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mardi, 21 avril 2015

La Queue, remarques de lecture, par Michèle Pambrun

« Seul l’amour peut saisir les œuvres d’art, les garder, être juste envers elles. » (Rilke, Lettres à un jeune poète)

Quelques remarques de lecture à propos de La Queue, de Roland Thévenet (éditions du Bug, janvier 2015) :

 Les queues de Félix SY ne sont pas si éloignées des manteaux et robes traînantes dont l’usage est, comme chacun sait,  fort ancien.

Habit long et traînant de la tragédie ; habit court, retroussé et rattaché de rubans, de la comédie.

Les premiers porteurs de queues le furent aux cérémonies funèbres, où furent introduits les manteaux noirs à longues queues pour ceux qui menaient le deuil, en réplique des habits qu’on déchire pour marquer sa  douleur, et qui, fendus de haut en bas, traînent par lambeaux (Jacob déchire ses vêtements après qu’on lui a apporté la tunique ensanglantée de Joseph).

« De cet usage des queues traînantes dans les funérailles vint la coutume de les porter dans d’autres cérémonies, et de marquer par les différentes longueurs de ces queues, la distinction qui se devait faire entre les personnes de qualité, particulièrement pour les souverains, princes, princesses, grands officiers et premières dignités des compagnies ecclésiastiques et séculaires (…). Ce qui obligea le concile de Tolède, l’an 1524, de condamner ces superfluités, comme peu séantes à des personnes qui devaient s’éloigner des manières séculières, et peu conformes à un état où l’on doit faire profession de modestie et d’humilité. »

 

Avec La Queue, Roland Thévenet franchit un cap. C’est de vraies queues, attachées aux vêtements, que son célébrissime Félix SY affuble les derrières des Européens.

Il épingle sa première création sur les fesses d’une amie américaine le 21 mai 1981, avec l’arrivée au pouvoir de la gauche ( ?), et dans les décennies qui vont suivre « le port de la queue (devient), tant chez les hommes que chez les femmes, les jeunes que les vieux, un marqueur universel du monde nouveau dans les opinions publiques (p.238). »

Notre auteur n’hésite pas à enfoncer le clou de la « sauce égalitaire » en donnant à la bru de notre milliardaire créateur de queues, le statut de « Commissaire (européenne) de la Justice, des Consommateurs et de l’Egalité des genres. »

L’on voit en quelle estime le romancier tient les hommes (et les femmes) politiques.  Il n’hésite pas à faire s’amalgamer deux registres distincts : le symbolique et l’efficace. Parler de l’égalité des genres c’est aussi la produire, jusque dans sa dimension programmatique, et la montagne ici accouche d’une souris : « Le port de la queue signe la fin de toutes les discriminations de genres » (p.45).

On se rappelle que Félix adolescent, en quittant sa grand-mère Etiennette pour continuer sa formation d’homme, est amené par un sien cousin au château de La Chaize, dans le Beaujolais, et qu’en traversant le jardin du château, lui vient à l’esprit une phrase d’Anatole France (qu’il avait dû copier cent fois pour une question d’orthographe). Cette phrase est dans l’incipit de La Révolte des anges :

L’hôtel d’Esparvieu dresse, sous l’ombre de Saint-Sulpice, ses trois étages austères « entre une cour verte de mousse et un jardin rétréci »…

 lachaize cour verte de mousse.jpg

 château de La Chaize, dans le Beaujolais

Le roman de Roland Thévenet ne cesse, comme tout bon roman, de parler de littérature et l’on pourrait dire, à l’instar de Roberto Saviano parlant d’Anatole France dans sa préface de La Révolte des anges, que Roland Thévenet « se sert de la littérature comme d’un laboratoire imagé capable de subsumer sans aucune règle toute notion et toute connaissance. (Son) roman réussit dans sa titanique entreprise grâce au façonnage littéraire du possible. Dans les pages de (Roland Thévenet), l’imagination prend un caractère concret palpable. Le rêve qui consiste à reformuler la vie, à dévoiler le cœur de la nature et des choses devient réel à travers la puissance constructive des mots. Même si la littérature est libre de mentir sur son authenticité, quand elle renonce à son rôle de proxénète entre réalité et invention, elle agresse cruellement la réalité en transformant la structure moléculaire de la matière en compositions radicalement nouvelles, rendues possibles par la seule et suffisante raison d’être pensables. »

Dans ce roman, Roland Thévenet dessine la figure emblématique d’une société impuissante à aimer.

