vendredi, 18 mai 2012
De Merkosy à Homerland
La dernière fois qu’une élection m’a vraiment passionné – parce que malgré ses invectives et ses débordements, celle que nous venons de vivre fut somme toute des plus banales – ce fut le 29 mai 2005. Sept ans, déjà. On votait pour doter l’Europe d’une Constitution. Le rejet du texte, par 54,78% des électeurs mit soudain dans un même camp toutes sortes de gens contre l’Europe des marchés vantée par les grands partis : celui des nonistes face à celui des ouistes : ceux, pour faire court, que cette construction européenne inquiétait face à ceux qu’elle avantageait. Ceux qui avaient commencé à profiter de la disparition des monnaies et des frontières nationales, face à ceux dont non seulement la vie ne changeait pas (pour reprendre un slogan éculé jusqu’à la corde), mais se compliquait davantage. Malgré tout ce qu’elle contient de caricatural, la formule « le peuple contre les élites » fit florès à partir de ce mois de mai-là, faisant mine d’effacer dans le paysage électoral l’opposition gauche/droite, déjà lourdement entamée par de nombreuses et assez fétides cohabitations, ainsi que par le non-renouvellement des générations politiques dans les instances de pouvoir - tradition française ô combien propice à ce que sous la troisième République, on appelait un retournement de veste.
A mon sens, le coup de poker de Sarkozy fut de tenter de ramener vers la droite non pas l’électorat frontiste, comme tous les commentateurs du Wall Street Journal ou de El Pais qui lancèrent l’ahurissant Nicolas le Pen ou Sarkopen le dirent, mais l’électorat noniste de droite qui, bien sûr, se confond avec – mais pas forcément sur les mêmes valeurs. S’il a réussi en 2007, il vient d’échouer en 2012, pour avoir voulu tirer la ficelle des valeurs jusqu’à la caricature extrême. Mais surtout parce que la crise est passée par là, et que les nonistes de droite demeurent aussi actifs et gonflent les voiles du nouveau FN.
En nommant le chiffon Fabius aux Affaires étrangères, Hollande ne cache pas qu’il tente à présent le même coup de poker avec les nonistes de gauche : C’est même à mon avis la raison d’être de cette création récente (et la principale raison de ma méfiance à l’égard du bonhomme qui la porte) : le mélenchonisme. Sans doute est-ce aussi la raison pour laquelle le clivage gauche/droite fut d’un commun accord réinjecté au moins de façon symbolique (faute de mieux) dans les stratégies de communication de cette campagne. Reste à savoir si le coup de poker de Hollande, qui parodie à gauche celui que Sarkozy joua à droite, résistera à l’épreuve de la réalité, c'est-à-dire de la crise. Sans doute est la raison pour laquelle le système, comme on dit, redoute tant une sortie de la Grèce de la zone euro, et qu’il a consacré tant de milliards à rendre terrifiante l’éventualité d’une telle sortie au regard des opinions publiques des divers pays. Le fait qu’on y subisse de plus en plus des fractures sociale, économique et idéologique de plus en plus manifestes rend pourtant le pari périlleux.
L’empire de Charles Quint et celui de Napoléon n’ont pas survécu à leur créateur. Combien de temps tiendra ce monstre technocratique à la monnaie privatisée, aux langues multiples, et aux frontières modulables à chaque traité, chaque élection ? Si l’Europe des nations paraît avoir la vie si dure, ne serait-ce pas tout simplement parce qu’elle est le visage historique du vieux continent, celui contre lequel se dresser est vain ? Au lieu de vouloir le transformer sur le mode américain, on ferait mieux de respecter ses cultures, ses frontières, ses monnaies et ses peuples, et les gouverner afin qu’ils vivent en paix. Finalement, le vieil adage a raison : ceux qui veulent sans cesse changer la face du monde sont toujours ceux qui ont quelque profit à en tirer, c'est-à-dire le plus souvent les riches. Et ceux-là seuls. Pas étonnant que les bénéficiaires principaux de cette Europe soient les actionnaires et les banques, puisque ce sont eux qui l'ont initiée.
