lundi, 30 mars 2009
Du libre-penseur et du chrétien
Au commencement de l'Argent, Péguy a cette phrase extraordinaire, avec laquelle une part de moi n'a cessé d'être, depuis que je l'ai lue : « Les libres-penseurs de ce temps-là (vers 1880) étaient plus chrétiens que nos dévôts d'aujourd'hui (1913) »
J'aime cette phrase et je l'ai beaucoup respirée, comme on respirerait un brin de mimosa ou de muguet, si juste. Avec gaîté, et malgré la tristesse de son constat, cette phrase proclame combien il est ridicule de s'affirmer de façon dogmatique comme étant un libre-penseur ou un chrétien, combien c'est même impossible quand en vérité, on ne peut qu'être de son temps, de sa condition, de sa place, de son monde. J'aime la senteur de cette phrase que je sens profondément juste : elle souligne - et pour le pire comme pour le meillleur- le primat de l'humain sur le théorique, du concret sur l'abstrait, de l'affection sur le cours des idées, de la chair incarnée sur le roseau pensant. Elle renvoie dos à dos libres penseurs et théologiens en leur rappelant qu'ils sont tous deux déterminés par l'appartenance au monde commun de leur génération, au sens le plus large, malgré la prégnance de leur foi ou de leur idéologie qui restent, l'une et l'autre, la foi et l'idéologie dont est capable leur époque.
00:13 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : charles péguy, littérature |
Commentaires
...Comme un brin de mimosa ou de muguet? Ah!
Écrit par : Sophie L.L | lundi, 30 mars 2009
Oui. Comme une senteur qui n'a qu'un temps et dont il faut jouir durant tout les moments de la journée. Une senteur vive, qui apporte une grande fraîcheur. Et une forme de vérité.
Écrit par : solko | lundi, 30 mars 2009
...Comme une forme de sérénité!
Écrit par : La Zélie | lundi, 30 mars 2009
"Le primat de l'affection sur le cours des idées".
Je me souviens d'un conteur disant qu'il ne pouvait écouter une histoire racontée par quelqu'un qu'il n'aimait pas.
Écrit par : michèle pambrun | lundi, 30 mars 2009
Trop souvent, cette époque semble complêtement oublier le sens des nuances, et d'un façon plus générale, la complexité des choses qui apparait dès que l'on rentre dans les détails et que l'on commence, un tant soit peu, à connaître n'importe quel sujet.
C'est parfois dramatique combien, la population se contente de clichés à tout bout de champ. Et il en est ainsi dans le domaine philosophique, scientifique, sociétal.
A l'école nos professeurs avaient en général pour but de nous former une "tête bien faite" ce qui nous permettait de la remplir si en avions la possibilité. C'était un bel idéal, et à vous lire je crois qu'il a encore de l'avenir!
Écrit par : Rodrigue | lundi, 30 mars 2009
"elle souligne - et pour le pire comme pour le meillleur- le primat de l'humain sur le théorique, du concret sur l'abstrait, de l'affection sur le cours des idées, de la chair incarnée sur le roseau pensant"
Superbe !
Je rattrape mon retard de lecture sur votre blog en respirant bien fort du côté de Péguy et des réflexions qu'il vous inspire : cela fleure bon le printemps et la vérité mêlée !
Écrit par : Zabou | lundi, 30 mars 2009
Grmpf, mêlés, bien sûr.
Écrit par : Zabou | lundi, 30 mars 2009
@ Rodrigue : La complexité du monde, on ne peut l'exprimer que si on maitrise un tant soit peu la complexité de la langue. Or une population matraquée par des clichés en permanence la maîtrise de moins en moins. Et du coup, la pensée, plus guère non plus... Personne n'est à l'abri.
J'aime beaucoup le conseil que James Joyce donnait aux jeunes écrivains : si vous entendez un lieu commun, fuyez !
Merci en tous cas de votre gentil mot.
Écrit par : solko | lundi, 30 mars 2009
@ Zabou : Péguy n'est plus beaucoup lu. Ni compris. Profitons-en !
Écrit par : solko | lundi, 30 mars 2009
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