samedi, 01 septembre 2012
La clé
De toutes leurs habitudes, ils constataient que l’une des plus difficiles à « faire passer », comme disent les faiseuses d’anges, c’était celle de conserver des objets dans des tiroirs, des placards, voire des recoins plus extravagants, pour le cas où…
Ils s’étaient dit que, dans la société du tout jetable, cela tenait peut être du reflexe familial, un résidu du comportement des grand-mères de l’ancien temps programmées pour recycler jusqu’à la croute des fromages émiettées pour des oiseaux sur le rebord de la fenêtre, et conserver leurs voiles de mariées sur le dernier rayon de hautes armoires aux senteurs de romarin.
Eux, en quelques décennies et avec l’insouciance du pas de marelle, ils étaient passés d’un temps où l’usage des choses fondait des coutumes à un autre où il faisait tourner le commerce en brassant du folklore. Et parmi ces objets conservés sans qu’on sache pourquoi, le plus remarquable restait la clé.
Les clés de tous les anciens appartements qu’ils avaient tour à tour habités au fil de leurs déménagements intempestifs dus à une vie professionnelle fort agitée - clés dont les locataires postérieurs avaient probablement changé les serrures - reposaient tels de poétiques trophées au fond d’un aquarium au centre du salon.
Des clés qui n’ouvraient plus rien et qu’ils n’osaient cependant jeter, parce qu’ils se murmuraient au fond d’eux-mêmes qu’elles demeuraient les objets les plus poétiques de leur traversée de l’ennui en ce bas monde, de leur existence aussi incomprise qu’incompréhensible à l’heure de fermer les yeux.
09:55 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : littérature, poésie |
mercredi, 22 août 2012
Orages désirés
On a toujours parlé du temps, bien sûr : du temps qu’il a fait, du temps qu’il va faire. Parler du temps, c’est mettre en place une conversation, un rapport sensuel au monde, partager l’instant. « Il y a des messages qui servent essentiellement à établir, prolonger ou interrompre la conversation, à vérifier que le circuit fonctionne » professa le linguiste Jakobson lorsqu’il définit sa fameuse fonction phatique du langage. Le temps qu’il fait fait partie de ces énoncés creux, vides, dont la seule signification est donc d’établir une conversation. Le subtil Diderot fait débuter son magnifique Neveu, l’une des conversations littéraires les plus flamboyantes, les plus abouties, par la phrase restée célèbre, « Qu’il fasse beau, qu’il fasse laid, c’est mon habitude d’aller sur les cinq heures du soir me promener au Palais Royal ». Le Neveu de Rameau n’est pas seulement une conversation entre Moi et Lui, les deux protagonistes du dialogue. Il l’est également entre les facettes du Moi de Diderot, celles du Moi du lecteur : que le temps météorologique soit convoquée dans ce balancement rhétorique de deux présents signe le sens de l’à propos comme le coup de génie du directeur de l’Encyclopédie. « Il n’y a plus de saisons », disent plus prosaïquement les vieux sur les bancs
Depuis Charles d’Orléans, les saisons et le temps qu’il fait sont aussi un motif de poésie. Tout le Moyen Age s’entend dans son fameux « Hiver vous n’êtes qu’un vilain ». Les saisons de l’année devenant vite une métaphore des saisons de la vie chez les Renaissants, ce lien entre l’homme et le temps devient plus intime encore, se charge de murmurer ses espoirs, ses craintes et ses peines. La rose, aussi bien chez les poètes des Célébrations que chez ceux des Consolations devient l’incarnation poétique de cette fusion entre le temps qu’il fait et le temps qui passe.