10:54 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : europe, traité constitutionnel, politique |
mercredi, 16 mai 2012
Gazette de Solko n°27
20:37 | Lien permanent | Commentaires (17) | Tags : solko, politique, france |
mardi, 15 mai 2012
Une journée normale
Un soleil normal s’étant levé en plein centre d’un ciel normal, la journée qui s’annonçait promettait d’être des plus normales. C’est donc très normalement vêtu d’une cravate normale qu’un homme normal s’apprêtait à entrer pour cinq dans un palais on ne peut plus normal.
Entouré de ses amis normaux, cet homme normal échangea quelques mots normaux avec son prédécesseur anormal, avant d’aller rendre un hommage normal à deux figures normales de la légende nationale, de nommer un Premier Ministre normal et de s’envoler dans un avion normal pour échanger quelques paroles normales avec une Chancelière dont on ne savait plus trop si elle était normale ou non.
C’était, il faut l’avouer, une curieuse époque sur ce vieux continent. Une époque où l’on ne savait plus trop, justement, ce qui était normal et ce qui ne l’était pas, tant chacun avait pris l’habitude de se considérer, lui-même et rien d’autre, comme le centre autour de quoi tout rassemblement normal devrait s’effectuer, tant tout ce qui n’était pas soi apparaissait à chacun comme anormal.
Jamais on n’avait tant parlé de VALEURS avec de telles lettres capitales, c’est dire si ce qu’on taisait depuis des lustres aux électeurs devait être gravissime. Sur sa porte d’entrée normale était placardé un avis d’enquête, au sujet d’un assassinat normal qui s’était perpétré en pleine rue sur un citoyen normal. Cela aussi était normal. La violence était normale. L’endettement était normal. La propagande était normale.
En rentrant de son boulot normal, il alluma sa télé normale. A l’image, le président cligna de ses yeux ronds, semblables à ceux de pigeons des rues, des yeux ronds et normaux, avant de s’engouffrer dans son avion. Le président était normal. Tout était normal. Il put donc s’abandonner à un sommeil normal, comme si la statistique partout régnante était à même de rassurer jusqu’aux fibres les plus inquiètes de son corps. Ah, c’était quand même bon de sentir autour de soi, et jusqu’au fin fond de l’univers, tant de normalité dorénavant régnant sur le monde, tant de justice et tant d’égalité. Il poussa un soupir de contentement, roulé en boule comme un gros chat entre quatre planches en sapin, et commença à ronfler.
07:50 | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : politique, président normal, france |
jeudi, 10 mai 2012
Vivre sans gouvernement...
Nous avons la chance, et nous ne nous rendons pas compte à quel point c’en est une, de vivre quelques jours sans gouvernement. Celui de Fillon a tenu hier son dernier Conseil, celui du nouvel élu n’est pas encore constitué. La Belgique a tenu 535 jours sans, rappelant à l’Europe entière cette lapalissade que ce sont les grands Commis d’Etat ainsi que les Hauts Fonctionnaires qui tiennent en réalité le pays. Combien de temps tiendra Hollande, qui semble penser qu’être normal, c’est passer son temps à signer des autographes devant des caméras dès qu'on quitte sa voiture avant d'entrer chez soi ? Le brave bougre nous a promis que nous apprendrons le nom du Premier Ministre le 15. Tous les paysans du pays nantais le connaissent, paraît-il , mais chut… ça doit être une surprise.
Vivre sans gouvernement : Ces campagnes électorales sont ainsi much ado about nothing. Sauf que ce nothing, c’est l’air du temps plus ou moins pourri dans lequel chroniqueurs et journalistes nous font vivre. On vient de passer un an dans un antisarkozisme frénétique et délétère, qui, comme l’océan se retire, risque de laisser vide la plage sur laquelle le cadavre de la gauche noyée par Mitterrand est en décomposition assez avancée depuis bon nombre d’années. Combien de temps la gôgôche sera-t-elle capable d’illusionner le chaland ?
