mercredi, 04 juillet 2012
78,4 % (Lisbeth)
C'est un classique du mois de juillet pour les étudiants et lycéens : l'attente des résultats. Nous avons tous connu cette sensation mitigée, faite de certitude et de doute, d'espoir et de crainte, d'envie de faire autre chose et d'incapacité à penser à autre chose justement, bref. Les résultats du bac cette année sont le 6 juillet. Plus que deux jours à poireauter.
En attendant, histoire de prendre un peu de recul, et d'en rire, je republie ce petit croquis qui depuis 2009 demeure d'actualité :
78,4 % de réussite au bac du premier coup. Les 80 % qu'ambitionnait le ministre Chevènement à la fin des années quatre-vingts seront bientôt atteints. Alléluia. Moi qui ne connait qu'un dixième seulement des tripatouillages administratifs et des petits arrangements pédagogiques à l’origine du phénomène (mais un dixième, c’est suffisant pour avoir une idée approximative de l'ensemble), je garde raison et ne m’enflamme pas : l’humanité, dans sa version occidentale (et plus spécifiquement franchoullarde) n’est pas soudainement devenue plus intelligente, plus spirituelle, plus cultivée - si tant est que l’obtention du bachot ait jamais été un symptôme d’intelligence, de spiritualité et même, osons le mot, de culture. Et tous les petits Français ne sont pas des génies, loin s'en faut. Mais le chiffre est séduisant et brille sur le papier de tous les quotidiens : 78,4%... Et on se dit : qu'en sera-t-il après le fameux rattrapage ?
Tout à l’heure, j’étais dans un bar tenu, disons, par Lisbeth. Lisbeth est aussi volumineuse que son mari est long et sec. Lisbeth est vive, autant que son mari parait éteint. J’aime bien leur bar, parce qu’ils ne servent pas de repas à midi, ne font pas chier les gens ni avec de la musique ni avec la radio, ne demandent pas à être payés dès la consommation posée sur la table et savent encore, comme les gens d’un siècle désormais enfoui dans l'ère pré-technologique, rester tranquilles en silence ou en papotant discrètement derrière leur comptoir. Bref Lisbeth et son mari sont des gens, disons, normaux.
Mais aujourd’hui, grand émoi.
La fifille à Lisbeth vient d’avoir son bachot.
Lisbeth, elle ne tient donc plus en place et le clame à la terre entière, par portable interposé.
Elle fait, semble-t-il, le tour des mères des copines et des copains de Fifille, laquelle s’est déjà barrée, entre parenthèses, pour une semaine sur les bords d’un lac suisse, en raison de cet exploit remarquable. Laquelle, à entendre sa mère s’épuiser en longs récits, s’est déjà saoulée toute la nuit avec des poteaux. On la sent, Lisbeth, en pleine communion spirituelle avec Fifille, qu’elle voit déjà, débordante de vanité filiale et d'espoirs middle-class, sur les bancs d’HEC.
Seulement voilà.
Lisbeth découvre, au fil des appels, que tous les rejetons & rejetonnes des copines à qui elle annonce la bonne nouvelle ont aussi gagné le gros lot. Les bourgeons s'embourgeoisent.
Au début, elle est vachement contente pour eux, ça se voit aux petits gloussements de dinde qu’elle émet. Et de partager leur expérience commune de mamans ravies. Quand même, on n'est pas si mauvaises que ça !
Une fois.
Deux fois
Trois fois.
Quatrième fois, une ombre se glisse dans la joie jusqu’alors limpide du visage grassouillet de Lisbeth.
Ah bon, il a eu son bac aussi ? Avec mention AB aussi ? Ah bon ? Les traits se figent.
Ah bon !
Elle se retourne vers, disons Robert, l’air dépité : T'entends ? ( non, il entendait pas, Robert. Il trainait son pas lent derrière le comptoir, un torchon sur le polo Lacoste, et pensait on sait pas trop à quoi, d'ailleurs... ) Cédric Machin l’a eu aussi, qu’elle gueule. Tout le café en profite.
Et ce n’est pas tout.
