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mardi, 02 octobre 2012

Unemployee of the year

Si vous êtes un non-chef de rang dans un restaurant, un non-commercial dans une entreprise ou bien un non-journaliste dans une salle de rédaction, et si vous avez moins de 30 ans, il vous reste une quinzaine de jours pour participer au concours du meilleur chômeur de l’année organisé par Benetton dans le cadre de sa nouvelle campagne Unhate. On se souvient des sirupeux patins que Sarkozy et Merkel, Obama et Chavez, Benoit XVI et  l'imam de la mosquée al-Azhar, Ahmed el-Tayyeb, se roulèrent sur les murs de nos cités l’an passé. Aujourd’hui, United Colors surfe sur la crise et le talent d'illusionniste politique de nos dirigeants européens, de quelque bord qu'ils soient : le concours du meilleur chômeur de l'année est doté d’une centaine de prix de 5000 euros chacun. C'est du chacun pour soi. Et de la com à la fois provocatrice, ingénieuse, généreuse, cynique, subversive, dégueulasse, somme toute bien dans l’air du temps ; de la com foutrement oxymorique, en un mot. Racontez votre expérience de chômeur... Peut-être même aurez vous la chance de finir sur une affiche ... Et les inscriptions sont par ICI  

Même si vous avez passé l'âge limite, allez-y, ça vaut le détour...

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Agence Fabrica, Trévise, Italie

lundi, 24 septembre 2012

Hollande en pays bas

On sortira de la crise par l’Europe. Et pour ça, il faut lutter contre Sarkozy Merkel qui ne sait faire qu’une politique d’austérité inacceptable. Et pour lutter contre Sarkozy Merkel, il faut conduire sur le plan national une politique d’austérité comme elle veut le faire sur un plan européen. Et c’est ce qu’on fait, nous, les socialistes français, on conduit une politique d’austérité sur le plan national pour n’avoir plus à en conduire une sur le plan européen, vous suivez ? Tout ça  pour vous sortir de la crise, hein ! Alors si ça ne vous plait pas, on s’en fout. Y’a que les résultats d’élection qui comptent et on vous a bien niqués, on est là pour cinq ans.

08:25 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (13) | Tags : politique, france, sondage, europe | | |

dimanche, 16 septembre 2012

Fin de vie

Les gouvernants n’ont plus que de la parlotte, et l’influence dont ils jouissent dans les medias, pour encadrer les événements et se donner l’impression qu’ils ont maté l’opinion. Conduit par de si piètres capitaines, ce pays qui confond égalité et non discrimination des minorités s’enfonce dans un marasme intellectuel qui tient autant de la boutasse que du cul-de-sac, pour ne pas dire une sorte de mort identitaire. Ici, la crise est surtout culturelle.

J’entendais tout à l’heure Vincent Lindon affirmer que la question de l’avortement avait été la grande affaire du septennat de Giscard, celle de la peine de mort de celui de Mitterrand, et que la question de la fin de vie serait celle du quinquennat de l’actuel «locataire de l’Elysée » (comme le charlot se définit lui-même, le propriétaire en étant, dit-il, le peuple… Ah ! ah! ah!)

Fin de vie. On ne saurait mieux dire. Le dessin est à lire de droite à gauche...

Hollande Poire Morchoisne ces legumes qui nous gouvernent 22x42 1250.jpg


22:05 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : hollande, politique | | |

samedi, 08 septembre 2012

Entre gens normaux

Arnault fuit la Hollande par la Belgique : itinéraire d'un vilain patron français. On va se retrouver bientôt entre gens normaux, des pauvres égaux et satisfaits. Tout ça promet d'être culturellement gai et enrichissant pour tous. Un humble citoyen de Sa Majesté, Paul Mc Cartney vient, paraît-il, d'être décoré de la Légion d'honneur. On ne sait pas trop pourquoi aujourd'hui, pas de concert annoncé, pas de nouveau disque en vue. 