Une image dès le début : celle du square des Milliardaires, cette résidence qui cache ses riches (quelques ambassadeurs, le secrétaire général adjoint de l’OTAN, des hommes d’affaires, aussi. Et des Français qui sont probablement des… défilés fiscaux), à l’abri de grandes grilles noires, dans le prolongement à angle droit de l’avenue Louise, avant d’entrer dans le bois de la Cambre, dans la partie sud de Bruxelles.

 

Il y aurait beaucoup à dire sur la construction de ce roman et il pourrait s’avérer utile de faire jusqu’à la dernière page, ce que l’écrivain et journaliste Jean-Louis Kuffer  pratique parfois pour ses lectures et met en partage dans son blogue, Carnets de JLK : passer le texte au « notoscope ».

Ce que je retiens en tout cas, c’est que l’analepse (elle-même coupée de prolepses) est utilisée quasiment jusqu’au bout (très peu de pages à la fin pour revenir au Félix septuagénaire et à Anne-Laure), sans doute parce qu’au fond, ce que fait Félix, c’est un retour à « l’esprit d’enfance » : un esprit ouvert à toutes les possibilités, à l’imprévu, à l’inconnu.

« Quiconque n’accueille pas le royaume de Dieu en petit enfant n’y entrera pas »(Lc 18, 17), dit le Christ…

L’onomastique dans ce roman : Lisa / Elisabeth / Mélissa (assistante de vie) : ou Elisa, l’anagramme d’asile…

 

Lire La Queue comme on porte un regard contemplatif soumis à la lenteur du songe en clair-obscur qui s’y trame en silence… Comme un tableau peint par Georges de La Tour…

Saint Sébastien pleuré par Irène :

Un « nocturne » où une femme, Irène, à la lueur d’une torche, sonde les ténèbres mouvantes et stupéfiantes de la mort qui frappe, brise, et n’abolit que pour mieux redresser – nuit immense de la foi mêlant l’angoisse et l’espérance et requérant une veille indéfinie.

samedi, 18 avril 2015

Poésie d'exil

Je suis triste, étouffant les soupirs de mon âme,

Pleine d'émotion,

A l'aspect du soleil qui plonge, tout en flamme,

 

Dans son immersion

Au sein de la mer bleue, éteignant sa lumière,

 

Son éclat et son feu ... .

Les rayons du bel astre éclairent ma prière.

 

Et je souffre, mon Dieu I

Pareil aux blonds épis qui dorent la campagne.

 

Et sont vides et creux,

Je relève le front, bien qu'ayant pour compagne

 

De mes jours, en tous lieux,

Attachée à mon sein, une douleur amère . . .

 

Sans en faire l’aveu,

Je tremble de frayeur, éloigné de ma mère,

 

Et je souffre, mon Dieu !

Je porte mon chagrin sur la vague écumante

 

Qui soupire, ou mugit,

Couvrant le vaste abîme, et ma terreur augmente,

 

Attristant mon esprit . . .

J'aperçois, dans son vol, une blanche cigogne

 

Qui nage dans le bleu ;

Je songe alors, pensif, à ma chère Pologne,

 

Et je souffre, mon Dieu I

Loin de ma mère en pleurs, des miens, de ma patrie.

 

J'erre, pauvre exilé.

Et je cueille des fleurs sur la tombe chérie

 

De mon ange envolé . . .

Ma cendre n'aura pas d'asile au cimetière.

 

Pas de larmes d'adieu ;

Par le vent balayée elle sera sur terre . . .

