jeudi, 16 avril 2009
Souvenir de Jacques Seebacher
C’est à Jacques Seebacher, qui est mort il y a tout juste un an, que je dois la découverte de Michelet ; l’Histoire de la Révolution Française, celle du Moyen Age, dormaient plus ou moins sur mes rayons. Je dis plus ou moins, parce que s’il m’arrivait alors d’en lire une ou deux pages, je trouvais toujours quelque autre priorité pour ne pas aller de l’avant. Il y avait aussi Le Peuple, dans une vieille édition glanée chez un bouquiniste, dormant à côté ; un jour, il nous proposa cet extrait de l’introduction à la Histoire de la Révolution française à étudier.
Il se trouve que par un détour heureux chez Bertrand (L’exil des mots), Michelet revient sur le tapis, en quelque sorte. Et ce texte sur l’analogie entre l’histoire des hommes et un paysage aride, la nécessité de comprendre et la tristesse infinie qu'elle engendre, l’enfantement quasi-prodigieux de la Révolution Française, dont Seebacher me fit un jour un lumineux commentaire, et que je recopie…
12:56 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : jacques seebacher, jules michelet, littérature |
mercredi, 15 avril 2009
Charles Péguy et le premier billet de cent francs
Les journées de panique de fin février et début mars 1848 ont réduit l’encaisse de la Banque de France à 59 millions le 15 mars au soir. Le Conseil général de la Banque de France sollicite des mesures exceptionnelles : il obtient le décret du 15 mars établissant le cours forcé, et autorisant la création d’une coupure de cent francs. Les jours suivants, ces mesures sont appliquées aux banques départementales qui sont sommées, le 27 avril et le 2 mai suivants, de fusionner avec la Banque de France. La création du premier billet de cent francs est vivement décriée par ceux qui rappellent la douloureuse époque des assignats. Mais ceux qui prévoient déjà la diffusion du billet dans les paiements des salaires et les transactions quotidiennes du public l’emportent : on décide de la création de ces coupures dans la limite de 10 millions de francs. La Banque émet alors en toute hâte un billet provisoire imprimé en noir sur papier vert du Marais, comportant un simple encadrement ornemental. L’impression des 80.000 billets de cette série est effectuée chez l’imprimeur Didot. Sa vignette, de forme ovale, est constituée d’ornements et de figures allégoriques : de 1848 à 1862, la Banque de France tirera 5 525 000 exemplaires de ce premier billet de cent francs.
A cette même période, le daguerréotype de Nicéphore Niepce, mort en 1833, commence à se répandre. L’astronome et chimiste anglais John Herschel a découvert en 1839 l’hyposulfite de soude et son compatriote William Talbot, en 1841, le moyen pour développer des clichés. Le souci de la Banque de France n’est plus seulement de créer des billets afin de récupérer l’or des gens dans ses coffres, mais c’est avant tout de réaliser le billet mythique : le billet inimitable. Le gouverneur de la Banque de France commande rapport sur rapport pour suivre de près l’évolution de ces inquiétantes découvertes concernant la photographie, « qui touchent de trop près aux intérêts de la Banque de France ».
