo ci-dessus) où Amélia regarde par la fenêtre en laissant le vide devant la télé allumée. Elle est seule, de dos. Toujours coiffée de son chapeau, comme figée dans une présence étourdie au monde. Le film pourrait devenir un bref instant une fable poignante sur la solitude, particulièrement celle des soirs de Noël. Car n'est-ce pas en ces soirs-là, soirs de réveillon, que la télévision se fait particulièrement ignoble ? Particulièrement obscène, avec ses talk-shows préenregistrés et servis à peine retiédis ? Or, à l'extérieur aussi, Amélia se trouvera cernée, balayée par une lueur orange et le faisceau d'un projecteur inquiétant qui tourne dans la rue et ne cessera plus de tournoyer à l'intérieur de sa chambre, sur le relief de son fauteuil, dans les draps de son lit.
Avec Ginger et Fred, Fellini capte tout le processus de la représentation du Réel qui, de Hollywood à Cinecittà, a fini par se déglinguer complètement et priver petit à petit le monde de l’homme. Avec ce film, il nous plonge tous dans le vide d'un non-sens menaçant, érodant peu à peu le vingtième siècle finissant. Ce qui est frappant, dans la réalité qu'il montre, c'est qu'elle n'est plus qu'un amas de détritus ( gros plans sur les poubelles) où l'on s'appauvrit (interventions des nouveaux-pauvres), où l'on vieillit, tandis qu'en se montrant à la télé, on s'enrichit, on rajeunit. D'où la course à la notoriété, même illusoire, même éphémère, à laquelle même un amiral drapé dans sa dignité ne peut résister. Plateau de télé dans lequel on se doit donc de pénétrer en silence et en file indienne, "comme à l'église" déclare ironiquement un personnage, où un parterre de fidèles massés sur des bancs en toc attend sous les projos sa nourriture d'immanence. Pauvre, pauvre humanité, n'a-t-elle pas eu ce qu'elle méritait, à force d'avoir créé ce tourbillon d'oubli d'elle même ?
Avec Ginger et Fred, fable sur ce qu'on peut attendre un soir de Noël de la société libérale - je vous laisse deviner quoi - Fellini filme la défaite de la pensée chère à Finkielkraut, celle qui nivelle en plaçant sur le même plan (celui du divertissement pour infirmes) Marcel Proust et Clark Gable, un amiral et un terroriste, un moine et une danseuse de cabaret. Mais il y a pire : lorsque le couple de danseurs comprend que pour faire le spectacle, la télévision n'a plus besoin d'eux, mais n'a besoin que d'elle-même, on comprend que pour faire le monde, le monde, pareillement, n'a pas besoin de nous, mais seulement de lui-même. La mégastructure a bouffé toute la place. Premier des trois films testaments que filma Fellini avant de nous quitter (il meurt huit ans plus tard, le 31 octobre 1993), Ginger et Fred est une terrible leçon sur la Fabrique de l'Illusion et aussi un constat attristé de la disparition du Réel. Ce soir, c'est Noël. Si vous êtes seul, faites ce que vous voulez : lisez un livre; écrivez une lettre; promenez vous dans les rues; allez à la messe. Mais de grâce, éteignez la télévision!
10:00 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fellini, noël, cinéma, ginger et fred, télévision, littérature, société |
lundi, 17 décembre 2007
Empire Français
En 1939, la Banque de France propose à Clément Serveau, sur le thème de l'Empire Français, la création d'une nouvelle coupure de 5000 francs : il s'agissait de représenter une allégorie de la France, autour de laquelle se grouperaient des types ethniques de ses principaux territoires étrangers.
Sur le recto du billet, que découpe l'horizon rectiligne, l'artiste a déposé un savant dosage bleu et blanc. La Mère Patrie, vêtue aux couleurs de la Méditerranée la plus limpide, vous regarde avec une souveraine et presque christique solennité, entre un paysage de la côte basque et un panorama du port de Rabat. Au verso, sur un fond de fleurs françaises et exotiques, un enfant noir, d’épaisses lèvres rouges, des cheveux crépus, un nez aplati ; de même que, sur de plus anciennes vignettes, le prolétaire portait tous les stigmates de sa classe jusque dans le portefeuilles des nantis et des riches, ainsi sur celle-ci, l'indigène noir amène tous les stigmates de sa race dans celui des habitants de la métropole. Dépaysement garanti : Les "colonies", comme on disait alors !