 

 

Et j'en souffre, grand Dieu !

Oh ! je sais, que malgré mon bon ange qui prie,

 

L'arrêt du sort fatal

Me condamne à passer le reste de ma vie,

 

Sans voir le sol natal.

Et mon nom à périr, sans qu'il laisse de trace

 

En ce trouble milieu,

Où d'autres habitants prendront bientôt ma place

 

 

Et j'en souffre, mon Dieu ! 

 

JULES SLOWAÇKl 

 

Juliusz_Słowacki_by_Tytus_Byczkowski.PNG

 

13:50 Publié dans Des Auteurs, Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : poésie, romantisme, exil, jules slowaÇkl, littérature, pologne, mélancolie | | |

mercredi, 15 avril 2015

Plus con qu'un belge

« Bruxelles et son sacré collège de fonctionnaires, ses députés engraissés à débattre du dogme et servir la soupe aux lobbys d’un côté; la rue grecque et ses suicides, ses grenades, ses échines courbées, ses gueux tristes, ses milliers d’affiches et de graffitis et ses adespotes de l’autre. Là, le puzzle tragi-comique de l’eurozone, ses statistiques, ses budgets prévisionnels, ses experts dressés à coups de masters et de voyages linguistiques; ici, saigné à blanc, un peuple millénaire bras en croix et ventre au ciel, tandis que le reste de la zone, enivré de théories droits-de-l’hommistes, bâfrait cyniquement les dernières miettes du festin »  (La Queue, p 26)

 

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Pardon pour vous, lecteurs belges, mais faut bien dire que  vous donnez raison à Baudelaire, vous, qui avez été les premiers à instaurer le vote obligatoire, Plus cons que vous, il n’y a guère que les Luxembourgeois, qui taxent la moindre entorse à la dictature démocratique de la modique somme de 1000€…

Depuis hier, il y a aussi un Bartolone. J’ai connu jadis un principal de collège à Gagny dont son passage en Seine-Saint Denis n’avait pas non plus arrangé les neurones ; Bartolone, quand il cause, sa suffisance de petit crève l’écran je trouve, et ya bien que lui parmi la clique des jobards pour être pire aussi qu'un Hollandais, non ?

Enfin bref.  Si le vote devient obligatoire, je voterai pour :

 - une fleur

- un produit d’entretien

- ma tante Adèle

- Attila…

 

Quand je pense aux augmentations d’impôts, me prend envie de ….

 

 

mardi, 14 avril 2015

Hillary, Hillary

 "Hillary, soucieuse de sa carrière politique autant que de celle du président, lui fut d’un grand secours, en acceptant d’être filmée avec lui dans les jardins de la Maison Blanche, tous deux accoutrés d’une queue identique, spécialement conçue par les ateliers de Félix. C’était à la fois le signe d’une revanche et d’un pardon, d’une complicité et d’une complémentarité, d’un certain american way of life, qui postule que tout est réparable dès lors que tout dit, et qu’on peut surmonter n’importe quelle crise, dès lors que la communication est au point."   (La Queue, p 43)

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L’avenir se nomme hier. Hillary bat la campagne à bord de sa voiture très middle class. On entend déjà les progressistes français de tous crins s’enthousiasmer : après un Noir, une Femme, une présidente ! Quelle aubaine : quelle émotion ! Changer le sexe après la couleur,  ça va forcément tout changer, d’autant plus qu’à en juger son premier clip, elle est drôlement moderne, Hillary  – mais pourquoi diable les mêmes ne trouvent-ils pas qu’une femme président,  et bien plus jeune même que memé Clinton, ça changerait la donne dans leur propre pays, alors que le personnel politique français leur en tend une sur un plateau, hé hé … Leur argument prend l’eau, dès lors, mais ils le brandiront quand même, car aucun paradoxe ne les effraie, prétendant qu’une femme président c’est forcément un changement quand la queue se  porte à gauche – à supposer d’ailleurs que la mamie milliardaire fût à gauche. Le magazine Elle, en tout cas, du microcosme hexagonal, vote déjà Hillary, et ce n’est qu’une première couverture, Madame Figaro suivra, vous verrez.L’avenir se nomme vraiment hier. Mais nous n’avons pas trop de leçons à donner à des Amerloques qui devront choisir entre une Clinton bis et un Bush ter.