On nous annonce Vincent Peillon à l’Education nationale. Je peux déjà vous dire que ce sera, comme au beau temps de la cogestion, le bureau national du SNES qui sera ministre, la première mesure de Hollande en la matière étant, paraît-il, d’annuler l’intolérable réforme de la notation des professeurs par leur chef d’établissement que conteste le tout puissant syndicat qui s’apprête à retrouver son café et ses croissants rue de Grenelle. En cet Olympe pédagogique, on doit déjà penser à la réhabilitation prochaine des IUFM ainsi qu’au démantèlement programmé des quelques filières d’excellence qui demeurent en France, à savoir les classes prépas. Ces gens-là sont des forcenés de l’égalitarisme qui ne savent depuis toujours penser les talents et les compétences qu’en termes de pourcentages et de statistiques.
Europe Ecologie Les Verts, une autre officine forte des 2% de Madame Joly, pétitionne (rien que ça) pour faire entrer cette dernière place Vendôme, où elle incarnerait derrière ses lunettes vertes, comme dans une série TV, « une justice indépendante et irréprochable ». Que fera-t-on de l’inénarrable Cécile Duflot ? J’avoue qu’à la place du bon François, je serais bien embêté. Pas au ministère de la radio, par pitié.
« Qui pourrait tenir les rênes de la Rue de Valois ? Et qui serait à même de relever le gant des années Lang, restées phares aux yeux des socialistes » s’interroge Le Figaro. Ah Ah ! Jack Lang ! Ils n’auront tout de même pas le culot de nous le ressortir du congélateur. On prend peur cependant quand on apprend que circule de nom de Martine Aubry, qui avait déclaré au dernier festival d’Avignon s’intéresser vivement à « la culture ».
Il ne nous reste que quelques jours avant la traditionnelle photo pour profiter de ces instants exceptionnels où les affaires courantes semblent se régler d’elles-mêmes et où la piste du salon Murat, vidée de ses clowns, reste agréable à contempler.
Pendant ce temps-là, l’Islande et la Grèce sont elles aussi plus ou moins sans gouvernement, mais pour de vrai….
06:19 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : salon murat, gouvernement, politique, vincent peillon, eva joly, belgique |
dimanche, 06 mai 2012
Au menu de la soirée, du melon hollandais
J’aurai donc clos l’ère Sarkozy tout en corrigeant des copies, et débuté l’ère Hollande tout en faisant de même, preuve qu’au fond les urnes ne changeront guère nos existences. Lorsqu'on songe, pourtant, à la quantité de motivations qui se sont déversées dans l’urne durant toute la journée : ce méli-mélo de passions humaines, le désir, la rancœur, la conviction, l’instinct grégaire, le mépris, l’admiration, l'humour, le sens du devoir, de la provocation, la haine, l’espoir, la crainte, la nostalgie, le cynisme, le calcul politicien, l’idéalisme, l’esprit de contradiction, la propagande, la violence, la vanité, le militantisme, l’adhésion à ou le rejet de ceci, de cela, de son mari, de sa femme, de ses collègues de bureau, l’émancipation ou la fidélité par rapport au vote de ses propres parents, le suivisme envers tel ou tel star ou tel sportif, les consignes, les fidélités claniques, les projections, puis les varia -il y en a qui mettent un bulletin dans l’enveloppe les yeux fermés, d’autres une moitié de chaque petit rectangle de papier, ou un morceau de sopalin-, le tout magma ou lave en fusion coulant de petite main en petite main à travers les lettres (de très légers empattements) qui forment le nom des candidats, une vaste chaîne jusqu’à la décision finale. Alors ce concentré, cet amalgame confère une légitimité à un seul, que le temps forge et déforge.
Mais toi demain, tu seras seul avec la chasse d’eau qui fuit, les résultats scolaires de tes gosses, le prix trop élevé des biscottes ou des bridges en porcelaine, les examens à passer, les factures à régler… Et comme tu sais tout ça, hélas, depuis lurette, t’as peut-être demandé au plus jeune de ta marmaille de dessiner le clown Bozo sur une feuille de calepin déchiré, avec les feutres achetés à Carrefour et c’est ce truc là que t’as glissé dans l’enveloppe, avec le nez rouge et une étoile sur la tête. Du coup ton vote qui est nul te devient précieux tout comme ta vie qu’on juge nulle, parce que tu lui trouves un sens au milieu du méli-mélo des passions que comptent et recomptent les assesseurs. Ou bien tu as suivi un camp ou un autre, convaincu ou bien illusionné, la consigne de l’un ou de l’autre des candidats du premier tour. Alors ta voix, crois-tu, ta voix aura compté ce soir.
