lundi, 17 septembre 2012
La grande distribution a perdu son guru
Monsieur Leclerc est allé rejoindre Bernardo Trujilo dans les souterrains infernaux de la grande distribution post mortem. Bon voyage, Edouard. Les centres Leclerc post-modernes vendent-ils des cercueils ? Il faudrait aller vérifier. La grande famille des consommateurs satisfaits pourrait dès lors se rassembler pour en offrir un au big boss qui vient d’avaler son extrait de naissance. Emballez c’est passez.
J’ai la chance d’habiter non loin d’un boulevard sur lequel siège un marché presque quotidien. Un vrai, avec des maraîchers qui gueulent, des fromagers qui plaisantent, des poissonniers qui glissent un citron dans le sac en plastique bleu, et un super tripier qui vend des andouillettes et de la salade de museau, un vrai bonheur...
Facile, dès lors, de se dispenser des courses chez Edouard and son. Du coup le « no parking no business » qui fit la fortune des Carrefour, Auchan et autres Darty me demeure lettres mortes.
Trujilo, c’est vrai, avait pourtant du talent : Son « les pauvres ont besoin des prix bas, les riches les adorent » témoigne d’une connaissance presque balzacienne du cœur humain. Et tous ses commandements sont du même acabit : « Empilez haut, vendez à prix bas », une véritable prophétie. N’empêche. La même répugnance, toujours, à entrer dans ces centres de distribution. « Tout et tous sous le même toit », ça n’a jamais été ma tasse de thé.
Deux phrases introduisaient, parait-il les séminaires de Trujilo :
- « Messieurs, un million de commerçants sont morts cette année dans le monde pour n’avoir pas su prévoir l’avenir. Je vous demande d’observer une minute de silence pour honorer leur mémoire ! »
- « Et maintenant, une autre minute de silence pour les millions d’autres qui vont mourir et qui ne le savent pas encore. J’en vois quelques-uns parmi vous… »
Sans jouer au poujadiste rétrograde, on ne sait non plus combien de petits commerçants Edouard le financier aura fait crever à feux lents. Il aura bel et bien été un de ceux par lequel un certain malheur s’est irrémédiablement abattu dans le fameux panier de la ménagère et sur l’assiette de bébé. J’ai lu quelque part que le groupe, avec un chiffre d’affaires de 30 milliards d’euros en 2011, vise aujourd’hui de détrôner Carrefour de sa place de leader d’ici 2015. Le nouveau premier ministre, dont je ne sais toujours pas orthographier le nom, a salué « une réussite économique incontestable » et son ministre de l’économie, Moscomachin, a évoqué «un pionnier de la grande distribution de talent ». Les héros qu'on peut, qu'on a, hein...
Bien dans leurs baskets, les nouveaux dirigeants. De la grande distribution langagière, dans toute sa gloire. Faut dire que certains sociologues n’hésitent pas non plus à faire du grand papa d’Issy les Moulineaux un des fondateurs de la révolution sociale en France. Un clerc, le clerc, quoi. Mériterait presque le Panthéon. Ce serait au fond une sorte d’honnêteté intellectuelle de cette République sociale et consumériste de l’y coller, entre Hugo, Moulin, Zola et autres Jaurès. A Leclerc, la patrie reconnaissante, je vous dis. Et foin du maréchal de Hauteclocque, libérateur d'un autre temps. Faut vous dire que chez ces gens-là, on a, c’est vrai, les libérateurs qu’on peut…
22:27 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (4) | Tags : edouard leclerc, bernardo trujilo, consommation, société |
dimanche, 16 septembre 2012
Fin de vie
Les gouvernants n’ont plus que de la parlotte, et l’influence dont ils jouissent dans les medias, pour encadrer les événements et se donner l’impression qu’ils ont maté l’opinion. Conduit par de si piètres capitaines, ce pays qui confond égalité et non discrimination des minorités s’enfonce dans un marasme intellectuel qui tient autant de la boutasse que du cul-de-sac, pour ne pas dire une sorte de mort identitaire. Ici, la crise est surtout culturelle.
J’entendais tout à l’heure Vincent Lindon affirmer que la question de l’avortement avait été la grande affaire du septennat de Giscard, celle de la peine de mort de celui de Mitterrand, et que la question de la fin de vie serait celle du quinquennat de l’actuel «locataire de l’Elysée » (comme le charlot se définit lui-même, le propriétaire en étant, dit-il, le peuple… Ah ! ah! ah!)
Fin de vie. On ne saurait mieux dire. Le dessin est à lire de droite à gauche...