Voilà qu’elle apprend, non c’est pas possible, elle a toujours été nulle, que Charlotte Truc aussi a décroché le pompon, que l’autre idiot de Guillaume Bidule, aussi, et Magali, et Thomas, et Virginie, bref, tout le quartier a eu son bac, le bac à Fifille, "incroyable", qu'elle finit par lancer à son mari, c’est affreux …
Lisbeth, vaniteuse et décomposée se pose sur une banquette.
Bon, dit-elle à la dernière de ses interlocutrices, je fais quand même l’apéro prévu la semaine prochaine, le bac, ça reste le bac qu’elle fait, hein, euh…
78,4… De toute façon, croyez-moi, et c’est sans doute pas plus mal, ce Bac Big-Bazar vit probablement ses dernières années : un contrôle continu suffira bientôt pour faire la circulation routière dans les voies sinueuses de l’orientation scolaire.
Mais quel bon connaisseur du genre humain a dit un jour : « C’est important d’être heureux, à condition que les autres ne le soient pas ?
13:54 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : bac, bachot, baccalauréat, éducation nationale, lisbeth, politique, éducation, actualité, société |
mardi, 07 juillet 2009
A l'enterrement d'une star...
Fin des épreuves du bac de français (pour tout le monde) : Un élève m’explique, cet après-midi, que Meursault (l’Etranger de Camus pour replacer les choses en contexte), est condamné à la fin du récit pour n’avoir pas pleuré pendant l’enterrement de sa mère au début (du récit), bien plus que pour avoir tué l’Arabe (au milieu du récit - tout le monde connait l’histoire, je passe…). Je lui demande d’approfondir : on en vient à se dire que « la société ne supporte pas qu’on ne partage pas le même pathos qu’elle ». (elle, « la société, notre société… » glissons) Très bien, très bien. Quand on n'est pas un monstre, ou un étranger, en effet, on pleure à l'enterrement de sa mère. On s’attarde un peu sur ce qu'est le pathos, qui diffère de la raison, et c’est bien dommage, c’est par là que bien des malheurs adviennent, si, si, les méchants dictateurs et tout ça, tout ça, c'est la faute aux gens qui ne réfléchissent pas et se laissent persuader... je finis par lui demander si, dans la société actuelle, il ne se sent pas, lui, parfois, un peu « étranger » à tout ce qui s'entend, se dit, se voit. Il se rabroue : « Ah non, tout va très bien, je me sens parfaitement intégré ! ». Diable. J’ai touché un endroit sensible, dirait-on. Cela fonctionne donc, l’éducation citoyenne ! Perfide, j’en rajoute : "Mais tous ces gens qui pleurent ou vont pleurer durant la retransmission de l’enterrement de qui vous savez, ce soir, ils sont bien solidaires dans le pathos, non, et plus tellement vigilant dans leur raison, non ?" Silence. Comme il est inconvenant de ne pas pleurer à l’enterrement de sa mère, serait-il devenu aussi inconvenant de ne pas s’affliger de la disparition anecdotique d’une star internationale ?
Silence … Peut-être qu’après tout, tous ceux qui ne pleurent pas à l’enterrement de Mickaël sont des criminels en puissance (des fachos, on dit, je crois...) Ah Mickaël ! Peter Pan ! Bon p'tit gars... Allez savoir.
Silence, silence, silence. Eh oui! L'intégration de l'étranger a si bien réussi que même la part la plus réfractaire, la plus étrangère au monde est désormais consentante.
Vous avez donc encore le droit de ne pas pleurer à l'enterrement de la star (espèce de sans-coeur !) : Mais faites gaffe ; la planète toute entière vous regarde. Et vous le fera payer un jour, peut-être ...
