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mardi, 02 décembre 2008

Les Illuminations (2)

 

Reprise  des évocations de cette fête des Illuminations, qui tient sa place dans l'image que la ville s'est donnée d'elle-même à travers sa littérature. Charles JOANNIN fait partie de ces auteurs lyonnais à présent parfaitement oubliés, parfaitement démonétisés, dont je me suis plu, il y a quelques années, à  collectionner les titres. Dans son roman PERISSOUD militant lyonnais  (paru au Mercure universel en 1932) il livre ce témoignage sur le climat politique qui entoure la fête du 8 décembre en 1903, à la veille de la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Marcel Grancher, dans le témoignage précédent, évoquait déjà ces tensions :

 

Le mardi 8 décembre 1903 marquera peut-être une date dans l'histoire de l'affranchissement des esprits. Le Nouvelliste, paru le matin, invite les catholiques à illuminer avec plus d'enthousiasme que de coutume et à traduire cet enthousiasme par un nombre de lampions plus important que jamais pour protester contre l'arrêté du Maire.  Les libres penseurs se préparent à venger leur honneur. Une réunion anticléricale  est annoncée pour le soir dans la salle des Folies Bergères. Une célébrité locale, le militant Francis de Pressensé, doit faire une conférence et il est fort probable qu'un cortège s'organisera dès la sortie pour manifester en ville.

L'importance du service d'ordre donne peut-être à réfléchir car, au dernier moment, on apprend que la conférence et la réunion sont renvoyées à une date ultérieure. Les décisions sont vite prises. Un mot d'ordre porté de bouche en bouche assigne alors un rendez-vous à tous les militants pour 8h30 du soir, autour du monument Carnot  (...)

Pour tromper l'attente, on entama l'Internationale, hymne vengeur aimé de  la classe ouvrière; et il faut entendre clamer ce début de couplet :

« Il n'est pas de sauveur suprême / Ni Dieu ni César ni tribun… »  pour sentir passer dans l'air un peu de cette haine accumulée dans les coeurs populaires à l'égard de tout ce qui est synonyme d'oppression aux regards simplistes de braves gens. Et la finale du refrain exprime l'immense espoir de libération : « Groupons-nous et demain : L'Internationale sera le genre humain... »

Le chant terminé, l'impatience n'est pas sans créer des mouvements d'indiscipline. Cela ne satisfait guère Périssoud qui voudrait voir ses compagnons manifester leur force dans une attitude digne, imposante, jusqu'au moment où l'on devra passer à l'action directe. Il prêche l'exemple, harangue, exhorte, sans grands résultats. Enfin neuf heures sonnent dans le voisinage. Un mouvement se dessine. Les manifestants se dirigent en masse vers la Rue de la République pour arriver vers la place de la Comédie. Ils avancent entre deux rangées de badauds, alternant L'Internationale et la Carmagnole avec de vigoureux « Conspuez la calotte... »

L'inquiétude s'empare des commerçants qui baissent en toute hâte les rideaux de fer, développent les volets, ferment les devantures, après avoir rentré précipitamment les étalages extérieurs. Quel dommage ! Ils avaient pris tant de soin pour allécher la clientèle, mis tant d'art dans la présentation de leurs produits ! Que peut compter devant cela l'emportement de la passion ?...  Le défilé poursuit sa route, il gagne la rue de l'Hôtel-de-Ville et, arrivé rue Grenette, il s'y engage, tourne à droite, se dirige vers le quai pour remonter vers le pont du Change où l'on a négligé de disposer des forces de police. Deux cortèges se forment alors, enveloppant le Palais de Justice, l'un gagnant la rue Saint-Jean directement, l'autre suivant le quai : la jonction s'opérera place Sant-Jean. Le quartier est désert car les habitants se sont rendus dans la presqu'île pour mieux jouir du spectacle des illuminations et des étalages : de Bellecour, de Perrache, on voit mieux l'ensemble du panorama offert par la Colline et la Basilique embrasées. Aussi, l'ardeur des manifestants peut-elle s'exercer impunément à l'encontre des lampions de verre, des lanternes, des vitres mêmes ; les choses sont presque toujours les victimes de la haine et de la colère des humains.  (A suivre)