22:05 | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : hollande, politique |
samedi, 15 septembre 2012
J'ai eu des médecins exceptionnels
Pierre Mondy, à son tour... Toujours attristé par la disparition de figures comme celle-ci, d'une dimension aussi historique qu'artistique, qu'en dire de plus qui ne soit dit partout ailleurs ? Très bel hommage rendu par l'acteur en 2010,au service public hospitalier, à écouter ici :
15:44 | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : pierre mondy, service public |
vendredi, 14 septembre 2012
A nul autre objet que celui-ci
Cela faisait longtemps qu’il n’en avait pas tenu un entre les mains, ni que son regard n’avait glissé dessus. Il en avait cherché un specimen heureux dans tous les magasins de la ville, avec tout d’abord une avidité de bonne augure, laquelle s’était muée lentement en une sorte de désarroi fatigué, trop long, trop dur, trop nombreux à se ressembler, à lui masquer la pièce unique. Il crut qu’il avait paumé le flair de chien qui le tenait des heures entières à la chasse jadis, jusqu’à la débusquer, la rareté, sans même avoir à trop tripoter ces piles ni croiser ces rayons uniformes Peut-être aussi l’usure du désir, de la connaissance, de la volonté, de la vie…
L’objet n'était-il par ailleurs en train de se métamorphoser sous leurs yeux à tous, tout comme la cire aurait dit Descartes dénonçant les pièges de la sensation ? Changeant de forme, l’objet changeait de rythme : Et si, se disait-il comme une excuse à sa paresse, tout n’était que affaire de pulsations ? On avait beaucoup annoncé la fin, prédit ce qui arriverait, et qu’un silence opaque finirait par recouvrir la lande déconfite ; l’objet en question, n'était-il pas plus adéquat de lui refuser pour quelque temps encore son attention, son regard, son esprit ?
Il rentra chez lui les mains vides.
Sébastien Stoskopff, Nature morte
20:58 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (6) | Tags : littérature, poésie |
mercredi, 12 septembre 2012
Sans titre
Les plus belles journées de l’été finissant
On bosse depuis quelques jours seulement
Le long d’un quai te découvre flânant
Tu rêves d’une poésie facile qui t’emporterait
Loin des mots du présent par cette Saône allant
Le courant leste jusqu’à la mer
La misère, te dis-tu, la misère
Comme le gras, le gras, le sale, le sale, la misère
Cache la misère
Que de silence, de lenteur en ce fleuve, cette rivière
Sa courbe aussi efficace qu’ordinaire
Le long des quais leur voyage à tous en ces ans
Tel aussi file sous ce ciel ouvert
Ton pas de déjà-venu le long du sentier vert
Ta rage fonce comme RER
Jusqu’à l’amphi bondé chaque siège était cher
Et l’avenir ardent
Or quel démon guette encore ce tournant ?
06:47 Publié dans Des poèmes | Lien permanent | Commentaires (0) |
lundi, 10 septembre 2012
Années trente
A quoi ressembleront les années trente ?
22:44 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : années trente |
samedi, 08 septembre 2012
Entre gens normaux
Arnault fuit la Hollande par la Belgique : itinéraire d'un vilain patron français. On va se retrouver bientôt entre gens normaux, des pauvres égaux et satisfaits. Tout ça promet d'être culturellement gai et enrichissant pour tous. Un humble citoyen de Sa Majesté, Paul Mc Cartney vient, paraît-il, d'être décoré de la Légion d'honneur. On ne sait pas trop pourquoi aujourd'hui, pas de concert annoncé, pas de nouveau disque en vue.
Hollande a-t-il réalisé qu'il a été élu ? Avec la persévérance du pauvre type traumatisé, il continue à se déterminer par rapport à un Sarkozy que tout le monde a déjà oublié, comme s'il était en campagne infinie. Il demande encore du temps pour trouver son style. A l'âge qu'il a, ça craint. Le vide. Comme si les Français lui demandait du style... Quelques journalistes tentent de nous intéresser à la vie privée de cette pomme déjà dégonflée en publiant les aventures de Ségolène et Valérie. Bien content de ne pas avoir voté pour lui.
Tout ça fait penser que la Belgique, pour y revenir, a tenu des mois sans gouvernement. Une manière de leçon donnée au Nord par le Nord.