Hollande a-t-il réalisé qu'il a été élu ? Avec la persévérance du pauvre type traumatisé, il continue à se déterminer par rapport à un Sarkozy que tout le monde a déjà oublié, comme s'il était en campagne infinie. Il demande encore du temps pour trouver son style. A l'âge qu'il a, ça craint. Le vide. Comme si les Français lui demandait du style...  Quelques journalistes tentent de nous intéresser à la vie privée de cette pomme déjà dégonflée en publiant les aventures de Ségolène et Valérie. Bien content de ne pas avoir voté pour lui.

Tout ça fait penser que la Belgique, pour y revenir, a tenu des mois sans gouvernement.  Une manière de leçon donnée au Nord par le Nord.


20:27 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : arnault, politique, france, belgique | | |

jeudi, 05 juillet 2012

Bernanos : Les fantômes de la liberté

« Il n'importe pas de condamner ce monde. Il vaudrait mieux le plaindre. Il a besoin de pitié. Seule la pitié pourrait blesser son orgueil. La psychologie actuelle démontre très bien que l'orgueil n'est qu'une des formes du redoutable complexe d'infériorité. Le monde moderne est un monde humilié, un monde déçu, c'est ce qui le rend furieux. Le sentiment de la ridicule disproportion entre ses réalisations et ses promesses donne à cette fureur un caractère de férocité. Tous les ratés sont cruels. Le monde moderne est un monde raté. Il risque aujourd'hui de se jeter dans le suicide pour échapper à l'intolérable aveu de son impuissance ».

Georges Bernanos (« Le monde moderne est un monde humilié » - interview publiée le 10 février 1939 dans O Journal, et repris dans La France contre les robots)

A quel moment, quelle occasion, ai-je compris que j'avais un besoin pressant, criant, urgent de lire Bernanos, de lire Béraud, de lire Galtier-Boissière, de lire Jean Giono, de lire Louis Guilloux - nés successivement en 1888, 1885, 1891, 1895, 1899 ? C'était il y a dix ans, à peu près, que j'ai ressenti le besoin du témoignage de cette génération, pour me laisser par eux expliquer ce qu'avait été le monde avant que leurs fils ne s'en emparent, et ne se mentent à eux-mêmes, et en fassent celui dans lequel j'étais né.

Je me souviens bien avoir, dans les années soixante-dix, commencé à étudier la littérature latine, la littérature française, dans un vieux bon lycée de province qu'avaient construit des chrétiens. L'héritage... Malheureusement, cet héritage venait toujours buter contre cette date de 45, qu'on nous présentait alors comme un renouveau, un commencement, une ère grandiose, une libération.

Moi, j'étais le témoin de cette modernité-là déjà déconfite quelque trente ans plus tard, vraiment dégradée, de Pascal ou Chateaubriand en Jacques Prévert ou Boris Vian, de Madame de La Fayette ou Juliette Récamier en Benoite Groult ou Juliette Gréco, de Vivaldi en Gainsbourg, et de La Tour en Dali...

Et lorsque je me suis alors franchement posé la question de l'héritage, et de ce que je pourrais, moi, faire - me venait toujours cette sensation que c'était vraiment pitié qu'être né dans ces années 50, à l'heure de Kerouac, d'Edith Piaf et du Coca cola. Pitié. Qu'il n'y avait plus rien à faire, de toute façon, car  quelque chose de diffus, d'inexpliqué, comme une malédiction, mais de bien réel, était .

Et je tournais les yeux vers mes copains, et je les saluais.

Pitié, vraiment, mes copains, ces petits frères des soixante-huitards déjà rangés du bon côté de la barricade, déjà cohn-benditisés à souhait, prêts à voter Mitterrand avant même d'être encartés, vraiment. Un de mes excellents potes à l'époque répétait : "ce qu'il faut garder, c'est la dignité, et le sens de l'humour..." Vite dit. Je l'aimais bien quand même.