 

Les mêmes progressistes franchouillards, dont le sang se glace à l’idée d’un duel Sarkozy - Le Pen, sont prêts à voter pour un septuagénaire à une primaire UMP, pour ce même Juppé contre lequel la France entière s’était  dressée il y a de ça, si je me souviens bien, presqu’une vingtaine d’années… Jeunesse, tu as du souci à te faire...

18:43 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : hillary clinton, bush, juppé, politique, la queue, communication, démagogie, fin de l'histoire | | |

jeudi, 09 avril 2015

La Queue, dans la Zone

Merci à Elisabeth Bart pour sa lecture attentive et son analyse de La Queue,  parue dans La Zone. J'y relève ce parallélisme :

 

"Á cet égard, on pourrait rapprocher La Queue de Soumission, le dernier roman de Michel Houellebecq, s’il n’était entre eux une différence radicale. Chez Houellebecq, le protagoniste narrateur, prototype du nihiliste, finit par se soumettre à la république islamique; d’ailleurs, il ne se prend jamais pour un rebelle. Le personnage de Roland Thevenet, Félix Sy, est autrement plus complexe : il joue le jeu social en maître du jeu, il ne se soumet pas. "

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Greta Garbo dans Grand Hôtel

"I want to be alone"

mardi, 07 avril 2015

La Queue, sur Off-Shore

A retrouver ICI la lecture par Philippe Nauher de La Queue. Une lecture en trois points, la satire du design, la face tue de Kerouac, et la « préoccupation de l’auteur devant un monde occultant son héritage chrétien ».

Je ne sais à ce propos si, sans la coïncidence avec les fêtes de Pâques, l’insistance du pape François durant tout le week end pour interpeller la « communauté internationale » et l’émoi soulevé dans une partie de l’opinion hexagonale, Valls aurait finalement réagi et invité le patron de la RATP à revenir sur sa décision de retirer la mention « pour les chrétiens d’Orient » de l’affiche des Prêtres. La manière dont la RATP s’est ridiculisée à propos de cette mention d’abord retirée, puis réaffirmée, ses ineptes allégations de laïcité, tout ceci en dit long sur les porteurs de queues qui nous dirigent, hélas !

Encore merci à Philippe pour son billet.

 

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vendredi, 03 avril 2015

L'inconnu de la rue saint-Jean

L’enterrement  achevé, nous  nous sommes réunis autour d’une table, puis nous nous sommes tous quittés vers quinze heures. J’étais triste, fatigué, troublé.  Je suis descendu à pied jusqu’à Trion, de là en funiculaire jusqu’à Saint-Jean. Je me suis assis sur un banc au fond de la primatiale et j’ai dû m’y assoupir  un long moment. En ressortant, j’ai trouvé le parvis légèrement humide, et c’est alors que mon regard l'a croisé.

Avec un peu de technicité, cela pourrait former une nouvelle fantastique. Mais je n’ai pas envie de jouer avec cela. Il ressemblait vraiment au mort que je venais de quitter là-haut, dans l’ancien cimetière de Loyasse. Vraiment. Tel un sosie allant tranquille.  Il portait un pantalon de velours, une veste, une écharpe, la même calvitie que lui ramenée six ou sept en arrière, Il vaquait lentement, d’un pas de touriste très posé, contemplant la façade de la primatiale d’un air dubitatif, présent à ce sur quoi son regard se posait,  absent à tout le reste, vraiment, songeur,  les mains derrière le dos.