Côte à côte, non loin de lui, ses deux frères en provenance des autres versants de l'Empire. La mère Patrie veille sur eux-tous, puisque la République est alors un Empire, le second du monde ! On rappelait curieusement au citoyen de la Métropole occupée que l'espace colonial français s'étendait sur 12 347 000 km² terrestres, soit environ 8,6% des terres émergées. La rose, la jeune, la sobre, la sérieuse, la vaillante mère Patrie, devant un faisceau de drapeaux multicolores... Placée en équilibre au centre exact du billet (le nez juste à l'endroit où on le plie en deux), avec son col blanc croisé, son cou droit, sa sobre chevelure de jeune fille catholique devenue laïque mais toujours emplie des meilleurs sentiments à l'égard de ses prochains. La mère Patrie les embrasse tous, ses enfants de l'Union Française, autre nom donné à ce billet.
Le repérage à l'identique de la figure centrale, sur l'une et l'autre face du billet est particulièrement réussi et valut à la Banque de France d'élogieuses appréciations des imprimeurs et instituts d'émission étrangers. On commença l'impression de ce billet de Clément Serveau (1886-1972) à Paris, en mars 1942, en pleine Occupation. Il ne fut mis en circulation que le 5 juin 1945. Mais trois ans plus tard, le 29 janvier 1948, il fut brusquement retiré de la circulation sur décision de M. Schuman, président du Conseil, afin de mettre définitivement fin au marché noir. Chaque foyer dut rendre les billets en sa possession, toute transaction de ce billet devenant brusquement passible de 6 mois à 5 ans d'emprisonnement ou de 100 à 100.000 d'amende. Sur la photo ci-contre, on voit la foule parisienne se pressant devant le siège parisien de la Banque de France afin de se mettre en règles sans tarder. Les plus pessimistes durent, ce jour-là, se souvenir de l'échange de tous les billets français de juin 45.
Un tableau, publié par Le Monde quelques semaines plus tard indique que les agriculteurs furent, bien avant les rentiers et les industriels, les principaux déposants. L'opération fut couteuse pour l'Etat (estimée à 1 milliard et demi). Sans doute fut-elle une sorte de prélude symbolique à la décolonisation en cours, à laquelle la Quatrième République naissante n'allait pas résister : Est-ce un hasard ? A Delhi, le même jour, on tirait trois coups de revolver sur Gandhi, alors qu'il se rendait à la prière. L'histoire était en marche et le temps des empires en train de passer.
08:05 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : littérature, numismatique, argent, société, billets français, colonialisme |
dimanche, 16 décembre 2007
Des porcelets à l'épreuve des hommes
Premiers porcelets transgéniques obtenus par clonage : un article pour fond de tiroir
Dans un communiqué de presse daté du 11 avril 2001, la société britannique PPL Therapeutics (à l'origine de la brebis clonée Dolly) annonce le clonage des premiers porcelets transgéniques. Objectif de cette première mondiale : ouvrir la voie à la création d'organes destinés à être greffés sur l'homme. Une création à la chaîne qui supprimerait les mois d'attente de cœurs, foies, reins... couramment observés aujourd'hui.
Si des cochons ont déjà été clonés l'année dernière, la nouveauté réside ici dans le fait que les cinq porcelets reproduits sont tous porteurs d'un marqueur génétique étranger qui a été introduit artificiellement dans leur ADN. PPL Therapeutics espère ainsi créer des animaux doté d'un patrimoine génétique "humanisé" dont les organes ne provoqueraient plus chez l'homme les réactions de rejets interdisant aujourd'hui leur utilisation
Si on n'en est pas encore là, PPL Therapeutics estime que cette première « démontre la faisabilité d'un tel projet aux potentialités considérables" (...) Les cochons sont l'espèce préférée pour les xénotransplantations »*.