Nous essayions donc, du haut de nos seize dix-sept ans, de conserver dignité et sens de l'humour, tout en se récitant des pages de Nerval (Ah, Sylvie), comme on se parlerait, sur un terrain vague, du temps d'avant l'explosion d'une raffinerie. En ces années-là, je vis les hommes et aussi les femmes de mon pays commencer à vraiment polluer toutes leurs rivières, se précipiter en hordes dans des centres commerciaux pour acheter des yaourts dans des petits pots en plastique, et chanter La pêche aux moules avec Jacques Martin. Mes copines, alors. Mes copines ?

Pitié, elles aussi. Tragiquement pitié, ces copines, avec leur crédulité de jeunes libérées en mini-jupes, à un point que c'en était ridicule. A dix-huit ans, déjà fatigué d'Arthur Rimbaud comme il dut l'être de  lui-même, je lisais donc Kabîr et Toukaram en me demandant où était passé l'Occident dans tout ça. Déconfiture de la Royauté Technique. Technologique.

L'Occident n'était plus qu'une force technologique, à l'image de ses deux monstruosités : Hiroshima et le premier homme sur la lune. Tout le monde était d'accord pour trouver que la première était monstrueuse. Peu s'aperçurent que la seconde était pire. Mais d'hommes, de spiritualité, point régnant au pays des grandes surfaces et des temples de la consommation. Et certes, ce n'est ni le néant Sartre, ni le néant Beauvoir qui, à l'époque, auraient pu m'expliquer où était passé l'Occident que j'avais appris à l'école. Ces deux là, qui en étaient les fossoyeurs acharnés, avaient déjà décidé de n'avoir aucun descendant. Nada ! Ces deux là, opportunistes sans talent mais roués, étaient fins de race à l'extrême, monstres d'égoïsme et le sachant jusqu'à la moelle, ils appelaient ça existentialisme, deuxième sexe, libération, modernité, littérature et autres conneries mortifères. L'Institution Universitaire faisait alors s'achever la littérature du dix-neuvième siècle grosso modo à Proust, et débuter celle du vingtième à peu près aux alentours de Nathalie Sarraute. Comme s'il n'y avait rien eu entre. Rien. Pas un homme. Que des maudits

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18:17 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (69) | Tags : bernanos, littérature, politique, société, france, béraud, quatorze dix-huit | | |

mercredi, 04 juillet 2012

78,4 % (Lisbeth)

 C'est un classique du mois de juillet pour les étudiants et lycéens : l'attente des résultats. Nous avons tous connu cette sensation mitigée, faite de certitude et de doute, d'espoir et de crainte, d'envie de faire autre chose et d'incapacité à penser à autre chose justement, bref. Les résultats du bac cette année sont le 6 juillet. Plus que deux jours à poireauter. 

En attendant, histoire de prendre un peu de recul, et d'en rire, je republie ce petit croquis qui depuis 2009 demeure d'actualité :


78,4 % de réussite au bac du premier coup.  Les 80 %  qu'ambitionnait le ministre Chevènement à la fin des années quatre-vingts seront bientôt atteints. Alléluia. Moi qui ne connait qu'un dixième seulement des tripatouillages administratifs et des petits arrangements pédagogiques à l’origine du phénomène  (mais un dixième, c’est suffisant pour avoir une idée approximative de l'ensemble), je garde raison et ne m’enflamme pas : l’humanité, dans sa version occidentale (et plus spécifiquement franchoullarde)  n’est pas soudainement devenue plus intelligente, plus spirituelle, plus cultivée - si tant est que l’obtention du bachot ait jamais été un symptôme d’intelligence, de spiritualité et même, osons le mot, de culture. Et tous les petits Français ne sont pas des génies, loin s'en faut. Mais le chiffre est séduisant et brille sur le papier de tous les quotidiens : 78,4%... Et on se dit : qu'en sera-t-il après le fameux rattrapage ?