 

06:21 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (11) | Tags : charles joannin, littérature, fête des lumières, lyon, 8décembre | | |

lundi, 01 décembre 2008

Les Illuminations (1)

Nous pénétrons à petits pas dans ce mois de décembre, tout empli d'ambiguïtés, lequel voit à Lyon sa première quinzaine occupée à fêter Les lumières. C'est sous le mandat de Raymond Barre, c'est à dire assez récemment, que la vieille fête des Illuminations s'est mutée en fête des Lumières. Occasion, grâce au témoignage de plusieurs auteurs et romanciers, de (re) découvrir plusieurs témoignages de ce que cette fête fut, de 1852 (date de sa création) jusqu'à nos jours. Premier souvenir littéraire de la fête des Illuminations à Lyon, celui de l'écrivain Marcel E Grancher (1888-1976), romancier, journaliste et éditeur, qui repose à présent à Loyasse. Le célèbre San Antonio (Frédéric Dard) fut, il y a longtemps, son secrétaire et fit ses classes ainsi que ses débuts à ses côtés :  

 

- Cead793f2a4aa7f1da25ec85b8551d449f.jpg soir nous sortons, dit mon père. Nous allons voir les Illuminations.

 - Les Illuminations ?

- Oui, expliqua ma mère. En l'honneur de la Vierge, toutes les fenêtres seront, ce soir, garnies de petits verres de couleurs dans lesquels brûleront des bougies.

 Je battis des mains.

-Pas toutes les fenêtres, grogna mon père. Certaines fenêtres...

- Comment fis-je, soudain inquiet ? Pas toutes ? Et les nôtres ?

 - Pas les nôtres, dit ma mère.

- Pourquoi ? 

- Parce que ton papa est un mécréant. 

- Parce que ton papa aime la logique, rectifia mon père. Peut-il importer à la Vierge que' le commerce de la chandelle soit particulièrement florissant ?

Nous n'en partîmes pas moins. Peu d'illuminations dans les rues populaires, mais, en revanche, une véritable débauche sur les voies les plus aristocratiques : cours Morand, avenue de Noailles, place Morand.  « Ce n'est encore rien, apprécia mon père. Vous verrez les quartiers riches, Bellecour et Perrache. Et c'est très bien ainsi. Je comprends assez que l'on remercie Dieu quand il vous a donné quelque chose. Mais, quand on n'a pas un sou... »  Le spectacle était ailleurs, admirable, de toutes ces façades sévères, éclairées de bas en haut par les lumières multicolores, que faisait danser le vent. Extasié, je m'en emplissais les yeux. Les magasins n'avaient pas voulu être en reste, et la plupart d'entre eux exhibaient des étalages amoureusement fignolés. Place des Jacobins, à l'angle de la rue de l'Ancienne-Préfecture, un marchand de beurres et œufs battait tous les records : dans une énorme molette dorée, il avait sculpté une réplique exacte de la basilique. Rien n'y manquait, même pas la ridicule tour métallique qui déshonore ce très beau paysage. On ne s'en battait pas moins pour approcher. Ayant piétiné maintes chaussures, je pus parvenir tout contre la vitrine. Je faillis y être aplati et mon père dut jouer de ses bras de géant pour m'arracher de là, d'autant qu'afin de partir, je me débattais de toute ma jeune énergie.