Parler du temps qu’il fait, c’est aussi tenir le langage de l’amour ; le roman épistolaire le plus lu du XVIIIème siècle, La Nouvelle Héloise, inventa la météorologie romantique, celle qui permettait d’exposer les variations infinies du cœur et de la raison. Rousseau fut, avant Bernardin, avant Chateaubriand, l’un des premiers grands observateurs du temps en littérature. La dix septième lettre de la Quatrième partie, et les jeux du soleil et du vent que Jean Jacques dépeint, demeure parmi les plus belles pages de la littérature française, où s’invente pour longtemps ce qui deviendra l’un des clichés les plus porteurs des romans à l’eau de rose à venir : la poésie du lac. Il faut ensuite attendre René et ses « orages désirés » pour que le romantisme de l’Enchanteur fasse enfin du temps qu’il fait un événement politique : le vieux monde s’effondre dans un délicieux crépuscule, la saison qui commence n’intéresse plus le mémorialiste qui s’enfonce dans sa tombe, un crucifix à la main, laissant aux hommes qui arrivent le soin de décrypter les temps nouveaux. C’est alors que Michelet invente le récit historique, la grande météorologie de l’espèce et de ses cycles, des ténèbres à la lumière puis de la lumière aux ténèbres, qui du Moyen Âge à la Révolution donne vie au peuple et sens à la nation.
A présent, quelques décennies plus tard, les hommes ont cessé d’accorder sens au temps qu’il fait. Si les dépressions et les anticyclones sont encore d’actualité, ce n’est que pour forger une séquence médiatique parmi d’autres, la météo comme le sport ou la politique n’étant qu’un événement du calendrier : après l’été pluvieux et la canicule, donc, les orages. On se souvient de la tempête qui dévasta naguère la France, du tsunami, le Japon. Ces heures-ci, nous n’aurons à nous mettre sous la dent que quelques orages de grêle et quelques promeneurs foudroyés. Qu’importe : cela suffit à faire l’évènement, comme l’élection de ce pitoyable et sinistre président, dont la rentrée normale se déroule de déjeuners de travail en réunions de palais où l’on se concerte entre soi, ou comme l’organisation de ces JO aux bords de la Tamise, dans lesquels la France ne glana que peu de médailles face à la Perfide Albion. Le temps qu’il fait devenu ainsi non-évènement donne la mesure de l’insipidité des temps qui sont les nôtres, et des gens que nous sommes devenus. Levez-vous ! Levez-vous donc, levez-vous vite orages désirés !
Julie et Saint-Preux sur le lac Léman - Tableau de Le Prince (1824) au musée J.J. Rousseau à Mortmonrency)
00:06 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (9) | Tags : littérature, météorologie, diderot, le neveu de rameau, jean-jacques rousseau, lac léman, rentrée politique, chateaubriand |
jeudi, 16 août 2012
Mariage gay, prière pour la France, quel copyright pour nos enfants ?
C’est toujours en distillant de la pensée binaire dans l’opinion, que les politiques tentent de faire passer les réformes de comportement. La polémique soulevée par la « prière pour la France », lue dans toutes les églises à l’occasion de la fête de l’Assomption hier, en est un nouvel exemple.
Que l’Eglise réagisse au sein de ses offices et devant ses fidèles, c’est son droit le plus strict. Qu’elle défende la Tradition n’a rien de choquant, bien au contraire : ceux qui s’attendent à ce qu’elle s’engage de façon instantanée dans des débats de société soumis à l’immanence sont tout simplement incultes. Le rôle de l’Eglise est de perpétuer le message liminaire et fondateur qui est le sien, Benoit XVI étant le successeur non pas de Jean Paul II, mais de Pierre. En essence, l’Eglise n’a donc rien à faire avec la fluctuante modernité, ses interrogations, ses errances, ses forces de proposition. Aussi, la prendre régulièrement à parti sur le terrain de l’opinion (on a déjà connu cela avec le port du préservatif), c’est volontairement (ou non) méconnaître le statut très spécial qui est le sien. Que l’Eglise s’oppose au mariage civil gay n’a rien de surprenant, ni de scandaleux, puisque le mariage gay contrevient fondamentalement à tous ses principes. Qu’on attende de l’Eglise qu’elle parle le langage des modernes relève en revanche de la franche mauvaise foi. Nous voici au cœur de la méthode socialiste.