20:27 Publié dans Sur le vif | Lien permanent | Commentaires (7) | Tags : arnault, politique, france, belgique |
lundi, 03 septembre 2012
Moon K.O par pneumonie
Le révérend Moon est mort d’une pneumonie. On peut considérer que c’est une bonne nouvelle, puisque ça fait un escroc nonagénaire de moins sur Terre. En même temps, des milliers de disciples (qui le considéraient comme leur Vrai Parent) en pleurs sont tout prêts à adorer sa sacrée dépouille en son mausolée. Si l’homme est enfin out, le guru, lui, subsiste. Enfants de Dieu, Témoins de Jéhovah, Hare Krishna, Moon furent, dans les années soixante-dix, les principaux prédateurs sectaires à fleurir en toute liberté alors que de multiples discours mondialisant se faisaient entendre ça et là. « Le monde, chantait Graeme Allwright , se prépare à un grand changement », tandis que les Beatles donnaient benoitement dans la méditation transcendantale du Maharishi Mahesh Yogi. Des sectes d’inspiration bouddhistes, hindous, christiques pullulaient à chaque coin de rues ; celles qui n’ont pas très vite fait faillite sont devenus des PME prospères, voire des trusts internationaux, tel celui de Moon, le milliardaire qui a avalé ce jour son extrait de naissance.
Il parait difficile d’expliquer à un adolescent d’aujourd’hui, confronté à un discours vieux de quarante balais sur la crise et à ses effets ravageurs tant sur l’économie que sur la vie de l’esprit au sens le plus large du terme, comment de tels imposteurs ont pu s’imposer à une population pourtant cultivée. Habilement, tous ont su surfer sur un vide spirituel béant à l’époque, provoqué à la fois par une Eglise catholique vidée de son substrat par Vatican II, une idéologie républicaine peinant déjà à trouver ses marques face aux désordres du monde, des idéologies comme le communisme à bout de souffle. Et même si le phénomène sectaire s’est en quelque sorte banalisé depuis, il a diffusé dans la société un certain état d’esprit que les marchands du libéralisme n’ont pas manqué d’exploiter : celui du « développement personnel », notamment, constitué d’une certaine abdication de la mémoire devant le culte de l’instant, un renoncement profond au collectif au profit du culte de soi, un laxisme matiné de permissivité face à tout ce qui relève de la tradition. Cet esprit sectaire a contribué à créer un monde sans émerveillement ni ressentiment, un monde à la spiritualité molle et diversifiée, quand elle n'est pas absente ou usurpée, où des individus, faciles à abuser sont déclarer tout-puissants et égaux entre eux, quand jamais ils n’auront été livrés aussi démunis aux feux de la propagande et de la manipulation. Moon est mort, oui. Pas son sale esprit, ni le terreau funeste, les terres destructurées sur lesquels il essaima.
21:23 Publié dans Des inconnus illustres | Lien permanent | Commentaires (19) | Tags : moon, sectes, actualité |
dimanche, 02 septembre 2012
De la normale anormalité et de l'anormale normalité de l'Eloge gallimardeux
Fnac de Lyon Part-Dieu, vers 18h30 : survol rapide des livres en piles, quelques vendeuses plaisantent. Pardon mesdemoiselles, le dernier Millet dont tout le monde parle ?… « En rupture, monsieur, en rupture de stock, l’Eloge littéraire d’Anders Breivik ». Escalator du dessus, Decitre : tu apprends là que l’ouvrage déjà sulfureux est en réimpression.
Comme l’a ahané Antoine Gallimard, « la liberté d’expression personnelle ne gène pas son travail d’éditeur ». Un truisme, ça. Derrière lequel miroite la préservation de la poule aux œufs d’or. Car enfin si un éditeur, aujourd’hui, c’est un type qui sait vendre, alors Antoine en est un excellent. La preuve : allez vous enquérir du fameux Eloge en librairie, vous allez voir.
Tout ça finit par interroger sur l’air du temps de ce pays « normal » dans lequel presque tout le monde parait-il aurait perdu le moral, et dans lequel Millet serait un soudain « anormal » (c’est vrai, ça, faire l’éloge d’Anders Breivik au lendemain de son procès tsss !)…
S’interroger sur tous ces éditeurs normaux qui se donnent le droit d’éditer des auteurs anormaux, tout en désavouant leurs anormales idées entre deux réimpressions. Et sur tous ces gens normaux lecteurs de livres anormaux dont bien sûr l’auteur et le contenu leur paraissent ignobles mais visiblement pas la lecture. Le plus comique demeurant la réaction des bons collègues de la maison : Annie Ernaux ou Tahar Ben Jalloun sont normalement indignés, était-ce autrement possible ?
On notera pour finir la courageuse réaction d’Alexis Jenni, lequel doit à Millet son Goncourt de l’an passé, et qui a déjà tout compris d’une carrière normale en république des Lettres hollandaise : « Les choses sont claires, je comprends ce qu’il dit, mais je ne suis pas de son avis ». Prochain roman normal, garanti...
00:02 Publié dans Aventures post-mortem de la langue française | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : richard millet, éloge littéraire d'anders breivik, gallimard, alexis jenni, littérature |