Pour me consoler, on me conduisit sur la quai de la Saône, d'où l'on voyait flamboyer, en haut des jardins de l'Antiquaille, les traditionnelles inscriptions : Lyon à Marie  et Dieu protège la France. Cela ne m'amusa pas. Je préférais le marchand de beurre. Pourtant, le clocher de l'ancienne chapelle était bordé d'une dentelle de feu. Pourtant des flammes de bengale embrasaient par instant la Vierge de Fabisch. Pourtant, au flanc de la colline, le Grand Séminaire, le pensionnat des Lazaristes et, plus bas, l'Archevêché et la cathédrale rivalisaient de guirlandes étincelantes. Cependant, un cortège de gens qui ne prisaient sans doute pas les   Illuminations, parcourait le quai en chantant l'Internationale et en conspuant la calotte. 

- Ils ont tort, dit mon père, qui savait tout. On ne doit jamais protester contre une tradition.

Or, celle-ci remontait à 1852...  Depuis, et en des sentiments différents, j'ai revu bien des fois la bénédiction de la ville et la fête du 8 décembre. Que l'on pense ce que l'on voudra, l'une et l'autre constituent, à tout le moins, de bien curieux spectacles. Et uniques au monde, que je sache ! Ailleurs, on ne manquerait pas de battre monnaie en de semblables occasions. On ferait de la publicité. On organiserait des trains spéciaux. Chez nous, rien de tout cela. Nous avons la pudeur de ne pas attirer l'étranger à nos manifestations locales. Après tout, c'est bien mieux comme cela. 

 

Lyon de mon cœur, de Marcel E Grancher, fut publié en octobre 1940. C'est davantage un recueil de souvenirs qu'une autobiographie. Marcel E. Grancher fut un auteur mineur mais prolixe, à la fois de reportages, de romans policiers et de romans à la veine réaliste. Un peu plus loin, dans ce même récit, il rappelle les échauffourées qui, au début du vingtième siècle, ont parfois opposé catholiques et laïcards.

 

« A Lyon, le 8 décembre 1903, au cours d'une bagarre entre manifestants et contre-manifestants, un soyeux, nommé Boisson, venait d'être tué. On n'arrêta l'assassin que trois mois après. C'était un coiffeur de la rue Robert qui, entre deux coups de tondeuse, professait des opinions anarchistes. Il s'était servi, pour frapper, du bec de cane de sa porte... »

 

 

07:44 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (15) | Tags : lyon, illuminations, fête des lumières, littérature, marcel grancher | | |

dimanche, 30 novembre 2008

La poésie et la monnaie

Entre le poète et le marchand il y a bien un point de rencontre : tous deux dépendent de l’utilisation de signes  fondamentaux placés au cœur de la relation humaine : la lettre et le monnaie. C’est ainsi.

Ce point de rencontre est aussi un point de rupture. Comme – et tandis que - le signifiant linguistique accorde aux choses que nous voyons un sens, le signifiant monétaire, de manière tout aussi arbitraire, leur accorde une valeur.

Si la monnaie a toujours paru au plus grand nombre plus fiable que le mot, c’est qu’elle s’est présentée sous un jour plus concret. Il fut en effet un temps où la valeur de son signifié s’exprimait concrètement dans son signifiant : autrement dit la valeur marchande d’une pièce équivalait à peu près à la valeur attribuée au métal dont on la frappait (cuivre ou argent). Exista-t-il jamais, hors du temps mythique, une période où la forme d’un mot garantît absolument son sens ? Autrement dit où la parole fût d’or ?

