vendredi, 18 mai 2012
De Merkosy à Homerland
La dernière fois qu’une élection m’a vraiment passionné – parce que malgré ses invectives et ses débordements, celle que nous venons de vivre fut somme toute des plus banales – ce fut le 29 mai 2005. Sept ans, déjà. On votait pour doter l’Europe d’une Constitution. Le rejet du texte, par 54,78% des électeurs mit soudain dans un même camp toutes sortes de gens contre l’Europe des marchés vantée par les grands partis : celui des nonistes face à celui des ouistes : ceux, pour faire court, que cette construction européenne inquiétait face à ceux qu’elle avantageait. Ceux qui avaient commencé à profiter de la disparition des monnaies et des frontières nationales, face à ceux dont non seulement la vie ne changeait pas (pour reprendre un slogan éculé jusqu’à la corde), mais se compliquait davantage. Malgré tout ce qu’elle contient de caricatural, la formule « le peuple contre les élites » fit florès à partir de ce mois de mai-là, faisant mine d’effacer dans le paysage électoral l’opposition gauche/droite, déjà lourdement entamée par de nombreuses et assez fétides cohabitations, ainsi que par le non-renouvellement des générations politiques dans les instances de pouvoir - tradition française ô combien propice à ce que sous la troisième République, on appelait un retournement de veste.
A mon sens, le coup de poker de Sarkozy fut de tenter de ramener vers la droite non pas l’électorat frontiste, comme tous les commentateurs du Wall Street Journal ou de El Pais qui lancèrent l’ahurissant Nicolas le Pen ou Sarkopen le dirent, mais l’électorat noniste de droite qui, bien sûr, se confond avec – mais pas forcément sur les mêmes valeurs. S’il a réussi en 2007, il vient d’échouer en 2012, pour avoir voulu tirer la ficelle des valeurs jusqu’à la caricature extrême. Mais surtout parce que la crise est passée par là, et que les nonistes de droite demeurent aussi actifs et gonflent les voiles du nouveau FN.
En nommant le chiffon Fabius aux Affaires étrangères, Hollande ne cache pas qu’il tente à présent le même coup de poker avec les nonistes de gauche : C’est même à mon avis la raison d’être de cette création récente (et la principale raison de ma méfiance à l’égard du bonhomme qui la porte) : le mélenchonisme. Sans doute est-ce aussi la raison pour laquelle le clivage gauche/droite fut d’un commun accord réinjecté au moins de façon symbolique (faute de mieux) dans les stratégies de communication de cette campagne. Reste à savoir si le coup de poker de Hollande, qui parodie à gauche celui que Sarkozy joua à droite, résistera à l’épreuve de la réalité, c'est-à-dire de la crise. Sans doute est la raison pour laquelle le système, comme on dit, redoute tant une sortie de la Grèce de la zone euro, et qu’il a consacré tant de milliards à rendre terrifiante l’éventualité d’une telle sortie au regard des opinions publiques des divers pays. Le fait qu’on y subisse de plus en plus des fractures sociale, économique et idéologique de plus en plus manifestes rend pourtant le pari périlleux.
L’empire de Charles Quint et celui de Napoléon n’ont pas survécu à leur créateur. Combien de temps tiendra ce monstre technocratique à la monnaie privatisée, aux langues multiples, et aux frontières modulables à chaque traité, chaque élection ? Si l’Europe des nations paraît avoir la vie si dure, ne serait-ce pas tout simplement parce qu’elle est le visage historique du vieux continent, celui contre lequel se dresser est vain ? Au lieu de vouloir le transformer sur le mode américain, on ferait mieux de respecter ses cultures, ses frontières, ses monnaies et ses peuples, et les gouverner afin qu’ils vivent en paix. Finalement, le vieil adage a raison : ceux qui veulent sans cesse changer la face du monde sont toujours ceux qui ont quelque profit à en tirer, c'est-à-dire le plus souvent les riches. Et ceux-là seuls. Pas étonnant que les bénéficiaires principaux de cette Europe soient les actionnaires et les banques, puisque ce sont eux qui l'ont initiée.
10:54 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : europe, traité constitutionnel, politique |