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mardi, 08 septembre 2009

Lazare et les petites patries dans le temps

« Je n’écrirai pas de roman sur la guerre ; la guerre n’est pas un sujet de  littérature »

Alors que Lintier, Barbusse, Dorgelès, pour parler de proches de Béraud, publient très vite leur témoignage ou leur roman de guerre, curieusement dès 1917, Béraud s’y refuse, au nom même de la littérature ou du moins, de la conception qu’il s’en fait. Il tiendra parole.

A une exception près : celle de ce curieux roman, dont la parution suit de peu l’attribution du Goncourt pour le Martyre de l’Obèse (1922)

Dans ce roman, Béraud éclipse avec une grande pudeur l’événement collectif  (la guerre, sa guerre, cette guerre sans gloire) de son récit pour n’en retenir que l’événement intime, particulier : Son héros, un civil, est un ancien pianiste qui a été victime d’un  accident de voiture en 1906. Il n’aura donc pas eu, lui, l’occasion de la faire : Il a perdu conscience pour sombrer dans une folie, qui l’a coupé du monde entièrement. Il est devenu  un autre et cet autre se « réveille » dans une clinique psychiatrique, seize ans plus tard, en 1922 :

« Se retrouver sans savoir ni comment ni pourquoi dans une chambre d’hôpital n’était-ce donc que cela ? une impression de repos, l’élasticité d’un lit de malade, un subit déploiement de blancheurs, rien de plus. Il acceptait avec tranquillité son aventure ; ce qui le surprenait et l’effrayait, c’était plutôt, singulière réversion, de n’être ni surpris ni effrayé »

« La guerre ? Eh bien oui, la guerre ? - et puis après ? », dit  Jean Mourin, lorsqu’on lui en apprend l’existence. Le héros de Lazare était le seul être humain à n’en avoir, à aucun moment, ressenti la réalité. « A quoi bon ? Il acceptait tout en bloc. »

Et, un peu plus loin : « Qu’était-ce, en définitive, que la métamorphose du monde, comparée au prodige de sa résurrection ? »

Lazare, chacun le sait, est une parabole.

Or, pour qu’un simple revenant devienne un  véritable ressuscité, il y faut la volonté de Dieu. Il y faut toute la force du miracle.

La mesure de l’écart entre l’avant et l’après-accident, tel est l’argument du récit qui inflige à son héros une rude épreuve : Car si le Lazare biblique pouvait ré-susciter les contours d’un individu dans le temps historique des mortels, c’est qu’il était devenu, cet individu, la manifestation de l’action de l’Eternel, ni plus ni moins, au sein de ce temps historique des mortels. Tel quel, l’autorité du miracle témoignait en sa faveur. Qu’est devenu Jean Mourin ? De quoi sa résurrection est-elle la manifestation ? De quelle autorité ?

Un miracle… La société des hommes est-elle capable d’en produire un ?

Cette paix étrange, cette France des années 20 en constante crise politique, ce règne de l’argent, un miracle ? Peut-on y ressusciter ? Cela vaut-il le coup ?

Telles sont les douloureuses questions posées par cet étrange et beau roman.

Lazare sera donc vraiment en premier lieu le roman de ces enfants humiliés dont parle Bernanos, « perdus dans la paix comme le moine dans le siècle » : La Victoire ne les aimait pas.

« Ce qui l’entoure, ce sont les hommes de son temps, qui sont morts tandis qu’il était lui-même hors de l’humanité, aussi mort qu’un mort, errant dans l’ombreuse contrée de la folie, d’où le voyageur, s’il revient, ne rapporte pas plus de souvenirs qu’un trépassé, s’élevant du limon, n’en rapporterait du monde aveugle et sourd où les fossoyeurs l’avaient englouti » (chapitre II)

Hors de l’humanité Aussi mort qu’un mort … L’expérience de la guerre :  un coma.

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mardi, 21 juillet 2009

Le Grand Troupeau

 Jean Giono a écrit le Grand Troupeau en 1931, pour exorciser les souvenirs d’une guerre qu’il a vécue parmi d’autres, quelques quinze ans plus tôt, et dont il ne parvient pas, comme ces autres, à guérir. « On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la Volupté », phrase très célèbre de Louis Ferdinand Céline, tout au début du Voyage au bout de la nuit, et qui résume le mal intime de cette génération d’hommes qui sont allés au front. Dans Refus d’obéissance, texte écrit en 1934, vingt ans après la première mobilisation, Giono avoue :

« Je ne peux pas oublier la guerre. Je le voudrais. Je passe des fois deux jours ou trois sans y penser et brusquement, je la revois, je la sens, je l’entends, je la subis encore. Et j’ai peur. »

Jean Giono écrit le Grand Troupeau parce que, comme d’autres, il sent que reviennent des temps obscurs. « Nous retournons dans la guerre ainsi que dans la maison de notre jeunesse » : ainsi s’ouvre le magnifique essai du très lucide Georges Bernanos, « Les enfants humiliés » rédigé en 1939. Est-ce un hasard si des historiens parlent aujourd’hui, pour évoquer cette période qui s’étale de 14 à 44,  de guerre de Trente Ans ?