Bientôt, tu sais que le cirque va recommencer. Après le président nul, le député nul. Tout ça flatte en toi pourtant un instinct et tu ne saurais dire lequel : l’instinct du vote ? L’instinct grégaire, celui d’un troupeau historique devenu République ? C’est l’école qui t’a appris ça, souviens-toi : Toi, tu appartiens à une famille, à un clan, qui ne causait jamais politique. Sans doute as-tu tôt senti dans leurs yeux combien la politique, le grand père pour commencer par lui, ils en étaient revenus. Le mépris du politicien, ça se boit au biberon. Alors… L’instinct du décideur ? Dans ta caisse en sapin, tu ne diras plus rien, tu ne sauras rien, tu n’auras plus part… Qu’est-ce que ça flatte, au fond ? Qu’est-ce que ça justifie ?
Cette sueur populaire suinte un instant sur un président qui sort des urnes, tout comme le sang sur un nouveau-né. On comprend dès lors que la première des choses qu’il ait envie de faire soit d’aller se doucher, seul dans un bureau, avant de prononcer son discours, qu'on dit inaugural.
Moi président va cependant devoir très vite cesser d’égrener des lieux communs d'un ton de texto sur les valeurs de ceci ou les valeurs de cela. Il va devoir cesser de se rêver en rassembleur ou en pacificateur de je ne sais quelle « France meurtrie » ou « pays à reconstruire », pour commencer à s’agiter, l’air grave, dans une Europe que gouverne cette même BCE à laquelle il a contribué à donner tous les pouvoirs jadis, quand il dirigeait le PS de son rusé tonton, et qui continuera pour longtemps à n’être que celle de la crise, du crédit, de la dette et de la dèche, avec tous les privilèges qui vont de pair…
Les ténors, cadres et autres personnalités du parti socialiste qui ce soir, hélas, tient presque tout le pays, sont chargés de mettre en scène sur les plateaux TV et à la Bastille un remake nostalgique de 1981 ; ces barons prets à investir le pouvoir comme on conquiert un poste dans une entreprise, que leur importe, cette autre élection significative qui se conclut en Grèce, et que bientôt ce soit devant leurs portes closes que les peuples viendront gronder ? Ils se partageront porte-feuilles et maroquins, la langue de bois devenue bétonnée, le rictus toujours en coin.
Pour eux, ce n’est pas du changement ; c’est la Restauration.
Louis François Egalité : Mitterrand III ou Sarkozy II ?
19:59 | Lien permanent | Commentaires (92) | Tags : france, politique, élections, présidentielles |
vendredi, 04 mai 2012
Les pères de la République ont tonné
En traitant naguère Sarkozy « d’enfant barbare », Bayrou prenait face à lui la position de celui qui sait et qui corrige, celle du père qui morigène. En parlant de « cour de récréation » l’autre dimanche au cimetière, François Hollande adoptait ce même point de vue hautain. Ce dernier commente le ralliement du président du Modem à sa candidature de cette façon : « Bayrou a pris conscience que le candidat sortant divisait et que moi je rassemblais ». Rassembler, telle est encore le propre de la fonction paternelle. Les voilà donc réunis tous deux, les Pères de la République pour ce futur quinquennat qui ne s’annonce pas très joyeux, c’est bien le moins qu’on puisse dire.