64% des Français seraient pour le mariage gay (selon IFOP). Foutre ! La propagande a donc commencé !
Personnellement, si je comprends que des couples homosexuels refusent d’être discriminés voire spoliés et revendiquent la protection de la loi dans le champ du social, je ne comprends pas ce qu’ils entendent par « égalité » : Il n’y aura tout simplement jamais de similitude entre un couple normal (pour parler le hollandais) et un couple homosexuel parce que ce n’est pas en ces termes que la question se pose : d’un côte deux mêmes ; de l’autre côté un même et un autre. D'éminents universitaires entretenus par des groupes d'influence auront beau nous expliquer que nous ne sommes plus de sexes, mais de genres différents, cela n'y change rien. Deux mêmes ne sont pas comme un même et un autre. Point.
Alors pourquoi toucher au symbole millénaire qu’est le mariage, quand un PACS amélioré pourrait faire l’affaire sur le simple plan légal ?
Parce que, nous dit-on, se pose une question, cruciale, celle du droit à l’enfant.
Passons sur le fait que l'enfant n'est pas un droit, en effet, mais une personne. Il est assez amusant de constater qu’à l’ère de la nanotechnologie, dans une société si fanatique et si déboussolée qu'on n'y croit plus qu’en l’identité génétique de ses membres au point d’en faire le mode opératoire principal de tous ses contrôles, on invente cette distribution digne d’un mauvais mélodrame d’Huxley : d’un côté des faux pères ou des fausses mères, qui seraient reconnues par la Loi comme de vrais pères et de vraies mères (des parents légaux, du même sexe de surcroit), et de l’autre des pères procréateurs ou des mères porteuses qui ne seraient, eux, que des agents opérateurs d’autant plus insignifiants qu’ils seront réduits à la fonction de passeurs génétiques, bref, des faux pères et des fausses mères.
L’histoire, les mythes, la littérature ne sont-ils pas emplis de ces quêtes de pères ou de mères, morts ou inconnus, menés par des orphelins hagards bien que choyés par des parents adoptifs plus attentifs que jamais ? Même si cela n’empêche nullement, bien sûr, que des relations affectives profondes avec d’autres puissent se construire, hommes et femmes n’auront jamais d’autres père et mère que leurs père et mère effectifs, ceux par qui le lien historique avec leurs ancêtres réels s’opère, des liens de filiation. A moins de vouloir transformer l'humanité en un troupeau d'apatrides incultes, de clones inconscients et de nomades fanatisés. C'est ce que le législateur souhaite continuer de faire, pour dominer le monde. Il y a dans ce projet qui se veut libertaire un goût franchement totalitaire.
Nous touchons là me semble-t-il au point crucial de l’aliénation que l’Eglise (mais aussi toutes les autres religions attachées à la Tradition) dénoncent : on ne veut plus de transcendance, ni divine, ni humaine. Seul compte le caractère instantané du présent, comme si le vivant ne devait plus se nourrir exclusivement que du présent, du désir du présent, et non plus aussi du feu des ancêtres.
Dans la tourmente culturelle qui se généralise, voila donc que ce lien parental -qu’on appellera sournoisement ici ou là génétique- passe donc pour dangereux, parce qu’il demeure l'ultime lien culturel avec le passé, l'ultime repère encore vaguement efficace, dans une société qui a fait tabula rasa sur tout. On veut des apatrides et des incultes, des citoyens du monde parfaitement clonés, disposant d'une filiation à la carte : la cohorte des ancêtres dérange et la logique du c'est mon choix s'impose partout. Quoi de mieux, pour faire passer cette perversion, que d’utiliser ces homosexuels à la cervelle lavée, qui accepteront de passer devant monsieur le maire au nom de leur liberté individuelle déjà si galvaudée, et dont la loi interdira de se gausser à vive et franche voix, comme au temps carnavalesque et joyeux (un temps tout sauf normal) de Coluche et Le Luron, sous motif honteux d'homophobie ?