En 1862, pour déjouer les contrefaçons, le billet est légèrement remodelé : un filigrane à tête de Mercure (le dieu des voleurs) est rajouté. Parmi les études de teintes effectuées, on retient un bleu dit céleste pour le deuxième billet. Une composition allégorique de Brisset y est adjointe, dessinée par Cabasson et gravée par Panemaker. Les deux stars de la Banque de France, Mercure et Cérès, s’y donnent pour la première fois rendez-vous. Ce sera le début d’une longue collaboration. Voici ce que Charles Péguy écrit, quelques années plus tard dans son maître livre, L’Argent :
« C’est la bourgeoisie capitaliste qui a tout infecté. C’est la bourgeoisie capitaliste qui a commencé à saboter, et tout le sabotage a pris naissance dans la bourgeoisie. C’est parce que la bourgeoisie s’est mise à traiter comme une valeur de bourse le travail de l’homme que le travailleur s’est mis, lui aussi, à traiter comme une valeur de bourse son propre travail. C’est parce que la bourgeoisie s’est mise à faire perpétuellement des coups de bourse sur le travail de l’homme que le travailleur, par imitation, par collusion et encontre, et on pourrait presque dire par entente, s’est mis à faire continuellement des coups de bourse sur son propre travail. C’est parce que la bourgeoisie s’est mise à exercer un chantage perpétuel sur le travail de l’homme que nous vivons sous ce régime de coups de bourse et de chantage perpétuel à la grève. Ainsi est disparue cette notion de juste prix, dont nos intellectuels bourgeois font aujourd’hui des gorges chaudes, mais qui n’en a pas moins été le durable fondement de tout un monde. »
08:50 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (22) | Tags : politique, crise, littérature, charles péguy, cent francs, billets français, révolution de 48, banque de france, mercure |
lundi, 30 mars 2009
Chronique des libres penseurs de l'ancienne France et des chrétiens d'aujourd'hui
Au commencement de l'Argent, Péguy a cette phrase extraordinaire, avec laquelle une part de moi n'a cessé d'être, depuis que je l'ai lue : "Les libres-penseurs de ce temps-là (vers 1880) étaient plus chrétiens que nos dévôts d'aujourd'hui (1913)" J'aime cette phrase et je l'ai beaucoup respirée, comme on respirerait un brin de mimosa ou de muguet, si juste. Avec gaieté, cette phrase proclame combien il est ridicule de s'affirmer de façon dogmatique comme étant un libre-penseur ou un chrétien, combien c'est même impossible quand en vérité, on ne peut être que de son temps. Je me souviens avoir mis 20 / 20 à un élève qui présentait ce texte difficile de Montesquieu, cette lettre du Persan Rica dans lequel l'astucieux bordelais fait dire à son personnage que le pape est un grand magicien... Tous les élèves passés par le moule dogmatique de l'enseignement secondaire vous diront qu'il convient de lire là une condamnation par Montesquieu lui-même de la Trinité et de l'Eucharistie (1)
"Ce que je dis de ce prince (le roi) ne doit pas t'étonner: il y a un autre magicien plus fort que lui, qui n'est pas moins maître de son esprit qu'il l'est lui-même de celui des autres. Ce magicien s'appelle le pape: tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu'un; que le pain qu'on mange n'est pas du pain, ou que le vin qu'on boit n'est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce."
Or cet élève commença son introduction en me rappelant que Montesquieu était enterré en terre chrétienne, ce qui me fit tendre l'oreille, car des introductions de ce genre, on n'est plus habitué, n'est-ce pas, plus du tout ! Et donc qu'il avait sans doute quelques "scrupules à critiquer le dogme". Et qu'au nom de ces scrupules (je dis bien scrupules, car c'est un mot qu'on n'entend plus guère non plus dans les lycées), il avait placé cette offensive dans la bouche d'un Persan. Non pas "pour fuir la censure" ou "déléguer sa pensée à un étranger". Mais juste à cause du scrupule. Et que tout ce passage était à envisager selon "la poétique du scrupule". Mon candidat parlait ainsi comme Péguy. Bien sûr, "Les libres-penseurs de ce temps-là étaient plus chrétiens que nos dévôts d'aujourd'hui" Nos dévots d'aujourd'hui bêlent comme des singes face au camp d'en face qui bêle comme des chiens. Toujours dans L'Argent, Péguy note que le problème extrêmement grave que rencontre le pays à l'heure de la modernité, c'est sa déchristiannisation. Et, dit-il, ce n'est pas une affaire de curés, mais de générationsn qui passe. Le problème n'est donc pas qu'il n'y ait plus de curés. C'est que les boulangers, les instituteurs, les paysans soient moins chrétiens que ne l'étaient leurs pères. .
(1) Très peu seront en mesure de vous expliquer correctement ce que sont précisément la Trinité et l'Eucharistie
07:51 Publié dans Là où la paix réside | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : vialatte, péguy, littérature, libre-pensée, catholicisme, religion, montesquieu |
Du libre-penseur et du chrétien
Au commencement de l'Argent, Péguy a cette phrase extraordinaire, avec laquelle une part de moi n'a cessé d'être, depuis que je l'ai lue : « Les libres-penseurs de ce temps-là (vers 1880) étaient plus chrétiens que nos dévôts d'aujourd'hui (1913) »
J'aime cette phrase et je l'ai beaucoup respirée, comme on respirerait un brin de mimosa ou de muguet, si juste. Avec gaîté, et malgré la tristesse de son constat, cette phrase proclame combien il est ridicule de s'affirmer de façon dogmatique comme étant un libre-penseur ou un chrétien, combien c'est même impossible quand en vérité, on ne peut qu'être de son temps, de sa condition, de sa place, de son monde. J'aime la senteur de cette phrase que je sens profondément juste : elle souligne - et pour le pire comme pour le meillleur- le primat de l'humain sur le théorique, du concret sur l'abstrait, de l'affection sur le cours des idées, de la chair incarnée sur le roseau pensant. Elle renvoie dos à dos libres penseurs et théologiens en leur rappelant qu'ils sont tous deux déterminés par l'appartenance au monde commun de leur génération, au sens le plus large, malgré la prégnance de leur foi ou de leur idéologie qui restent, l'une et l'autre, la foi et l'idéologie dont est capable leur époque.