 Le papier monnaie fascine parce qu'au contraire de la pièce d'or, il proclame son mensonge. Tel le batard illégitime, il a pris sa naissance en cette forfaiture. Indigne, parce qu'imprimé et reproduit en alphabets de chiffres et non de lettres, il a fondé sur cette imposture initiale sa légitimité.  Un billet est  l'affiche vite salie, vite froissée, et de mains en mains corrompue, de sa propre duplicité : Regardez, proclame-t-il à chacun à la façon d'une Peau de Chagrin balzacienne, je ne suis quasiment rien, je vaux tout. Chacun le croit unique : il ne l'est pas. C'est en déclarant haut et fort cet artifice - Saussure dirait cet arbitraire - que ce chiffon de papier, aussi malhonnête qu'éphémère, réalisa cet exercice de haute voltige : fonder ce qu'ironiquement, des économistes malveillants ont appelé la monnaie fiduciaire, la monnaie du plus grand nombre; devenu en quelque sorte le coryphée moderne de nos danses boursières virulentes et macabres, il n'a jamais pu cependant gagner la hauteur tragique des vieux écus ni des louis d'or. Fondamentalement démocratique, il est fondamentalement comique. Irrémédiablement bouffon.

Je constate que l'avènement de son règne coïncide, dans l'Histoire, avec le Romantisme, cet autre illusion, la perte des mythes, la prolifération industrielle des objets, et l'impossible naissance, parmi nous dorénavant, de poètes de l'Authentique.

 

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12:50 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (20) | Tags : crise, monnaie fiducière, poésie, littérature, histoire, âge d'or | | |

vendredi, 28 novembre 2008

Claude a cent ans

Claude a cent ans. Non pas Sarraute. Levi-Strauss. Non pas les jeans. L'anthropologue. Très distingué, l'anthropologue. Je ne sais pas pourquoi, je m'en suis toujours méfié, de Claude Lévi-Strauss, oui. Comme de tous les structuralistes de sa génération, d'ailleurs. Des séducteurs, certes. De grands séducteurs, qui plantèrent un jour leur bivouac sur le Quartier Latin et, longtemps, cette terre universitaire et toutes ses colonies en province leur furent conquises. David Pujadas qui tient le carnet mondain de France2 a-t-il lu jusqu'au bout Tristes Tropiques ? Croyez-vous ? Et le président Sarkozy qui s'est rendu à son domicile pour lui dire l'hommage de toute la nation ? A-t-il lu jusqu'au bout Tristes Tropiques ? Et Valérie Pécresse, a-t-elle une tête à avoir lu jusqu'au bout Tristes Tropiques ? Et vous-mêmes, avez-vous lu jusqu'au bout Tristes Tropiques ?  Claude Levi-Strauss a cent ans, le structuralisme sans lequel il n'y avait point de salut il y a encore quelques années sera bientôt, comme le positivisme, une vieille lune. Les théories vieillissent mal, presque aussi mal que les hommes, parfois plus mal encore. Allez, pas de mensonges : moi, franchement, je me souviens avoir essayé, il y a longtemps, et puis avoir laissé à leurs tristesses ces tropiques levi-straussiennes. Et c'est pas parce que Claude a cent ans que je vais m'y mettre...

21:23 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (14) | Tags : claude levi-strauss, littérature, anthropologie | | |

Vue

Ce qu’à Lyon, on appelle une vue n’est accessible que de quelques endroits : des sommets de Fourvière ou de ceux de la colline des canuts. Ces derniers sommets s’édifièrent dans un conglomérat de rues tel que cette vue qu’on déflore, au fur et à mesure qu’on s’élève dans les étages d'un immeuble, ne se peut imaginer lorsqu'on est sur le trottoir, en tous cas si vaste , si claire, si somptueuse. On la découvre soudain, à partir du quatrième ou cinquième étage de l’immeuble. D’un côté, les Alpes, naturelles, blanches et éloignées ; de l’autre, la roche sombre, abrupte de Fourvière, pierre scize plongeant dans la Saône. En quelques points privilégiés des hauts immeubles des pentes, on peut saisir les deux dans la même pièce. On vit alors, encore, dans la ville, certes. Au confluent même de ses pensées les plus profondes : Dans le creuset véritable de son nom. Les aubes et les crépuscules, qui, du lux latin, devinrent dans l'imaginaire le Lug celte, viennent frapper aux carreaux de vos fenêtres. Les premières sont alpines et attendent encore le doux Turner qui les fixerait sur une toile ; les seconds, de derrière Fourvière, semblent soulever la basilique, quand la fureur rouge de leurs rayons la fige contre le cul dodu des nuages. Puis, soudain, toutes pierres fécondées, l’aveuglant jet du couchant s’éclipse, comme auréolé par des lointaines fondations : de la ville dont, un instant, chaque soir, il dispute le privilège à Marie, Lug, irrité et vivant, se retire. De son emprise, immense et affairée, se dégage la cité classée au patrimoine historique, obstinément amnésique. Dans les reflets que l’illumination technologique de ses nuits accorde aux cours d’eau qui la traversent, elle est sotte et glacée comme une image, cette ville, au soir tombé.