Tout à l’heure, j’étais dans un bar tenu, disons, par Lisbeth. Lisbeth est aussi volumineuse que son mari est long et sec. Lisbeth est vive, autant que son mari parait éteint. J’aime bien leur bar, parce qu’ils ne servent pas de repas à midi, ne font pas chier les gens ni avec de la musique ni avec la radio, ne demandent pas à être payés dès la consommation posée sur la table et savent encore, comme les gens d’un siècle désormais enfoui dans l'ère pré-technologique, rester tranquilles en silence ou en papotant discrètement derrière leur comptoir. Bref Lisbeth et son mari sont des gens, disons, normaux.

Mais aujourd’hui, grand émoi.

La fifille à Lisbeth vient d’avoir son bachot.

Lisbeth, elle ne tient donc plus en place et le clame à la terre entière, par portable interposé.

Elle fait, semble-t-il, le tour des mères des copines et des copains de Fifille, laquelle s’est déjà barrée, entre parenthèses, pour une semaine sur les bords d’un lac suisse, en raison de cet exploit remarquable. Laquelle, à entendre sa mère s’épuiser en longs récits, s’est déjà saoulée toute la nuit avec des poteaux. On la sent, Lisbeth, en pleine communion spirituelle avec Fifille, qu’elle voit déjà, débordante de vanité filiale et d'espoirs middle-class, sur les bancs d’HEC.

Seulement voilà.

Lisbeth découvre, au fil des appels, que tous les rejetons & rejetonnes des copines à qui elle annonce la bonne nouvelle ont aussi gagné le gros lot. Les bourgeons s'embourgeoisent.

Au début, elle est vachement contente pour eux, ça se voit aux petits gloussements de dinde qu’elle émet. Et de partager leur expérience commune de mamans ravies. Quand même, on n'est pas si mauvaises que ça !

Une fois.

Deux fois

Trois fois.

Quatrième fois, une ombre se glisse dans la joie jusqu’alors limpide du visage grassouillet de Lisbeth.

Ah bon, il a eu son bac aussi ? Avec mention AB aussi ? Ah bon ? Les traits se figent.

Ah bon !

Elle se retourne vers, disons Robert, l’air dépité : T'entends ? ( non, il entendait pas, Robert. Il trainait son pas lent derrière le comptoir, un torchon sur le polo Lacoste, et pensait on sait pas trop à quoi, d'ailleurs... ) Cédric Machin l’a eu aussi, qu’elle gueule. Tout le café en profite.

Et ce n’est pas tout.

Voilà qu’elle apprend, non c’est pas possible, elle a toujours été nulle, que Charlotte Truc aussi a décroché le pompon, que l’autre idiot de Guillaume Bidule, aussi, et Magali, et Thomas, et Virginie, bref, tout le quartier a eu son bac, le bac à Fifille, "incroyable", qu'elle finit par lancer à son mari, c’est affreux …

Lisbeth, vaniteuse et décomposée se pose sur une banquette.

Bon, dit-elle à la dernière de ses interlocutrices, je fais quand même l’apéro prévu la semaine prochaine, le bac, ça reste le bac qu’elle fait, hein, euh…

78,4… De toute façon, croyez-moi, et c’est sans doute pas plus mal, ce Bac Big-Bazar vit probablement ses dernières années : un contrôle continu suffira bientôt pour faire la circulation routière dans les voies sinueuses de l’orientation scolaire.

Mais quel bon connaisseur du genre humain a dit un jour : « C’est important d’être heureux, à condition que les autres ne le soient pas ?