00:13 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : charles péguy, littérature |
dimanche, 29 mars 2009
Un tigre en quarantaine
C'est en 1955 que la Banque de France commande à Jean Lefeuvre le projet d'un billet dédié à Georges Clemenceau (1841-1929). Le peintre dispose d'un an pour mettre au point les vignettes recto et verso. Le 5 avril 1956, il présente son projet, pour une valeur nominale de 50 000 francs : On y découvre un Clemenceau âgé dont le portrait, d'après photo, est reproduit à l'identique sur chaque face. Au recto, il siège au cœur de l'ambiance douce et feutré de son cabinet de travail, dans l'appartement qu'il avait loué en 1896 et où mourut le 24 novembre 1829 à 1h45 du matin, au 8 de la rue Franklin dans le 16ème arrondissement. L'appartement, précédemment occupé par Robert de Montesquiou, est à présent un musée. Sur le bureau, reproduction moderne d'un meuble réalisé au XVIIIème siècle pour l'abbé de l'église Sainte-Geneviève, un encrier, une loupe, des plumes d'oie, des documents épars, et trônant tout au fond devant la baie, une statuette du dieu Hanuman et un Bouddha en bois laqué. Sur la cheminée, des plâtres originaux de Rodinet et des moulages grecs. Au mur, plusieurs toiles, dont une huile de Daumier représentant Don Quichotte et Sancho Pancha. Le filigrane figure un rond de lumière inondant les lieux, par la baie fermée.
En vis à vis du personnage privé, le verso évoque la vie publique et parlementaire du Tigre, ses joutes oratoires légendaires dans l'hémicycle depuis sa première élection à la députation de Paris, le 8 février 1871.
Se reconnait derrière lui le perchoir de l'Assemblée Nationale, où son éloquence s'illustra maintes fois. A sa gauche, Athéna, telle qu'elle est représentée sur la stèle figurant en Vendée non loin de sa sépulture, au lieu-dit La Colombier, sur la commune de Mouchamps. La déesse grecque de la Sagesse et de la Guerre souligne l'attachement du personnage à la culture hellénique ainsi que son action comme président du Conseil et ministre de la guerre en 1917-1918.
A sa droite, des livres et un encrier en faïence blanche, qui témoignent la production littéraire de Clemenceau : Son roman, Les plus forts, entre autres, publié entre le 21 août et le 4 décembre 1897 dans L'Illustration, édité l'année suivante chez Fasquelle. Roman de plus de quatre cents pages, au style jugé ampoulé, empruntant au pire de Zola… Il fut un échec.
Sa carrière de journaliste, d'autre part, à La Dépêche du Midi, La Justice, Le Bloc, Le Temps, et L'Aurore où il trouva le titre du fameux « J'accuse » de Zola qui fit la une du 13 janvier 1898. Son expérience de biographe, enfin, avec le fameux Claude Monet, les nymphéas, publié un an avant sa mort, dans lequel il retrace la vie de son ami disparu.
Le projet de Lefeuvre est adopté par le Conseil général de la Banque de France, et placé en billet de réserve. C'est cependant le billet de Molière qui, au dernier moment, le supplantera, la gravure du Tigre n'ayant pas donné les résultats attendus.