L’Eglise a donc raison d’inviter implicitement les dirigeants actuels et passagers à réfléchir à autre chose qu’à leurs intérêts électoraux (mais un socialiste sait-il faire ça ?). Là où elle-même est hypocrite, c’est dans la formulation choisie par les évêques, qui esquive la complexité du problème : « Que les enfants cessent d’être les objets des désirs et des conflits des adultes pour bénéficier pleinement de l’amour d’un père et d’une mère » : comme si, dans le couple hétérosexuel, face à son vrai père et à sa vraie mère, l’enfant n’avait jamais été autre chose – avant qu’il ne s’émancipe de l’une et de l’autre – que l’objet des désirs et des conflits… Nous entrons là dans un débat d’une autre nature…
19:36 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (39) | Tags : mariage gay, prière pour la france, poitique, socialisme |
samedi, 11 août 2012
16 & 16 = 32
Emplir presque à ras de café noir un bol tout blanc
Sans savoir si on l’engloutira tout entier
Puis des murmures familiers : tu ne vas pas dormir ce soir
Leur opposer qu’avec ce bol s’apprête à l’envol
Sa propre plume sur quelque feuille blanche
Car le vol de la nuit qui débute
Se soucie comme d’une guigne des tableaux où s’affichent
En linéales rouges telle ou telle capitale
Non, ignorance même de ce que je veux dire
Ni peux lire en cette mare ronde de café
Qui a quelque chose à dire né dans ce fief sans relief
Juste envie d’essayer tel Michel en sa librairie
La jeunesse instantanée demeure le privilège de l’écrivain
Pharmacopée de son imaginaire
Tirant pied de nez à tous les dogmes
Tout comme la première fois
De laquelle toi parles-tu il y en eut tant
Première fois que tu perçus la lenteur en parfum de la Saône
Que le jus de pêche engloutie à l’arbre s’égoutta à ton palais
Que malgré le midi vif le soleil cessa de t’éblouir -oh c’est toujours
La première fois quand tu l'écris tel ce legs
« O mon crâne étoile de nacre qui s’étiole »
Et comme elle ou comme lui tu souris sûr que Saussure
Aima Rrose Sélavy le pauvre Lelian et son impair aussi
Qui s’éteignit au 39 rue Descartes chez une ouvrière de la Belle
Jardinière non loin de la cloche de la Sorbonne ce bol
Fol « Qui toujours à neuf heures sonne
Le salut que l'ange prédit»
Un adieu digne de François dont le lent Lais clamait déjà
Ce qu’aucun né d’ensuite ne parvint à mieux clamer
Qu'assigner sens au dire n’est guère plus sain qu’y mettre fin
Ce dont nous sommes malades autant que vierges et heureux
22:19 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : verlaine, villon, desnos, rrose sélavy, poésie, littérature |
mardi, 07 août 2012
Garder le frais
Dans les fermes du Beaujolais, il y avait toujours une pièce close. Les meubles des beaux parents s’y recueillaient tout l’an, de nombreux bibelots aussi, des tapis, des tableaux. Dans le reste de la demeure vaquaient les vivants. La maîtresse de la maisonnée, dans un haussement d’épaules, veillait non loin de la porte à ce que personne n’y entrât, surtout pas les gosses ni les chats. Il fallait, disait-elle, « garder le frais ». : L’expression m’est restée.
Nous vivons un été clément. Les séquences anticycloniques, comme grimacent les godillots de la météo, ont été suffisamment réduites pour que nos nuits d’été ne perdent pas leur fraîcheur essentielle. C’est quand le soleil dérobe aussi la nuit que les organismes demeurent démunis, interloqués, suffoquants. C’est alors qu’il faut garder le frais.
