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mardi, 31 mars 2015

Tête Brûlée

Il n’a pas voulu de messe. Il a traité sa mort comme le reste, avec la rudesse atavique de sa lignée. Et pourtant c’est à l’orée de la Semaine Sainte qu’il a rendu son dernier soupir. Une grâce : comme si Dieu se fichait pas mal de notre volonté propre Le concernant.

Il a été enthousiaste et joyeux sa vie durant, pudique dans l’expression de ses tourments. En son for intérieur, cependant, les maux vifs & les fêlures tues. Difficulté à échanger des mots tendres avec lui. Difficultés ; mais pas des regards. Ni des gestes. Souvenir de ceux échangés, autour de la nourriture, le plus souvent. Et de l’entretien familial de cette tombe vers laquelle le reconduit son destin.

Lyonnais, il le fut sans nul doute plus que français ; et pêcheur de truites plus que républicain. Pour qui votait-il ? Je ne l’ai jamais su. Mais je ne doute pas qu’il conserva d’instinct ses distances vis-à-vis des hommes de droite qu’il dut côtoyer durant toute sa vie professionnelle, tout en nourrissant pour ceux de gauche une méfiance de principe, voire de conviction. Des gens comme lui finissent toujours dans l’abstention.

Son père, me confia-t-il un jour, était une tête brûlée. Son fils, pareillement. Je n’avais alors osé lui demander comment il se considérait, lui, entre ces deux là. De façon quasi théâtrale, il incarna pour moi, gamin, l’homme giscardien dans toute sa gloire, de repas de famille en repas de famille : je veux dire l’Homo economicus, dont l’enfance s’était écoulée durant Vichy, l’entrée dans la »vie active » sous la Quatrième République, l’apothéose sous De Gaulle et Pompidou, et dont la préretraite survenue au bout de tout ça sous Mitterrand, avait sonné comme une médaille solennelle et une douloureuse mise au placard..

Il s’en remit. Il revint à lui-même, son propre cœur, délaissant les costumes et le vocabulaire de ce théâtre d’ombres qu’est l’entreprise. Il retrouva son cercle de bons copains. Quand il éclatait de rire, le pastis avalé, ça s’entendait alentour. Même s’il ne contesta jamais ses lois, je ne crois pas qu’il gardera un magnifique souvenir de son passage dans la République dont les politiciens se gargarisent. De la terre, sans nul doute. La terre et les rivières, polluées jusqu’à l’écœurement.

J’écris ceci avec le Waterman qu’il m’offrit, et dont j’observe la plume avec un drôle d’air, sentant à travers son corps l’encre qui s’écoule sur le papier comme à travers le mien le souffle sur le sillon de ce jour, étrange frisson de la passation, de la continuité sur ce chemin dont nous savons tous où il conduit.

 

De profundis clamavi ad te, Domine.

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19:13 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : louis carlier, lyon, france | | |

Commentaires

Quel bel hommage. Vous m'avez fait avoir des larmes, alors que bien entendu je ne connaissais pas ce disparu. Quel beau visage, ce regard si franc, ce devait être quelqu'un de bien.

Écrit par : Julie | mardi, 31 mars 2015

Je confirme. Quelqu'un, aussi, que l'histoire aura malmené, dans sa vie personnelle comme dans le destin plus collectif qui est celui de nous tous, même si d'aucuns diront que bon nombre gens furent évidemment bien plus mal lotis que lui.

Écrit par : solko | mardi, 31 mars 2015

Un texte émouvant et énigmatique. Je n'arrive pas à comprendre qui est, était cet homme pour vous. Toujours un indice dans le texte pour faire tomber la dernière hypothèse.

En tout cas c'est un texte qu'on relit plusieurs fois, surpris(e) de son étrange (impossible) familiarité.

Je retiens le pêcheur de truites (écœuré par la pollution des rivières), et l'homme rendu à lui-même, terminato la commedia della vita lavorativa...

Écrit par : Michèle | mercredi, 01 avril 2015

Vous mettez le doigt sur quelque chose de vif : entre le frère ainé et le père occasionnel, l'ami lointain et l'étranger proche, je n'ai pas toujours su moi-même. C'est une impossibilité à la nommer, la définir avec précision, qui finit par définir notre relation. Une relation authentique en tout cas. Qu'importe, dès lors, les mots?

Écrit par : solko | mercredi, 01 avril 2015

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