Jean Giono écrit donc un roman pacifiste. Car il est devenu viscéralement pacifiste. Ecrire un roman sur la guerre est une entreprise d’autant plus délicate que beaucoup sont déjà sortis[1], que le débat sur leur nécessité a été ouvert avec pertinence par Jean Norton Cru[2], qu’avec le temps « l’Horreur s’efface ». Il faut donc que ce roman se démarque des autres, ait une approche susceptible d’intéresser non seulement des anciens combattants, mais un lectorat nouveau.



[1] Gabriel Chevallier vient de publier La Peur (1930) ; Ma Pièce, de Paul Lintier,  Le Feu, de Barbusse, datent de 1916 ;   Les Croix de Bois  (Dorgeles) de 1919 ;

[2] La publication de son livre Témoins date de 1929

 

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dimanche, 29 mars 2009

Un tigre en quarantaine

C'est en 1955 que la Banque de France commande à Jean Lefeuvre le projet d'un billet dédié à Georges Clemenceau (1841-1929). Le peintre dispose d'un an pour mettre au point les vignettes recto et verso. Le 5 avril 1956, il présente son projet, pour une valeur nominale de 50 000 francs : On y découvre un Clemenceau âgé dont le portrait, d'après photo, est reproduit à l'identique sur chaque face. Au recto, il siège au cœur de l'ambiance douce et feutré de son cabinet de travail, dans l'appartement qu'il avait loué en 1896 et où mourut le  24 novembre 1829 à 1h45 du matin, au 8 de la rue Franklin dans le 16ème arrondissement. L'appartement, précédemment occupé par Robert de Montesquiou, est à présent un musée. Sur le bureau, reproduction moderne d'un meuble réalisé au XVIIIème siècle pour l'abbé de l'église Sainte-Geneviève, un encrier, une loupe, des plumes d'oie, des documents épars, et trônant tout au fond devant la baie, une statuette du dieu Hanuman et un Bouddha en bois laqué. Sur la cheminée, des plâtres originaux de Rodinet et des moulages grecs. Au mur, plusieurs toiles, dont une huile de Daumier représentant Don Quichotte et Sancho Pancha. Le filigrane figure un rond de lumière inondant les lieux, par la baie fermée.

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En vis à vis du personnage privé, le verso évoque la vie publique et parlementaire du Tigre, ses joutes oratoires légendaires dans l'hémicycle depuis sa première élection à la députation de Paris, le 8 février 1871.

Se reconnait derrière lui le perchoir de l'Assemblée Nationale, où son éloquence s'illustra maintes fois. A sa gauche, Athéna, telle qu'elle est représentée sur la stèle figurant en Vendée non loin de sa sépulture, au lieu-dit La Colombier, sur la commune de Mouchamps. La déesse grecque de la Sagesse et de la Guerre souligne l'attachement du personnage à la culture hellénique ainsi que son action comme président du Conseil et ministre de la guerre en 1917-1918.

A sa droite, des livres et un  encrier en faïence blanche, qui témoignent la production littéraire de Clemenceau : Son roman, Les plus forts, entre autres, publié entre le 21 août et le 4 décembre 1897 dans L'Illustration, édité l'année suivante chez Fasquelle. Roman de plus de quatre cents pages, au style jugé ampoulé, empruntant au pire de Zola… Il fut un échec.

Sa carrière de journaliste, d'autre part, à La Dépêche du Midi, La Justice, Le Bloc, Le Temps, et L'Aurore où il trouva le titre du fameux « J'accuse » de Zola qui fit la une du 13 janvier 1898. Son expérience de biographe, enfin, avec le fameux Claude Monet, les nymphéas, publié un an avant sa mort, dans lequel il retrace la vie de son ami disparu.

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Le projet de Lefeuvre est adopté par le Conseil général de la Banque de France, et placé en billet de réserve. C'est cependant le billet de Molière qui, au dernier moment, le supplantera, la gravure du Tigre n'ayant pas donné les résultats attendus.