Tout comme garder le silence, ou garder la forme, garder le frais nécessite un réel entraînement. C’est presque un effort, un art. Par temps caniculaire, je songe toujours à la science domestique des fermières du Beaujolais.
Pour garder le frais, il faut tout d’abord être matinal. Quatre heures du matin, toutes fenêtres ouvertes afin de susciter le plus grand nombre de courants d’air. Parfois, l’air ne veut pas, opaque et statique. Le plus souvent, à cette heure, il consent. Chaque pièce de la maison s’emplit alors d’un baume, d’une respiration. Vers sept heures, il faut tout refermer. On peut alors se recoucher.
Pour bien garder le frais, il faut de fermes volets et de lourdes tentures. La fraîcheur et la pénombre sont deux jumelles, parfums qui n’investissent la maison que si on les y invite. Il faut éviter tout instrument électrique. Pour débusquer le chaud, on peut arroser d’eau fraiche les carreaux. Le carreau retient ce qu’on lui donne.
Après, c’est une question de mouvement. Eviter de trop remuer, de trop parler, de trop respirer : le mouvement cuit. Retenir son souffle, comme dans le mutisme des profondeurs sous-marines. Le battement de jambes des plongeurs, tel celui d’un cil, qu’à cela soit réduit tout remuement.
On comprend pourquoi les vigilantes fermières du Beaujolais veillaient si vaillamment : c’est le vivant qui chauffe et recuit, pour garder le frais il faut le bannir des lieux. Nous manquons d’espace, tous, pour garder vraiment le frais. Dans une maison à ma guise, il faudrait une pièce pour le frais, une autre pour le silence, une troisième pour le parfum. Et le reste pour nous tous.
Jacques Barçat, Alice cousant
18:51 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (18) | Tags : littérature, poésie, lyon, france |
lundi, 30 juillet 2012
Londres - lancer du poids
Where be your gibes now, your gambols, your songs, your flashes of merriment that were wont to set the table on a roar ? Not one now to mock your own grinning ?
23:14 Publié dans Des pièces de théâtre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : londres 2012, jo, shakespeare, théâtre, hamlet |
vendredi, 27 juillet 2012
L'imposture Madonna
Il y a d’un côté l’indécence Madonna : une star méprisant les réalités économiques que vivent ces électeurs de Le Pen qu’elle compare à Hitler, à Tel Aviv comme à l’Olympia ; chercherait-elle, la milliardaire altruiste, l’artiste engagée, à alerter les consciences ? Non, bien sûr ; elle vend de la « tolérance » de « l’anti lepénisme » aussi convenu que frelaté, à ses fans hystériques comme Leo Ferré vendait de l’anarchie aux siens : Ferré n’était pas Bonnot et Madonna n’est pas Joséphine Baker ou Charlie Parker (quoiqu’elle en pense et en dise). Madonna, c’est un fond de commerce parmi d’autres. Son discours sans risque, qui vante la France ouvrant les bras à Joséphine Baker ou Charlie Parker, Gauguin, Van Gogh ou Picasso (se prend-elle pour l’un des cinq ?) ne passe plus en temps de crise, au vu des prix d’entrée pratiqués. Stupeur ou bonne nouvelle : La vieille milliardaire est sifflée, conspuée aux cris de salope et de remboursez, et la scène entière jonchée de bouteilles.
De l’autre côté, il y a la crédulité du public : «Même pas dix chansons, pas merci ni au revoir… Nous sommes venus de Montpellier et nous avons payé 180 euros les billets, c’est vraiment raide, ont regretté Anthony, Stéphane, Guillaume ». On a envie dire à ces braves pigeons que s’ils ont enfin compris le cynisme de ce genre de personnage, ils auront compris ce qu’est le show-business contemporain et s’en tiendront désormais peut-être un peu plus à l’écart.