Un sosie : le même visage, tout comme LUI à six ou sept ans de ça en arrière,  et l'exacte même stature d'avant sa maladie : je l’ai dépassé, j’ai fait semblant de nouer un lacet pour l’observer mieux.  Le nez levé, lui détaillait le moindre détail des immeubles Renaissance, très engagé dans chacun de ses regards, et toujours comme flottant, la mine à la fois intriguée par le lieu qu’il découvrait et indifférente aux gens qui l’entouraient, le pas calme et aérien, le dos droit, inclinant parfois la tête pour vérifier qu'il marchait bien sur du sol.

J’ai beaucoup d’imagination, j’aime depuis toujours douter de ma raison, ma vieille et pauvre raison si répétitive dans son fonctionnement, car rien ne m’ennuie autant qu’une certitude surtout lorsqu’elle est rationnelle, mais à cet instant…  J’ai réprimé l’envie d’aller lui parler, car m’adresser à lui, c’était chercher la preuve qu’il n’était pas une apparition, ni une hallucination vivante. Personne d’autre que moi ne faisait attention à lui, ce qui renforça mon trouble. Il paraissait invisible d’eux tous,  de toute façon, me disais-je, qui s’intéresse aux vieillards, dans une rue ?

Personne, nous le savons tous.  Je me suis malgré tout saisi de mon smartphone et je l’ai photographié de dos. Puis j’ai vérifié presque fébrile que la photo, elle aussi, fût bien réelle, que je n’étais pas en plein rêve éveillé. La rue Saint-Jean calme, sur son pavé gris il faisait bon. Je l’ai alors doublé, presque rassuré. J’ai pressé le pas.

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Cliquez sur la photo pour l'agrandir 

Un nouveau doute, cependant. Devant la loge du Change, je me suis accroupi, faisant mine de m’intéresser aux travaux, mais guettant sa lente progression. J’ai pu détailler longuement son visage aux traits si semblables à celui de mon parrain mais à l’expression différente de toutes celles que je lui avais connues, comme s’il découvrait chaque pierre de ces immeubles et d'un regard, leur donnât tout leur prix, absorbé totalement et sans aucune autre expression que cet air autant neutre que contemplatif, si contemplatif que j’en ai eu le frisson. J’ai songé à nouveau à aller lui demander son nom, comme pour quémander sa réalité, mais je n’ai pas osé. La raison qui est en moi m’a fait sentir que c’était aller trop loin dans sa remise en cause, une entreprise de démolition, et pourtant…

Nous vivons dans des enclos intellectuels sans reliefs, nous ne connaissons quasiment rien de fiable à 100% n'en déplaise à tous nos prix Nobel, sinon qu’un jour nous serons morts : Et de cette évidence, tout ce que nous faisons, pensons, désirons  cherche à nous en divertir au sens le plus strictement pascalien quand mourir, ce n’est peut-être rien d’autre que passer ainsi d’un monde à l’autre, le pas tranquille, se laisser glisser sans peur, paisible et lumineux vers un lieu dont nous ignorons tout, dans l'approche duquel il faudra placer un jour toute notre attention.

jeudi, 02 avril 2015

Le parrain

En sortant de la messe chrismale hier soir les gens se comptaient, « revigorés », disaient certains. L’amphithéâtre principal et toutes les salles attenantes emplies, c’est vrai que l'Eglise de Lyon avait repris des couleurs !  Atavique ce besoin -et ce qui que l’on soit - électeurs, fans, abonnés, clients, groupies, de se compter.  Me rends compte combien j’ai toujours été solitaire, n’aimant rien de moins que les messes de Fourvière à sept heures du matin, ou celles, anticipées du samedi soir à Saint-Denis. Un lien, peut-être avec la dislocation de ma famille, antérieure déjà à ma naissance, comme un goût de péché originel ou de malédiction antique.

On enterre ce jeudi mon parrain qui n’a pas voulu de messe – tout le paradoxe d’une France entière qui n’a plus de contact avec sa religion historique que culturel, et encore, en cette seule phrase -  et voilà qu’à la messe chrismale, tout à l’heure, oui je dis bien la messe chrismale, cet homme qui m’a porté jadis aux fonts baptismaux avant d’égarer sa foi dans la folie du siècle, cet homme avec son apparent déni de Dieu flotta en ma compagnie ou moi en la sienne, je ne sais plus, tandis que le cardinal Barbarin sur écran géant –nous n’avions pu entrer dans la salle et nous nous contentions du relais video – parlait de saint-Chrème, de baptême et d’extrême onction.