Quand la saison est prospère, la figure du grand frère qui entraîne les autres en montrant des biceps de caïd fonctionne à merveille ; Sarkozy a séduit en 2007, parce que contre les pères mitterrandien ou chiraquien que le pays venait de subir, il apportait un oxygène salvateur. « Ensemble, tout devient possible » : sa posture symbolique était celle du frère, de l’égal. Sans doute est-ce pour cela que l'opinion ne lui a pas pardonné un dîner au Fouquet’s ou un petit tour sur le yacht de Bolloré, alors qu’elle pardonna à ses prédécesseurs bien pire, un château quasiment payé au frais de l’état ou une table réservée tous les soirs dans ce même Fouquet's. Mais un frère n’est pas un père. Il n’a pas les mêmes droits, les mêmes privilèges ; Sarkozy mit du temps à le comprendre, et ce temps qui passa fut celui de son immaturité. Nul doute que le sérieux Hollande ne commettra pas la même erreur…
Les termes d’aventurier, de voyou qui ensuite ont fait flores ont fini par le ranger du côté – ce qui vu la fonction occupée était particulièrement risible – du mauvais garçon, du transgresseur, que n’a-t-on pas entendu ? Enfant qui n’a pas voulu se plier aux contraintes de la posture présidentielle, et dont on moqua longuement les talonnettes qu’il portait pour faire plus grand. (1) Ne parlons pas du mariage avec Carla, l’ancienne maîtresse de Mick Jagger… Ne parlons pas du nabot. J’ai vu beaucoup de gens, qui n’avaient sans doute jamais jeté un cil sur la Princesse de Clèves, presque avaler leur plastron parce qu’un parvenu de la pire espèce avait ainsi osé mettre en doute l’intérêt de sa présence dans un concours de recrutement de fonctionnaires de catégorie B. Atteinte intolérable au … patrimoine.
Hier, Sarkozy traita rapidement Hollande de « petit père la Vertu ». Aujourd’hui sans aucun doute est-il en train de ruminer la même insulte contre le piètre Bayrou qui sera sans doute Premier Ministre dans un ou deux ans quand la gôgoche en sera venue, le cul pincé, à la saison de la rigueur... Père la vertu !… Ne voit-il à quel point Hollande et Bayrou sont au contraire davantage des fils la vertu, dans leurs postures de rassembleurs ? Des enfants sages, des fils qui jouent aux pères qu’ils ont eus, plutôt que des pères véritables ? La République a-t-elle besoin de ces pères-là ? La République a-t-elle besoin de pères tout court ? Tous deux semblent pourtant avoir touché le point faible de Sarkozy lequel, comme beaucoup de garçons sans père, cherche toujours plus à incarner une grandeur à jamais fantasmée qu’à rassembler des petits autour de soi, cherche inlassablement à devenir, bien plus qu’à ressembler.
Sur le seul plan politique, que Sarkozy veuille « incarner le peuple » est certes aussi risible que Hollande qui prétend le « rassembler » autour de son parti de notables. Je m’interroge sur la stratégie de communication de cet étrange président qui, après avoir occupé cette posture trop virile aux yeux de beaucoup de « l’hyper président », et s’être tant fait tapé sur les doigts comme on reprend un aîné bagarreur, se retrouve à quelques jours de perdre une élection qu’il aurait gagné haut la main face un adversaire aussi médiocre que Hollande s’il avait accepté – mais il en est semble-t-il incapable –de jouer le jeu que la crise et ses faux-semblants exigent de lui, et dont les deux autres sauront si bien adopter (imiter) la posture. En 2007, on avait le choix entre une femme et un mauvais garçon. 2012 signe le retour des Pères de la République( Hollande, Bayrou) celui des fils sages et patients (Valls, Montebourg…), voire de l'oncle invité à la soupe le dimanche (Mélenchon ).
L’ordre, le vrai, celui qui se dit changement. Et comme le rappelle le père Hollande en fronçant le sourcil qu'il a maigre, tout va bientôt redevenir normal. Il faut en partie être aveugle pour s’en réjouir.
(1) Il y a là une vraie question : Pourquoi les hommes politiques, Sarkozy, mais aussi Fillon, Hollande, Bayrou, sont-ils de taille si petite ?
08:37 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (31) | Tags : politique, république, france |
mercredi, 02 mai 2012
Les présidents printaniers
C’est au décès soudain du président Pompidou, le 2 avril 1974, et à la campagne organisée dans la foulée, que nous devons la succession de ces printemps présidentiels au rythme désormais presque aussi vif que celui des joutes olympiques : le 10 mai de Giscard en 74, les 10 et 8 mai de Mitterrand en 81 et 88, les 7 et 5 mai de Chirac en 95 et 2002, le 6 mai de Sarkozy en 2007…
Georges Pompidou avait été élu un 15 juin 1969, juste après la démission en fanfare de son prédécesseur, à la suite du référendum perdu le 27 avril. C'est par de plus sombres et pluvieuses soirées de décembre que De Gaulle avait été élu et réélu, le 21 en 58, le 19 en 65. Ce bouleversement du calendrier électoral a donc fait glisser le pays de l'ère d’un président hautement hivernal à celle de présidents plus platement printaniers.