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lundi, 18 juin 2012

Une Royale, sinon rien

Rien qu’à l’idée de redevenir un journal d’opposition, on se frotte les cinq doigts de chaque main au Figaro. A Libération, en revanche, on pavoise beaucoup moins, gardant en tête le sort du Matin de Paris fondé en 1977 par Claude Perdiel et qui, après avoir fait la campagne de Mittérrand en 81, ne survécut pas à sa réélection et rendit l’âme qu'il avait sévère en 1987. Alors, pour ne pas devenir le torchon du président, ce qu’il fut jusqu’à l’extrême ridicule pendant sa campagne, Libération se permet d'égratigner son icône,  une fois la « gôgoche » installée au pouvoir, histoire de conserver sa « culture de l’insolence » comme me disait un jour non sans rire je ne sais plus quel thésard mal rasé avec qui je prenais autrefois le RER B de Denfert à Tremblay pour aller exercer un dur métier dans des bâtiments préfabriqués et emplis de sales momes.

libé,libération,politique,ségolène royal,hollande,démorand,presse,france,assemblée nationale

Première page : à gauche et sur fond rose, Ségolène brille par son absence aux côtés de son ex compagnon aux grands pieds désormais président. Ne demeure que son nom, son nom royal, seul et majestueux en grandes linéales blanches, un peu comme sur une pierre tombale en guimauve. Placé juste au-dessus, le rouge du logo  ferait du coup presque passer la feuille de choux de Demorand pour un libelle de Lutte ouvrière. Ce à quoi, du temps de Giscard et de Sartre, elle tentait de ressembler. Une presse de la vraie gauche. Contestataire et subversive. Critique et solidaire. Avec des choses à dire pour de vrai dans un courrier des lecteurs very open.

A tel point qu’on se demande de quelle bizarre maladie est atteint ce type désarticulé sur le bandeau gris de droite, engoncé dans un costume trop petit, les paluches trop balourdes, l’air falot, ce qui lui donne un air de Bourvil en train de jouer un principal de collège ou de Fernand Raynaud débutant, prêt à entrer en scène dans la rude profession de démarcheur au porte à porte. A côté de tout ce rose, lui n’occupe qu’un tiers de l’espace, et l’on croirait vraiment qu’il passait là par hasard, surpris par un halo de lumière en train de se livrer à quelque délit inavouable. Il ne voit pas la vie en rose, lui, mais plutôt en gris et noir ; seule la cravate bleue confère à sa tenue un peu de respectabilité. Appartiendrait-il vraiment à la France d’en bas, comme disait jadis Raffarin, celle qu’on appelle aujourd’hui la France normale ? A moins qu'il joue bien la comédie, ce qui reste possible, Charlot dégingandé dont on fait mine à présent qu'il est là pour cinq ans de se distancier, histoire de vendre du papier.

Il y en a une dont on a beaucoup parlé récemment, première dame pour les uns ou simple journaleuse dans un canard pire que Libé  (Paris Match, vous pensez…), une sorte de Valerie Pécresse en moins cool, c’est tout dire ; il y en une, donc, dont il n’est même plus question sur la Une de Libération, on ne cite même plus son nom, pfuuiit, disparue en hors champ : rose, aurait-elle vécu elle aussi ce que vivent les roses, l'espace d'une campagne ?  Le pouvoir, ça esseule, décidément.

06:59 | Lien permanent | Commentaires (27) | Tags : politique, assemblée nationale | | |

jeudi, 14 juin 2012

La décadence de Guignol

Puisque nous parlions du père Thomas dimanche, et que nous sommes entre deux tours de législatives, voici un témoignage précieux sur le caveau Guignol du passage de l’Argue à Lyon, et de manière plus large sur la teneur polémique de l’esprit lyonnais, comme on a pu dire à l’époque. Le texte date de 1912.  

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Il y a foule au passage de l’Argue. L’affiche promet une revue. Salle étroite, au plafond bas, culotté par la fumée des pipes. Les murs s’adornent de fresques sans prétention : l’Ile-barbe, les aqueducs de Beaunant et la place du Gros-Caillou, traités d’un pinceau primitif, à la moderne, font les frais essentiels de cette décoration.