«Le monde est en train d’entrer dans une période qui fait peur. Les économies s’écroulent, les gens n’ont rien à manger en Grèce, les gens souffrent partout dans le monde, et ils ont peur. Et que se passe-t-il quand les gens ont peur ? Ils deviennent intolérants » professe la courageuse Madonna.
Oh les méchants ! Mais de quoi a-t-elle si peur ? Qu’ils deviennent intolérants à son encontre et cessent d’être des pigeons bons à plumer ? Ils n’auraient, c’est le moins qu’on puisse dire, pas fait le déplacement pour rien.
13:04 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (10) | Tags : madonna, olympia, le pen, show business, common decency |
jeudi, 26 juillet 2012
Leo Ferré, en langue française
Le parler de Ferré, quand il fait mine de chanter,
Le chanter de Ferré quand il fait mine de parler,
Le vent, les bijoux,
La grimace et le clin d’œil, la dérision, l'ironie
Le tâtonnement par la note
La mélodie, la plainte
Chuchotée, articulée, insistée, gueulée, prolongée
La pause ici ou là, l’appui sur la consonne
La dissolution finale
Je n’ai jamais aimé le personnage de Ferré, surtout lorsqu’il jouait à l’anarcho-libertaire pour vendre son album Il n’y a plus rien à des lycéens post-pubères. Avec un groupe de libertaires déjantés, justement, (Groupe insoumission totale), me souviens l’avoir chargé à coups de tomates pendant un concert, du haut du balcon de la Bourse du Travail. Ce qui nous avait mis en colère, c’est la protection policière dont bénéficiait le vieux loup de mer qui crachait sur les CRS. J’étais à l’âge idiot, qui cherche de la cohérence dans les actes. Nous lui gueulions : « Il y a encore le fric et les flics », et lui nous tenait tête en nous traitant de petits cons. Les flics nous avaient virés et la soirée s’était terminée dans un midi-minuit du cours Charlemagne.
Cela dit, le vieux Léo fait partie de cette dernière génération de chansonniers formés à l’école des poètes, et capables de faire la distinction entre les deux, précisément. De l’avant Berger, voyez ce que je veux dire ? Ferré, mort au vingtième crépusculaire d'un quatorze juillet 1994, un des derniers maîtres de l’interprétation en langue française.
13:38 Publié dans Des nuits et des jours... | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : leo feré, chanson française, avec le temps |
lundi, 23 juillet 2012
Du mouron à se faire chez les petites gens
Ce fut l’une des réussites majeures de la campagne de Hollande : Dans une France en crise structurelle depuis trente ans, où les oppositions politiques se réduisent à des clivages plus symboliques qu’effectifs (Où voit-on que la droite serait plus raciste que la gauche, la gauche moins gestionnaire que la droite ?…), dans une France pour laquelle une véritable alternance politique n’est plus possible à moins de scissions radicales et véritablement révolutionnaires avec les politiques conduites depuis Giscard et le verrouillage de la très technocratique Europe, Hollande a compris que le distinction sémiologique pourrait, dans l’esprit d’un nombre peut-être majoritaire d’électeurs, se substituer à l’opposition politique rendue dorénavant caduque. Il fallait pour cela un concept marketing : il choisit celui de « normalité ». Ce concept – qui avait l’avantage de l’opposer aussi à son rival déchu, DSK – emporta d’abord l’adhésion de la plupart des éditorialistes et des chroniqueurs, qui déroulèrent le tapis devant lui, construisant peu à peu à l’occasion des primaires une image présidentielle acceptable par l’opinion, dès lors que l’appareil politicien du PS s’était rangé derrière lui. Restait ensuite à le vendre à l’opinion. L’adoubement par Chirac, auquel il vient de rendre une visite très normale en son château, servit de rampe de lancement en réactivant la « majorité » de bric et de broc constitué par le très imaginaire « front républicain » de 2002.