Avec l'élection de 74, s'installa aussi la routine médiatique du débat… Il faut avouer qu'on imagine mal quelle passion populaire aurait pu susciter dans les chaumières des Trente Glorieuses un affrontement Poher / Pompidou en 69, ni quelle audience il aurait réalisé. Un face à face De Gaulle/ Mitterrand en 65 aurait peut-être eu plus de panache, et l'on imagine plus facilement à présent l'exploitation que pourraient faire de ses poussiéreuses bobines archivées à l'INA aussi bien un prof d'histoire en son collège des cités sinistrées qu'un documentaire culturel sur la Chaine Parlementaire.
Pour zyeuter et noter en tribus celui qui se disputera ce soir entre les deux avocats aussi matois que roués parvenus au second tour, l’un qui fit l’ENA et l’autre pas, on attend plus de 25 millions de téléspectateurs plantés devant les petites lucarnes. En direct, il s’agira de tuer ou non un père, d’en adouber ou non un autre. Chacun sa voix. C’est du moins ainsi qu’on nous présente la chose, bien que nous soyons de moins en moins nombreux à avoir intériorisé cette conception symbolique du pouvoir, qui colle si mal, de quelque coin qu’on l’envisage, à la réalité de la dérégulation des marchés, de la massification des cultures, de la mondialisation des décisions. Avec la multiplication des écrans, le symbolique à papa s’est mué en spectaculaire postmoderne, l'historique en événementiel, et ce glissement d’une saison à l’autre, consumérisme aidant, a quelque peu écorné la statue du Commandeur, héritée de la Rome antique et de ses fougueuses ré-écritures de 1789, avec laquelle, pourtant, nous aimerions encore, gens de gauche comme gens de droite, écrire notre infirme Histoire. Ce soir, donc, on fera semblant.
L’hiver figurait pleinement la saison du symbolique. Au débat, le candidat De Gaulle préféra donc en 1965 la formule de l’entretien révérencieux. Tels ceux, radiotélévisés, qu’il accorda au journaliste Michel Droit, lequel lui donnait du Mon Général à chaque question tandis que pour parler de soi-même, Mon Général évoquait De Gaulle. Depuis les passages de Giscard et de Mitterrand, personnages c’est un fait bien moins considérables, ont triomphé les mots d’esprit et les petites phrases qui font mouche, celles qu’on retient dans l’opinion et qui font les bons titres, le monopole, les yeux dans les yeux... Moins solennels, les présidents printaniers sont également plus festifs, leurs formules ou leurs boutades séduisent vite-fait les tripes du populo contemporain, lequel se complait à y découvrir des signes d’égalité ou de normalité, comme on voudra. Le spectaculaire du printemps demeure le gage de sa superficialité. De sa rouerie, également.
Et puis, bien moins que le joli mois de mai, les frimas de décembre ne permettaient pas ces rassemblements extérieurs si télégéniques, pratiqués désormais d’un Mélenchon à une Le Pen, durant lesquels l’on brandit des drapeaux en se récitant des pages stéréotypées de l’Histoire du pays, sous la tour Eiffel où à la Bastoche, pour faire image et se compter, le soir, au JT.
Certes il ne s’agit pas de regretter l’ordre du symbolique hivernal : il possédait maints travers, maints défauts. Malgré tout, cependant, il faisait encore mine d'incarner le vieux principe romain de l’autorité. Ce que ces présidents printaniers sont incapables de restituer avec leurs propos de communicants plus ou moins aguerris, le spectaculaire ne déroulant sa pellicule que dans le sillon passager de l’immanence. C’est peut-être cela qui me hérisse le plus dans cet antisarkozisme dérisoire devenu lieu commun, et chez tous ces gens qui le proclament en se croyant héroïques, donnant l'impression d'avoir tout dit quand ils n'ont rien dit : « il faut dégager Sarkozy »... Et alors ? Et après ?