         Celui qui bénéficie d’un tel point de vue peut, pareillement, saisir l’extrême qualité de l’orage, après que le site, chaque tuile, chaque pavé, chaque clocheton, en a subi l’attente, souvent lourde et caniculaire. Ça claque, on ne sait d’où, ça vrombit brusquement : L’eau ne vient pas. La noirceur du ciel, même en plein jour, atteint des degrés sinistres. Puis le gris danse et roucoule. En un éclair, c’est le mariage des éléments, subit et colossal. L’acte fondateur et vivant redevient contemporain : Tout, qui ruisselle. Et le souffle alpin, tournoyant à présent alentours, balayant, après la foudre, la pierre italienne et renaissante de fraîches bourrasques, la nettoie minutieusement de la présence des hommes.

14:15 Publié dans Bouffez du Lyon | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : lyon, littérature, société, poésie, poèmes, écriture | | |

mardi, 25 novembre 2008

Alceste

J'ai le bon sens qu'habite pas loin de chez moi. La nuit, quand tout repose dans l'arrondissement, je vas lui demander quelques conseils. Il répugne jamais à m'en livrer quelques uns : le bon sens est un bon bougre que ne trouble pas sa popularité grandissante dans le pays. Les parchemins qu'il déroule ne sont-ils pas emplis de lieux communs qui ont aidé un sacré paquet de dépressifs à vivre en bonne sociabilité avec leur prochaine et son prochain ? Que si !  Il en délivre dans toutes les langues, pour tous les goûts et selon toutes les opinions. Il faudrait le décorer, bon sens, de la médaille du mérite citoyen. Je préfère aller l'entendre la nuit parce que, depuis qu'il a fait un mailing d'enfer en glissant des petits papiers roses avec son numéro de téléphone dans toutes les boites aux lettres, y'a une queue pas possible devant chez lui, du soir au matin. Avec ce qu'ils lisent dans la presse et ce qu'ils voyent à la télé, les gens du quartier, qu'est-ce qu'ils feraient sans ses conseils avisés ?

VOUS SAVEZ PLUS QUOI PENSER ?

VOUS SAVEZ QUOI DIRE ?
ALLEZ DANS LE BON SENS …

En allant chez lui, longtemps, je longe le grand boulevard qui ferme par le Nord le petit lot d'immeubles gris où je loge. A un endroit, y'a un misanthrope qui loge dans les grands arbres presque centenaires qu'on parle de couper à cause de leurs puces qui tombent sur les enfants quand ils jouent dessous. Il est le seul à jamais tendre l'oreille au bon sens. Une vieille avec une poussette m'a dit que la première fois où il l'a vue diriger ses pas par chez lui, il lui a jeté des cailloux dessus pour l'en détourner.  Vous vous rendez compte ? "On aurait dit un forcené". Une autre fois, il s'en est pris à un couple d'amoureux. Alceste a sa réputation qui tourne de plus en plus mauvaise. Le bon sens raconte à tout le monde qu'il faut plus l'écouter. D'ailleurs, quand novembre commence à répandre sur nous tous son air de banquise, et que les beaux platanes un à un ont perdu tout leur plumage, est-ce bien censé de continuer à crêcher là-haut, dans les arbres ?  Le bon sens dit : hein, voyez ? Est-ce bien censé ? A ce train là, plus personne ne lui adressera bientôt plus la parole. Bon sens dit que c'est ce qu'il cherche. La doctrine de bon sens, c'est qu'il faut pas faire de vagues, que tout se vaut dans ce bas monde, et qu'il faut laisser les originaux décoiffer les altitudes des plus hautes branches et passer son chemin : ils finiront par se lasser, rentreront tout penauds chez eux quand plus personne fera attention à eux. Avec bon sens, on se demande où va le monde, qui des deux roses emportera le parterre dans quelques heures et si on ferait pas mieux de tous s'aimer. Alceste, lui, il rêve devant les feuilles mortes et jette des cailloux sur la tête des passants. On sait plus trop ce qu'il faut en penser ...