Espèces préférées, peut-être, mais ceci n'est pas sans soulever de nouvelles inquiétudes : et si ces greffons humanisés étaient porteurs de virus, inoffensifs chez les porcins mais pas chez l'homme?**. Décidément, les Anglais sont toujours à la pointe...
En tous cas, et selon PPL Therapeutics, les essais cliniques de greffe d'organes de porc transgénique sur l'homme pourraient démarrer d'ici 4 à 5 ans. Un marché juteux qui pourrait se chiffrer à quelque 5 milliards de dollars, uniquement pour les organes entiers. Ceci expliquant certainement cela...
Xénogreffes de porcs, une panacée ? Signalons que d'autres méthodes sont aussi aujourd'hui envisagées. L'espoir de maîtriser la culture de cellules souches humaines en laboratoire offre par exemple une solution de choix, pouvant mener à terme à la production d'organes exempts de tout problème...
* Greffe d'organes d'une espèce à une autre. Soulignons que des valves de cœur de porc sont déjà utilisées chez l'homme depuis près de 30 ans et que près de 24 tissus conjonctifs (peau, os) d'origine porcine ou bovine sont couramment employés en médecine humaine.
** Une équipe américaine a récemment démontré qu'il était possible d'infecter des cellules humaines cultivées en laboratoire avec des rétrovirus naturellement présents chez les porcs.
13:30 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : science, technique, société, cochons, didier |
mardi, 27 novembre 2007
Le novembre des canuts - Dernier épisode
Ce n'était pas encore Grenelle, ce n'était que l'Ancienne Préfecture à Lyon, rue Confort. Et nous étions le 23 novembre 1831. Le préfet Bouvier Dumolart, homme matois et expérimenté, conscient que désormais, il incarne à lui seul l'autorité gouvernementale et ne peut demeurer inactif, réfléchit.
« Les ouvriers compagnons, écrira-t-il dans ses mémoires, avaient seuls pris les armes; mais les chefs d'ateliers n'avaient point participé à l'insurrection. C'est en eux que je cherchais ma force. Et c'est en eux seuls que je pouvais la trouver, dans l'état de démoralisation et de réprobation où se trouvait la garde nationale aux yeux de la partie agissante de la population. Je me hâtai de les convoquer. Et je fis en même temps publier la proclamation suivante : OUVRIERS ! Vos présidents de sections vont se rendre auprès de moi pour rechercher, de concert avec vos magistrats, les moyens de soulager vos malheureux états de souffrances; ce sont de bons citoyens. Placez en eux toute confiance, écoutez-les quand ils vous diront que votre premier besoin, comme le nôtre, est le maintien de l'ordre et le rétablissement de la tranquillité publique. »
Aux seize chefs de sections, Bouvier Dumolart donne lecture du placard séditieux imprimé par l'Etat Major provisoire installé à l'Hôtel de Ville. L'indignation des chefs de section est immédiate. Elle est d'autant plus vive que les rédacteurs de l'affiche menacent en fait directement le pouvoir de ces chefs de section, en décrétant de nouvelles élections de syndics. Aux yeux de ces hommes modérés, qui étaient à l'origine, il faut le rappeler, du mouvement du 25 octobre, et parmi lesquels ont trouve Charnier, Falconnet, Bouvery, les membres de l'Etat major qui siégeaient à l'Hôtel de Ville ne pouvaient avoir de légitimité, puisque Lacombe et ses sbires s'étaient auto-promus et auto-désignés à l'issue d'une nuit folle et d'une sorte de coup d'état municipal digne d'un vaudeville : le pouvoir, dans cette perspective, appartenant au sens propre à celui qui le ramasse le premier. Après s'être indignés oralement, les seize chefs d'ateliers s'offrent donc à rédiger une protestation écrite, qu'ils signeraient et qui serait, à son tour affichée dans la ville. (On imagine, à la lecture de cette série de placards successifs et contradictoires, la perplexité de la population) C'est ainsi que, dans la même matinée, cette proclamation du préfet finalement est affichée :
« Ouvriers, respect à la loi, respect à la propriété. Ne souffrez pas que des malveillans se glissent dans vos rangs pour faire calomnier vos intentions. Vous m'avez appelé votre père, et je veux l'être de bons enfans. Lyon, en l'hôtel de la préfecture, le 23 novembre 1831. Le Préfet, Du Molart. ".