Après un avocat en est venu un autre, plus habilement ombrageux, moins outrageusement spectaculaire, mais pas plus garant du symbolique. Celui-là a fait HEC et l’ENA, y a appris le pragmatisme institutionnel et les faux-semblants médiatiques. Hollande ? Un printemps de plus, un qui passera. Et alors ? Et après ? Encore après ? Le consumérisme en politique, comme partout ailleurs, il n’augure rien de bon.
15 décembre 1965 : Le président De Gaulle et le journaliste Michel Droit dans la lucarne
06:14 Publié dans Lieux communs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : ffrance, politique, élections présidentielles |
mardi, 01 mai 2012
Bérégovoy : Derniers sursauts du romanesque
Un romanesque à la Simenon, presque trop criard : ce canal où flotte de la brume, ce camping non loin, dont les discours fleurent bon encore les comices agricoles flaubertiens, la haute silhouette des arbres de Nevers, cette province toute modelée à l’ancienne, où tout chemine lentement, d’une part ; et d’autre part l’or et les scandales des palais de la République, les ponts et les quais striés des lueurs de la capitale, où siègent dans la nuit les silhouettes des bâtisses des chaînes de télés et de radios, des ministères et des banques et, pour faire le lien entre ces deux contrées que tout paraît opposer - la province et la capitale - , une voiture de fonction dont la boite à gants recèle une arme de fonction, roulant à toute vitesse sur des bretelles d’autoroutes quasi désertes d’une part, d’autre part un hélicoptère rapatriant à l’heure du vingt heures le cadavre encore chaud d’un ancien premier ministre au crâne fracassé, de l’hôpital de Nevers où les médecins sont silencieux à celui du Val de Grâce où les médecins se taisent, comme dans une série d’Urgences : un romanesque décalé, pourtant. Un romanesque fané, même, auquel on fait mine de ne plus se prêter. Un romanesque dont plus personne ne veut. Car 1993, ce n’est pas seulement la fin du roman de la rose, c’est également la fin du roman d’un siècle et de celui de la souveraineté d’un pays ; sous ce régime mitterrandien en pleine décomposition, la fin non romanesque d’un peuple, pour faire court.
En d’autres temps, en d’autres lieux, cette affaire Bérégovoy aurait suscité davantage d’engouement et provoqué de franches polémiques au sein de ce même peuple. Mais la France de 1993, déjà abrutie, déjà abâtardie, ne bronche pas. Ne bronche plus. La France de 1993 a déjà tourné sa page Simenon et laisse sur les canaux de Nevers flotter de la brume qui demeure silencieuse; vers un siècle qui arrive à grand pas, la France de 1993 est toute arcboutée, toute tendue ; les affairistes pullulent et le silence est la loi de ce triste fin de règne. Vite. Comme elle a depuis longtemps pollué ses rivières, vendu ses paysans et liquidé une bonne partie de son patrimoine, la France de 1993 se fout de Bérégovoy comme elle se fout de Simenon, tous deux d’un autre siècle, déjà, pour ne pas dire d’une autre civilisation. Vite. Drapée dans son émotion à l’heure du petit noir, l’opinion publique se contente d’un mensonge proprement présenté par les manchettes des journaux de la cohabitation : Dans ce pays fatigué, cette opinion n’a pas plus d’intelligence que la fumée qui flotte sur les canaux de Nevers, guère plus de consistance que celle qui s’échappe de la pipe de Maigret – pardon, de Bruno Crémer jouant Maigret. Vite. Tout le monde sent bien qu’un mensonge latent entoure cette mort, comme tout le monde en sentira un autre entourer bientôt celle de Grossouvre à l'Elysée. Mais tout le monde a bien d’autres chats à fouetter. 1993, cela fait presque vingt ans que le chômage et que la crise économique sévissent. Alors, passé le week-end du Premier mai, la mort de Bérégovoy indiffère assez vite. La mort de Bérégovoy, malgré son romanesque flagrant, ne réveille pas le pays. Et c’est bien cela, le pire. Le vrai drame. Le vrai assassinat ou le vrai suicide, comme on l’entend : car quinze ans plus tard, la mort de Bérégovoy laisse entrevoir à quel point, dans un pays jadis si littéraire, tout romanesque est désormais d’un autre siècle. Ainsi va, ainsi file, désormais, le monde. A rebours du romanesque, ou du cadavre de sa lenteur « suicidé ». Vite.
