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lundi, 30 mars 2009

Chronique des libres penseurs de l'ancienne France et des chrétiens d'aujourd'hui

Au commencement de l'Argent, Péguy a cette phrase extraordinaire, avec laquelle une part de moi n'a cessé d'être, depuis que je l'ai lue : "Les libres-penseurs de ce temps-là (vers 1880) étaient plus chrétiens que nos dévôts d'aujourd'hui (1913)" J'aime cette phrase et je l'ai beaucoup respirée, comme on respirerait un brin de mimosa ou de muguet, si juste. Avec gaieté, cette phrase proclame combien il est ridicule de  s'affirmer de façon dogmatique comme étant un libre-penseur ou un chrétien, combien c'est même impossible quand en vérité, on ne peut être que de son temps. Je me souviens avoir mis 20 / 20 à un élève qui présentait ce texte difficile de Montesquieu, cette lettre du Persan Rica dans lequel l'astucieux bordelais fait dire à son personnage que le pape est un grand magicien...  Tous les élèves passés par le moule dogmatique de l'enseignement secondaire vous diront qu'il convient de lire là une condamnation par Montesquieu lui-même de la Trinité et de l'Eucharistie (1)

"Ce que je dis de ce prince (le roi) ne doit pas t'étonner: il y a un autre magicien plus fort que lui, qui n'est pas moins maître de son esprit qu'il l'est lui-même de celui des autres. Ce magicien s'appelle le pape: tantôt il lui fait croire que trois ne sont qu'un; que le pain qu'on mange n'est pas du pain, ou que le vin qu'on boit n'est pas du vin, et mille autres choses de cette espèce."

Or cet élève commença son introduction en me rappelant que Montesquieu était enterré en terre chrétienne, ce qui me fit tendre l'oreille, car des introductions de ce genre, on n'est plus habitué, n'est-ce pas, plus du tout  ! Et donc qu'il avait sans doute quelques "scrupules à critiquer le dogme". Et qu'au nom de ces scrupules (je dis bien scrupules, car c'est un mot qu'on n'entend plus guère non plus dans les lycées), il avait placé cette offensive dans la bouche d'un Persan. Non pas "pour fuir la censure" ou "déléguer sa pensée à un étranger". Mais juste à cause du scrupule. Et que tout ce passage était à envisager selon "la poétique du scrupule". Mon candidat parlait ainsi comme Péguy. Bien sûr, "Les libres-penseurs de ce temps-là étaient plus chrétiens que nos dévôts d'aujourd'hui" Nos dévots d'aujourd'hui bêlent comme des singes face au camp d'en face qui bêle comme des chiens. Toujours dans L'Argent, Péguy note que le problème extrêmement grave que rencontre le pays  à l'heure de la modernité, c'est sa déchristiannisation. Et, dit-il, ce n'est pas une affaire de curés, mais de générationsn qui passe. Le problème n'est donc pas qu'il n'y ait plus de curés. C'est que les boulangers, les instituteurs, les paysans soient moins chrétiens que ne l'étaient leurs pères. .

(1) Très peu seront en mesure de vous expliquer correctement ce que sont précisément la Trinité et l'Eucharistie

Commentaires

Dévôt : mot du XVIIème... marqué par le pouvoir absolu, le dérèglement climatique, la peste noire qui a ravagé l'Europe. (cf les réflexions de Michel Pastoureau dans son beau livre sur la couleur noire)

Écrit par : Nénette | lundi, 30 mars 2009

Bigre, votre candidat était un esprit brillant... Il est à craindre qu'aujourd'hui encore je n'aurais pas eu sa finesse, je le reconnais humblement...
C'est tout bonnement impressionnant, le 20/20 était presque un minimum!

PS: J'aime beaucoup votre phrase à respirer comme un brin de muguet ou de mimosa... C'est à dire, j'aime cette image, et la phrase de Péguy à laquelle elle renvoie si joliment a la douce puissance de la vérité.

Bonne journée Solko.

Écrit par : tanguy | lundi, 30 mars 2009

Existe t' il encore de réels libres-penseurs à notre époque ? Libres peut-être et encore mais ... (vous voyez ce que je veux dire) Il y a en ce domaine grave pénurie !
Les dévots, personnellement, j'exècre et n'en fais pas mystère, j'en ai trop coudoyé jadis pour ne pas savoir ce qu'ils valent. Chrétiens, nous le sommes ou plus précisément l'étions presque tous en un pays où l'on nous infligeait une religion sans nous consulter au préalable, laquelle nous a marqués à vie, que nous le voulions ou non. J'ai parfois d'étranges remords qui prouvent bien que mon esprit n'est pas tout à fait libre ...
Nous sommes tous passés par un moule identique et c'est contre quoi je m'insurge. Pardonnez-moi (encore un stigmate) mais j'ai l'outrecuidance de croire que pour qui se donne le temps de réfléchir un peu, la notion de bien et de mal relève de l'inné. (un enfant sait bien d'instinct quand il se fourvoie). Les églises veulent nous prouver le contraire quitte a fausser au passage certains jugements (à leur avantage, bien sûr). Le raisonnement de Péguy tout comme celui de Claudel s'effectue inscrit dans la sphère du catholicisme or pour citer le grand Léo, " les gens qui pensent en rond ont les idées courbes." Comme dirait un certain chroniqueur qui sévit le matin sur France-Inter, " mais vous n'êtes pas obligés de me croire " ... Bonne journée à tous !