08:11 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (16) | Tags : littérature, politique, misanthrope, lyon, feuilles mortes, novembre | | |

jeudi, 20 novembre 2008

François René, de Saint-Malo (500 francs)

Etre allé, au soir de ses jours, jusqu’à se glorifier de se retrouver sans le sou sous le régime honni de Louis Philippe et le ministère vomi de Guizot, parmi les indigents que l'Histoire avaient rendus aussi dérisoires que dignes de l’Infirmerie Marie Thérèse, à quelques pas des premières guinguettes et des populaires acacias de Montrouge, des tout derniers moulins et du tout nouveau cimetière de Montparnasse, pour finalement faire naufrage sur un billet de banque, à peine un siècle après sa mort : Est-ce à ce pire-là qu’il songe, François René, engoncé dans la vignette de son billet de 500 francs, créé en 1945 ?

Admirons François René, de Saint Malo :

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« Oh ! argent que j’ai tant méprisé, et que je ne puis aimer quoi que je fasse, je suis forcé d’avouer que tu as pourtant ton mérite ! », concède-t-il dans un fameux chapitre de la quatrième partie des ses Mémoires. Quel étonnement dut donc être le sien, de se trouver aussi vilainement logé en cette cette coupure, lui, l'épris des lunes bretonnes et des chutes du Niagara. Quel étonnement !  Son visage y apparaît d'ailleurs songeur, comme la caricature que ses contemporains, déjà, aimait à surprendre en ses écrits : L’Enchanteur…Un long doigt fin, dressé après avoir pincé la corde d’une lyre jaune, le regard aux aguets, comme s’il cherchait à matérialiser la note qui résonnait sur le bout de la corde, au loin, le regard soigneusement plongé vers un hors-champ peuplé d'hirondelles ou de  jeunes filles de Bohême, au delà des fracas des révolutions et de l'Histoire.  Et de chaque côté du billet, ce chiffre 5 à la poursuite de deux zéros inclinés vers lui, comme s’ils résistaient à un vent d’Est frontal,  ce cinq, bonhomme et ridicule au ventre enflé : l’argent, force désolante, humiliante, abominable, soutenue par les techniques et les consortiums de toutes les époques, par les forces les plus internationales du grand Capital, les espoirs manipulés du petit peuple, par l’idée insensée de l'enrichissement de tous, et le prévisible cataclysme final  : songe-t-il à cela, déjà, le vieil enfant des wastes  perdus?

       Se réjouit-il vraiment de siéger parmi les figures du franc, François-René ? Son vieil orgueil, peut-être, rugit en en secret d'y prendre place un peu avant l’ennemi de toujours et un peu avant le cadet de toujours : Napoléon qu’il admirait, Victor Hugo qui l’admirait, n’eurent, l'un et l'autre leur billet qu’en 1955. Son vieil orgueil, peut-être, s'en trouve flatté.

Mais lui-même, d’Outre Tombe, à quoi, à qui songe-t-il ? A quoi songe l’amant de Cynthie, le récitant de Rancé, le génie des Martyrs ?