NB. Ce billet est une ré-édition du 4 mai 2008. En cette période d'étrange renaissance socialiste, le relire n'est pas indifférent.
09:37 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : bérégovoy, littérature, simenon, ps, politique, maigret |
dimanche, 29 avril 2012
Le dernier abencérage
Plutôt que de nous traiter de noms d’oiseaux, nous devrions profiter avec bonhomie et sérénité de ce qui apparaîtra peut-être un jour comme la dernière campagne présidentielle vieille France. Tandis que Sarkozy jette ses dernières cartouches en faisant monter les polémiques afin de se ménager une sortie honorable, le parti socialiste s’apprête à jouer le pari le plus risqué de son histoire en transformant le pays en champ de tulipes dont il contrôlerait toutes les allées. Pendant ce temps-là, celui qui chantait « qu’il y a du soleil sur la France » passe pour de bon l’arme à gauche. Faut-il y voir un mauvais présage ? Et de quel ordre ? Roland Moréno, le français qui inventa la carte à puces à peu près à la même époque (oui, les années 70 furent très productives, ceux qui les vécurent en savent quelque chose) l'a suivi de peu.
Pour ne pas faire retomber la mayonnaise, le 2ème tour français n’est pas achevé qu’on nous annonce déjà le début du show américain. Ce sera ensuite le tour de l’Allemagne. En perpétuelles élections, le monde ! En perpétuelle crise, pareillement... Je ne sais combien l’UMP + le PS + le FN + les petits candidats auront laissé de pognon dans l’affaire. Réinjecté, me direz-vous. Dans l’industrie du papier, celle des sonos, des locations de salles, des barrières de sécurité et des gradins. Rien ne se perd et tout est recyclé. A ce prix-là, tout de même, le téléspectateur attend un bon spectacle pour mercredi soir. Sous Valéry Giscard d’Estaing, nous n’avions déjà plus de pétrole, mais nous avions encore quelques idées. Depuis, nous n’avons plus ni frontières ni monnaie, et nous n’avons plus guère d’idées. Dettes, en revanche. Dettes. Et grands principes, toujours.
Il paraît que Ségolène Royal s’est tirée de l’anniversaire de Julien Dray dès son arrivée en apprenant que DSK et Anne Sinclair étaient aussi invités. Valls et Moscovici ne se sont pas fait non plus prier pour prendre la tangente. Ambiance du prochain quinquennat. Pendant que Hollande fera son remake mollement mitterrandien à l’Elysée, Fillon fera le sien, chichement chiraquien, à l’Hôtel-de-Ville. La même chose en dégradé. Les ors de la sous-préfecture, disputés par de riches chinois et de non moins riches qataris, brillent donc de leurs derniers feux. Ce sont toujours les plus factices.
Hier, il paraît que Gérard Collomb, le bâtisseur de l'OL. Land, soutenait l'équipe d'Aulas auprès de Hollande au stade de France. Aulas a eu sa coupe, Hollande aura la sienne. Quid de Collomb ? Je ne sais pourquoi la tête de Hollande me fait tellement penser à celle de Louis-Philippe. Sans doute qu’il lui ressemble. « Nous vieux témoins des hauts faits, nous sommes obligés de vous dire que vous n’apercevrez là que de pâles et misérables copies. » écrivait François René en avril 1831. Relire la quatrième partie des Mémoires d’Outre-Tombe, celle où le désenchantement lucide de Chateaubriand devant l’imposture du politique s’exprime avec le plus de causticité mais aussi avec le plus de clairvoyance.
Prunelle, un Collomb du temps de Louis-Philippe
14:58 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : roland moreno, eric charden, royal, valls, dsk, politique, aulas, gérard collomb, prunelle, ol, chateaubriand, littérature |