22:06 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : jackson, musique, bachot, enterrement, actualité |
lundi, 06 juillet 2009
Rotrou, Guilloux, même combat
Deux jours encore d’interrogations. Plus que deux jours. Me disais, vendredi soir, l’esprit essoré à force de revivre la même-même scène (« votre convocation s’il vous plait, votre papier d’identité, vous prendrez ce texte de votre liste… vous avez une demi-heure… ») et d’entendre en gros, les mêmes-mêmes choses dans la bouche de gens qui se ressemblent (des parents qui se ressemblent tous plus ou moins ne pouvant faire, au fond, que des enfants qui se ressemblent tous moins ou plus, eh oui, c'est ainsi) – ronron rassérénant autant que révoltant - , me disais, plus la peine de s’illusionner, qu’il n’y a plus aucune issue dans cette société de masse… Et que le bachot - comme le permis de conduire et le droit de vote – n’est plus qu’un ticket tristounet pour entrer dans le cinéma du monde libre (Et quel cinéma ! Finie la petite salle de quartier, vaste complexe, partout, même film de Tokyo à Dubaï, nom de Dieu ! - et pour mardi, c'est déjà prévu, même enterrement pour tous !). Me disais que je n’avais été au mieux, durant ces trois derniers jours d’interrogations, qu’un moniteur d’auto-littéraire, ou un assesseur de bureau de bac. Comme on voudra. Remplisseur de formulaires, parfaitement lisse.
Là-dessus, j’ai passé le week-end à relire Le Sang Noir de Louis Guilloux, œuvre que j’étudierai l’an prochain en classe avec des élèves, quels que soient ceux qu’on m’attribuera, après tout. Comme l’Education nationale est faite : une année s’achève tout juste, qu’il faut programmer la prochaine : les autoroutes de l’éducation, et comment faire autrement, là-aussi ? Dans tous les établissements scolaires, ça turbine à l’heure actuelle autour des répartitions de classes et des emplois du temps des uns et des autres. Et drôlement, ça turbine. Jonglage avec des blocs horaires, des salles et des étages, et des options de ceci, de cela. On ferme le quatorze juillet, réouverture au premier septembre. C’est tout pareil, partout : service public. Tout n’est affaire, dans cette société, que de gestion des masses : de la crèche au crématorium, nous ne serons bientôt plus que du personnel de surveillance ou de divertissement.
Pour tenir le coup, voilà donc, Le Sang Noir. Et pour faire bon poids bonne mesure, en œuvre théâtrale, je ferai lire aux élèves et j’étudierai avec eux Le Véritable Saint-Genest de Rotrou. Si j’étais directeur de salle, je la monterais bien, cette pièce. Mais je suis un metteur en scène sans salle. L’une des plus justes, des plus troublantes qui fut écrite. L’essence du romanesque comme l’essence du théâtre, le roman labyrinthe & la pièce miroir : Guilloux, Rotrou, même combat ? de quoi perdre pied de brefs instants, ou leur en donner l’illusion, malgré le système technologique qui les mène, eux, moi, vous et le monde ; Cripure, Genest, même œuvre et même chant :
« J’ai vu, Ciel, tu le sais, par le nombre des âmes
Que j’osai t’envoyer par des chemins de flammes
Dessus les grils ardents et dedans les taureaux
Chanter les condamnés et trembler les bourreaux… »
Le véritable Saint Genest, Rotrou – (II,4)
Ci-dessous, Louis Guilloux, par Cabu
19:46 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : théâtre, littérature, éducation, bachot, rotrou, louis guilloux, saint-genest, cripure, alléluia |
vendredi, 03 juillet 2009
Comme Cripure ?
« Et pour couronner l’ouvrage, s’envoyer la corvée du bachot, faire passer leur examen à ces petits messieurs, pauvres gosses volés, dupés, scandaleusement. Il se prêterait à la comédie, toujours complice. Et même, il tirerait profit de la circonstance. Il ne pensait pas seulement en effet au dérisoire bénéfice des quelques francs alloués par copie corrigée – ce qui ne faisait jamais une grosse somme, mais enfin, c’était toujours bon à prendre – mais à un profit plus réel : il irait, comme d’habitude, prendre pension à l’Alcazar. Tous les ans dans la saison du bachot, quand il lui fallait aller à Sernen faire passer l’oral, session qui durait plusieurs jours, c’est à l’Alcazar qu’il prenait pension, c'est-à-dire au bordel »
Louis Guilloux (Le Sang noir) pp 141- 142, folio (souci professoral du détail)
la tronche à George Palante,
qui servit de modèle (partiellement) à Louis Guilloux
pour le personnage de Cripure
06:58 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : cripure, george palante, le sang noir, littérature, bachot, actualité, théâtre |