Mais le public n’a d’yeux que pour le théâtre, où « huit décors neufs et quatre-vingt personnages » affirment la munificence d’un impresario qui ne recule évidemment « devant nul sacrifice ». Les changements à vue, les jeux de lumière et les apothéoses se succèdent, ébahissent une assistance qu’on peut croire blasée par les raffinements des théâtres subventionnés et par le luxe des Kursaals.

Depetits cris de femmes chatouillées et des rires gras précisent le caractère du spectacle. Ce Guignol n’est pas pour les enfants. Que les nourrices, elles-mêmes, se gardent d’y rencontrer les militaires : il n’en faudrait pas davantage pour faire tourner leur lait.

Guignol, compère, arbore sur son cotivet un feutre provocant, et son complet marron sort évidemment de la Belle Jardinière. Son linge arrive de Londres. Sa cravate fait concurrence à celle de l’excellent dessinateur Fargeot, l’homme le mieux cravaté de Lyon, comme chacun sait. La commère, qui représente la Presse lyonnaise, est une superbe poupée rose et blonde, couverte de mousseline et de soie. Où-es-tu, brave Madelon, orgueil de nos souvenirs ? Par-dessus quels moulins as-tu jeté ton canezou, ton pet-en l’air de calicot et ton bonnet à tuyaux ? Gnafron laissant au journaliste Bibi les exubérances de la trogne, devient un ivrogne convenable, un viveur élégamment éméché, vêtu d’une impeccable redingote et coiffé d’un dix-huit reflets à la mode.

Ces trois protagonistes nous débitent les potins du jour, nous présentent le succès de l’année. Successivement nous voyons défiler les balcons fleuris, l’Armée du salut, les Ondines, les Aéroplanes, la nouvelle gare des Brotteaux, les briquets automatiques, le four crématoire, l’ermite du Mont-Cindre, M Vial de Vaise, les WC souterrains, que sais-je encore ?

Les actualités sont personnifiées par d’accortes marionnettes qui nous en débitent de vertes, avec leurs petits airs de ne pas y toucher, ne regrettant que d’être en bois et de ne pouvoir -pour cause – nous montrer leurs jambes.

Il faut entendre ces mots à double entente, ces refrains pimentés et ces dialogues polissons, sortir de ces lèvres impassibles, jaillir de ces faces où rien ne trésaille, où pas une fibre ne s’émeut pour dénoncer une pudeur ou nous indiquer une réticence ; il faut voir ces gestes étroits et monotones, faits pour accompagner des sentiments moyens, ponctuer des répliques excessives, des phrases qui n’ont d’ordinaire pour excuse que la verve du corps  souple et la gaîté d’un bras spirituel ; il faut, dis-je, entendre et voir ce Guignol pour connaître la saveur de l’humanité toute crue.

Et, sortant de là, j’ai renouvelé pour mon compte la prosopopée de Fabricius :

« O père Mourguet, ô père Thomas, qu’eussent pensé vos grandes âmes si pour votre malheur, rappelés à la vie, vous eussiez vu la scène pompeuse de ce théâtre créé par vos mains ? Dieu ! eussiez-vous dit, quel est ce langage étranger ? Quelles sont ces pièces efféminées ? Que signifient ces décors, ces clinquants et ces lumières ? Ce n’est plus la Croix-Rousse, c’est Montmartre qui vous amuse ! Ce sont des rhéteurs qui vous égaient ! Les dépouilles de Guignol sont la proie des chansonniers… »

Mais ces lamentations se perdraient dans le désert. Et les deux grandes ombres s’indigneraient vainement. Qui se souvient aujourd’hui du Guignol de la rue Noire, de l’allée des Brotteaux ou du Caveau des Célestins ? du vrai Guignol guignolant que créèrent de toutes pièces, vers l’an 1845, ces deux hommes de génie auxquels on n’a point élevé de statue ? Qui se rappelle du type de canut gouailleur et bon enfant, quelque peu bambocheur, à la fois naïf et sceptique ; pratique aussi, mais serviable, et toujours joyeux, dans le bonheur comme dans l’infortune, que nos pères applaudirent en foule dans la petite baraque du pont Morand ?