En 1958, Lefeuvre refait sa maquette et Piel retouche la taille-douce du verso. Le billet doit alors compléter la future gamme de Corneille, Racine, Pasteur et Voltaire. Mais 27 décembre de la même année, le nouveau franc est adopté et, pour ne pas désorienter doublement le public, on décide de surcharger l'ancienne gamme : Clémenceau est à nouveau remisé. Le 9 novembre 1962, un décret du 9 novembre indique qu'à partir du 1er janvier 1963, "la dénomination de Franc, doit remplacer celle de Nouveau Franc" : la Banque de France émet successivement le 50 F Racine, le 10 F Voltaire, le 100 F Corneille, le 5 F Pasteur, mais pas de remplaçant pour le 500 NF Molière : Au mois d'août 62, De Gaulle, répondant à une invitation d'Adenauer, vient de faire un voyage triomphal qui se conclura par la signature, le 22 janvier 1963, d'un traité d'amitié franco-allemand. Le choix du Père La Victoire est jugé diplomatiquement inopportun en cette période de réconciliation médiatico-populaire. A la même époque, une vignette l'effigie de Foch est également mise en quarantaine. C'est sans doute pourquoi le 500 NF Molière, billet pourtant libellé en Nouveaux Francs, perdurera jusqu'en ... 1970 !
La Banque garde cependant son projet sous le coude et imprime de nouvelles épreuves de 500 francs. Pour aider les aveugles, on y adjoint deux points en taille-douce. Le billet est prêt à sortir quand la création du Système Monétaire Européen annihile toute possibilité de voir figurer sur un billet français le symbole d'une victoire militaire. Cette fois-ci, le Tigre est mis en cage pour de bon par un Giscard d'Estaing qui oppose un veto catégorique « pour ne pas froisser Helmut Schmidt ». Le fameux billet à l'effigie de Pascal est mis en circulation. De façon symbolique, un spécimen est offert le 23 juin 1989 au musée Clemenceau par le Gouverneur de la Banque de France.
Ce Clemenceau de réserve, inconnu du grand public et victime du déclin historique du nationalisme face à la construction européenne, demeure cependant, dans l'histoire fiduciaire aussi mouvementée que passionnante de ce pays, comme l'un des chefs d'œuvre de l'école française du billet, que les collectionneurs s’arrachent avec d’autant plus de fougue que, n’ayant finalement jamais été édité, il n’en existe que peu d’exemplaires.
12:30 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : billets français, georges clemenceau, histoire, politique, littérature, construction européenne, guerre de quatorze, banque de france, épreuve, palais-bourbon, rue franklin, j'accuse |
jeudi, 26 mars 2009
Juliette Récamier
« J'ai vu à Lyon le Jardin des Plantes établi dans les jardins en amphithéâtre de l'abbaye de la Déserte, maintenant abattue : le Rhône et la Saône sont à vos pieds ; au loin s'élève la plus haute montagne d'Europe, première colonne militaire de l'Italie, avec son écriteau blanc au-dessus des nuages. Mme Récamier fut mise dans cette abbaye... »
« Vous souvenez-vous, belle Juliette, d'une personne que vous avez comblée de marques d'intérêt cet hiver, et qui se flatte de vous engager à en redoubler l'hiver prochain ? Comment gouvernez-vous l'empire de la beauté ? On vous l'accorde avec plaisir cet empire, parce que vous êtes éminemment bonne et qu'il semble naturel qu'une âme s douce ait un charmant visage pour l'exprimer. »
Chateaubriand, Mémoires d'Outre Tombe, III, 2 et 3. Le buste est de Chinard (suivre le lien)
Lyon, Palais des Beaux Arts, Exposition Juliette Récamier du 27 mars au 29 juin
14:25 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, sculpture, juliette récamier, lyon, musée des beaux arts, chateaubriand |
mercredi, 25 mars 2009
La Galoche
La Galoche : Telle est le nom qu'on donna autrefois à une ligne de chemin de fer reliant la Croix-Rousse à Sathonay. On la surnommait ainsi en raison des nombreuses secousses dont elle gratifiait ses voitures durant le trajet. Elle avait été ouverte à la circulation le 30 juillet 1863, et, prolongée jusqu'à Trévoux le 1er juin 1882. C'est la Cie P.L.M (chemin de fer de Paris Lyon Méditerranée) qui en assura l'exploitation à partir de 1897. Deux liaisons, l'une pour les marchandises, l'autre pour les voyageurs étaient assurées. La Galoche fut très populaire à la Croix-Rousse. On la prenait le dimanche matin, pour aller à la pêche, et pour la promenade familiale qui, passant par Caluire, Cuire et Montessuy, se poursuivait par Sathonay, puis gravissait les collines surplombant la Saône, desservait Fontaines, Rochetaillé, Fleurieu, Neuville, Genay, Massieux, Parcieux et après un voyage de 35 kilomètres, s'achevait à Trévoux.