Prévoit-il la manière dont les tenants du village global, plus déments encore que ceux de la Monarchie de Juillet, auront consacré de façon absolue le pouvoir odieux, honni, de la monnaie et de sa valeur sur toute autre considération ? Sent-il poindre l'avilissement de tous les peuples ? Dans le grand renouvellement des générations, perçoit-il un frêle chant d'espoir, ou seulement le fracas d'événements qui n'auraient plus jamais de sens, et dont même le spectacle - aussi désabusé soit-il - serait devenu atroce et vain ? Décomposition, recomposition : A vous de jouer, Messieurs ! lançait aux hommes du futur le vieux mémorialiste, peu avant de quitter la piste. De bourrasques en bourrasques, ils se seront, en effet, bien amusés... Pour, au final, quel lendemain tisser ?

 

06:46 Publié dans Les Anciens Francs | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : littérature, chateaubriand, billets français, anciens francs | | |

dimanche, 16 novembre 2008

Le curé et le vitrier

Voici un bref extrait des Contes en patois de Mornant, rapportés par Nizier du Puitspelu, et  publiés dans la Revue du Patois (1888). Mornant est une commune située à une vingtaine de  kilomètres au sud-ouest de Lyon.  C’est une mère grand qui parle :

 

O y avet ina vès lo curô de vais chiz nos que se jubôve avouai le vitrayi, drin bin in bôs dou Bor-Chanin, tanz qu'i z'ayant de mogne.

- O Môre ! Parqué don que que lo curô et lo vitray se jubovont fère ?

- O y avet lo curô que volièt pôsse laissi betô ina vitr'u cu.

 

Traduction :

 

 Il y avait une fois le curé de notre paroisse qui se chamaillait avec le vitrier, juste en bas du Bourg-Chanin, aussi fort qu’ils le pouvaient.

- O Mère, pourquoi donc le curé et le vitrier se chamaillaient-ils ?

- Il y avait le curé qui ne voulait pas se laisser mettre une vitre au cul.

 

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Les Contes de ma mère l’Oye (1697), illustrés par Gustave Doré

20:27 Publié dans Des poèmes, Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : mornant, lyon, patois, littérature, contes, nizier du puitspelu | | |

Huitain amoureux en patois

Voici un petit poème d’amour en patois lyonnais, écrit dans la manière pétrarquisante de l’époque (1541) par Pierre de Villiers, compositeur de chansons donné comme contemporain de Rabelais.  Ce huitain appartient à un ensemble aujourd’hui introuvable, « Le Paragon des Chansons, contenant plusieurs nouvelles et délectables chansons que oncques ne furent imprimées au singulier prouffit et délectations des musiciens », imprimé à Lyon par Jacques  Moderne.  Il a été publié par Auguste Benoit en 1969 dans La Revue Forézienne.

 

 

Lo meissony, sur lo  sey se retire,

Quant il a prou, tout lo jour, meissona,

Mes vostre amour, si fort, vers se, me tire,

Que je ne puis jamais abandonna.

 

Veiquia lo guet que j’oyo marmonna

J’e paour qu’icy ne me viene cherchi.

Bon sey, bon sey, meilleur qu’a mey, vous sey dona.

Cuchi m’en vey, mes maulgra mey, cuchi.

 

Traduction :

 

Le moissonneur, vers le soir, se retire,

Quand il a bien, tout le jour, moissonné.

Mais votre amour, si fort, vers lui m’attire

Que je ne puis jamais vous quitter

 

Voici le guet que j’entends murmurer

J’ai peur qu’il ne vienne jusqu’ici me chercher.

Bon soir, bon soir, meilleur qu’à moi vous soit donné.

Je vais me coucher, mais c’est bien malgré moi !

 

 

12:27 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (21) | Tags : lyon, littérature, poèmes, poésie, patois, pierre de villiers | | |