Qui se rappelle ? … Mais il n’y a plus ni canuts, ni Guignol. Il n’y a plus que le café-concert.

Marrons de Lyon,  Henri Béraud, 1912

mardi, 12 juin 2012

Les affaires de l'Europe

L’euro qu’il faut sauver, l’euro qu’il faut gagner…  Crise ou coupe, en ce mois de juin, on entend  partout parler de l’euro, que ça en vire au névrotique, à l'obsessionnel !  Moi je vous dis l’euro dépêchons-nous d’en sortir ou de le perdre pour au moins deux raisons :

D’abord parce que l’euro est tout le contraire de l’euphonie :  [øro], Ces deux voyelles fermées, vous trouvez ça doux au palais, suave à la lippe, franchement ? Obtus et fermé comme un cul de bœuf au moment de l’abattage, rien qui fleure la joie, l’ouverture. Le français aime le e muet, tous les poètes (les vrais, ceux qui, plus que le souci du dire, prennent le soin de l'écouter) le savent : La Fontaine, Racine, mais aussi Rimbaud, s’il faut pour être compris à tout prix être moderne

Pas de e muet, donc. Autrement dit, une Europe de consommation sans devenir et sans immédiat, un sigle de banquier et de président de l' UEFA, rien de plus. Pet de mouches. Murmurez-vous, pour vous en convaincre, et lentement, et les yeux clos, et en prenant votre souffle : [ europ].

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Jupiter et l'Europe, Gustave Moreau

Le e muet, rime féminine, reste en suspens. 

Il faut, mes amis, le deviner sur le bout de la langue, ce « e » : Europ

J’en arrive à la seconde raison.

Euro,c’est bourrin, euro, c’est masculin. C’est une une rime masculine, une rime en « o », les pires. Avec quoi voulez-vous faire rimer ça ? Avec ego ? Avec égaux ? Deux termes abominables, réfléchissez-y…  Tandis qu’Europe rime avec philanthrope…

Europe a le juste sexe, le juste ton, la juste proportion. Zeus, rappelons-le, captiva la belle nymphe. Depuis qu’un prof de latin m’apprit la chose en classe de seconde naguère, je n’ai jamais pu pisser contre l’ocelle basse d’un platane sans penser à Ovide narrant le verbe haut l’enlèvement d’Europe par Jupiter : plus de gueule que les commentateurs des matchs, que les Benzema, Ribéry et consorts, que la langue de bois des politiques ou les déplorations d’économistes, franchement !

Eu-ro-pe donc !

Depuis Delors et Maastricht (le père de Martine au Sénat), c’est sûr,comme je la regrettre,  « l’Europe aux anciens parapets… », c’est peu de le dire, Arthur !  

« La faire », disent, non sans culot , ceux qui la volent aux peuples et la défont d'éléction en élection sous nos yeux tristes…

Les footballeurs, eux, courent après les millions d’euros qui font les millions de malheureux, ironie du sort. Nadal soulève la coupe quand les banques espagnoles coulent les crédits de ceux qui le vénèrent outre Pyrénées. Les pauvres, ils appellent le sport un challenge pour les nations tandis qu’ils matent le gazon vert ou la terre battue à la TV. Ils peuvent, ah ils peuvent être fiers, Zbigniew Brzezinski, et ses potes de la Trilatérale qui l'ont kidnappée, l’essai est transformé, et pour des lustres !

Mais comme l’euro reste loin de cette Europe féminine et euphonique, celle de Montaigne en Italie, de Rousseau à Genève, de Chateaubriand à Prague, et de tous ces écrivains voyageurs, amants magnifiques,  qui l'ont chantée, l’Europe !