A l'origine, la gare se trouvait à côté du terminus du funiculaire de la rue Terme (actuel tunnel routier), afin de faciliter la correspondance des voyageurs. Du coup, c'est les locomotives qui devaient traverser le boulevard, à très faible vitesse, et précédée d'un agent. Un train de la Galoche pouvait ainsi rester un bon quart d'heure au travers du boulevard, et cela plusieurs fois par jour. « On avait le temps, explique Pétrus Sambardier, d'aller faire une partie de boules avant que la circulation soit libre. » (1)
Une telle contrainte d'exploitation fut jugée trop pesante par le P.L.M., et le 19 mai 1914, le terminus de Lyon Croix-Rousse fut déplacé au nord du boulevard, à l'angle de la place des Tapis et de la rue de la Terrasse, où se trouvaient initialement la gare marchandises et le dépôt. Ces deux dernières installations furent quant elle reportées simultanément au-delà de la rue Hénon. Les voyageurs traverseraient désormais à pieds : Le « Café des Voyageurs », sur le boulevard, demeure le seul souvenir de ce temps-là.
Le 16 mai 1953, en effet, la Galoche devait transporter ses derniers voyageurs. Et quelques années plus tard, la gare fut démolie. Voici un extrait du Progrès, daté du 27 août 1957 :
« Curieuse désolation apocalyptique à la gare de la Croix-Rousse. Les toitures ne conservent qu'une vague charpente, le verre pilé crisse sous les pas, les murs se dégradent, les pieds se prennent dans des planches fendues cachant des clous traîtres... Plus de rails, un seul camion chargé de gravas. La gare de la Croix-Rousse est livrée à la casse. Tandis que tout s'écroule le long de la rue de Villeneuve, la SNCF fait élever pour cinquante ménages de ses employés un premier H.L.M. D'autres s'érigeront, comme lui le long de cette rue également pour le personnel de la SNCF. Face à la place des Tapis et le long de la rue de Cuire, va se construire un immeuble de quatorze étages pour soixante-dix foyers, avec au rez-de-chaussée des bureaux pour les PTT. Partant de la place des Tapis, un grand boulevard (2) longeant puis coupant les vieilles voies, prendra les Croix-Roussiens en partance pour le week-end et les lancera en direction de Trévoux. Les espaces libres de toute construction seront voués "au vert". Parcs et squares fleuris viendront concurrencer les ombrages du boulevard de la Croix-Rousse. Adieu, tortillard croix-roussien. »
06:16 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : lyon, trévoux, croix-rousse, la galoche, pétrus sambardier, littérature, histoire, transports |
dimanche, 22 mars 2009
De la passion politique
« Les passions politiques atteignent aujourd'hui à une universalité qu'elles n'ont jamais connue. Elles atteignent aussi à une cohérence. Il est clair que, grâce au progrès de la communication entre les hommes, et plus encore, de l'esprit de groupement, les adeptes d'une même haine politique, lesquels, il y a encore un siècle, se sentaient mal les uns les autres et haïssaient, si j'ose dire, en ordre dispersé, forment aujourd'hui une masse passionnelle compacte, dont chaque élément se sent en liaison avec l'infinité des autres. Cela est singulièrement frappant pour la classe ouvrière, qu'on voit, encore au milieu du XIXème siècle, n'avoir contre la classe adverse qu'une hostilité éparse, des mouvements de grève disséminés (par exemple ne pratiquer la grève que dans une ville, dans une corporation), et qui forme aujourd'hui, d'un bout de l'Europe à l'autre, un tissu de haine si serré. On peut affirmer que ces cohérences ne feront que s'accentuer, la volonté de groupement étant une des caractéristiques les plus profondes du monde moderne, qui de plus en plus devient, et jusque dans les domaines où on l'attendait le moins, (par exemple le domaine de la pensée), le monde des ligues, des unions, des faisceaux. (...) La condensation des passions politiques en un petit nombre de haines très simples et qui tiennent aux racines les plus profondes du cœur humain est une conquête de l'âge moderne.