Écrit par : simone | lundi, 30 mars 2009

Simone: "la notion de bien et de mal relève de l'inné"!!!, encore justement faudrait-il savoir ce qu'est le bien et ce qu'est le mal, non? n'est-ce-pas un poil contradictoire avec ce que vous dites plus haut: "tous passés par un moule identique"...qui selon votre raisonnement disait ce qu'était le bien et ce qu'était le mal, non?! Bonne journée!

Écrit par : Sophie L.L | lundi, 30 mars 2009

@ Sophie. Mon mode de raisonnement n'a rien de contradictoire ou alors je me suis mal exprimée. Oui, nous sommes passés (presque tous) par un moule identique mais est-ce une raison pour affirmer que notre notion du bien et du mal en est uniquement tributaire ? Un enfant élevé en toute laïcité sait également quand il vient de commettre une bêtise. La conscience ne vient pas de l'extérieur.

Écrit par : simone | lundi, 30 mars 2009

Simone:...mais quelle "bêtise"????!!???

Écrit par : Sophie L.L | lundi, 30 mars 2009

Sophie, la conscience est innée, la culpabilité est induite. Si vous ne comprenez pas cela, je ne peux rien pour vous.

Écrit par : simone | lundi, 30 mars 2009

Je reviendrai plus tard sur le fond.
Relever juste ceci que vous écrivez : "Cet élève commença son introduction en me rappelant que Montesquieu..."
C'est le pronom personnel "me" qui m'intéresse ici. Parce que je n'avais jamais entendu aussi clairement dire que le professeur se percevait comme le destinataire de la dissertation donnée.
C'est le professeur certes qui la donne et c'est encore lui qui va la lire ; mais j'étais sur cette idée que, dès que je développe un argumentaire, je deviens mon premier destinataire, le lecteur étant alors non dans l'anonymat, mais dans le flou, au moment où j'écris.
Et donc donner d'emblée le destinataire, ce n'est pas rien et cela me pose une question : qu'est-ce que j'écris quand j'écris pour le professeur ? (les examinateurs ?)

Je précise ma préoccupation : Y a-t-il des moments au Lycée ou à la Fac où je suis en situation de véritable écriture personnelle, donc de pensée personnelle ? Sinon, cela signifie-t-il que c'est toujours renvoyé dans la sphère privée ? Que penser alors de nos institutions scolaires ?

Je suis hors sujet, mais...

Écrit par : michèle pambrun | lundi, 30 mars 2009

Bon. Mille excuses à tous. Je rentre tard, et je vois que ce billet (qui redouble le précédent) est passé lui aussi après le précédent, alors que tous deux sont des brouillons (d'où des redites). Comme il y a des commentaires sur les deux, eh bien on laissera les choses e l'état. C'est le caractère aléatoire, diariste du blogue !

Écrit par : solko | lundi, 30 mars 2009

@ Simone : Je crois sincèrement que des dévots et des libres-penseurs comme le XVIIème et le XVIIIème en ont connu, non, il n'y en a plus, ni dévots ni libres penseurs. Dans la société du spectacle, on est soit un epsilon, soit une image. Ecoutez les tous bêler sur l'écran... C'est pourquoi j'aime beaucoup cette phrase de Péguy, vraiment, qui enregistre la déchristianisation du pays en terme si paradoxaux et si justes.
Je n'ai pas cette détestation de la religion ni des dévots , au sens où je n'exècre pas les textes des Pères de l'Eglise ou de Pascal - par exemple. Si vous parlez des bigots, je vous rejoins sans doute, sans parler d'exécration : je parlerai davantage d'indifférence. Mais vous savez, des gens intolérants et bornés, "l'autre camp", pour parler binaire, n'en manque pas non plus !

Écrit par : solko | lundi, 30 mars 2009

@ Michèle : Il s'agissait d'une épreuve orale. D'où mon implication en tant que destinataire. Un ton, de surcroit, très convaincant. Un sens de l'originalité du texte. Je ne sais pas ce que ce type est devenu. Brillant.

Écrit par : solko | lundi, 30 mars 2009

Solko, c'est vrai, j'avoue, je suis rentré à pas feutrés en votre domaine - c'était il y a deux mois si j'ai bonne mémoire.
Ensuite, j'y suis irrégulièrement revenu, sans doute " refroidi " par son caractère régional - "régional" qui, comme chacun sait, n'a rien à voir avec "régionaliste".

Eh bien, figurez-vous que depuis quelques jours je me ravise de fond en comble.

En outre, votre "discours littéraire" - son esthétique, sa théorie, son style - sont réellement d'or et de feu, et tranchent, ma foi, avec la purée ambiante, le potage en brique.

Aussi bien , je vous (re)lis (et je vous lie).

Écrit par : Chr. Borhen | lundi, 30 mars 2009

@ Christophe :
Moi aussi je suis allé faire quelques trop rapides excursions en vos terres strasbourgeoises. Dans quelques jours j'aurai le temps d'y séjourner plus sérieusement. Merci de ce que vous me dites là. A bientôt.

Écrit par : solko | mardi, 31 mars 2009

Ce qui me chagrine un peu, c'est ce 20/20...
Quelle note auriez-vous donnée à un élève qui, après celui-ci, se serait montré plus brillant encore ?
A moins qu'il ne fût le dernier candidat...

Par ailleurs, j'avais plus ou moins dit, donc j'ai fait :

http://lexildesmots.hautetfort.com/archive/2009/04/03/a-solko-et-ses-amis.html

Cordialement

Écrit par : Bertrand Redonnet | vendredi, 03 avril 2009

Quelle note ? Mais 20/20 également !

Écrit par : solko | vendredi, 03 avril 2009

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