Et moi, fou, je demandai à Dieu tel un autre signe qu’il nous envoyât pour porter l’hostie dans ce hall gigantesque où tout le monde attendait, debout ou assis à même le sol,  un prêtre connu de moi parmi la multitude qui se trouvaient autour de lui, et ce fut le recteur Cacaud lui-même, le recteur même de la primatiale saint-Jean qui vint par devers nous. Etait-il, ce parrain, comme une amie me le suggérait hier soir, dans l’amour implicite de Dieu, « plus proche de Dieu, en effet, que bien des bigots » ? C’est en effet ce que je ressentais, dans cet instant de communion.

Il sera enterré ce jeudi. Un jeudi saint.

Requiescat in pace.

08:24 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : louis carlier, lyon, france | | |

mardi, 31 mars 2015

Tête Brûlée

Il n’a pas voulu de messe. Il a traité sa mort comme le reste, avec la rudesse atavique de sa lignée. Et pourtant c’est à l’orée de la Semaine Sainte qu’il a rendu son dernier soupir. Une grâce : comme si Dieu se fichait pas mal de notre volonté propre Le concernant.

Il a été enthousiaste et joyeux sa vie durant, pudique dans l’expression de ses tourments. En son for intérieur, cependant, les maux vifs & les fêlures tues. Difficulté à échanger des mots tendres avec lui. Difficultés ; mais pas des regards. Ni des gestes. Souvenir de ceux échangés, autour de la nourriture, le plus souvent. Et de l’entretien familial de cette tombe vers laquelle le reconduit son destin.

Lyonnais, il le fut sans nul doute plus que français ; et pêcheur de truites plus que républicain. Pour qui votait-il ? Je ne l’ai jamais su. Mais je ne doute pas qu’il conserva d’instinct ses distances vis-à-vis des hommes de droite qu’il dut côtoyer durant toute sa vie professionnelle, tout en nourrissant pour ceux de gauche une méfiance de principe, voire de conviction. Des gens comme lui finissent toujours dans l’abstention.

Son père, me confia-t-il un jour, était une tête brûlée. Son fils, pareillement. Je n’avais alors osé lui demander comment il se considérait, lui, entre ces deux là. De façon quasi théâtrale, il incarna pour moi, gamin, l’homme giscardien dans toute sa gloire, de repas de famille en repas de famille : je veux dire l’Homo economicus, dont l’enfance s’était écoulée durant Vichy, l’entrée dans la »vie active » sous la Quatrième République, l’apothéose sous De Gaulle et Pompidou, et dont la préretraite survenue au bout de tout ça sous Mitterrand, avait sonné comme une médaille solennelle et une douloureuse mise au placard..

Il s’en remit. Il revint à lui-même, son propre cœur, délaissant les costumes et le vocabulaire de ce théâtre d’ombres qu’est l’entreprise. Il retrouva son cercle de bons copains. Quand il éclatait de rire, le pastis avalé, ça s’entendait alentour. Même s’il ne contesta jamais ses lois, je ne crois pas qu’il gardera un magnifique souvenir de son passage dans la République dont les politiciens se gargarisent. De la terre, sans nul doute. La terre et les rivières, polluées jusqu’à l’écœurement.

J’écris ceci avec le Waterman qu’il m’offrit, et dont j’observe la plume avec un drôle d’air, sentant à travers son corps l’encre qui s’écoule sur le papier comme à travers le mien le souffle sur le sillon de ce jour, étrange frisson de la passation, de la continuité sur ce chemin dont nous savons tous où il conduit.

 

De profundis clamavi ad te, Domine.

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19:13 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : louis carlier, lyon, france | | |