Les passions politiques rendues universelles, cohérentes, homogènes, permanentes, prépondérantes, tout le monde reconnaît là, pour une grande part, l'œuvre du journal politique quotidien et bon marché. On ne peut s'empêcher de rester rêveur et de se demander s'il ne se pourrait pas que les guerres inter humaines ne fissent que commencer quand on songe à cet instrument de culture de leurs propres passions que les hommes viennent d'inventer, ou du moins de porter à un degré de puissance qu'on n'avait jamais vu, et auquel ils s'offrent de tout l'épanouissement de leur cœur chaque jour qu'ils s'éveillent »
(Julien Benda - La Trahison des clercs, 1927)
Je cherchais chez Péguy, le souvenir de ce texte, qui se trouvait en fait chez Benda.
Benda analyse la manière dont les clercs de son temps excitèrent les passions politiques (principalement nationaliste et internationaliste), via notamment l'invention des grands organes de presse. et leurs liens avec les partis A cette occasion, il rappelle que le peuple du début du XIXème siècle, celui dont parle Michelet, n'éprouvait pas à un tel point sa passion dans le domaine publique, mais bien davantage dans toutes les sphères du privé. Ce qu'il nomme « trahison des clercs », c'est cette permanente excitation et permanente bipolarisation des passions politiques dans les sphères populaires. Si ce texte, malgré son caractère daté, rencontre aussi de vifs échos avec la situation d'aujourd'hui, c'est que l'établissement de ce qu'on appelle la « société de communication », qui va de pair avec la schématisation outrancière de la pensée et la bipolarisation à l'américaine des partis politiques parait faire de lui une sorte de texte prophétique. La défaite de toute possibilité d'affirmer une pensée individuelle à l'intérieur d'une société de masses s'y lit en creux de façon déjà désespérante. C'est pourquoi ce texte de Benda est à lire avec celui de Péguy, qui évoque, lui, non pas une strangulation idéologique, mais une strangulation économique : les deux vont de pair dans le monde où nous sommes, et la conjonction des deux a bien pour conséquence la fin d'une certaine gaité, d'une joie de vivre ensemble. Voilà pourquoi, quelques soient les différends, il reste précieux, sans égarer son propre point de vue, de les dépasser. Pour conclure, cette citation prise dans L'Argent de Péguy :
« Nous avons connu un temps où, quand un ouvrier allumait sa cigarette, ce qu'il allait vous dire, ce n'était pas ce que le journaliste a dit dans le journal de ce matin »
09:48 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : littérature, charles péguy, julien benda |
samedi, 21 mars 2009
Péguy parlant du peuple
Je cherchais un autre passage de lui. Mais je suis tombé sur celui-ci, que j'avais surligné, il y a bien longtemps :
« De mon temps, tout le monde chantait. Excepté moi, mais j'étais déjà indigne d'être de ce temps-là. Dans la plupart des corps de métiers, on chantait. Aujourd'hui, on renâcle. Dans ce temps-là on ne gagnait pour ainsi dire rien. Les salaires étaient d'une bassesse dont on n'a pas idée. Et pourtant tout le monde bouffait. Il y avait dans les plus humbles maisons une sorte d'aisance dont on a perdu le souvenir. Au fond on ne comptait pas. Et on n'avait pas à compter. Et on pouvait élever des enfants. Et on les élevait. Il n'y avait pas cette espèce d'affreuse strangulation économique qui à présent d'année en année nous donne un tour de plus. On ne gagnait rien. On ne dépensait rien. Et tout le monde vivait.
Il n'y avait pas cet étranglement d'aujourd'hui, cette strangulation scientifique, froide, rectangulaire, régulière, propre, nette, sans une bavure, implacable, sage, commune, constante, commode comme une vertu, où il n'y a rien dire, et où celui qui est étranglé a si évidemment tort.
On ne saura jamais jusqu'où allait la décence et la justesse de ce peuple ; une telle finesse, une telle culture profonde ne se retrouvera plus. Ni une telle finesse et une telle précaution de parler. Ces gens-là eussent rougi de notre meilleur ton d'aujourd'hui, qui est le ton bourgeois. Et aujourd'hui, tout le monde est bourgeois. »
( Charles Péguy, L'Argent - 1913)
22:31 Publié dans Des Auteurs | Lien permanent | Commentaires (2) | Tags : charles péguy, littérature, common decency |