C'est ainsi que la proclamation d'un second état-major représentatif du mouvement est aussi publiée, ce qui confirme le fait que les ouvriers ont désormais deux "têtes" : « LYONNAIS ! Nous soussignés, chefs de sections, protestons tous hautement contre le placard tendant à méconnaître l'autorité légitime, qui vient d'être publié et affiché avec les signatures de Lacombe, syndic ; Charpentier Frédéric et Lachapelle. Nous invitons tous les bons ouvriers à se réunir à nous, ainsi que les citoyens de toutes les classes de la société, qui sont amis de la paix et de l'union qui doit exister entre tous les vrais Français. Lyon, le 23 novembre 1831. Boferding, Bouvery, Falconnet, Blanchet, Berthelier, Biollay, Carrier, Bonard, Labory, Bret, B. Jacob, Charnier, Niel, Buffard, Sigaud, Farget. Approuvé par le préfet, Du Molart. »
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vendredi, 09 novembre 2007
Le novembre des canuts : Premiers coups de feu
Le 16 novembre, le représentant des chefs d'atelier Charnier écrit au préfet Bouvier Dumolard, afin de lui signaler quelques fautes d'impression sur les affiches du Tarif, toutes effectuées d'ailleurs au détriment des fabricants, et qui étaient sources de contestation entre ceux-ci et les chefs d'atelier.
Charnier croit-il encore au pouvoir ou à la parole du préfet ? Difficile à évaluer. Depuis l'hiver 1825, Pierre Charnier réfléchit aux "abus" dont souffre la Fabrique, et tout particulièrement ceux dont les chefs d'atelier en premier lieu, les compagnons en second, sont victimes. C'est lui qui est à l'origine de la première Association de Surveillance et Indication Mutuelle entre les membres de la corporation, ancêtre du Devoir Mutuel :
« Dans l'association, nous pourrons puiser toutes les connaissances de mécaniques et de droit industriel, toutes les consolations à nos maux. Nous apprendrons que l'homme pauvre n'est pas un pauvre homme, que cette dernière dénomination n'appartient qu'à l'homme dépourvu de probité. Axiome puissant pour nous procurer à résignation nécessaire à notre sort. Quand nous serons tous pénétrés de notre dignité d'hommes, les autres habitants de la cité dont, sans nous en douter, nous faisons depuis longtemps la gloire et la richesse, cesseront d'employer la mot canut dans un sens railleur ou injurieux. » Ainsi parlait Charnier.
Le préfet lui répond le 18 novembre que « les erreurs qui peuvent exister doivent être rectifiées d'un commun accord entre fabricants et ouvriers. On doit en agir à cet égard comme on l'a fait pour le tarif et l'autorité ne peut intervenir que pour interposer sa médiation, si elle est nécessaire. » Le 19 novembre, écrit Bouvier du Mollard dans ses Mémoires, « les 104 fabricants signataires du Mémoire adressé au ministère, encouragés par la connaissance qui leur fut imprudemment donnée de l'improbation du Tarif par le gouvernement de Casimir Périer, s'entendirent pour refuser tout travail aux ouvriers. »
Les ouvriers, quant à eux, quelles que soient par ailleurs leurs sympathies ou tendances politiques, refusent de travailler à un prix plus bas. La situation est inextricablement bloquée. Le même jour, à une séance du Conseil des Prudhommes, on lit une lettre de Bouvier Dumolard qui déclare que le tarif est seulement un engagement d'honneur et qu'il n'est nullement légalement obligatoire. Manière prudente de répercuter la position de l'autorité parisienne sans désavouer la sienne propre.
Dès lors, le Conseil cesse de condamner la non-observation des conventions du tarif. Les délégués des chefs d'atelier au Conseil des Prudhommes ne purent évidemment considérer cela que comme un évident "déni de justice" Selon Charnier, « cela a beaucoup contribué aux malheurs dont notre cité a été le théâtre ». De part et d'autre, l'irritation devient extrême face au camp opposé. Les représentants des compagnons reprennent leurs visites de chaque atelier, afin de vérifier qu'aucun métier ne fonctionne et que la solidarité s'organise. On dit même qu'ils ont commencé, depuis quelques jours, à collecter des fusils auprès des maîtres, et que parmi ces derniers, très peu leur en refusent.
