lundi, 06 juillet 2009
Rotrou, Guilloux, même combat
Deux jours encore d’interrogations. Plus que deux jours. Me disais, vendredi soir, l’esprit essoré à force de revivre la même-même scène (« votre convocation s’il vous plait, votre papier d’identité, vous prendrez ce texte de votre liste… vous avez une demi-heure… ») et d’entendre en gros, les mêmes-mêmes choses dans la bouche de gens qui se ressemblent (des parents qui se ressemblent tous plus ou moins ne pouvant faire, au fond, que des enfants qui se ressemblent tous moins ou plus, eh oui, c'est ainsi) – ronron rassérénant autant que révoltant - , me disais, plus la peine de s’illusionner, qu’il n’y a plus aucune issue dans cette société de masse… Et que le bachot - comme le permis de conduire et le droit de vote – n’est plus qu’un ticket tristounet pour entrer dans le cinéma du monde libre (Et quel cinéma ! Finie la petite salle de quartier, vaste complexe, partout, même film de Tokyo à Dubaï, nom de Dieu ! - et pour mardi, c'est déjà prévu, même enterrement pour tous !). Me disais que je n’avais été au mieux, durant ces trois derniers jours d’interrogations, qu’un moniteur d’auto-littéraire, ou un assesseur de bureau de bac. Comme on voudra. Remplisseur de formulaires, parfaitement lisse.
Là-dessus, j’ai passé le week-end à relire Le Sang Noir de Louis Guilloux, œuvre que j’étudierai l’an prochain en classe avec des élèves, quels que soient ceux qu’on m’attribuera, après tout. Comme l’Education nationale est faite : une année s’achève tout juste, qu’il faut programmer la prochaine : les autoroutes de l’éducation, et comment faire autrement, là-aussi ? Dans tous les établissements scolaires, ça turbine à l’heure actuelle autour des répartitions de classes et des emplois du temps des uns et des autres. Et drôlement, ça turbine. Jonglage avec des blocs horaires, des salles et des étages, et des options de ceci, de cela. On ferme le quatorze juillet, réouverture au premier septembre. C’est tout pareil, partout : service public. Tout n’est affaire, dans cette société, que de gestion des masses : de la crèche au crématorium, nous ne serons bientôt plus que du personnel de surveillance ou de divertissement.
Pour tenir le coup, voilà donc, Le Sang Noir. Et pour faire bon poids bonne mesure, en œuvre théâtrale, je ferai lire aux élèves et j’étudierai avec eux Le Véritable Saint-Genest de Rotrou. Si j’étais directeur de salle, je la monterais bien, cette pièce. Mais je suis un metteur en scène sans salle. L’une des plus justes, des plus troublantes qui fut écrite. L’essence du romanesque comme l’essence du théâtre, le roman labyrinthe & la pièce miroir : Guilloux, Rotrou, même combat ? de quoi perdre pied de brefs instants, ou leur en donner l’illusion, malgré le système technologique qui les mène, eux, moi, vous et le monde ; Cripure, Genest, même œuvre et même chant :
« J’ai vu, Ciel, tu le sais, par le nombre des âmes
Que j’osai t’envoyer par des chemins de flammes
Dessus les grils ardents et dedans les taureaux
Chanter les condamnés et trembler les bourreaux… »
Le véritable Saint Genest, Rotrou – (II,4)
Ci-dessous, Louis Guilloux, par Cabu
19:46 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : théâtre, littérature, éducation, bachot, rotrou, louis guilloux, saint-genest, cripure, alléluia |