En 1958, Lefeuvre refait sa maquette et Piel retouche la taille-douce du verso. Le billet doit alors compléter la future gamme de Corneille, Racine, Pasteur et Voltaire. Mais 27 décembre de la même année, le nouveau franc est adopté et, pour ne pas désorienter doublement le public, on décide de surcharger l'ancienne gamme : Clémenceau est à nouveau remisé. Le 9 novembre 1962, un décret du 9 novembre indique qu'à partir du 1er janvier 1963, "la dénomination de Franc, doit remplacer celle de Nouveau Franc" : la Banque de France émet successivement le 50 F Racine, le 10 F Voltaire, le 100 F Corneille, le 5 F Pasteur, mais pas de remplaçant pour le 500 NF Molière : Au mois d'août 62, De Gaulle, répondant à une invitation d'Adenauer, vient de faire un voyage triomphal qui se conclura par la signature, le 22 janvier 1963, d'un traité d'amitié franco-allemand. Le choix du Père La Victoire est jugé diplomatiquement inopportun en cette période de réconciliation médiatico-populaire. A la même époque, une vignette  l'effigie de Foch est également mise en quarantaine. C'est sans doute pourquoi le 500 NF Molière, billet pourtant libellé en Nouveaux Francs, perdurera jusqu'en ... 1970 !

La Banque garde cependant son projet sous le coude et imprime de nouvelles épreuves de 500 francs. Pour aider les aveugles, on y adjoint deux points en taille-douce. Le billet est prêt à sortir quand la création du Système Monétaire Européen annihile toute possibilité de voir figurer sur un billet français le symbole d'une victoire militaire. Cette fois-ci, le Tigre est mis en cage pour de bon par un Giscard d'Estaing qui  oppose un veto catégorique « pour ne pas froisser Helmut Schmidt ». Le fameux billet à l'effigie de Pascal est mis en circulation. De façon symbolique, un spécimen est offert le 23 juin 1989 au musée Clemenceau par le Gouverneur de la Banque de France.

Ce Clemenceau de réserve, inconnu du grand public et victime du déclin historique du nationalisme face à la construction européenne, demeure cependant, dans l'histoire fiduciaire aussi mouvementée que passionnante de ce pays, comme l'un des chefs d'œuvre de l'école française du billet,  que les collectionneurs s’arrachent avec d’autant plus de fougue que, n’ayant finalement jamais été édité, il n’en existe que peu d’exemplaires.

 

 

mardi, 11 novembre 2008

Paroles de poilus

« En fait, le poilu n’avait qu’un espoir : la fin de la catastrophe  où il avait été jeté. Aucun des grands mots creux : Défense de la civilisation ou guerre du droit n’avait en lui la moindre résonance. Il détestait beaucoup moins les Allemands que les gendarmes dont certains à Verdun furent plantés à des crocs de bouchers, et aucun des grands chefs, sinon le Pétain de 1917, ne fut populaire chez les poilus" (Galtier-Boissière, Mémoires d'un Parisien, tome 1)

 

« Pendant ces années de guerre il y eut plus de distance d’un homme de troupe à un capitaine que du serf au seigneur d’autrefois. J’ai vu des hommes garnir de planches un abri creux, parce que le commandant s’était blessé les coudes ; ces hommes dormaient par terre et sans aucun abri. Je signale ces petites choses parce que tous ceux qui écrivent sur la guerre sont des officiers qui ont profité de ces travaux d’esclave sans seulement y faire attention. »    (Alain, Mars ou la Guerre Jugée)

 

«Ceux qui viendront ici, et qui verront le grand geste uniforme que tracent sur la terre les croix, lorsque le soleil roulant dans le ciel fait bouger les ombres, s’arrêtent et comprennent la grandeur du sacrifice. C’est cela que veulent nos morts. C’est cela que nous voulons, nous qui demain, serons peut-être des morts. »     ( Paul Lintier, Le Tube 1233- « souvenir d'un chef de pièce »)

 

« Vais-je donc abreuver mes lecteurs de récits de guerre à la manière de Tolstoï, de Zola ou de Maupassant ? Mon orgue de barbarie ne moud pas de ces airs-là. D’autres s’en chargent et les amateurs trouveront dans les proses de nos épiques boulevardiers de quoi se satisfaire. Pour moi, je pense que  la guerre n’est pas un sujet de littérature (Henri Béraud, L'Ours - n° 11)


 

17:32 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : galtier-boissière, henri béraud, paul lintier, guerre de quatorze | | |