Le lendemain, 17 novembre 1831, on affiche dans la rue Tolozan, à la Grande Côte et à la Croix-Rousse des placards manuscrits donnant rendez-vous à tous les ouvriers « pour dimanche et lundi prochain », c'est à dire pour les 20 et 21 novembre. Les avis du commissaire central Prat sont, à ce sujet, très alarmants :
« Tous les rapports que j'ai reçus aujourd'hui, soit de mes amis, soit de mes agents, soit de messieurs les commissaires de police, m'annoncent que lundi (21 novembre) les ouvriers en soie veulent se faire justice des fabricants qui ne veulent pas leur donner de l'ouvrage ou qui refusent de payer le tarif. Les uns disent qu'ils doivent se réunir au Grand Camp, les autres qu'ils descendront de leurs quartiers pour se porter en masse aux Capucins. »
De fait, ceux qu'on appelle les canuts avaient eu le temps de bien s’organiser. Quelques centaines de chefs d'atelier étaient déjà goupés dans le Mutuellisme, et presque tous dans le Mutuellisme élargi. Et leur exemple avait été suivi par les compagnons. Outre ces organisations économiques, une partie était regroupé en une association plus politique : Les Volontaires du Rhône. Beaucoup de chefs d'atelier faisaient aussi partie de la Garde Nationale. Un certain nombre possédaient des fusils. Pris en masse, ils n'avaient certes pas un sentiment d'agression; ils voulaient tout simplement cesser de travailler jusqu'à ce que les fabricants, fatigués de voir leurs commissions en retard, auraient enfin consenti à les rétribuer au prix du tarif. Mais la morgue de ces fabricants, l'inconséquence de l'autorité politique avaient heurté les esprits et froissé les sensibilités. C'était suffisant pour regrouper tous ceux qui, autour du métier à tisser et sur les mêmes paliers, dans les mêmes immeubles, les mêmes rues, le même quartier, avaient le sentiment de partager le même sort injuste.
08:10 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : politique, croix-rousse, canuts, société, culture, lyon, révolte |
lundi, 05 novembre 2007
Le novembre des canuts : Premières dérobades
Depuis le début de l’automne 1831, la somme des impôts exigée à la classe ouvrière de Lyon s’étant trouvée triplée, voire pour certains cas quintuplée, les maires de Lyon et des communes environnantes avaient signalé au préfet en place, Bouvier du Molart le risque imminent de troubles à la tranquillité publique. A titre d'information, les salaires, pour les compagnons tisseurs, n’excédaient pas un franc par jour, quand le kilo de pain valait en moyenne 0,40 franc. Et de fait, dès le 8 octobre 1831, fut convoquée une première assemblée générale de chefs d’ateliers ; on y divisa en 40 circonscriptions la ville de Lyon et ses faubourgs, ce qui permit de répartir les 8000 chefs d’ateliers d’alors en sections de 200 chefs d’atelier. Leur revendication principale était de contraindre les fabricants à augmenter le prix de la façon.