Avant d’être un concept de marketing politique, la normalité est un concept sociologique. La découverte des gens normaux, dits aussi « petites gens » fut entreprise par l’Ecole américaine de Chicago, initiée par des gens comme William Isaac Thomas (1863-1947) et Robert Park (1864-1944). Thomas est célèbre grâce à son théorème établi en 1928, qui veut que les comportements des individus s’expliquent par leur perception de la réalité et non par la réalité elle-même [« If men define situations as real, they are real in their consequences » (Si les hommes définissent des situations comme réelles, alors elles sont réelles dans leurs conséquences.)]. Park, un ancien journaliste, s’illustra avec son article The City (1915), que les spécialistes considèrent comme l’un des premiers ouvrages de sociologie urbaine ; dans lequel il théorise la « proximité » et les « enquêtes de terrains » comme méthodes de connaissances privilégiées de la société. Ce qui est intéressant, c’est que les individus n’y sont plus pensés comme sujets citoyens, mais comme objets d’étude et de propagande..
L’idée que les petites gens peuvent être étudiées s’impose au vingtième siècle naissant durant lequel ce type de concepts (proximité, normalité, respect) vont se substituer dans l’esprit des gens aux valeurs héritées du XVIIIème : liberté, égalité, fraternité, pour dévoyer l’idéal démocratique en démocratie d’opinion. La clé du discours schizophrénique de la « gauche » peut se repérer dans cette tension incessante entre proximité et égalité, normalité et fraternité, à quoi il faudrait rajouter respect (variante justice) et liberté. Qu’attendre dès lors de cet énarque rusé et autoritaire, sinon qu’il incarne inlassablement - tant que l’opinion le lui permettra-, cette image lisse et faussement humble de président normal qui réussit si bien aux vieux Mitterrand où Chirac, dont il emprunte les costumes et les voix, d’un discours à la jeunesse à un discours sur la repentance. ? Les gays et les étrangers, à qui on jettera en pâture un droit de vote et un droit au mariage qui n’ont plus ni l’un ni l’autre beaucoup de sens, serviront servilement d’alibis pour tenir le plus longtemps ce numéro d’équilibriste.
La France, province vieille et frileuse, s’accommodera-t-elle longtemps de cette posture médiatique ou s’en lassera-t-elle au plus vite ? Tout dépendra de la gestion de la crise, diront les commentateurs. C’est oublier le théorème de Thomas : on peut, par exemple, rétablir les publicités sur les chaines publiques et augmenter les impôts des classes moyennes tout en ayant l’air de gauche, ce n’est pas un problème, si l’on y met les formes en feignant d’abolir les distinctions entre, par exemple, riches et pauvres, homos et hétéros, Français et étrangers ; mais les formes vont, viennent, volutes de fumée dans les caprices des peuples. Quand tout sera normalisé on se lassera vite de cette standardisation creuse et sans relief.
La gestion de la crise par Sarkozy a été bonne (1) ; pourtant ce dernier a chuté lorsque les financiers qui le soutenaient ont craint que sa communication trop « autoritaire » ne heurte trop frontalement l’opinion : sa fameuse rupture d’avec la « normalité » chiraquienne l’ayant contraint à droitiser son discours, il finit par passer auprès de Madame Michu comme un dangereux Mussolini en culottes courtes, et perdit de peu sa réélection à cause de cela. Pareillement, Hollande chutera lorsque les financiers qui ont soutenu sa campagne jugeront que sa normalité faite de démagogie et de concertation-parlotte sera redevenue un concept dangereux, parce que trop ostensiblement totalitaire. D’ici là, les petites gens ont du mouron à se faire…
L'école de Chicago et la découverte des petites gens
(1) On écrit ici gestion et non résolution. Commentateurs, faites-y attention avant de ruer dans les brancards.
18:12 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : william thomas, robert park, normalité, école de chicago, petites gens |