Le 10 octobre une nouvelle assemblée exigea que fût créée une commission permanente de négociants et de chefs d’atelier. Deux jours plus tard, avec l’aide de l’adjoint au maire de Lyon Boisset, qui jugeait utile l’établissement d’un tarif au minimum pour le prix des façons, vingt deux commissaires furent désignés pour siéger dans la Commission du Tarif et établir ce tarif dans l’intérêt commun des deux parties, chefs d’atelier et négociants. Le 16 octobre, le préfet recevait une adresse de la part de cette Commission, laquelle était lue dans les assemblées générales de chefs d’atelier. Le 18 octobre, la Commission Centrale était reçue par Bouvier du Molart à la préfecture de Lyon, située encore place des Jacobins (voir gravure), tandis qu’un cortège de 150 compagnons défilait en chantant la Marseillaise dans les rues du plateau de la Croix-Rousse. Le 21 octobre, sous la présidence du préfet, en présence des maires de Lyon et faubourgs, se tint une première réunion qui promit de fixer le tarif avant le 1er novembre. Quatre jours plus tard, le 25 octobre 1831, tandis que la Commission rencontrait à nouveau le préfet pour signer le tarif qui venait d’être voté, un cortège de 6000 compagnons et apprentis s’avançait en silence vers la place des Jacobins, « sans armes ni bâtons ». Selon le journal le Précurseur : « c’était à la fois l’ordre et le désordre et, dans le désordre même, il y avait le calme et la régularité d’une organisation qu’on eût difficilement supposée dans une manifestation d’ouvriers. »
En cette journée du 25 octobre 1831 le préfet Bouvier Dumolard pouvait écrire au Président du Conseil : « J’ai joué dans cette grave circonstance le rôle de médiateur et de conciliateur. Ma voix a été entendue. Une augmentation considérable a été librement consentie. Je suis dix fois plus fort que je n’étais ce matin, et je vous réponds de la tranquillité publique ». La population de la Croix-Rousse,quant à elle, fit la fête dans les rues de la colline jusque tard dans la nuit. On pouvait penser que tout allait revenir en ordre, et que les jours à venir seraient des jours de bonheur.
Lorsque fut affiché le placard du Tarif, le 27 octobre, une grande effervescence gagna la population. On promettait son application pour le 2 novembre. Au même moment circulait un prospectus annonçant la création d’un journal par actions, « L’ écho de la fabrique, journal des chefs d’atelier ». Dans son premier numéro, daté du 30 octobre, L’Echo de la Fabrique livre un résumé des négociations en cours et annonce la création d’une « association générale et mutuelle de secours pour parer aux besoins de ceux qui manqueraient d’ouvrages par l’égoïste spéculation de certains chefs de fabrique, ou qui ne pourraient travailler en raison de maladies graves ou de malheurs imprévus ». Cependant, de la Croix Rousse aux Terreaux, des rassemblements d’ouvriers impatients de voir la tarif promulgué appliqué par les fabricants, se déroulaient, chaque jour plus nombreux.
Mais le tarif voté tardit à être appliqué, les fabricants ayant usé de toutes les arguties pour le repousser. Une réunion des Volontaires du Rhône eut lieu le 1er novembre, présidée par le chef d’atelier Lacombe. Suite aux nombreux refus, voire dans certains cas aux menaces que quelques fabricants avaient déjà concrètement opposés à plusieurs tisseurs, le 2 novembre, des rassemblements d’ouvriers se déroulèrent à nouveau à la Croix-Rousse. Depuis le 31 octobre, une cinquantaine de femmes, découpeuses de châles, s'étaient réunies place des Carmes dans l’intention, disent-elles, de briser une mécanique. Pendant ce temps-là, les négociants utilisaient leurs amis parisiens pour persuader le président du Conseil, Casimir Périer, de l’illégalité de ce nouveau tarif, dans lequel ils feignaient de ne rencontrer que leur future ruine. Le 3 novembre, la grogne monte encore d’un cran : compagnons et apprentis menacent désormais tous ceux qui travaillent en deçà des prix fixés par le tarif de déchirer les pièces sur leurs métiers. La tension est partout sensible.
Les délégués des chefs d’atelier commencent à perdre la direction du mouvement lorsque à leur tour, les compagnons décident de s’organiser en commissions. Le 4 novembre, Richan, maire de la Croix-Rousse, tente de raisonner les ouvriers. En vain. Le préfet Bouvier du Molart, de son côté, fait placarder un avis dans lequel il invite les « honnêtes gens à ne pas se mêler aux groupes afin de ne pas nuire à l’action répressive de la police » Au soir, un cortège se forme aux Terreaux. Des cris fusent : « A l’eau, la garde nationale ! Au Rhône, les artilleurs ! » Deux ouvriers en soie, un teinturier, un mousselinier (soit quatre ouvriers de la Fabrique ), deux pâtissiers, un boulanger, un tailleur, un voiturier et un ouvrier de la Manufacture des Tabacs, en tout dix personnes, sont arrêtées.
11:00 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lyon, société, politique, canuts, révoltes, histoire, culture |